Istanbul – Recep Tayyip Erdoğan est un fin, redoutable et cynique stratège politique. Outre la fidélité de son électorat et l’efficacité de la machine électorale AKP, l’une de ses grandes forces a été le contrôle du temps. C’est lui qui a imposé le timing de l’élection : face à une opposition qui s’est rapidement coalisée, il s’est coordonné avec les ultra nationalistes du MHP. Dès lors, en précipitant des élections anticipés il a rompu la dynamique adverse. Symbole de son contrôle du temps électoral, il a prononcé son discours de victoire à 21h30 forçant ainsi la perception de défaite de l’opposition et éteignant les derniers espoirs de second tour. Toutefois, sur le plan intérieur, ces élections ne représentent qu’une étape pour Erdoğan. En effet, l’année 2023 marquera le centenaire de la République de Turquie et sera pour lui la date qui doit consacrer sa position de nouveau père de la Turquie (1).

Au delà de l’exacerbation du sentiment nationaliste, ce discours a permis de faire passer un message clair sur la scène internationale et notamment à l’égard de l’Union européenne. En déclarant que « la Turquie donne une leçon de démocratie au monde entier avec un taux de participation à 90 % » (2) Erdoğan cherche à montrer que les accusations d’atteintes aux libertés et de répressions massives (5) sont infondées car il a le soutien du peuple turc qui s’est fortement mobilisé.

Finalement, lors de cette déclaration de victoire, l’homme fort de la Turquie a voulu défendre son statut de leader autoritaire élu et imposer la reconnaissance de la légitimité de ce statut sur la scène internationale (3) Pour cela, il peut également miser sur les messages de félicitations de ses homologues : avant même sa déclaration et la sortie des résultats officiels, Recep Tayyip Erdoğan avait reçu le message de félicitation du président d’Azerbaïdjan İlham Aliyev (4). S’en sont suivies les félicitations du membre du Conseil Présidentiel de la Bosnie-Herzegovine, Bakir Izetbegović et du président Ouzbek, Mirziyoyev. Ainsi, au cas par cas, l’Agence Anadolu a rapporté les messages de félicitations du monde entier.

Perspectives :

  • Le Haut conseil électoral (YSK) devrait annoncer les résultats définitifs des élections le 5 juillet. Une cérémonie de prestation de serment des députés aura lieu le dimanche 8 juillet à l’Assemblée.
  • Le porte-parole de la présidence, Ibrahim Kalın, a déclaré que le nouveau cabinet de gouvernement sera annoncé après le 8 juillet.

Sources :

  1. CHEVIRON Nicolas, PEROUSE Jean-François, Erdoğan. Nouveau Père de la Turquie ?, Paris, François Bourin, 2016.
  2. ERDOGAN Recep Tayyip, Türkiye yüzde 90’lara yaklaşan seçimlere katılım oranıyla tüm dünyaya demokrasi dersi vermiştir, discours de Recep Tayyip Erdoğan à İstanbul le 24 juin 2018.
  3. Sur la notion de reconnaissance en sociologie voir GOFFMAN Erving, The Presentation of Self in Everybody Life, New York, 1999 ; et en relations internationales voir LINDERMANN Thomas, RINGMAR Erik, The International Struggle for Recognition, Boulder (Colorado), Paradigm Publisher, Yale Series, 2012.
  4. Foreign leaders congratulate Erdoğan on “election success”, Hurriyet Daily News, 24 juin 2018.
  5. Depuis la tentative de coup d’Etat de juillet 2016 les relations entre l’Union et la Turquie se sont tendues, à l’image du 8 février dernier quand les députés du parlement européens ont demandé à la turquie de lever l’état d’urgence et d’utiliser les fonds européens pour améliorer la situation des droits de l’hommes dans le pays : Les députés appellent la Turquie à lever l’état d’urgence, Parlement européen, communiqué de presse du 08 février 2018.