Dakar. Ce dimanche 24 février, le Sénégal connaîtra sa onzième élection présidentielle depuis l’indépendance du pays en 1960. Et pour la première fois, ni le Parti Socialiste sénégalais (PS, anciennement Union Progressiste du Sénégal) ni le Parti Démocratique Sénégalais (PDS, historiquement principal parti libéral et d’opposition du pays) ne présenteront de candidats. Il serait facile de faire le rapprochement avec la perte en popularité et en légitimité constatée par les grands partis traditionnels dans des pays comme la France ou l’Allemagne. Mais les raisons en sont tout autres. Le PS ne présentera pas de candidat car il a rejoint l’alliance au pouvoir depuis 2012. Le PDS, lui, a décidé de ne pas présenter d’autre candidat, suite à l’invalidation de la candidature de Karim Wade, fils de l’ancien Président de la République Abdoulaye Wade, condamné pour « enrichissement illicite ».

Ce sont là respectivement les illustrations de deux phénomènes qui marquent les élections présidentielles de 2019 de leur sceau. D’abord l’effritement des partis d’opposition, dont les membres rejoignent continuellement le parti au pouvoir (phénomène appelé « transhumance » dans le jargon politique sénégalais). Ensuite, l’absence de nombreux candidats potentiels, les uns empêchés par des procès quelquefois jugés politiques (Khalifa Sall, considéré comme principal opposant à Macky Sall, est en prison pour « escroquerie portant sur les deniers publics ») (4), les autres n’ayant pas réuni le nombre de parrainages nécessaires décidé par une loi fort décriée dans le pays comme arme politique (5).

Il ressort de cette recomposition une nette impression : le Président sortant Macky Sall sera le favori à sa propre succession.

La victoire n’en n’est pas pour autant assurée. Parmi les 4 candidats qui seront opposés à Macky Sall, certains ont plus de cartes à jouer que d’autres. Il y a d’un côté Idrissa Seck, l’habitué, dont c’est déjà la 3ème candidature à la présidentielle. Son poids dans l’échiquier politique est une évidence compte tenu de sa grande expérience des postes à responsabilité et de sa popularité, notamment dans son fief de Thiès, deuxième ville du Sénégal. De l’autre, il y a Ousmane Sonko, ancien inspecteur des Impôts et Domaines, radié lorsqu’il s’est mué en lanceur d’alertes sur les cas de corruption et de malversations aux plus hauts niveaux de l’État. Le candidat de la coalition Sonko Président se présente comme le candidat antisystème des élections et a réussi à imposer en assez peu de temps certains thèmes dans le débat public et électoral sénégalais. Cette campagne électorale a ainsi la particularité d’accorder la part belle à la question du souverainisme, avec comme principaux sujets :

  • Les contrats pétroliers jugés désavantageux pour le pays qui devraient lancer l’exploitation pétrolière en 2021 (2).
  • Le Franc CFA de plus en plus dénoncé comme une « monnaie coloniale » par les jeunes au Sénégal et dans la sous-région
  • La défense des producteurs et commerçants sénégalais qui subiraient une concurrence disproportionnée des entreprises étrangères, notamment à travers l’activisme de collectifs comme « Auchan dégage » (3).

Les enjeux économiques particulièrement importants pour le Sénégal dans les années à venir et l’irruption pour la première fois sur la scène politique sénégalaise d’habitude si consensuelle d’un candidat ouvertement « antisystème » rendent l’atmosphère de ces élections assez tendue et l’attente des résultats en sera forcément plus grande. Deux morts sont déjà à déplorer après des affrontements dans le sud-est du pays entre des sympathisants de Macky Sall et d’autres candidats d’opposition (1). Mais l’intensité est tout de même bien moindre par rapport à celle des élections de 2012, particulièrement violentes.

Perspectives :

  • Le candidat Macky Sall se prévaut d’un bilan économique jugé positif. Mais ses opposants estiment que la croissance est construite sur l’endettement du pays et que ses fruits sont trop inégalement répartis. Sa victoire serait le choix de la continuité, notamment dans le cadre de l’ambitieux Plan Sénégal Émergent.
  • Une victoire du candidat Ousmane Sonko manifesterait une volonté de rupture vis-à-vis de la politique actuelle et de nombreuses institutions et outils traditionnels. La mouvance « antisystème » a le vent en poupe un peu partout dans le monde. S’il doit participer à un deuxième tour des élections, Ousmane Sonko devra faire face au défi de rallier une opposition qu’il a longtemps décriée et qui reste assez méfiante.
  • Des contestations sont à craindre, quels que soient les résultats, puisque certains dénoncent déjà un manque de préparation dans l’organisation de ces élections ou disent craindre de potentielles fraudes.

Sources :

  1. Sénégal, l’élection présidentielle doit se tenir dans un climat libre de toute violence et intimidation, Amnesty International, 21 février 2019.
  2. Sénégal, Auchan accusé de nuire au petit commerce, Jeune Afrique, 04 juillet 2018.
  3. Le Sénégal pourrait entrer dans le top 10 africain des producteurs de gaz, Le Monde Afrique, 04 septembre 2018.
  4. Présidentielle au Sénégal : une élection sans Khalifa Sall ni Karim Wade, Le Monde avec AFP, 14 janvier 2019.
  5. Présidentielle au Sénégal : l’opposition s’estime défavorisée face à Macky Sall, RFI Afrique, 12 décembre 2018.

Mallefall Sarr