Riyad. Si les réunions d’Abu Dhabi et de Manama ont été marquées par la plus grande cordialité et pleines de grands messages de proximité politique face aux défis auxquels l’Arabie saoudite et ses alliés seront confrontés dans un avenir proche, les voyages nord-africains ne pourraient pas se montrer aussi différents l’un de l’autre. Au Caire, le prince saoudien a été accueilli et honoré, avec la fanfare et l’interdictions absolue faite aux journalistes d’écrire négativement sur la présence de MbS, et ce afin d’éviter de créer des incidents diplomatiques honteux, vu le soutien économique apporté par l’Arabie saoudite depuis 2013 à la deuxième transition égyptienne par des prêts, investissements et donations représentant plus de 15 milliards de dollars. À Tunis, en revanche, la chaleur des institutions locales a été contrebalancée par la froideur de l’opinion publique, qui a accueilli l’héritier du trône saoudien par des manifestations et des rassemblements de rue. À la base des manifestations, menées par des militants et des journalistes, il y avait des protestations contre la répression de toute forme de dissidence politique et civile de la part de la monarchie saoudienne. À Tunis, un groupe de 50 avocats a fait appel à la justice locale pour empêcher MbS de se rendre dans le pays. En ce sens, l’écho de l’affaire Khashoggi a été inévitable, surtout à la lumière de la condamnation ferme par les institutions locales, qui ont cependant cherché à ne pas “politiser” l’affaire afin de ne pas saper les relations avec la famille al-Saoud. Les visites en Algérie et en Mauritanie (2) ont, elles, été beaucoup plus sobres.

Bien que les poignées de main et les visites officielles puissent dissimuler certains écueils en termes d’image, elles se sont toutes révélées extrêmement nécessaires pour que MbS recrée un minimum de soutien politique et de crédibilité. De fait, le voyage s’est organisé autour de la définition d’engagements diplomatiques précis, de coopération économique et de sécurité. L’intention finale était double : alors qu’il s’agissait de repousser les fantômes de l’affaire Khashoggi, le prince saoudien occupait les rangs pour les prochains défis du Proche-Orient. Une tournée importante, avant tout, pour revitaliser les alliances sur base régionale et pour résoudre certaines divergences stratégiques et tactiques qui ont surgi avec les partenaires de la région, à commencer par les Émirats Arabes Unis, avec lesquels le dossier yéménite a été traité depuis longtemps. Cette tournée diplomatique s’ancre dans l’objectif d’élaborer un grand plan de coopération (de sécurité et de géopolitique) visant à créer un groupe solide de forces arabo-sunnites pour faire contrepoids à l’agressivité iranienne au Moyen-Orient et ai cartel de l’Islam politique soutenu par le Qatar et la Turquie (3). Le voyage de Salman représentait un pas de plus vers la création d’un axe stratégique des régimes arabes dits “modérés”, soutenu par Israël et les États-Unis, qui devrait ensuite se concrétiser dans l’Alliance stratégique du Moyen-Orient (4).

Comme l’a souligné le journal Haaretz, MbS vise à recouvrer les différentes dettes politiques que certains pays arabes ont encore envers Riyad (5). Le cas le plus frappant est celui de l’Égypte qui, face aux milliards de dollars investis pour maintenir à flot un pays au bord de l’effondrement social et politique après la déposition de Mohammed Morsi (juillet 2013), doit activement remercier cet important soutien par un soutien aux initiatives diplomatiques de l’Arabie Saoudite au Moyen-Orient, du Yémen à la Syrie via la Mer Rouge. Il s’agit de la sixième visite de MbS en Égypte, la deuxième depuis son accession au titre de Prince héritier en juin 2017. Le dernier voyage au Caire a eu lieu en mars dernier, quelques semaines avant les élections présidentielles dans le pays nord-africain, à l’occasion de la signature d’accords bilatéraux d’une valeur de plusieurs milliards de dollars pour des projets d’investissement en infrastructures.

Perspectives :

  • La tournée diplomatique de Mohammed bin Salman a été conçue comme une mission d’image avec des répercussions politiques directes tant au niveau interne qu’international. L’objectif est d’arrêter la critique, même au sein de la famille royale. Dans le même temps, il s’agit de démontrer que l’affaire Khashoggi n’a pas endommagé les relations saoudiennes avec les pays alliés de la région mais qu’elle a neutralisé tout vulnus qui pourrait porter atteinte au statut politique du royaume.
  • Sur le plan international, les États-Unis et Israël ont besoin que l’Arabie saoudite reste forte et solide, et il ne doit donc pas y avoir d’embarras qui pourrait compromettre plus largement leurs stratégies au Moyen-Orient. Dans ce contexte, les difficultés rencontrées par Riyad constituent un banc d’essai important en termes de crédibilité et de fiabilité politique, que Washington et Tel-Aviv observent avec grande attention.

Sources :

  1. UAE praises Saudi Arabia’s role in regional stability, Arab News, 22 novembre 2018.
  2. LAGHMARI Jihen, Tunisians Protest as Saudi Crown Prince Continues Regional Tour, Bloomberg, 27 novembre 2018.
  3. DARAGHAI Borzou, Saudi crown prince Mohammad bin Salman becomes lightning rod of division as he tours region, The Independent, 28 novembre 2018.
  4. DENTICE Giuseppe, “Arab Shield 1” : prove generali per una Nato araba, La Lettre du lundi, edizione 33, 18 novembre 2018.
  5. BAR’EL Zvi, How Mohammed Bin Salman Put Saudi Arabia in Debt to Trump and Netanyahu, Haaretz, 27 novembre 2018.

Giuseppe Dentice