J. D. Vance au Sénat : la doctrine trumpiste sur l’Ukraine

On sait désormais que J. D. Vance, l’auteur de Hillbilly Elegy jouera un rôle clef si Trump est réélu. Le 23 avril, devant le Sénat, il s’est farouchement opposé à l’aide américaine à l’Ukraine. Ses arguments ne relèvent pas seulement d’une rhétorique trumpiste outrancière : ils ciblent la mémoire des classes moyennes heurtées par la guerre en Irak. Avec Vance, on comprend peut-être enfin la ligne qui sous-tend le programme de politique étrangère de Trump. Nous traduisons et commentons pour la première fois son allocution in extenso.

Auteur
Marin Saillofest
Image
© AP Photo/Michael Conroy

Il aura fallu six mois pour que le Congrès américain approuve la demande de 60 milliards de dollars de financement supplémentaire pour l’Ukraine formulée par la Maison-Blanche en octobre 2023. Entre-temps, les législateurs ont multiplié les tentatives visant à parvenir à un accord entre Démocrates et Républicains. Le GOP, qui aurait pu arracher des concessions de la part de l’administration Biden — considérées impensables quelques mois auparavant — sur la politique migratoire et la sécurité à la frontière avec le Mexique, n’aura finalement obtenu que des victoires mineures : l’assistance économique à l’Ukraine a été approuvée sous la forme d’un prêt-subvention (forgivable loan), et les mesures de supervision ont été renforcées.

Contre toute attente, c’est Joe Biden qui sort victorieux de cet affrontement dont la signature de la loi regroupant l’aide à l’Ukraine, Israël, l’Indo-Pacifique et d’autres mesures vient s’ajouter à la liste de législations ambitieuses devenues lois — malgré le contrôle de la Chambre basse du Congrès par le Parti républicain. Donald Trump, farouche opposant à l’aide militaire à l’Ukraine — qu’il considère comme une entrave à son objectif de mettre fin au conflit par tous les moyens, même si cela implique de convaincre Kiev d’abandonner une partie de son territoire au profit de la Russie —, semble avoir été au moins temporairement convaincu par le speaker de la Chambre Mike Johnson de la nécessité de soumettre au vote un texte octroyant des fonds supplémentaires pour soutenir la défense de l’Ukraine.

Actuellement tenu d’être présent quatre jours par semaine à son procès qui s’est ouvert lundi 22 avril dans le cadre de l’affaire Stormy Daniels, l’ex-président est plus intéressé par l’entretien de son image de martyr persécuté par l’establishment que par la question de l’Ukraine — reléguée au second plan. Donald Trump aura réussi, par ses agissements en sous-main, à tuer dans l’œuf le projet bipartisan d’accord qui aurait pu conduire deux mois auparavant au déblocage de l’aide à l’Ukraine en échange d’une réforme de la politique migratoire. Cette dernière ayant été volontairement bloquée par l’ex-président, il pourra faire campagne sur l’échec de l’administration Biden et les chiffres affolant des franchissements illégaux de la frontière. Trump espère par là contribuer au basculement du vote en sa faveur dans certains districts qui serait susceptible de faire passer un ou quelques États du violet au rouge lors de l’élection de novembre. Invité dans le podcast de l’éditorialiste MAGA John Fredericks lundi 22 avril, l’ex-président est même allé jusqu’à défendre le speaker Mike Johnson contre les attaques qu’il subit de l’aile droite du GOP à la Chambre qui souhaite le destituer pour avoir fait passer l’aide à l’Ukraine — avec le soutien des Démocrates.

Le Sénat ayant déjà approuvé un paquet comprenant 60 milliards de dollars d’assistance à l’Ukraine en février, toute l’attention s’est portée sur la Chambre, où Johnson a ignoré le texte provenant du Sénat. Neuf sénateurs républicains supplémentaires ont voté en faveur du paquet d’aide cette semaine par rapport à février. Le règlement autorisant à chaque sénateur une heure de prise de parole en amont du vote aura quant à lui découragé la plupart des observateurs à s’intéresser à cette dernière étape avant la signature de Joe Biden, qui relevait avant tout d’une formalité.

C’est pourtant à l’occasion de ce vote que le sénateur républicain de l’Ohio J.D. Vance, proche de Donald Trump, a prononcé ce qui semble être le discours livrant la vision la plus articulée du trumpisme en matière de politique étrangère à ce jour. Vance, pressenti pour occuper un rôle de premier plan dans la prochaine administration si Trump venait à être élu, est un farouche opposant de la première heure à l’aide à l’Ukraine. Quelques jours auparavant, il publiait une tribune dans le New York Times arguant qu’au-delà de toute éventuelle volonté ou intérêt stratégique à soutenir Kiev militairement, les États-Unis ne disposaient tout simplement pas de la capacité de production et des réserves suffisantes pour fournir l’assistance militaire critique dont l’Ukraine a désespérément besoin. Quelques jours plus tard, Vance faisait circuler un memo à l’attention des élus républicains de la Chambre et du Sénat réitérant le même argument, par lequel il concluait : « Même selon les prévisions les plus optimistes pour la prochaine administration présidentielle, chaque jour où nous approvisionnons l’Ukraine est un jour de plus où nous nous enfonçons dans le trou ».

Dans son discours au Sénat, prononcé mardi 23 avril, Vance inscrit cette « vérité mathématique » dans un récit plus large qu’il rattache à une histoire de 40 ans d’échec des administrations successives en matière de politique étrangère : vis-à-vis de l’Irak, de l’Iran, de l’Europe et désormais de l’Ukraine. 

Vance n’est ni un idéologue, ni un intellectuel. À 18 ans, quelques mois après l’attaque du 11 Septembre, il s’engage dans le corps des Marines et participe à l’invasion de l’Irak en 2003 : « comme tout hillbilly [péquenaud] qui se respecte, je voulais aller au Moyen-Orient pour tuer des terroristes » 1. C’est cette expérience — sur laquelle il revient au cours de son discours, reconnaissant son « erreur » d’avoir initialement soutenu la guerre — qui est à l’origine de son opposition à tout conflit susceptible d’entraîner la mort de soldats américains ou de fragiliser la position des États-Unis en se séparant d’une partie de ses réserves d’armement. Loin de revendiquer toute considération stratégique plus large prenant en compte une quelconque rivalité avec la Russie, l’opposition à l’assistance à l’Ukraine relève d’un isolationnisme empreint d’un « réalisme » vis-à-vis des faiblesses structurelles qui touchent la défense américaine — en écho à un discours « non-interventionniste » porté par certains Républicains dans la première moitié du XXe siècle, comme le candidat à l’élection présidentielle de 1940 Robert A. Taft.

L’invasion russe de l’Ukraine aura mis au jour — s’il en était besoin — la position sensiblement similaire en matière de politique étrangère de l’arrière-garde républicaine du Sénat, représentée notamment par le leader de la minorité Mitch McConnell au Sénat, et de celle du Parti démocrate incarnée par Joe Biden. La prise de parole de McConnell — qui cèdera sa place en novembre — est semblable en de nombreux points à celle de Biden, mettant en avant une décision qui les placera « du bon côté de l’histoire » et qui, en renforçant les alliés des États-Unis, renforcent les États-Unis eux-mêmes. Ce positionnement anti-isolationniste est sur le déclin, et pourrait devenir minoritaire au Sénat suite aux élections de novembre. J.D. Vance incarne quant à lui le prolongement du positionnement trumpiste au sein d’un organe législatif où les changements s’inscrivent dans un temps plus long qu’à la Chambre : contestation de l’ordre international tel qu’instauré après la Seconde Guerre mondiale et de ses structures, méfiance vis-à-vis des alliances, repli nationaliste et allègement du fardeau financier qui pèserait sur le contribuable américain en raison de l’engagement américain dans le monde.

Monsieur le Président, en ce qui concerne mes collègues qui ont voté dans l’autre sens sur ce texte législatif, permettez-moi d’exprimer de sérieuses inquiétudes quant à la direction que prend notre pays et à ce que ce vote représente en termes de préparation des États-Unis, de capacité des États-Unis à se défendre et à défendre leurs alliés à l’avenir et, plus important encore, de capacité des dirigeants américains à reconnaître où nous en sommes réellement comme pays : nos forces, nos faiblesses, ce qui peut être construit et ce qui doit être entièrement reconstruit.

Quelques analogies historiques devraient éclairer ce débat — l’une semble toujours être utilisée tandis que l’autre semble ne jamais être évoquée. Les opposants à la poursuite de l’aide à l’Ukraine — et je me compte parmi eux — affirment qu’il s’agit d’un moment où Chamberlain s’oppose à Churchill. Vous venez d’entendre mon éminent collègue du Delaware faire cette observation. Sans manquer de respect à mon ami du Delaware, nous devons trouver d’autres analogies dans cette Assemblée. Nous devons être capables de comprendre que l’histoire ne se résume pas à la Seconde Guerre mondiale qui se répète encore et encore. Vladimir Poutine n’est pas Adolf Hitler. Cela ne veut pas dire que c’est un bon gars, mais il a beaucoup moins de capacités que le dirigeant allemand à la fin des années 1930.

L’Amérique n’est pas non plus celle de la fin des années 1930 ou du début des années 1940. Notre puissance industrielle est nettement moins importante, en termes relatifs qu’elle ne l’était il y a près de 100 ans. L’analogie s’effondre à bien des égards, même si l’on ignore les capacités de l’Amérique, de la Russie, etc. Nous devrions envisager d’autres analogies historiques, et j’aimerais en citer quelques-unes. La Seconde Guerre mondiale, bien sûr, a été la guerre la plus dévastatrice, sans doute, de l’histoire du monde. Elle est suivie de près par la Première Guerre mondiale. Quelle est la leçon à tirer de la Grande Guerre ? 

Ce n’est pas qu’il y ait toujours des gens qui apaisent les méchants ou qui luttent contre les méchants.

La leçon de la Première Guerre mondiale est que, si l’on est imprudent, on risque de s’engager dans un conflit régional plus large qui tuera des dizaines de millions de personnes, dont beaucoup d’innocents. En 1914, les alliances, la politique et l’échec des hommes d’État ont entraîné deux blocs militaires rivaux dans un conflit catastrophique.

Rien que la semaine dernière, le Council on Foreign Relations a publié un essai appelant les troupes européennes à soutenir les lignes ukrainiennes, alors que l’Ukraine peine à lever des hommes. Certains dirigeants européens ont déclaré qu’ils pourraient envoyer des troupes pour soutenir l’Ukraine. La leçon d’histoire que nous devrions nous donner n’est peut-être pas Chamberlain contre Churchill. Peut-être devrions-nous nous demander comment un continent entier, comment l’ensemble des dirigeants d’un monde entier se sont laissés entraîner dans un conflit mondial.

Existe-t-il une solution diplomatique à la guerre en Ukraine ? Oui, je pense qu’il y en a une. En effet, comme l’ont souligné de nombreuses personnes — tant les détracteurs de Vladimir Poutine que les partisans de l’Ukraine —, un accord de paix était en fait sur la table il y a environ 18 mois. Qu’en est-il advenu ? L’administration Biden a poussé Zelensky à mettre de côté l’accord de paix et à s’engager dans une contre-offensive désastreuse qui a tué des dizaines de milliers d’Ukrainiens, qui a épuisé une décennie entière de stocks de matériel militaire et qui nous a laissés dans la situation où nous nous trouvons aujourd’hui, où chaque observateur objectif de la guerre en Ukraine reconnaît que la situation est pire pour l’Ukraine qu’elle ne l’était il y a dix-huit mois.

La « solution diplomatique » à la guerre en Ukraine reprend ici une revendication agitée par Donald Trump depuis plusieurs mois. En juillet 2023, l’ex-président se vantait d’être le seul dirigeant capable d’asseoir Poutine et Zelensky à la table des négociations et, grâce aux « très bonnes relations » qu’il entretient avec les deux présidents, obtenir un accord en un jour. Selon plusieurs sources impliquées dans les conversations privées que Trump a eues avec ses conseillers, ce « plan de paix » consisterait à pousser Kiev à abandonner la Crimée ainsi que le Donbass 2.

La résidence personnelle de Trump de Mar-a-Lago ainsi que la Trump Tower de New York sont depuis devenues des lieux de rencontre privilégiés entre le candidat pressenti pour retourner à la Maison-Blanche en janvier 2025 et des dirigeants et anciens dirigeants se rendant aux États-Unis pour discuter de la guerre en Ukraine et de la position de Donald Trump.

J.D. Vance fait ici également référence, entre autres, à un article paru dans la revue Foreign Affairs le 16 avril 2024 avançant que « les partenaires occidentaux de Kiev [notamment Washington] étaient réticents à l’idée d’être entraînés dans une négociation avec la Russie, en particulier une négociation qui leur aurait imposé de nouveaux engagements pour assurer la sécurité de l’Ukraine […] avec l’échec de l’encerclement de Kiev par la Russie, le président Volodymyr Zelensky est devenu plus confiant dans le fait qu’avec un soutien occidental suffisant, il pourrait gagner la guerre sur le champ de bataille » 3.

Aurions-nous pu l’éviter ? Oui, nous aurions pu et nous aurions dû l’éviter. Nous aurions sauvé beaucoup de vies, nous aurions sauvé beaucoup d’armes américaines, et notre pays aurait été beaucoup plus stable et dans une bien meilleure situation si nous l’avions fait.

La question des réserves de matériels et de munitions américaines est centrale dans la politique d’assistance militaire vis-à-vis de l’Ukraine. Il est cependant difficile d’accorder du crédit à l’argument avançant que cette politique aurait nui à « la stabilité » des États-Unis, notamment sur le plan économique.

La grande majorité — entre 60 et 90 %, 80 % selon les déclarations de Mike Johnson du 17 avril — des fonds octroyés par le Congrès pour fournir du matériel à l’Ukraine est en réalité réinjectée dans l’économie américaine en finançant le remplacement des munitions et systèmes donnés. L’assistance supplémentaire à Kiev finance entre autres l’augmentation des capacités de production américaines d’obus de 155 mm et permet de financer la modernisation de certains équipements de l’armée américaine.

De plus, les dernières prévisions du Fonds monétaire international prévoient un taux de croissance de l’économie américaine deux fois supérieur aux pays du G7. La part de l’économie américaine dans le PIB mondial a augmenté de près d’un point de pourcentage entre 2022 et 2024 en $ US courants, tandis que celle de la Chine a diminué de 0,73 points de pourcentage.

Il existe une autre analogie historique qui mérite qu’on s’y arrête : le début des années 2000. En 2003, j’étais en dernière année de lycée et j’occupais à l’époque une position politique. J’ai cru à la propagande de l’administration de George W. Bush selon laquelle nous devions envahir l’Irak, qu’il s’agissait d’une guerre pour la liberté et la démocratie, que ceux qui apaisaient Saddam Hussein invitaient à un conflit régional plus large. Cela vous rappelle-t-il quelque chose que nous entendons aujourd’hui ?

Ce sont exactement les mêmes discours, vingt ans plus tard, avec des noms différents. Mais avons-nous appris quelque chose au cours des vingt dernières années ? Non, je ne pense pas. Nous avons appris qu’en nous frappant la poitrine au lieu de nous engager dans la diplomatie, nous obtiendrons en quelque sorte de bons résultats. Ce n’est pas vrai. Nous avons appris qu’en parlant sans cesse de la Seconde Guerre mondiale, nous pouvons intimider les gens, les amener à ignorer leurs impulsions morales fondamentales et conduire le pays tout droit vers un conflit catastrophique.

L’une des grandes ironies de ma présence au Sénat au cours des 18 derniers mois est que de nombreuses personnes m’ont accusé d’être un larbin de Vladimir Poutine. Je m’inscris en faux contre cette affirmation car, en 2003, j’ai effectivement commis l’erreur de soutenir la guerre en Irak. Quelques mois plus tard, je me suis également engagé dans le corps des Marines, l’un des deux enfants de mon quartier de la rue McKinley à Middletown, Ohio, à s’engager dans les Marines cette année-là.

J’ai servi mon pays honorablement et j’ai vu, lorsque je suis allé en Irak, qu’on m’avait menti, que les promesses des responsables de la politique étrangère de ce pays n’étaient qu’une vaste plaisanterie. Il y a quelques jours, nous avons vu nos amis de la Chambre des représentants brandir des drapeaux ukrainiens sur le floor de la Chambre : j’aimerais les voir brandir le drapeau américain avec autant d’enthousiasme. Je ne me plaindrai pas du fait qu’il s’agissait d’une violation des règles de la Chambre, même si c’était certainement le cas.

Les règles de la Chambre des représentants ne mentionnent pas une interdiction explicite d’agiter des drapeaux sur le floor, bien que celles-ci prévoient « que les membres ne doivent pas avoir une conduite désordonnée ou perturbatrice ». Cet événement relativement anodin a néanmoins été utilisé par les élus s’opposant à l’aide à l’Ukraine pour dénoncer une forme de « capitulation » de Mike Johnson vis-à-vis des objectifs du GOP en matière de législation : notamment la sécurisation de la frontière avec le Mexique.

Suite à la publication d’une vidéo de ce moment par le représentant républicain du Kentucky Thomas Massie, le sergent d’arme de la Chambre — en charge, entre autres, du protocole — aurait menacé l’élu d’une amende de 500$ si celui-ci ne retirait pas la vidéo. Cet avertissement, rapidement désamorcé par Mike Johnson, a été perçu par une partie des élus de l’aile droite du GOP comme une tentative de « faire oublier cette trahison de l’Amérique » par le leadership républicain et les élus démocrates 4.

Mais cela m’a rappelé — et je crois que c’était en 2005 — que dans ce même hémicycle, les députés levaient leurs doigts tachés d’encre violette pour commémorer les incroyables élections irakiennes de 2005. J’étais en Irak lors du référendum constitutionnel d’octobre 2005 et des élections parlementaires de décembre. Je me souviens des Irakiens qui votaient avec joie, en levant le doigt en l’air.

Ce que je veux dire, ce n’est pas que le peuple irakien était mauvais ou qu’il était mauvais parce qu’il a voté, c’est que l’obsession du moralisme — la démocratie, c’est bien ; Saddam Hussein, c’est mal ; l’Amérique, c’est bien ; la tyrannie, c’est mal — n’est pas une façon de mener une politique étrangère, parce qu’on se retrouve alors avec des gens qui agitent leurs doigts sur le parquet de la Chambre des représentants des États-Unis, même s’ils ont conduit leur pays au désastre.

Et je dis cela en tant que fier républicain. Je le dis en tant que personne qui soutient des collègues républicains qui sont d’accord ou non avec moi sur cette question. Cela a peut-être été la période la plus honteuse de l’histoire du Parti républicain de ces quarante dernières années que d’avoir soutenu George W. Bush dans la poursuite d’un conflit militaire.

Mon excuse à moi est que j’étais en dernière année de lycée. Quelle est l’excuse des nombreuses personnes qui siégeaient dans cet hémicycle ou à la Chambre des représentants à l’époque et qui chantent aujourd’hui exactement la même chanson lorsqu’il s’agit de l’Ukraine ? N’avons-nous rien appris ? N’avons-nous rien mis à jour en ce qui concerne notre raisonnement mental, les normes que nous appliquons pour déterminer quand nous devons nous impliquer dans des conflits militaires ?

N’avons-nous rien appris sur la précarité et la valeur de la vie aux États-Unis et dans le reste du monde, et sur le fait que nous devrions être un peu plus prudents pour la protéger ? À l’époque, en 2003, il y avait une gauche anti-guerre dans ce pays. Aujourd’hui, personne n’est vraiment contre la guerre. Personne ne s’inquiète de la poursuite des conflits militaires à l’étranger. Personne ne semble s’inquiéter des conséquences imprévues.

Comme l’illustre l’historique des votes à la Chambre ou au Sénat sur les différents textes d’assistance à l’Ukraine et à Israël, une partie de la gauche représentée au Congrès revendique toujours un positionnement anti-guerre.

Celle-ci concerne néanmoins plus l’offensive israélienne dans la bande de Gaza que l’aide à la défense du territoire ukrainien contre l’invasion russe. Au Sénat, deux élus démocrates — et l’élu indépendant du Vermont Bernie Sanders, proche de l’aile gauche — ont voté contre le paquet d’assistance extérieure. De la même manière, 37 représentants démocrates de la Chambre ont voté contre la proposition de loi distincte portant sur l’aide à Tel-Aviv et l’assistance humanitaire à Gaza. L’opposition à la guerre sous toutes ses formes est également incarnée dans la sphère publique par le Quincy Institute, un think-tank qui prône une « retenue stratégique ».

Mais l’Irak a eu beaucoup de conséquences imprévues — beaucoup de conséquences qui avaient peut-être été prévues par quelques personnes intelligentes ; beaucoup de conséquences qui n’avaient été prévues par personne — dont l’une est que nous avons donné à l’Iran un allié régional plutôt qu’un concurrent régional. George W. Bush s’est-il présenté devant le peuple américain et a-t-il dit : « Nous allons envahir ce pays et donner à l’un de nos plus puissants ennemis dans la région un allié régional de taille » ? Pensions-nous que, vingt ans plus tard, l’Irak deviendrait une base pour attaquer nos troupes au Moyen-Orient ? Pensions-nous que cela renforcerait l’un des régimes les plus dangereux de cette région du monde ?

Nous finançons aujourd’hui Israël, comme je pense que nous devrions le faire, pour qu’il se défende contre les attaques provenant d’Iran, alors que les mêmes personnes qui appellent à plus de guerre dans le monde entier sont celles qui nous ont poussés à déclencher une guerre qui a donné du pouvoir à l’Iran.

Il y a une certaine ironie dans tout cela, une certaine tristesse que j’éprouve à l’idée que nous ne semblons jamais tirer les leçons du passé. Nous ne semblons jamais nous demander pourquoi nous continuons à gâcher la politique étrangère américaine, pourquoi nous continuons à affaiblir notre pays, même si nous disons que nous avons l’intention de le rendre plus fort. Voici une autre chose que nous devrions apprendre de la guerre en Irak, une chose qui me tient beaucoup à cœur en tant que chrétien et qui, je pense, devrait également tenir à cœur à bon nombre de mes collègues qui ne sont pas chrétiens, à bon nombre de mes concitoyens américains qui ne sont pas chrétiens.

Les États-Unis restent, à ce jour, la plus grande nation majoritairement chrétienne du monde. Nous sommes la nation chrétienne la plus importante en termes de population dans le monde entier. Et pourtant, quels sont les fruits — « C’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez », nous dit la Bible — quels sont les fruits de la politique étrangère américaine en ce qui concerne les populations chrétiennes du monde entier au cours des dernières décennies ? 

En Irak, avant notre invasion, il y avait 1,5 million de chrétiens. Nombre d’entre eux étaient des communautés anciennes — des Chaldéens, des personnes dont la lignée et les ancêtres remontent à des personnes qui ont connu les apôtres littéraux de Jésus-Christ. Aujourd’hui, la quasi-totalité de ces communautés chrétiennes historiques a disparu. Voilà les fruits du travail américain en Irak — un allié régional de l’Iran — et l’éradication et la décimation de l’une des plus anciennes communautés chrétiennes du monde.

Est-ce là ce que l’on nous a dit qu’il allait se passer ? Le peuple américain — la plus grande nation majoritairement chrétienne du monde — pensait-il que c’était ce dans quoi il s’engageait ? Je ne le pensais quant à moi certainement pas. Et j’ai honte de ne pas l’avoir pensé.

Mais nous l’avons fait. Nous avons fait tout cela parce que nous n’avons pas réfléchi à la façon dont la guerre et les conflits mènent à des conséquences inattendues.

Je suis certain que l’application de ces leçons au conflit ukrainien peut sembler farfelue. Certainement, cela ne risque pas de déboucher sur un conflit régional ou même mondial plus large. En fait, certainement pas — je suis sarcastique. Il est évident que c’est le cas.

Alors que les alliés européens proposent d’envoyer des troupes pour combattre Vladimir Poutine, entraînant l’OTAN encore plus loin dans ce conflit, oui, la guerre en Ukraine menace de devenir un conflit régional plus large. Qu’en est-il de l’assaut contre les communautés chrétiennes traditionnelles ? Aujourd’hui même, le parlement ukrainien envisage de promulguer une loi qui déposséderait un grand nombre d’églises et de communautés chrétiennes en Ukraine. Ils disent que c’est parce que ces églises sont trop proches de la Russie. Et peut-être que certaines églises sont trop proches de la Russie. Mais on ne prive pas une communauté religieuse entière de sa liberté de culte parce que certains de ses membres ne sont pas d’accord avec vous sur le conflit du jour.

La liberté de religion est inscrite dans la constitution ukrainienne, qui ne peut pas être modifiée pendant la loi martiale. Quant à la loi sur les communautés religieuses, les discussions sur son amendement sont en cours depuis bien avant l’invasion à grande échelle de la Russie. Les amendements actuellement discutés au Parlement visent à réglementer toutes les organisations religieuses du pays d’une manière qui ne menace pas la sécurité nationale, et ne porte pas atteinte à la conviction religieuse.

Pour l’essentiel, seule l’Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou exprime ses préoccupations à cet égard, bien qu’elle affirme n’avoir aucun lien avec la Russie. En tout état de cause, même si la loi est votée dans sa version actuelle, le sort de chaque paroisse ne sera déterminé qu’en cas de décision de justice. En Ukraine, les communautés religieuses sont décentralisées et chaque paroisse est une entité juridique, contrairement, par exemple, à l’Église orthodoxe russe, où toutes les paroisses sont réunies sous une seule entité.

Je suis convaincu, que cette guerre finira par entraîner le déplacement d’une importante communauté chrétienne en Ukraine. Et ce sera notre honte — notre honte à nous, députés, de ne pas l’avoir vu venir ; notre honte à nous, députés, de ne rien faire pour l’arrêter ; notre honte de refuser d’utiliser les centaines de milliards de dollars que nous envoyons à l’Ukraine comme levier pour assurer et garantir une véritable liberté religieuse.

C’était vrai à l’époque et c’est vrai aujourd’hui : le débat dans ce pays a été bizarrement déformé, et les gens ne peuvent pas s’engager de bonne foi dans un désaccord avec notre politique à l’égard de l’Ukraine. On est immédiatement accusé de faire partie de la mauvaise équipe, d’être du mauvais côté.

Je me souviens, lorsque j’étais un jeune lycéen conservateur, de la façon dont les opposants du camp conservateur à la guerre en Irak disaient : « Vous êtes tout simplement pour Saddam Hussein, et vous pensez que Saddam Hussein devrait être autorisé à continuer à brutaliser le peuple irakien ; vous n’avez aucun amour pour ce peuple irakien innocent ; vous ne croyez pas en l’Amérique ». Et les mêmes arguments sont appliqués aujourd’hui : vous êtes un fan de Vladimir Poutine si vous n’aimez pas notre politique à l’égard de l’Ukraine, ou vous êtes un fan d’une terrible idée tyrannique parce que vous pensez que l’Amérique devrait peut-être se concentrer davantage sur les frontières de son propre pays que sur celles de quelqu’un d’autre.

L’assistance supplémentaire à l’Ukraine demandée au Congrès par Biden en octobre 2023 a pendant un temps été perçue par le parti républicain comme un moyen d’obtenir des concessions de la part de l’administration démocrate sur la politique migratoire américaine et sur le renforcement de la frontière avec le Mexique. Bien que les deux sujets soient complètement distincts, les élus républicains du Congrès ont œuvré pendant plusieurs mois à négocier avec les Démocrates un accord consistant à combiner les deux textes dans une seule proposition de loi afin de faciliter son passage.

Finalement, Donald Trump s’est opposé à cette « transaction » bipartisane, craignant que l’amélioration de la situation à la frontière n’octroie à Biden des arguments supplémentaires pour sa campagne de réélection. J.D. Vance fait partie des élus républicains qui se sont opposés dès la première heure à cette forme de législation transactionnelle qui aurait pu débloquer les deux dossiers et permettre aux deux camps de revendiquer une victoire.

Cette fièvre guerrière, cette incapacité à analyser ce qui se passe dans le monde pour prendre des décisions rationnelles est l’aspect le plus effrayant de tout ce débat. On voit des gens qui ont servi leur pays, qui ont défendu de bonnes politiques publiques — qu’ils soient d’accord ou non avec elles — pendant toute leur carrière, être traités d’agents d’un gouvernement étranger simplement parce qu’ils n’aiment pas ce que nous faisons en Ukraine.

Ce n’est pas un débat de bonne foi, c’est de la diffamation. Et c’est le type de calomnie qui va nous conduire à prendre des décisions de plus en plus mauvaises. Nous devrions tous nous sentir très mal à l’aise lorsque nos concitoyens américains avancent un argument et que la réponse à cet argument est : « Eh bien, non, non, voici ce que nous devons faire » : Eh bien, non, non, voici pourquoi vous avez tort, ou, voici en substance pourquoi je ne suis pas d’accord avec vous. Ils vous jettent un doigt dans la figure et vous disent : « Vous êtes une marionnette de Poutine : vous êtes une marionnette de Poutine, vous êtes un actif d’un régime étranger ». C’est en prenant des décisions démocratiques de cette manière que nous mettons notre pays en faillite et que nous déclencherons une troisième guerre mondiale. Nous devrions cesser de le faire. Permettez-moi donc de présenter quelques arguments pour expliquer pourquoi notre politique à l’égard de l’Ukraine n’a aucun sens.

Premièrement, nous ne disposons pas de la base industrielle nécessaire pour soutenir une guerre terrestre en Europe. Il faut en être conscient. Il est intéressant de noter que lorsque j’ai avancé cet argument selon lequel nous ne disposions pas de la base industrielle nécessaire pour soutenir un conflit militaire en Europe de l’Est, pour soutenir un conflit militaire en Asie de l’Est et pour soutenir notre propre défense nationale, que l’Amérique était trop dispersée, j’ai reçu, il y a 18 mois, une réplique très fréquente.

On me disait que la guerre en Ukraine ne représentait qu’une fraction d’une fraction du PIB américain, que nous pouvions tout faire en même temps et que cela ne mettrait pas à l’épreuve les capacités de l’Amérique. Aujourd’hui, tout le monde semble être d’accord avec moi. Tout le monde semble reconnaître que nous sommes sévèrement limités, non pas dans le nombre de dollars que nous pouvons envoyer en Ukraine — parce qu’il y a des limites — mais dans le nombre d’armes, d’obus d’artillerie et de missiles, que nous ne fabriquons pas assez d’armes de guerre critiques pour les envoyer aux quatre coins du monde tout en assurant notre propre sécurité.

Le principal argument de Vance contre l’assistance à l’Ukraine revient à présenter celle-ci comme relevant d’une équation insoluble : les besoins en matériel et munitions de Kiev sont trop importants par rapport aux capacités de production et aux réserves américaines. Le mémo envoyé à ce sens par le sénateur aux élus républicains du Congrès le 16 avril traduit une approche pseudo-réaliste déformant la réalité de l’effort américain — mais pas uniquement — afin de présenter cette politique comme risquant de conduire à une fragilisation considérable de la défense américaine. Sa démonstration reprend en substance les arguments avancés par Vance lors de la conférence sur la sécurité de Munich de février.

Le sénateur républicain du Mississippi Roger Wicker a opposé à Vance des chiffres traduisant une réalité plus crédible de la nature de l’assistance à l’Ukraine et de l’effort déployé par d’autres pays dans un contre-mémo envoyé aux sénateurs républicains le 22 avril. Dans celui-ci, Wicker, fervent soutien de l’aide militaire à l’Ukraine, reprend point par point les arguments de Vance en mettant en avant des faits et chiffres volontairement occultés par le sénateur de l’Ohio : l’aide militaire européenne à l’Ukraine est presque aussi importante que celle fournie par les États-Unis, l’Ukraine développe rapidement ses capacités de production de drones, d’obus et de mortiers, et les États-Unis n’ont pas à assumer seuls la charge de l’aide à l’Ukraine 5

Mais les gens diront : J.D. a raison, nous devons reconstruire notre base industrielle de défense, nous devons reconstruire notre capacité à fabriquer des armes. Mais maintenant, le désir et le besoin de fabriquer plus d’armes est un argument en faveur du conflit ukrainien plutôt qu’un argument contre celui-ci. Il est intéressant de voir comment les partisans de ce conflit trouvent toujours une nouvelle justification lorsque celle d’il y a quelques mois s’effondre. Examinons donc quelques faits.

Les Ukrainiens ont affirmé publiquement — leur ministre de la Défense l’a dit — qu’ils avaient besoin de milliers de missiles de défense aérienne chaque année pour se protéger des attaques russes. En fabriquons-nous des milliers ? Non. Si ce supplément est adopté, comme je m’y attends dans quelques heures, nous passerons d’environ 550 missiles d’interception PAC-3 à environ 650. Il existe quelques autres systèmes d’armes qui pourraient fournir une protection en termes de défense aérienne. Mais les défenses aériennes de l’Ukraine sont actuellement débordées parce que nous n’en fabriquons pas assez.

Et l’Europe ne fabrique pas assez de défenses aériennes.

Par ailleurs, nous sommes sollicités dans de multiples directions. Les Israéliens en ont besoin pour repousser les attaques iraniennes. Les Ukrainiens en ont besoin pour repousser les attaques russes. Nous pourrions, Dieu nous en garde, en avoir besoin. Et les Taïwanais en auraient besoin si la Chine les envahissait. Nous ne fabriquons pas assez d’armes de défense aérienne et les Européens non plus. C’est pourquoi, au lieu de se surcharger, l’Amérique devrait se concentrer sur la diplomatie et faire en sorte que nos amis et nos alliés puissent faire tout ce qu’ils peuvent, tout en reconnaissant les limites et en veillant à ce que nous — et surtout notre propre peuple dans notre propre pays — puissions assurer notre propre défense.

Il ne s’agit pas seulement de missiles de défense aérienne. Les obus d’artillerie Martin de 155 mm sont l’une des armes les plus critiques pour la guerre terrestre en Europe — peut-être même la plus critique. Les États-Unis fabriquent une fraction de ce dont les Ukrainiens ont besoin. Et si vous combinez ce que les États-Unis fournissent avec ce que les Européens sont en mesure de fournir et ce que d’autres sont en mesure de fournir, nous sommes massivement limités dans notre capacité à aider l’Ukraine à combler le fossé qui la sépare actuellement de la Russie.

D’ici fin 2025, les États-Unis et les pays européens devraient être en mesure de produire conjointement 3 millions d’obus de 155 mm par an (1 million pour les États-Unis, 2 millions pour les Européens), soit 250 000 par mois. Une étude de l’International Institute for Strategic Studies estime que l’Ukraine aurait besoin de 200 000 à 250 000 obus par mois afin de soutenir une offensive majeure, et de 75 000 à 90 000 par mois pour être en mesure de se défendre, soit 20 à 50 % de plus que sa consommation actuelle 6. On estime que la Russie consomme quant à elle 300 000 obus par mois. Une partie de cette consommation provient cependant de ses larges réserves accumulées pendant la guerre froide ainsi que de pays tiers, notamment la Corée du Nord.

Les obus d’artillerie ne représentent qu’une partie des matériels, systèmes et munitions dont l’Ukraine a besoin pour être en mesure de repousser la Russie. Les chiffres ci-dessus montrent que les capacités occidentales actuelles sont largement insuffisantes pour fournir à l’Ukraine une quantité adéquate d’obus tout en contribuant à la reconstitution de réserves. Dans l’attente d’une augmentation des capacités, plusieurs pays dont la République tchèque œuvrent à chercher et financer des obus situés dans des entrepôts de plusieurs pays afin de les envoyer à l’Ukraine. 

Vous avez entendu de hauts responsables de notre administration de la défense dire que si ce projet de loi n’était pas adopté, les Ukrainiens seraient désavantagés dans un rapport de 10 contre 1 en ce qui concerne les munitions essentielles comme l’artillerie — 10 contre 1. Ce qui fait moins la une des journaux, c’est qu’actuellement, les Ukrainiens ont un désavantage de 5 contre 1, et qu’il n’y a pas de voie crédible pour leur donner quelque chose qui se rapproche de la parité. Et je ne parle même pas de cette année, mais de l’année prochaine. Lors d’une conversation avec le haut responsable de la sécurité nationale de l’administration Biden, on m’a dit que si les États-Unis et les Européens augmentaient radicalement leur production, les Ukrainiens auraient un désavantage de 4 contre 1 en matière d’artillerie d’ici à la fin de 2025.

Et cela a été considéré comme une bonne nouvelle. Vous ne pouvez pas gagner une guerre terrestre en Europe avec un désavantage de 4 contre 1 en matière d’artillerie, surtout lorsque le pays que vous affrontez a une population quatre fois plus importante que la vôtre. La ressource la plus importante dans une guerre, même dans une guerre moderne, ne se limite pas aux missiles de défense aérienne et aux obus d’artillerie ; la ressource la plus importante, ce sont les êtres humains. Ce sont toujours des êtres humains qui mènent nos guerres, aussi tragiques que cela soit et aussi souhaitable que cela ne soit pas vrai, et l’Ukraine a elle aussi un terrible problème de main-d’œuvre.

Le New York Times a récemment publié un article sur la conscription — peut-être accidentelle, je l’espère en tout cas — d’une personne handicapée mentale dans le cadre de ce conflit. Ils ont maintenant abaissé l’âge de la conscription. Et ils continuent à prendre des mesures draconiennes pour enrôler des personnes.

Cela n’a rien à voir avec le fait qu’environ 600 000 hommes en âge de servir dans l’armée ont fui le pays. Cette guerre est souvent comparée, comme je l’ai dit précédemment, à la lutte du Royaume-Uni contre l’Allemagne nazie. En pleine Seconde Guerre mondiale, un million de Britanniques ont-ils quitté la Grande-Bretagne pour éviter d’être enrôlés par les Allemands ? J’en doute fort. Il y a donc un profond problème de réserve — une réserve d’armes, il n’y en a pas assez ; une réserve de main-d’œuvre, il n’y a pas assez d’hommes. Tel est le problème auquel l’Ukraine est confrontée.

Environ 3,7 millions d’Ukrainiens de 25 à 60 ans peuvent être mobilisés pour servir dans l’armée, et ce sans inclure les 1,3 millions d’hommes vivant à l’étranger que le gouvernement ukrainien cherche à inciter à revenir. Avec l’adoption d’un nouveau texte jeudi 11 avril, la Verkhovna Rada a renforcé l’encadrement de la mobilisation et offert plus de marge de manœuvre au gouvernement pour la mener à bien. Plus encore que le manque d’hommes disponibles, c’est la manière dont la mobilisation est conduite qui nuit aux capacités ukrainiennes. Sur le million de personnes mobilisées en Ukraine, une enquête a conclu que seulement 300 000 avaient participé à des combats.

La Russie dispose toutefois d’une population quatre fois supérieure à celle de l’Ukraine. De plus, le nombre d’hommes de moins de 30 ans et en bonne santé est parmi les plus faibles de l’histoire du pays — en baisse de moitié depuis 1990.

Je ne dis pas cela pour attaquer les Ukrainiens qui se sont battus admirablement — beaucoup d’entre eux sont morts pour défendre leur pays. Mais si nous voulons respecter le sacrifice des personnes qui sont mortes dans ce conflit, nous devons faire face à la réalité. Et la réalité, c’est que plus cela dure : plus il y aura de morts inutiles, moins il y aura de gens pour reconstruire l’Ukraine, et moins l’Ukraine sera capable de fonctionner en tant que pays à l’avenir. Mais je ne m’inquiète pas seulement de cela ; je ne m’inquiète pas seulement de savoir si l’Ukraine peut gagner. Je m’inquiète également, comme je l’ai dit précédemment, des conséquences involontaires.

Nous devrions passer un peu de temps à discuter de certaines d’entre elles. Notre focalisation obsessionnelle sur l’Ukraine a plusieurs conséquences. Premièrement, nous avons, à plusieurs niveaux du Congrès, adopté des textes législatifs concernant l’Ukraine qui tentent de limiter explicitement les pouvoirs diplomatiques de la prochaine administration présidentielle. Je sais que nous ne parlons pas souvent de politique de manière aussi directe, et je suis certain d’être en désaccord avec mes amis d’en face sur l’identité du prochain président, mais nous voulons donner au prochain président, quel qu’il soit, les moyens de s’engager réellement dans la diplomatie — et non pas rendre plus difficile l’engagement dans la diplomatie.

Or de nombreuses dispositions de cette législation — mais aussi d’autres législations que cette Assemblée a adoptées et auxquelles je me suis opposé — tentent explicitement de lier les mains du prochain président. Admettons que le prochain président, quel qu’il soit, décide d’arrêter les massacres et de s’engager dans la diplomatie. Cette Chambre pourra donner un motif de mise en accusation de ce prochain président pour s’être simplement engagé dans la voie de la diplomatie. Il est difficile d’imaginer un jugement plus ridicule sur les priorités du leadership américain que nous essayons déjà de rendre impossible pour le prochain président de s’engager dans une quelconque mesure de diplomatie. Ce n’est pas du leadership, et ce n’est pas de la fermeté ; c’est une adhésion aveugle à un consensus cassé en matière de politique étrangère — ce qui est malheureusement exactement ce que nous avons.

Le projet de loi supplémentaire à l’Ukraine, qui sera probablement adopté dans les prochaines heures, finance la frontière ukrainienne tout en fermant les yeux sur la crise frontalière des États-Unis. Le projet de loi prévoit des centaines de millions qui pourraient être utilisés pour renforcer la sécurité des frontières ukrainiennes et soutenir le Service national des gardes-frontières de l’Ukraine. Tant mieux pour eux. Je suis heureux qu’ils se soucient de la sécurité de leurs propres frontières. Le supplément prolonge les avantages accordés aux Ukrainiens en liberté conditionnelle aux États-Unis. Il comprend 481 millions de dollars pour les réfugiés et l’assistance provisoire, qui pourraient être utilisés, en partie, pour que le Bureau de réinstallation des réfugiés fournisse une aide à la réinstallation aux Ukrainiens arrivant aux États-Unis, ainsi qu’à d’autres organisations qui — parce que l’argent est fongible — pourraient réinstaller d’autres migrants d’autres pays dans notre pays.

Ainsi, au moment même où nous aidons les Ukrainiens à sécuriser leur propre frontière, nous ne nous contentons pas d’ignorer notre propre frontière, nous finançons des ONG qui aggraveront la crise migratoire de Joe Biden. C’est complètement insensé. Et pourtant, c’est ce que nous faisons. 

Parlons d’autre chose. Ce projet de loi contient une disposition très populaire, le REPO Act. En bref, le REPO Act fait quelque chose de très simple : il permet au département du Trésor de saisir les actifs russes pour les aider à payer la guerre. Cela semble très bien. Bien sûr, la Russie n’aurait pas dû envahir l’Ukraine et, bien sûr, elle devrait en payer les conséquences.

Mais demandez-vous quelles répercussions inattendues pourrait avoir la saisie de dizaines de milliards de dollars d’actifs étrangers. Un certain nombre d’économistes de toutes tendances politiques ont affirmé que le REPO Act pourrait rendre plus difficile la vente de bons du Trésor américain. C’est une chose dont beaucoup d’Américains ne se soucient guère. Or je suis sûr que leurs yeux pourraient s’écarquiller un peu : ce pays enregistre des déficits de près de 2 000 milliards de dollars chaque année.

Vous vous demandez : d’où viennent ces 2 000 milliards de dollars ? Ils proviennent de la vente d’obligations du Trésor sur le marché. C’est ainsi que nous finançons les dépenses déficitaires de notre pays. Et que se passe-t-il lorsque les gens commencent à s’inquiéter du fait que les bons du Trésor américain ne sont pas un bon investissement ? Nous en avons déjà vu les conséquences au cours des deux dernières années : les taux d’intérêt augmentent, l’inflation augmente, les hypothèques immobilières deviennent plus chères.

Les actifs russes gelés aux États-Unis ne représentent que 5 milliards de dollars, soit moins de 2 % du total gelé dans les pays du G7, de l’Union européenne, en Suisse et en Australie. Au-delà du précédent juridique, la question de l’utilisation de ces actifs pour le soutien et la reconstruction de l’Ukraine — comme c’est le cas pour les États-Unis, dont le REPO Act permet de transférer ces actifs vers un fonds spécial — est un sujet de débat parmi les soutiens de l’Ukraine depuis les semaines ayant suivi le lancement de l’invasion russe.

Vance n’est pas le seul élu républicain à s’opposer au REPO Act, craignant les conséquences négatives que la saisie d’actifs pourraient avoir sur les marchés obligataires américains. D’ailleurs, le think tank républicain proche de Donald Trump Heritage Foundation s’oppose lui aussi au REPO Act, craignant qu’il ne conduise à « il saper le système financier mondial libellé en dollars et à exposer une économie déjà fragile à des conséquences imprévues et à des risques auxquels les États-Unis ne sont pas préparés » 7.

Si plusieurs économistes ont effectivement reconnu que cette législation pourrait avoir des conséquences négatives sur l’économie américaine, d’autres experts considèrent qu’une action commune aux côtés des autres pays du G7 aurait pour effet de répartir le risque, réduisant ainsi l’exposition d’une seule économie 8.

Sommes-nous au moins un peu inquiets que les marchés obligataires puissent réagir négativement si nous saisissons des dizaines ou des centaines de milliards de dollars d’actifs ? Nous devrions nous en inquiéter, car nous ne pouvons déjà pas nous permettre d’engager des dépenses déficitaires dans ce pays. Les taux de rendement du Trésor sont déjà extraordinairement élevés. Grâce aux programmes de dépenses de Joe Biden, ils ont même fait preuve d’une remarquable obstination au cours des derniers mois. 

Voici une autre conséquence involontaire. 

L’Allemagne est un allié important des États-Unis et possède la quatrième ou la cinquième économie du monde. C’est un pays très important, un allié très important. En outre, c’est un pays magnifique avec des gens magnifiques. Mais l’Allemagne — sous l’influence d’une série de politiques dites d’énergie verte — se désindustrialise rapidement. L’Allemagne, soit dit en passant, était l’un des rares pays au lendemain de la Seconde Guerre mondiale — en particulier dans les années 1970, 1980 et 1990 — à avoir conservé sa puissance industrielle en grande partie intacte.

Pensez aux voitures allemandes et à tous les autres produits manufacturés provenant d’Allemagne. Aujourd’hui, elle est beaucoup moins puissante en termes de fabrication qu’elle ne l’était il y a dix ans. Pourquoi ? Parce qu’il faut de l’énergie bon marché pour fabriquer des produits. Il faut de l’énergie bon marché pour fabriquer de l’acier. Il faut de l’énergie bon marché pour fabriquer des voitures. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles l’économie manufacturière s’est trouvée si mal sous l’administration Biden — parce que leurs politiques énergétiques n’ont aucun sens. Mais il faut dire à l’Allemagne que les États-Unis ne subventionneront pas ses politiques énergétiques ridicules et ses politiques qui affaiblissent l’industrie manufacturière allemande. Nous devrions faire comprendre aux Allemands qu’ils doivent fabriquer leurs propres armes, qu’ils doivent mettre sur pied leur propre armée et qu’ils ont la priorité et la responsabilité de défendre l’Europe contre Vladimir Poutine ou n’importe qui d’autre.

Je pose la question : combien de brigades mécanisées l’armée allemande pourrait-elle aligner aujourd’hui ? Selon certaines estimations, la réponse est zéro ; selon d’autres estimations, la réponse est une. La quatrième puissance économique mondiale n’est donc pas en mesure d’aligner suffisamment de brigades mécanisées pour se défendre contre Vladimir Poutine. Il ne s’agit pas d’il y a 5 ans ou 10 ans, mais d’hier. Cela fait donc trois ans que les Européens nous disent que Vladimir Poutine est une menace existentielle pour l’Europe, et trois ans qu’ils ne réagissent pas comme si c’était vrai. Donald Trump avait déjà dit aux nations européennes qu’elles devaient dépenser plus pour leur propre défense. Il a été réprimandé par les membres de cette Assemblée pour avoir eu l’audace de suggérer que l’Allemagne devrait s’impliquer et payer pour sa propre défense.

Les dépenses militaires des États-Unis (3,36 % en 2023) sont 77 % supérieures à celles des autres pays de l’OTAN en pourcentage de PIB (1,9 %). Le SIPRI estime que, l’an dernier, seulement 10 pays européens sur les 27 que compte l’Alliance atlantique avaient atteint la cible des 2 % de dépenses militaires. Si le Secrétaire général de l’OTAN s’attend à ce que 18 pays au total atteignent la cible cette année — soit six fois plus que dix ans auparavant, lors de l’invasion russe de la Crimée —, les Européens dépensent toujours moins pour leur défense que les Américains — exception faite de la Pologne, qui a consacré l’an dernier 3,83 % de son PIB à sa défense, soit plus que les États-Unis.

Mais contrairement à ce que dit Vance, les Européens ont significativement augmenté leurs dépenses de défense depuis le lancement de l’invasion russe de février 2022. L’Allemagne a augmenté ses dépenses de 9 % entre 2022 et 2023, la France de 6,5 %, l’Espagne de 9,8 % et la Pologne de 75 %. Il existe cependant un large écart entre l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est : + 10 % et + 31 % respectivement. Les États-Unis, eux, ont vu leurs dépenses de défense augmenter de 2,3 % sur la période. Ils représentent néanmoins 37 % des dépenses mondiales, soit 54 % de plus que le continent européen (24 % en 2023).

Aujourd’hui encore, l’Allemagne, selon certaines estimations, n’atteint pas le seuil des 2 % du PIB qu’elle est censée consacrer à ses dépenses militaires. Et même si elle atteignait ce seuil de 2 % en 2024, elle l’aurait à peine atteint après littéralement des décennies de remontrances. Est-il juste que les Américains soient contraints d’assumer ce fardeau ? Je ne le pense pas. Mais je m’inquiète moins de l’équité que du signal que cela renvoie à l’Europe. Si nous continuons à assumer une part substantielle du fardeau militaire, si nous continuons à donner aux Européens tout ce qu’ils veulent, ils ne deviendront jamais autosuffisants et ne produiront jamais suffisamment d’armes pour pouvoir défendre leur propre pays.

Les partisans d’un financement sans fin de l’Ukraine ne cessent de répéter que si nous n’envoyons pas de ressources à l’Ukraine, Vladimir Poutine ira jusqu’à Berlin ou Paris. Tout d’abord, cela n’a aucun sens. Vladimir Poutine ne peut pas pousser jusque dans l’Ouest de l’Ukraine ; comment irait-il jusqu’à Paris ? Deuxièmement, si Vladimir Poutine est une menace pour l’Allemagne et la France, s’il est une menace pour Berlin et Paris, alors ces deux pays devraient dépenser plus d’argent pour l’équipement militaire.

Certains de mes compatriotes américains ont eu la chance de voyager en Europe. C’est un endroit magnifique. Mais l’une des choses que les Européens disent souvent à propos des Américains, c’est que nous avons beaucoup trop d’armes et beaucoup trop peu de soins de santé. L’une des raisons pour lesquelles nous avons moins accès aux soins de santé que les Européens est que nous subventionnons leur armée et leur défense. Si les Européens étaient contraints d’assurer leur propre sécurité, nous pourrions nous attaquer à d’autres problèmes domestiques. Mais non. Car trop de membres de cette Assemblée ont décidé que nous devions faire la police dans le monde entier. Au diable le contribuable américain.

Pendant 40 ans, notre pays a commis, en grande partie, une erreur bipartisane. Il a permis la délocalisation et l’externalisation de notre production, tout en augmentant les engagements que nous avons dans le monde entier. En gros, nous avons externalisé notre capacité à fabriquer des armes essentielles tout en renforçant nos responsabilités en matière de police dans le monde. Et, bien sûr, si nous devons surveiller le monde, ce sont les troupes américaines qui ont besoin de ces armes. D’une part, nous avons affaibli notre propre pays ; d’autre part, nous nous sommes trop étendus.

Il y a une certaine ironie à constater que si l’on examine les votes et les engagements de cette Assemblée, les personnes qui ont été les plus agressives — mes collègues, certains de mes amis — pour envoyer nos bons emplois industriels en Chine sont maintenant celles qui sont les plus agressives pour affirmer que nous pouvons faire la police dans le monde. Avec quoi sommes-nous censés contrôler le monde ?

Notre fabrication d’artillerie, d’armes, de défense aérienne, notre complexe militaro-industriel de base s’est incroyablement affaibli. Et vous entendrez des gens dire que ce projet de loi y remédie. Il n’y remédie pas du tout. Ce projet de loi, bien qu’il investisse un peu — et c’est une bonne chose, soit dit en passant, ce n’est pas si mal — dans la fabrication critique d’armes américaines, envoie ces armes à l’étranger plus vite qu’il ne nous réapprovisionne.

Sources
  1. J.D. Vance, Hillbilly Elegy. A Memoir of a Family and Culture in Crisis, William Collins, 2016, p. 156.
  2. Isaac Arnsdorf, Josh Dawsey et Michael Birnbaum, « Inside Donald Trump’s secret, long-shot plan to end the war in Ukraine », The Washington Post, 7 avril 2024.
  3. Samuel Charap et Sergey Radchenko, « The Talks That Could Have Ended the War in Ukraine », Foreign Affairs, 16 avril 2024.
  4. Publication de Thomas Massie sur X (Twitter), 23 avril 2024.
  5. Mémo de Roger Wicker, X (Twitter), 23 avril 2024.
  6. Franz-Stefan Gady et Michael Kofman, Making Attrition Work : A Viable Theory of Victory for Ukraine, IISS, 9 février 2024.
  7. The REPO for Ukrainians Act Is Unnecessary, Costly, and Risky, The Heritage Foundation, 15 avril 2024.
  8. Erik Wasson et Enda Curran, « Russia Asset Seizure Law Spurs Yellen Praise, Dollar Angst », Bloomberg, 24 avril 2024.
Le Grand Continent logo