Rome. Le gouvernement italien est désormais un zombie ambulant. Les crises, de plus en plus fréquentes entre les partis au pouvoir, la Ligue et le Mouvement Cinq Étoiles, ont explosé ces derniers jours : l’enquête pour corruption impliquant le sous-secrétaire du ministère du Développement économique de la Ligue, Armando Siri, accusé d’avoir reçu un pot-de-vin de 30 000 euros en échange de faveurs, a amené le Mouvement Cinq Étoiles à demander avec force sa démission1. En réponse, le dirigeant de la Ligue, Matteo Salvini, a annoncé qu’il bloquerait le “fonds de sauvetage de Rome », une proposition de transférer à l’Etat la dette de la capitale en difficulté, critiquant le travail de la maire Cinq Étoiles de la capitale, Virginia Raggi. Une menace exécutée lors du premier Conseil des ministres après les vacances de Pâques, le mardi 23 avril : un Conseil sous haute tension, où quelques ministres du Mouvement Cinq Étoiles ne se sont pas rendus, et où la ligne Salvini l’a emporté, puisque certaines parties du décret relatif à Rome ont été éliminé du texte2.

La confrontation au sein de la majorité au pouvoir semble donc avoir atteint un point de non-retour, et les nombreuses différences entre les deux partis populistes s’étalent à présent au grand jour. Une crise accélérée par la campagne électorale pour les européennes : alors que Matteo Salvini domine désormais l’action du gouvernement, faisant de plus en plus office de Premier ministre de facto, le Mouvement Cinq Étoiles tente de se mettre à l’abri avant qu’il ne soit trop tard. De plus, la situation économique continue de se dégrader, rendant de plus en plus difficile l’équilibrage des comptes publiques, ce qui fait monter la température dans les locaux du Palazzo Chigi, siège du Premier ministre.

Cette situation ne signifie pas nécessairement que l’expérience du “gouvernement Frankenstein”, pour utiliser une formule heureuse du journaliste Mario Sechi, approche de sa fin3. Pour passer d’un gouvernement dysfonctionnel à une chute de gouvernement, il faut que quelqu’un décide consciemment de le quitter. Cela pourrait aussi se produire plus tôt que prévu : « Je ne pense pas que le gouvernement attendra les résultats des élections européennes », a déclaré Marco Cucchini, professeur de droit à l’Université de Trieste. « Salvini et Di Maio regardent les sondages et s’ils voient que la stratégie consistant à se faire mutuellement des reproches paie, l’un d’eux décidera de faire pression pour une rupture »4.

Cependant, pour que ces calculs fonctionnent, il faut avant tout une alternative crédible. Et dans ce sens, certains faits des dernières semaines indiquent des pistes possibles pour les deux prétendants : d’une part, l’appel de Berlusconi à Salvini dont nous avons parlé sur Le Grand Continent, qui conduirait à une renaissance de l’alliance de centre-droit – Ligue du Nord5 ; et de l’autre, les rumeurs qui voient un possible rapprochement entre le Partie Démocrate du nouveau secrétaire Nicola Zingaretti et une partie substantielle du Mouvement Cinq Étoiles. Ce qui peut être fait dans le système politique actuel reste à voir, surtout dans une situation d’extrême incertitude quant aux résultats des élections : à ce jour, selon les sondages, même en cas d’un vote anticipé, une majorité différente de celle actuellement au pouvoir n’est pas garantie6.

Pendant ce temps, à l’arrière-plan, la possibilité réelle d’un gouvernement technocratique demeure, surtout si la situation économique continue de se détériorer. La principale figure qui pourrait prendre la tête d’un tel gouvernement est Mario Draghi, qui quittera son poste à la BCE le 31 octobre, juste assez de temps pour mener les négociations sur la prochaine loi de finances7.

Pour le moment, à Rome, toutes les possibilités restent ouvertes. Finalement, aucun des deux partenaires gouvernementaux n’a décidé de quitter le navire et tous deux continuent à vivre ensemble tout en faisant entendre leurs voix. Après tout, la force des zombies est de continuer à marcher longtemps, même mort, et d’être très difficile à tuer.

Perspectives :

  • Les élections européennes du 26 mai seront une première manière officielle par laquelle les partis au pouvoir pourront « compter » leurs voix, c’est-à-dire calculer s’il convient de se séparer ou non. Il est donc probable que, dans tous les cas, le gouvernement dure jusqu’aux européennes. Le cas Armando Siri ne fera pas tomber le gouvernement.
  • Octobre est l’une des dates les plus probables pour d’éventuelles élections anticipées. Selon certaines indiscrétions, Matteo Salvini lui-même serait favorable à cette solution et s’y prépare8.