Tel Aviv. Le 18 juillet, la Knesset, le Parlement israélien, a approuvé à la majorité (62 pour et 55 contre) une nouvelle loi fondamentale définie par les médias comme la « loi sur la nationalité », qui énonce exclusivement « sur la base du principe de l’autodétermination qu’Israël est la patrie nationale du peuple juif » 1. En plus de définir les caractéristiques de l’État, par la reconnaissance officielle du drapeau, de l’hymne, des festivités et des liens historiques et culturels avec les communautés de la diaspora juive, cette loi reconnaît l’hébreu comme seule langue officielle 2 et Jérusalem unie comme capitale de l’État. Une autre clause relative au développement des colonies juives (présentes et futures), bien qu’elle fut atténuée par rapport au premier passage parlementaire, reconnaît « les colonies comme une valeur nationale » encourageant « leur développement et leur consolidation ». En même temps, cette mesure quasi constitutionnelle (dans le pays il n’y a pas de Constitution écrite, les lois fondamentales assument donc ce statut) n’aborde pas la question des frontières, n’indiquant pas de manière claire et définie quelles sont les frontières de la « patrie du peuple juif », risquant de fait de déstabiliser davantage l’équilibre interne déjà fragile en Cisjordanie 3.

Cette loi fondamentale a été largement critiquée par la communauté internationale et en particulier par l’Union, qui a condamné la formule comme un nouveau faux pas dans la tentative de résolution du conflit israélo-palestinien et la création de deux entités étatiques sur le territoire historique de la Palestine 4.

Malgré le vote majoritaire des différentes instances dirigeantes de centre-droit, deux membres de la Knesset, Benny Begin (Likud) – fils du Premier ministre Menachem, prix Nobel de la paix en 1981 – et Orly Levy-Abekasis (indépendant), se sont abstenus lors du vote, dénonçant les controverses potentielles que cette nouvelle loi pourrait créer. Il existe un risque réel d’alimenter d’autres divisions, d’attiser de nouvelles tensions au sein du tissu social israélien et de radicaliser les minorités. La représentation arabe au Moyen-Orient s’est fermement opposée à l’adoption de cette loi fondamentale, tout comme les citoyens arabo-israéliens (qui pèsent démographiquement pour 1,6 million d’habitants, soit 20 % de la population nationale totale) et d’autres minorités au sein d’Israël (y compris les Druzes).

Comme l’ont dénoncé de nombreux dirigeants, internationaux et arabes, cette loi fondamentale risque de créer une discrimination au sein d’une même citoyenneté, à tel point qu’Ahmad Tibi et Ayeda Touma-Souliman, membres de la liste commune arabe – la liste de gauche qui se bat en faveur de la communauté arabo-israélienne – ont dénoncé ce dispositif comme étant « raciste » et « colonial ». Cela pourrait créer de nouveaux obstacles non seulement à la coexistence pacifique au sein de l’État-nation, mais aussi mettre un terme définitif aux tentatives de plus en plus faibles de créer un sérieux projet de paix au Moyen-Orient entre Arabes et Israéliens 5.

Perspectives

  • Les divisions au sujet de la loi en question sont beaucoup plus profondes et soulignent également le caractère changeant du concept et de la valeur de la démocratie en Israël. En effet, on met fin au concept de pays en tant que démocratie multiculturelle afin d’embrasser définitivement la classification quelque peu particulière de « démocratie ethnique » ou « démocratie ethnique ».
  • Le véritable coeur de la question n’est pas tant la loi dans son approbation actuelle, qui ne semble cependant pas affecter les droits individuels et collectifs accordés aux minorités présentes dans le pays. Ce qui est fortement critiqué, c’est surtout l’opportunité d’un tel mécanisme de régulation, c’est-à-dire la possibilité qu’une telle déclaration exclue définitivement le droit à l’autodétermination nationale palestinienne, ouvrant effectivement la voie à ce que certains analystes ont défini comme une tentative, par les franges extrêmes du gouvernement, d’annexer légalement la Cisjordanie à l’État d’Israël, laissant aux Arabes leurs propres revendications étatiques sur la seule bande de Gaza.
Sources
  1. LUBELL Maayan, Israel adopts divisive Jewish nation-state law, Reuters, juillet 19, 2018.
  2. Toutefois, cela n’aura pas de conséquences pratiques. Tout en reléguant l’arabe à une langue au « statut spécial » qui ne permet que l’accès aux services de l’État, le déclassement linguistique n’aura pas d’effet pratique. L’arabe est la langue hébraïque officielle d’Israël depuis 1948, mais sur le plan pratique, sa connaissance, sa diffusion et son étude, même si elle était également obligatoire dans les écoles et les bureaux israéliens, ne s’est presque jamais produite parce que l’hébreu a toujours été la langue principale et la plus répandue. Néanmoins, de nombreux membres de la classe politique israélienne, en particulier la classe politique d’origine, ont étudié et parlé l’arabe comme langue de travail commune. Essentiellement, ce qui se passe déjà avec d’autres langues largement parlées sur le territoire, comme le russe, l’anglais, le français ou l’amharique, a été sanctionné : bien qu’elles n’aient jamais eu le statut de langues officielles, elles sont très répandues et vivent en symbiose avec l’hébreu.
  3. LIS Jonathan, LANDAU Noa, Israel Passes Controversial Jewish Nation-state Bill After Stormy Debate, Haaretz, juillet 18, 2018.
  4. BEAUMONT Peter, EU leads criticism after Israel passes Jewish ‘nation state’ law, The Guardian, juillet 19, 2018.
  5. LYNFIELD Ben, Israel’s Knesset Is Debating Democracy Itself, Foreign Policy, juillet 16, 2018