Téhéran. La rivalité entre le trio Arabie Saoudite-Israël-États-Unis et l’Iran ne cesse de gagner en intensité. Le président américain ne cache pas sa volonté de changer le régime iranien, le Premier ministre israélien tisse son réseau stratégique dans la région (5) et le prince héritier saoudien indiquait ces derniers mois que le Guide Suprême iranien, Ali Khamenei, “ferait passer Hitler pour quelqu’un de bien” (3).

C’est dans ce contexte que Téhéran a accueilli, du 24 au 26 novembre, la conférence internationale de l’unité islamique. Organisé annuellement, cet événement réunit des des personnalités de premier plan de la communauté musulmane internationale autour de prises de paroles successives et de discussions dont le but est de promouvoir l’unité parmi les pays musulmans.

Cette trente-deuxième édition a eu pour thème principal l’occupation de la Palestine par l’État d’Israël, avec comme slogan “Al-Qods, axe de l’unité parmi l’umma”, la communauté des croyants. Allant dans ce sens, Ali Larijani, le porte-parole du Majles a indiqué que l’objectif ultime des États-Unis était de “renforcer la puissance israélienne dans la région” (6).

Bien que les discussions aient aussi porté sur la question de l’implication de l’Arabie saoudite dans le conflit yéménite, les cibles des critiques durant ces trois jours furent les gouvernements américains et israéliens. L’État hébreu fut, par ailleurs, qualifié de “tumeur cancéreuse de la région” par le président iranien Hassan Rohani (1). Outre le discours récurrent des officiels iraniens à l’encontre de la politique étrangère israélienne, l’intervention du président de la République islamique d’Iran a été remarquée pour son adresse directe au “peuple saoudien” : “Nous sommes prêts à défendre les intérêts du peuple saoudien contre le terrorisme, l’agression et les superpuissances… et nous ne demandons pas 450 milliards de dollars pour le faire. […] Vous leur [aux États-Unis] avez offert 450 milliards de dollars pour garantir votre sécurité, vous avez acheté pour 110 milliards de dollars d’armes. On vous a dit que vous étiez une vache à lait qui devait être traite. Ils vous ont dit que sans eux vous ne dureriez pas deux semaines. […] Nous ne demandons pas 450 milliards de dollars pour ça et nous ne vous insulterons pas.” (2)

Le déroulement de cette séquence n’est pas anodin : la République islamique d’Iran tend la main au peuple saoudien tandis que le prince héritier, Mohammad bin Salman, traverse un moment pour le moins difficile. Pour rappel, suite à l’affaire Jamal Khashoggi, de forts soupçons pèsent sur lui quant à son implication dans l’exécution du journaliste. Alors que la France a interdit de territoire des Saoudiens soupçonnés d’avoir perpétré l’assassinat et que l’Allemagne a entamé un embargo sur les ventes d’armes à l’Arabie saoudite (7), la CIA a, quant à elle, affirmé détenir un enregistrement où MBS demandait à ce qu’on “mette sous silence Khashoggi le plus vite possible” (4). Toutefois, le président Donald Trump a renouvelé sa confiance vis-à-vis de l’un de ses deux piliers au Moyen-Orient. Vieux de plus de soixante-dix ans, le pacte du Quincy semble avoir encore de beaux jours devant lui.

Perspectives :

  • Bien que la CIA ait affirmé que Mohammad bin Salman était le commanditaire de l’assassinat sordide du journaliste Jamal Khashoggi, nous avons plutôt tendance à penser que cette déclaration n’aura aucune conséquence : seule la position de Donald Trump primera.
  • Qu’elle soit opportuniste ou non, cette main tendue à l’Arabie saoudite n’a quasiment aucune chance d’aboutir à un changement de stratégie du royaume wahhabite. La “théorie des deux piliers” qui avait cours dans les années 1970 semble toujours d’actualité. À l’époque, les États-Unis, soucieux de ne plus intervenir au Moyen-Orient, misaient sur leurs deux alliés saoudiens et iraniens pour être les “gendarmes” de la région. Aujourd’hui, force est de constater que l’Arabie saoudite est toujours chargée de cette mission, cette fois-ci avec Israël comme allié régional.

Sources :

  1. L’Iran appelle les musulmans du monde entier à s’unir contre les États-Unis, 45eNord.ca, 24/11/18.
  2. GHAZALI Abdus Sattar, Iran hosts 32nd International Islamic Unity Conference, The Milli Gazette, 27/11/18.
  3. GOLDBERG Jeffrey, Saudi Crown Prince : Iran’s Supreme Leader ‘Makes Hitler Look Good’, The Atlantic, 02/04/18.
  4. MOORE Mark, CIA has recording of MBS saying ‘silence Jamal Khashoggi’ : report, New York Post, 22/11/18.
  5. ONFRAY Maxime, Rapprochement entre Israël et les États arabes : le cas d’Oman, La Lettre du Lundi, 19/11/18.
  6. 32nd Islamic Unity Conference sees its closing ceremony in Tehran, Press TV, 27/11/18.
  7. Affaire Khashoggi : la France sanctionne à son tour 18 Saoudiens, RFI, 22/11/18.

Maxime Onfray