Rome. Entre le gouvernement jaune-vert et la Banque d‘Italie, les tensions vont croissant. La majorité accuse la Banque d‘avoir échoué dans sa mission de supervision du marché bancaire et d’avoir contribué par sa négligence au mauvais état du système bancaire national, marqué notamment par la crise de la Monte dei Paschi di Siena en 2016 et la faillite de deux banques régionales insolvables en 2017. Alors que la santé de Banca Carige, l’une des plus importantes banques du pays, inquiète (2), et que la perspective d’une nationalisation de l’institut génois peine à satisfaire, le gouvernement semble avoir trouvé dans les locataires du palais Koch les coupables idéaux.

La période est propice à la critique. Le mandat de six ans de Luigi Federico Signorini, vice-directeur de l’institution, est parvenu à son terme lundi 11 février, et son poste doit être renouvelé. Le Conseil supérieur de la Banque d’Italie a proposé de le reconduire dans ses fonctions pour un second mandat (3). Certes, c’est au président de la République Sergio Mattarella (PD) qu’il reviendra d’approuver cette nomination. Mais le Conseil des ministres est lui aussi tenu de formuler un avis non contraignant. Un processus similaire s’appliquera en mai à deux des quatre autres membres du directoire, dont le directeur général, numéro deux de l’institution. L‘occasion pour les les vice-premiers ministres Di Maio (M5S) et Salvini (Ligue) de réclamer à hauts cris un « changement de direction, une remise à zéro si nécessaire ». Le Mouvement cinq étoiles, prompt à brocarder la mauvaise gestion et les connivences du « système », et la Ligue, dont les détaillants du Nord du pays, directement touchés par le défaut des banques régionales, constituent l’électorat historique, jouent sur leur terrain (4).

Dans le même temps, la proposition de loi du député Claudio Borghi (Ligue) visant à reconnaître les réserves d’or italiennes comme propriété pleine et entière de l’État italien – et non de sa banque centrale – semble une provocation souverainiste de plus (7). Le mot d’ordre : « L’or des italiens appartient aux Italiens. » Derrière le texte, qui interprète une zone grise de la loi de 1988, transparaît le souhait – dont Borghi se défend – de pouvoir recourir à d’hypothétiques vente de l’or souverain pour combler le déficit.

Les réserves de change détenues par les Banques centrales ont pour principale fonction de garantir la confiance dans le système monétaire et sa capacité de résistance en cas de crise. Toutefois, les volumes de métaux précieux échangés sont traditionnellement faibles, et les cours sensibles aux transactions importantes. La vente de près de 20 % du stock français entre 2004 et 2009, à la veille d‘une hausse des cours, a entraîné une perte patrimoniale a posteriori de l’ordre d’une dizaine de milliards d’euros, selon la Cour des comptes (1). Quant à l‘Allemagne, elle maintient depuis 1999 des réserves d’un volume constant (le cours a été multiplié par quatre depuis cette date), seulement entamée année après année par la frappe d’une petite quantité de monnaies commémoratives (6). Dans tous les cas, les ventes d’avoirs de réserve par les Banques centrales nationales, lorsqu’elles atteignent un montant élevé, sont soumises à l’autorisation de la BCE, d’après les statuts du Système européen de banques centrales (5). Le gouvernement italien ne pourrait donc en aucun cas contourner l’institution de Francfort.

Pour l’heure, le président du Conseil, le ministre de l’économie et le gouverneur de la Banque d’Italie se veulent rassurants : l’indépendance de l’institution n’est pas remise en cause. Il semble certes peu probable que la « remise à zéro » radicale voulue par Salvini et Di Maio ait effectivement lieu. En attendant, la controverse relance le débat autour de la triade indépendance – responsabilité – expertise qui fonde le fonctionnement de l’Eurosystème. Si l’actuel gouvernement italien a souvent été critiqué par les banquiers centraux, les autorités de supervision italiennes et européennes, de leur côté, n’ont pas toujours su prévenir les crises. L‘enjeu, plus qu’économique et financier, est donc bel et bien politique.

Perspectives

  • Lundi 18 février : communication attendue de la part de la BCE, interpellée par deux parlementaires européens italiens pour « clarifier à qui doit être attribuée la propriété légale des réserves d‘or des États membres » dont la gestion revient à l‘institution de Francfort d‘après l‘article 127 TFUE.
  • D’ici quelques jours : nomination d’un successeur au poste (vacant) de Luigi Federico Signorini, vice-directeur de la Banque d‘Italie.
  • Mai : fin du mandat de Salvatore Rossi et Valeria Sannucci au directoire de la Banque d‘Italie.
  • D’ici quelques mois : décision attendue quant à l’avenir de Banca Carige (fusion, rachat ou nationalisation).

Sources :

  1. Rapport public annuel 2012, tome I, IV, p. 278 sqq., Cour des Comptes.
  2. FERRANDO Marco, Pubblica, privata, boh : su Carige il governo ha le idee confuse, Blog sur Il Sole 24 Ore, 23 janvier 2019.
  3. GAGLIARDI Andrea et MARINI Andrea, Bankitalia, oltre a Signorini in scadenza anche Rossi e Sannucci, Il Sole 24 Ore, 12 février 2019.
  4. M5S all’attacco di Bankitalia : si cambia, non temiamo poteri forti, Il Sole 24 Ore, 12 février 2019.
  5. Protocole n°4 sur les statuts du Système de banques centrales européen et de la Banque centrale européenne, Article 31, Journal officiel de l’Union européenne, 26 octobre 2012.
  6. THIELE Carl-Ludwig, Die deutschen Goldreserven, Deutsche Bundesbank, 23 août 2017.
  7. TOTARO Lorenzo et BERTACCHE Marco, Visco Doesn’t See Attacks on Bank of Italy’s Independence, Bloomberg, 14 février 2019.

François Hublet