Nicosie/Lefkoşa. La République turque de Chypre du Nord (Kuzey Kıbrıs Türk Cumhuriyeti) est une destination privilégiée des dirigeants turcs. Et dans le contexte post-élections présidentielles, un déplacement à Chypre du Nord est la marque d’une tradition nationaliste. Le 10 juillet, le président Erdoğan s’est d’abord rendu en Azerbaïdjan puis s’est envolé pour Lefkoşa où il a rencontré son homologue Mustafa Akıncı. Ce dernier a également reçu le vice-président Fuat Oktay le 20 juillet ainsi que le ministre des affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu le 24. Ces premiers “déplacements à l’étranger” ont pour but de montrer que Chypre du Nord est une république indépendante bien qu’elle ne soit pas autonome. En effet, lorsque Mustafa Akıncı, le 27 avril 2015, avait exprimé le souhait que les Chypriotes turcs gardent “le contrôle de leurs propres institutions […] pour être maîtres chez [eux]”, Erdoğan avait vivement réagi à cet écart de conduite en signifiant que la Turquie avait payé le prix de nombreux martyrs à Chypre et qu’elle dépensait un milliard de dollars par an pour permettre le financement du budget et des infrastructures de la partie nord de l’île. Par ces arguments il justifiait le statut de “mère-patrie” de la Turquie à l’égard de Chypre du Nord (2).

Hasard du calendrier, ces récents déplacements entourent le 44e anniversaire de l’intervention militaire turque sur l’île en 1974. Ces commémorations permettent d’assurer les chypriotes turcs du soutien tant politique que militaire d’Ankara avec l’appui d’environ 30 000 militaires déployés dans des casernes sur la partie nord de l’île, mais aussi de formuler de nouvelles critiques à l’égard de la partie grecque. Le 20 juillet, lors des commémorations de l’opération Attila, Ibrahim Kalın, porte parole de la présidence, a déclaré que la Turquie restera fidèle aux chypriotes turcs face à la mauvaise volonté de la partie grecque (1), rappelant par ailleurs le vote négatif des chypriotes grecs lors du référendum pour la mise en place du Plan Annan de 2004 (5).

Depuis 1950 les mouvements nationalistes grecs et turcs sont sources de déchirements pour les deux communautés d’une île proclamée indépendante en 1960 et séparée en deux depuis 1974. En 2003 l’ouverture de la ligne verte avait suscité des espoirs de réconciliation et l’adhésion de Chypre à l’Union en 2004, la perspective de dispositions favorables à l’organisation de négociations. Mais, après l’échec du plan Annan, c’est finalement lors des retrouvailles inter-chypriotes de 2013 que le signe d’une paix possible s’est concrétisé. Cet événement a prouvé que le ressentiment pouvait être dépassé par les individus, même s’il ne l’était pas par les dirigeants (3). L’Onu a donc tenté à partir 2015 de lancer un nouveau processus de négociation. Il échouera deux ans plus tard (6).

De plus, suite à la découverte de gisements de gaz au large de Chypre, les tensions en méditerranée ont repris. Toutefois, depuis le 23 juillet, Jane Holl Lute, conseillère spéciale du secrétaire général de l’Onu, est chargée d’observer si le contexte est favorable à la poursuite des négociations de paix (4). Une nouvelle tentative de création d’une fédération bi-communautaire et bi-zonale pourrait donc à nouveau voir le jour.

Perspectives :

  • Après avoir rencontré Nicos Anastasiades et Mustafa Akıncı ainsi que la représentante spéciale de l’Onu à Chypre, Elizabeth Spehar, Jane Holl Lute organisera une série de rencontres à Ankara, Athènes, Londres et Bruxelles dans les semaines à venir.
  • L’envoyée spéciale des Nations Unies devrait rendre son rapport à Antonio Guterres début septembre 2018.

Sources :

  1. Cyprus talks end without a peace and reunification deal, BBC, 7 juillet 2017.
  2. Erdoğan ve Akıncı arasında ‘yavru vatan’ polemiği, BBC Türkçe, le 27 avril 2015.
  3. İbrahim Kalın’dan KKTC mesajı, CNN Türk, 20 juillet 2018.
  4. COPEAUX Etienne, « Chypre le référendum de 1950 et les négociations de 2017 », Susam Sokak, 2 mai 2017.
  5. Lute leaves the island after completing contacts, CyprusMailOnline, 24 juin 2018.
  6. THE ANNAN PLAN FOR CYPRUS, United Nations, 6 Avril 2004.

Pour aller plus loin :

COPEAUX Etienne, MAUSS-COPEAUX Claire, Taksim ! Chypre divisée, Lyon, Aedelsa, 2005.

Voir aussi les articles sur Chypre du blog d’Etienne Copeaux.