Rabat. Dans le cadre des politiques de l’Union, la politique de voisinage ou politique commerciale commune par exemple, il existe des relations privilégiées1 entre le Maroc et l’Union. Ainsi, il y a un enchevêtrement d’accords et de normes qui y sont liées. Parmi ces derniers, se trouvent un accord d’association, des accords de libéralisation instaurant un régime de préférence tarifaire notamment sur les produits agricoles et un partenariat dans le secteur de la pêche. La question se posait de savoir si ces accords s’appliquent au Sahara occidental. En effet, le champ d’application porte sur le « territoire du Royaume du Maroc ». Or, d’une part, l’Union ne reconnaît pas officiellement la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental. Mais d’autre part, de facto, les tarifs préférentiels s’appliquaient sur les produits en provenance du Sahara occidental et l’accord de partenariat sur la pêche avait même pour but, dans l’esprit2 mais non dans la lettre de l’accord3, de s’appliquer aux zones de pêche au large du Sahara occidental.

Les indépendantistes sahraouis craignent que cela n’entérine la souveraineté du Maroc sur leur territoire. Ils ont donc décidé de porter l’affaire devant la CJUE, en s’appuyant notamment sur l’obligation légale faite à l’Union de respecter le droit international. Plusieurs arrêts4 en ont résulté et ont eu des conséquences mitigées pour les requérants. En effet, il y est réaffirmé que le Sahara occidental ne fait pas partie du territoire du Royaume du Maroc sur lequel ce dernier peut exercer sa pleine souveraineté. Cela signifie qu’un accord qui s’applique au territoire marocain ne s’applique pas au Sahara occidental. Néanmoins, leur validité n’est pas remise en question.

Néanmoins, à la suite de ces arrêts, la Commission et le Conseil ont entamé de nouvelles négociations avec le Royaume du Maroc pour étendre la portée de ces accords au territoire du Sahara occidental, avec une « consultation »5 des populations sahraouies locales. Une nouvelle décision sur le partenariat sur la pêche est intervenue le 29 novembre 20186, portant sur les eaux au large de la région. Le Parlement européen, dont l’approbation était nécessaire pour la décision sur les préférences tarifaires, a quant à lui donné son accord le 16 janvier 20197, permettant l’adoption d’une nouvelle décision appliquant les préférences tarifaires aux produits sahraouis8.

Ces affaires mettent en exergue les équilibres internes à l’Union, notamment dans ses rapports institutionnels, qui peuvent avoir un effet direct sur sa position extérieure. Ainsi, la Commission et le Conseil, puis le Parlement européen, se sont prononcés en faveur d’échanges commerciaux avec le Maroc, y compris lorsqu’il concerne le territoire du Sahara occidental. Cette position s’inscrit dans le cadre d’échanges diplomatiques plus globaux avec un partenaire stratégique, portant à la fois sur des questions d’échanges économiques mais également sur la gestion des frontières extérieures de l’Union. La Cour de justice, quant à elle, a une position singulière puisqu’elle peut être amenée à apprécier la validité des accords que conclut l’Union, avec des États tiers, et donc potentiellement à les invalider. Néanmoins, elle ne peut apprécier l’ensemble des relations avec un État tiers. Son rôle est d’en apprécier la légalité et non l’opportunité. Cette incertitude qui pèse sur certains accords risque d’avoir un effet sur la façon dont l’Union mène ces négociations diplomatiques.9.

Perspectives :

  • Ces nouvelles décisions ayant des effets sur le territoire du Sahara occidental risquent d’être contestées devant le juge de l’Union. Il ne s’agirait alors plus de savoir si le Sahara occidental fait implicitement partie du territoire du Maroc pour l’Union, mais de savoir si la Cour reconnaît la possibilité, et sous quelles conditions, à l’Union de conclure avec le Maroc des accords portant sur cette région.
Sources
  1. Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion de l’accord sous forme d’échange de lettres entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc sur la modification des Protocoles n° 1 et n° 4 à l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part et le Royaume du Maroc, d’autre part, Bruxelles, le 11 juin 2018, COM(2018) 481 final 2018/256 (NLE), p.2.
  2. « Réponse donnée par Mme Damnait au nom de la Commission », 17 septembre 2013, E-007185/2013.
  3. F. Dubuisson et Gh. Poissonnier, « Pêche illégale des navires de l’UE dans les eaux du Sahara occidental, rendue « invisible » par la magie d’un arrêt du juge européen », Énergie – Environnement – Infrastructures, 2018, nº 7 p.33-36.
  4. Notamment : CJUE, Grande Chambre, 21 décembre 2016, aff C-104/16 P, Conseil de l’Union européenne contre Front populaire pour la libération de la saguia-el-hamra et du rio de oro (Front Polisario) ; CJUE, Grande chambre, du 27 février 2018, Western Sahara Campaign, aff. C-266/16.
  5. Considérant 11, décision (UE) 2018/2068 du Conseil du 29 novembre 2018 relative à la signature, au nom de l’Union, de l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc, de son protocole de mise en œuvre ainsi que de l’échange de lettres accompagnant l’accord, JOUE L 331 du 28 décembre 2018, p. 1–3 ; Considérant 8, décision (UE) 2019/217 du Conseil du 28 janvier 2019 relative à la conclusion de l’accord sous forme d’échange de lettres entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc sur la modification des protocoles n° 1 et n° 4 de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part, JOUE L 34 du 6 février 2019, p. 1–3.
  6. Décision (UE) 2018/2068 du Conseil du 29 novembre 2018 relative à la signature, au nom de l’Union, de l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc, de son protocole de mise en œuvre ainsi que de l’échange de lettres accompagnant l’accord, JOUE L 331 du 28 décembre 2018, p. 1–3.
  7. Résolution législative du Parlement européen du 16 janvier 2019 sur le projet de décision du Conseil relative à la conclusion de l’accord sous forme d’échange de lettres entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc sur la modification des protocoles nº 1 et nº 4 à l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part (Approbation), du 16 janvier 2019, T8-0017/2019.
  8. Décision (UE) 2019/217 du Conseil du 28 janvier 2019 relative à la conclusion de l’accord sous forme d’échange de lettres entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc sur la modification des protocoles n° 1 et n° 4 de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part, JOUE L 34 du 6 février 2019, p. 1–3.
  9. VERDI Théo, La CJUE refuse l’application d’un accord de pêche liant l’UE et le Maroc au Sahara occidental, Le Grand Continent, 8 avril 2018