Le Caire. Dans la nuit du 10 au 11 février, le parquet de Zagazig, au Nord du Caire, a placé quatre Égyptiens âgés de 19 à 24 ans en détention pour une durée de quatre jours (7). Ils sont accusés d’”outrage à la religion chrétienne”. Cette décision fait suite à la diffusion d’une vidéo, fin janvier, dans laquelle on peut voir ces individus rire des rites chrétiens coptes. Si les procès pour “outrage à la religion musulmane” sont fréquents dans un pays dont l’article 2 de la Constitution dispose que “l’islam est la religion de l’État”, les affaires judiciaires relatives à des offenses faites à la religion chrétienne sont bien plus rares. En Égypte, où l’indépendance de la justice à l’égard de l’exécutif est loin d’être garantie, cette récente décision peut être interprétée comme un nouveau geste du pouvoir vis-à-vis de sa minorité chrétienne.

En effet, ces dernières années, le président Sissi s’est affiché comme un défenseur de ses compatriotes coptes, qui constituent les cibles privilégiées de l’État islamique. Le dernier incident en date visant cette minorité est très récent : Daech a affirmé fin janvier dans son organe de propagande Al-Naba avoir enlevé un Égyptien de confession chrétienne (8). Pour mémoire, en 2017, des dizaines de familles coptes avaient quitté la péninsule du Sinaï pour rejoindre la ville d’Ismaïlia, afin de fuir les violences perpétrées à leur encontre par Wilayat Sinaï, la branche de l’État islamique dans la région (2). La communauté est également régulièrement prise pour cible dans le reste de l’Égypte. Face à cette situation, le raïs égyptien est parvenu à s’imposer comme le seul protecteur efficace de cette minorité, qui représente pour lui un soutien non négligeable. Il multiplie donc les actions symboliques à son égard, comme en septembre 2018 lorsque Manal Awad Mikhail a été nommée gouverneure de la province de Damiette, devenant la première femme copte à occuper ce poste (1). Autre geste, l’inauguration par al-Sissi, lors du Noël copte, de la cathédrale de la Nativité, présentée comme l’une des plus grandes du Proche-Orient et située dans la future capitale administrative du pays (3). Il est le premier président égyptien à assister à la messe de Noël copte. Le maréchal était aux côtés du patriarche d’Alexandrie Tawadros II, qui ne manque jamais une occasion de faire l’éloge du président dans les médias égyptiens. Dans le sillage de leur patriarche, de nombreux coptes, pris en otage entre les menaces récurrentes de l’État islamique et un pouvoir répressif qui se présente comme leur protecteur, soutiennent le président Sissi. D’autant que ces chrétiens gardent en mémoire la présidence de Mohamed Morsi, leader des Frères musulmans : le patriarche Tawadros lui avait notamment reproché, en avril 2013, de faire preuve de “négligence” à l’égard de la minorité copte (4). Et lorsque des critiques se font néanmoins jour, en particulier suite aux fréquents attentats qui visent la communauté, ces discours de protestation sont souvent canalisés par les représentants de l’Église qui se rendent auprès des familles endeuillées (5).

Les démonstrations de solidarité d’al-Sissi vis-à-vis de la minorité copte ne s’adressent pas seulement à celle-ci. Elles visent aussi à ce que le pouvoir apparaisse, sur la scène internationale, et en particulier aux yeux des démocraties occidentales, comme le seul rempart capable de protéger ses chrétiens d’Orient, ce qui justifierait la politique répressive menée depuis des années. Le président Trump, notamment, est particulièrement sensible à ces actions : il a par exemple salué, sur son compte Twitter, l’inauguration de “la plus grande cathédrale au Moyen-Orient” (6).

Perspectives :

  • Alors que le président al-Sissi a désormais la voie presque libre pour conserver le pouvoir après 2022, après que le Parlement a approuvé une série d’amendements constitutionnels, le soutien affiché de la minorité copte continuera d’être utile à la légitimation du pouvoir égyptien. Ces amendements constitutionnels prévoient d’ailleurs la mise en place d’une représentation spécifique pour les coptes au Parlement.

Sources :

Marilou Jeandel