Rome. Le 15 avril 2019 le ministre de l’Intérieur Matteo Salvini a signé une nouvelle directive contre les débarquements de migrants en Italie (sa troisième en moins d’un an)1. La directive est justifiée par le leader de la Ligue par la nécessité de se mettre à l’abri de la potentielle invasion de migrants et terroristes souhaitant échapper aux combats qui agitent la Libye. Elle s’appuie sur les propos d’Al-Serraj, premier ministre libyen, qui annonçait l’arrivée possible de 800 000 réfugiés éventuels : une menace en épouvantail afin de convaincre la communauté internationale d’arrêter l’offensive du général Haftar sur Tripoli, dernier bastion du gouvernement soutenu par l’ONU2.

Dans sa directive, le Ministre Salvini ordonne de veiller à ce que la Mare Jonio, navire de l’ONG italienne Mediterranea, respecte les règles nationales et internationales en matière d’immigration et de secours en mer et donc qu’il se coordonne avec les autorités souveraines dans la zone de sauvetage, à savoir la Libye. Ce qui signifie que si le navire prend en charge des migrants dans les eaux territoriales libyennes, elle ne peut s’amarrer en Italie car la zone d’intervention n’est pas italienne3.

La disposition suit l’exemple de la France, qui pour faire face à l’émergence terrorisme a demandé de proroger pour six mois encore la clôture de frontières avec l’Italie.

Cette initiative a crée de nombreuses tensions au sein du gouvernement et de l’administration. En premier lieu, et fait exceptionnel, c’est l’État-Major qui a réagi, considérant les ordres de Salvini comme une « ingérence sans précédents dans l’histoire de la République ». Selon son chef, le général Enzo Vecciarelli, un ministre de l’Intérieur qui donne des ordres à un militaire représente une conduite incompatible avec la démocratie4, tout en soulignant sa subordination au ministère de la Défense et au Président de la République qui a le commandement des forces armées du pays et préside le Conseil suprême de Défense (art.87 c.91 de la Constitution Italienne). De son côté la ministre de la Défense Elisabetta Trenta a rappelé que si les combats en Libye se transformaient en guerre, les migrants deviendraient alors des réfugiés et il faudrait les accueillir comme prévu par le droit international5.

Selon Mediterranea Saving Humans, la directive de Salvini ne tient aucun compte les atrocités qui sont à l’ordre du jour en Libye depuis des années et des obligations internationales qui s’en suivent. La directive de Salvini a engendré un affrontement avec la ministre de la Défense Elisabetta Trenta du Mouvement 5 Étoiles, dont il faudrait à présent sortir. Aussi l’homologue vice-premier Luigi Di Maio ne semble pas trop heureux de l’initiative, en affirmant qu’ une directive ne sera pas suffisante à bloquer 800 000 migrants et que pour améliorer la situation italienne par rapport aux débarquements et aux migrants il faudrait se détacher des pays qui ne veulent pas l’accepter plutôt que s’allier avec eux, comment Salvini a fait avec la Hongrie d’Orban6.

Malgré les polémiques, Salvini a déclaré être dans son rôle puisque le ministère de l’Intérieur représente l’autorité la plus haute en matière de sécurité nationale. De plus, selon l’article 12 du Texte Unique sur l’Immigration « les bateaux de la Marine Militaire peuvent être utilisés pour participer aux activités de police à la mer » et l’article 11 donne au ministère de l’Intérieur la tâche d’adopter « les mesures nécessaires pour coordonner les surveillances tant du côté maritime que terrestre ». Aux questions des chroniqueurs concernant l’ouverture ou fermeture des ports il a répondu que « pour tout le temps qu’il serait Ministre, ce sera à [lui] de décider qui pourrait débarquer au pas »7.

Perspectives :

  • Comme à son habitude, le Président de la République italienne, Sergio Mattarella, n’a pas pris position pour ne pas mettre au risque les délicats équilibres gouvernementaux. Il a souligné à plusieurs reprises durant son mandat l’exigence de respecter les compétences des uns et des autres.
  • Au-delà de la communication politique, l’impact de la directive de M. Salvini ne sera visible qu’avec une aggravation de la situation libyenne. Parallèlement, la réaction des autres Etats européens sera également décisive.
  • La querelle rentre dans un contexte de tensions accrues entre les deux partis du gouvernement populiste, la Lega et les 5 Etoiles, qui pourraient conduire à sa chute ou aussi à des nouvelles élections.
Sources
  1. Ministère italien de l’intérieur, Directive N. 14100/141(8) du 15 avril 2019.
  2. NUTTI Vittorio, Libia, allarme di Sarraj : 800mila migranti pronti a invadere l’Italia, Il Sole 24 Ore, 15 avril 2019.
  3. ZINITI Alessandra, Circolare Salvini, tensione tra il Viminale e la Difesa sulla direttiva anti migranti, La Repubblica, 16 avril 2019.
  4. Circolare Salvini, ira vertici militari, ADN Kronos, 16 avril 2019.
  5. NUTTI Vittorio, Libia, allarme di Sarraj : 800mila migranti pronti a invadere l’Italia, Il Sole 24 Ore, 15 avril 2019.
  6. Direttiva di Salvini sui migranti, tensione con M5s, ANSA, 16 avril 2019.
  7. Circolare Salvini, ira vertici militari, ADN Kronos, 16 avril 2019.