Chine, Russie, Iran : la guerre mondiale vue par le « Kissinger persan »
En Iran, quelque chose de profond est en train de bouger. Alors que le Guide Suprême avait un plan pour contrer Washington avec la Russie et la Chine, Téhéran pourrait basculer. Nous traduisons pour la première fois en français un texte pivot d’Hassan Abbasi : idéologue proche du régime, au cœur de la structure opaque d’une théocratie inquiète, il articule, sur des ressorts purement complotistes, le schéma d’une géopolitique de l’affrontement mondial.
- Auteur
- Pierre Ramond •
- Trad.
- Pierre Ramond •
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- © Sobhan Farajvan/Pacific Press/Shutterstock
Pour Hassan Abbasi, idéologue complotiste des Gardiens de la Révolution iranienne, nous sommes sortis de l’interrègne. Les coordonnées de la conflictualité des cinquante années à venir seraient fixées et les forces en présence identifiées : une nouvelle trilatérale Russie-Chine-Iran ferait face aux États-Unis qui, à travers trois branches de l’Otan, européenne, moyen-orientale et pacifique, affronterait cette coalition d’ennemis autour de trois zones de tension : l’Ukraine, la Palestine, et Taïwan.
Pour lui, il serait nécessaire d’adapter la pensée stratégique à cette « nouvelle guerre froide » qui explique les conflits actuels et permet de prévoir ceux des années à venir. Il appelle à abandonner le cadre de pensée de la « Quatrième guerre mondiale » au cours de laquelle, des années 1990 aux années 2020, les États-Unis auraient eu pour objectif de diviser les États du Moyen-Orient pour les réduire à l’impuissance, de détruire la région en enflammant l’opposition religieuse entre Sunnites et Chiites, et de s’emparer des ressources de la région. Cette guerre aurait été perdue par Washington, contrainte d’abandonner peu à peu à partir de 2021 des différentes zones dans lesquelles elle avait conduit des opérations militaires — de l’Irak à l’Afghanistan.
« Nous annonçons aujourd’hui la fin de la Quatrième guerre mondiale, la fin de la recomposition politique du Grand Moyen-Orient, la fin de la guerre de religion. Un nouveau chapitre a commencé. Nous l’appelons : nouvelle guerre froide. »
Cette voix d’un idéologue des Gardiens de la Révolution ne saurait résumer toute l’idéologie politique de la République islamique : il s’agit d’une expression plus radicale et extrémiste que le centre de gravité du régime iranien. Contrairement à Kissinger — Abbasi est parfois surnommé « le Kissinger persan » — il n’a jamais exercé de fonctions politiques de premier plan. Ses prises de positions incarnent de façon particulièrement explicite le « Triple Axe » qui découlerait des intérêts partagés par la Russie, la Chine et l’Iran 1.
Ce discours est aussi le dernier avatar d’un courant de politique étrangère influent dans l’histoire de la République islamique d’Iran, le « Regard vers l’Est » (Négâh bé Sharq) qu’avait théorisé et défendu Mahmoud Ahmadinejad lors de ses deux mandats présidentiels (2005-2013), reposant sur l’idée que le centre de gravité du monde se déplaçant vers l’Asie, l’Iran devait se concevoir de plus en plus comme une puissance asiatique, et anti-occidentale.
Cette vision du monde coexiste avec d’autres doctrines politiques et géopolitiques, dont l’importance évolue au gré de la conjoncture politique internationale. La réélection potentielle de Donald Trump et une politique plus hostile vis-à-vis de l’Iran pourrait conforter le courant représenté par Abbasi au sein de la République islamique. Nous publierons prochainement dans le Grand Continent d’autres voix, de clercs conservateurs, de théologiens réformateurs, de juristes modérés, qui chacun à leur manière, proposent des pistes pour imaginer le futur de la République islamique, le jour où la clef de voûte actuelle du système, l’ayatollah Ali Khamenei, disparaîtra.
1 — La Quatrième guerre mondiale et le plan de gulliverisation du Moyen-Orient
Un nouvel ordre mondial est en train prendre forme. Il pourrait définir les relations internationales pendant les cinquante prochaines années : votre jeunesse, votre âge mûr, et peut-être jusque dans votre vieillesse.
Ce discours est une conférence donnée le 23 janvier 2024 (03 Bahman 1402) dans le think tank « Centre d’analyse doctrinale » (markaz-é beressi-yé doctrinâl), que dirige Hassan Abbasi.
Pour commencer, je voudrais revenir sur la Quatrième guerre mondiale. Celle-ci a éclaté après la Guerre froide, qui a elle-même duré de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à l’effondrement de l’URSS et la chute du mur de Berlin. Comme la Guerre froide, la Quatrième guerre mondiale est désormais terminée.
La Guerre froide est considérée par Hassan Abbasi comme la troisième guerre mondiale ; la période qui suit la Guerre froide et se termine selon lui aujourd’hui serait par conséquent la « Quatrième » guerre mondiale.
Mais revenons d’abord sur ses origines. Il y a plusieurs dizaines d’années, le chef du service de renseignement extérieur français, Alexandre de Marenches, a théorisé l’idée d’une Quatrième guerre mondiale dans son livre publié en anglais sous le titre The Fourth World War, paru aux États-Unis en 1992 puis traduit en persan il y a trente ans exactement.
Dans son livre, il explique que la guerre entre l’Est et l’Ouest, entre le marxisme et le libéralisme, entre le socialisme et le capitalisme, est terminée. Ce qu’il entrevoit, ce n’est pas une guerre entre le Nord et Sud, ou une guerre entre les pays riches et les pays pauvres, mais bien une guerre entre l’Ouest et le monde islamique.
Ce livre d’Alexandre de Marenches a une étonnante postérité. Initialement publié en France comme mémoires sous la forme d’entretiens avec Christine Ockrent en 1986, intitulés Dans le secret des princes, il est traduit et partiellement réécrit en anglais en 1992 sous le titre The Fourth World War : Diplomacy and Espionage in the Age of Terrorism. Il gagne une certaine notoriété pour avoir annoncé l’invasion de l’Irak par les États-Unis. En Iran, le livre est traduit assez rapidement mais reste confidentiel. Il est néanmoins parfois cité, comme dans le journal ultraconservateur Javân, proche des Gardiens de la Révolution, qui se réjouit que les Iraniens soient identifiés dans le livre comme un ennemi potentiellement redoutable des puissances occidentales 2.
Dix ans après Alexandre de Marenches, James Woolsey, le chef de la CIA, annonçait que la Quatrième guerre mondiale avait bel et bien commencé après le 11 septembre 2001 — et qu’elle se déroulerait au Moyen-Orient.
Quel était le but ultime ? Déclarer la guerre à l’Iran. Cette Quatrième guerre mondiale consistait avant tout à vouloir diviser les États du Moyen-Orient pour réduire leur capacité d’action, comme l’explique James Blackwell dans son livre Thunder in the Desert.
Le livre de Blackwell cité par Abbasi est en fait une analyse tactique du succès américain lors de l’opération « Tempête du Désert ». Comme l’a expliqué Louis Gautier dans nos pages, par mais aussi au-delà de son aspect militaire, la première Guerre du Golfe a inauguré une nouvelle ère géostratégique : « La guerre du Golfe est annonciatrice de conflits qui intègrent à l’intervention militaire des dimensions collatérales aux actions de combat : la communication en temps réel vers l’opinion, l’engagement humanitaire auprès des populations kurdes victimes d’actes collatéraux de répression perpétrés par le régime de Saddam Hussein, la protection de l’environnement ou encore la continuité du droit international. »
Il s’agissait d’un plan de gulliverisation de la région : l’objectif était de faire des États du Moyen-Orient des Liliputiens qui puissent tenir dans la paume de Gulliver, c’est-à-dire le régime sioniste, qui deviendrait, à la suite des divisions, le plus puissant de tous.
Dans la théorie conspirationniste d’Abbasi, cette image représenterait les pays d’un Moyen-Orient élargi réparti en trois catégories : à droite, les six pays « Gulliver » (les plus grands pays à diviser) : Iran, Egypte, Turquie, Syrie, Irak et le « régime sioniste » (Israël) ; au milieu, les pays « d’espoir » : Libye, Arabie saoudite, Yémen, Oman, Algérie, Soudan ; à gauche, les pays « inquiets » : Liban, Emirats arabes unis, Qatar, Koweït, Tunisie, Jordanie
Si l’Arabie saoudite est divisée en cinq pays, l’Iran en sept pays, la Turquie en deux pays, l’Égypte en deux pays, la Syrie en trois pays, l’Irak en trois pays, l’Afghanistan en deux ou trois pays, le Pakistan en deux pays, il ne restera alors dans le monde musulman que des États de la taille du Bahreïn, du Qatar, des Émirats arabes unis, qui n’ont pas la possibilité de décider par eux-mêmes.
Dans ce contexte, la stratégie officielle de la République islamique a été d’empêcher les États-Unis de mettre en œuvre ce plan et de s’opposer à la désintégration des pays. C’est la tâche principale que s’est fixée le corps des Gardiens de la Révolution, dans le cadre de l’Axe de la Résistance.
Cette vision du monde revient à présenter les Gardiens de la Révolution comme les défenseurs inattendus de l’intangibilité des frontières dans l’ordre post-1945. On peut y lire une réponse à Kissinger qui considérait que l’Iran devait choisir entre être « une cause ou une nation » et que la République islamique était une puissance révisionniste, signifiant qu’elle souhaitait transformer et remettre en cause l’ordre mondial tel qu’il existe.
« L’Axe de la Résistance » est une manière de désigner la coalition des intérêts anti-occidentaux au Moyen-Orient, qui réunit des acteurs aux idéologies a priori différentes voire opposées autour du concept de « Résistance ». Rappelons en effet que le Hezbollah est la branche politique de l’organisation armée nommée « Résistance islamique au Liban » (al-muqāwamah al-islāmīyah fī lubnān) et que le Hamas est un sigle signifiant « ḥarakat al-muqāwma al-ʾislāmiyya » ou « Mouvement de résistance islamique ».
La force Qods suit l’idée exprimée par le martyr Qassem Soleimani à propos du séparatisme irakien. Lors du vote pour l’indépendance du Kurdistan, on a pu voir des partisans de l’indépendance hisser des drapeaux sionistes à côté de drapeaux kurdes. Mais deux ou trois jours après la cérémonie funéraire de feu Jalal Talabani [le 06 octobre 2017], l’ancien président de l’Irak et fondateur de l’Union patriotique du Kurdistan irakien, Hadj Qassem a déclaré à Massoud Barzani 3 : « nous empêcherons la désintégration de l’Irak, nous ne la laisserons pas se produire, car cela risque d’arriver alors à tous les pays, qui se désintègreront tous ».
Qassem Soleimani est mentionné tout au long du discours comme une référence, un modèle à suivre et la preuve de la justesse de la cause de la Révolution iranienne contre ses ennemis. Hassan Abbasi l’appelle de différents noms : « Hajj Qassem » rappelle sa piété, car « Hajj » est un titre qui s’accolle au nom d’un croyant musulman qui a fait un pélerinage à la Mecque ; « shahid », ou « martyr », inscrit le Général Soleimani dans la martyrologie chiite de la République islamique.
L’opposition aux autonomies kurdes est un élément central de la doctrine des Gardiens de la Révolution. L’insistance du discours sur l’intangibilité des frontières est aussi une manière de refuser plus d’autonomie aux populations kurdes, en Irak et en Syrie bien entendu, mais aussi en Iran, où plus de 10 millions de Kurdes vivent, dans l’Ouest du pays. Fabrice Balanche a analysé dans le Grand Continent cette opposition des puissances régionales aux autonomies kurdes.
Ce plan reproduit celui que l’Amérique et l’Europe avaient élaboré pour découper les pays en morceaux il y a cent ans, en 1915, lorsqu’ils ont divisé l’Empire ottoman en une dizaine de pays : la Turquie, la Syrie, le Liban, l’Irak, etc… Cent ans après les Accords Sykes-Picot, la même histoire recommence. Picot était français et Sykes était anglais. Ils ont placé une règle sur la carte, traçant une ligne établissant que la Syrie se trouverait ici, l’Irak là, l’Arabie saoudite par là-bas, et ainsi de suite.
Une fois de plus, ils voulaient mettre le monde islamique en pièces, comme ils l’avaient fait avec l’empire ottoman. Tous les occidentaux qui sont venus dans la région y sont arrivés après avoir étudié Sykes-Picot et la désintégration de l’empire ottoman : Lawrence d’Arabie, Gertrude Bell — à propos de qui un film est sorti en 2015, intitulé La Reine du Désert.
Dans toute la conférence d’Hassan Abbasi se mêlent les références à des événements réels, les théories géopolitiques, et les représentations cinématographiques du cinéma hollywoodien. Archéologue britannique, Gertrude Bell (1868-1926) a soutenu la création d’États arabes indépendants au Moyen-Orient et notamment de l’Irak à la suite de la chute de l’empire ottoman. Dans le film évoqué par Hassan Abbasi et réalisé par Werner Herzog, elle est incarnée par Nicole Kidman. Elle est également l’une des premières traductrices en anglais du Divan de Hâféz, l’un des plus importants recueils de poésie persane classique.
Une partie de leur plan était le projet du Grand Moyen-Orient — dont l’objectif était en fait la disparition du Moyen-Orient tel qu’il existait. Ils souhaitaient que, de Marrakech à l’Indonésie sur la côte de l’océan Pacifique, dans tout le monde musulman, sur une distance de quinze mille kilomètres de long et large de cinq mille kilomètres, il n’y ait plus un seul grand pays.
C’est pourquoi ils ont séparé en deux le Soudan, grand comme la France, et l’ont appelé le Sud-Soudan ; de même en République centrafricaine, en favorisant les chrétiens et en chassant les musulmans vers le Niger ; nous avons vu le même phénomène au Niger, ainsi qu’au Myanmar, où ils ont soutenu les bouddhistes et massacré les musulmans, avant de les envoyer au Bangladesh.
Qui s’est opposé à cette stratégie ? La République islamique d’Iran. Qui a préparé la riposte ? Le Corps des gardiens de la révolution islamique ? Qui a pris la direction des opérations ? L’Imam des musulmans.
L’Imam des musulmans est une autre manière de désigner le Guide Ali Khamenei. Dans ce passage, au pic de son complotisme, Abbasi étend la lutte contre les États-Unis à l’ensemble de la planète, et ne s’arrête pas au Moyen-Orient.
Dans le discours d’Abbasi, cette carte serait censée montrer le supposé plan des États-Unis de découper l’Iran en plusieurs États qui réuniraient chacun une ethnie dominante dans la région en question. Ne reposant évidemment sur aucune réalité, elle est surtout le symptôme de l’opposition radicale de la République islamique, notamment des Gardiens de la Révolution, depuis 1979, à toute forme de séparatisme dans un pays où l’ethnie majoritaire ne représente qu’entre 55 et 65 % de la population. Si le projet de création d’un Kurdistan autonome a été longuement débattu et qu’il a existé un an un Gouvernement populaire d’Azerbaïdjan en 1945-1946, créé dans le cadre de la crise irano-soviétique, l’idée d’un « Arabistan » ou d’un « Baloutchistan iranien » semble une totale invention d’Hassan Abbasi.
Ceux qui parlent aujourd’hui de l’éclatement de l’Iran encouragent les séparatistes iraniens en Europe et en Amérique. Ils leur offrent des tribunes avec les drapeaux des différentes régions ethniques d’Iran dans les rues d’Allemagne, de Belgique, de Hollande, de France, d’Angleterre, d’Amérique et du Canada.
Il s’est passé beaucoup de choses au cours des trente dernières années. Nous avons assisté à l’affaiblissement du libéralisme, aux problèmes rencontrés dans les domaines économiques et financiers, aux problèmes sociaux et psychologiques des États libéraux.
Le régime baasiste de Saddam nous avait attaqué avec l’aide des Occidentaux. Cette guerre s’est terminée en 1988. Cette « guerre imposée » contre l’Iran a duré huit ans, contre la défense sacrée, mais tout le monde l’a oublié. Mais la guerre que nous avons vécue, a elle duré 30 ans.
Il s’agit d’un passage obligé de tout discours de politique étrangère iranienne, visant à rappeler ce qui est perçu par le pouvoir politique iranien comme la faute originelle la plus évidente des puissances occidentales : le soutien militaire occidental massif apporté à Saddam Hussein pendant la longue guerre qui a opposé l’Irak à la République islamique d’Iran, de 1980 à 1988. Cette guerre est nommée en persan « la guerre imposée » (djang-é tahmili) tandis que les combats iraniens pendant cette guerre sont décrits comme « la défense sacrée » (défâh-é moqadas). L’immense majorité des dirigeants actuels de la République islamique et tous les généraux des Gardiens de la Révolution ont commencé leur carrière politique et militaire au cours de conflit.
La dénonciation de l’aide occidentale à Saddam Hussein au cours de la Guerre Iran-Irak fait consensus au sein du système politique iranien, des plus modérés aux plus conservateurs. Cet argument est notamment mobilisé pour justifier l’existence du programme balistique iranien, au motif que, pendant la guerre contre l’Irak, les villes iraniennes ont subi de nombreux bombardements, sans pouvoir répliquer, faute de missiles balistiques.
2 — La Quatrième guerre mondiale mise en échec par la résistance iranienne
Voyant que le délitement des États du Moyen-Orient ne fonctionnait pas, ils ont tenté d’infléchir la stratégie de la Quatrième guerre mondiale en attisant les tensions religieuses entre d’un côté Daech et de l’autre côté le Hezbollah libanais — espérant que la guerre étendue aux sunnites et aux chiites contribuerait à détruire le monde islamique.
Hassan Abbasi fait référence à un article de Richard N. Hass dans Project Syndicate, du 21 juillet 2014, « The New Thirty Years War », dont il montre à ce moment-là une capture d’écran son auditoire.
L’Iran a échappé à la Quatrième guerre mondiale. Pourtant, comme le montre le réalisateur Oliver Stone dans le film W, qui raconte la vie de George W. Bush, le plan initial des États-Unis était de s’en prendre à l’Iran. On voit dans une scène du film Dick Cheney, le Vice-Président américain, proposer de prendre l’Iran en tenaille via l’Irak et l’Afghanistan, pour « assécher le marécage » et prendre le pétrole.
Au sein du parti républicain, on trouve deux groupes : les faucons et les colombes. Parmi les faucons on trouve Paul Wolfowitz et ses proches, comme Condoleezza Rice, comme Eliot A. Cohen, qui ont essayé de mettre en œuvre la Quatrième guerre mondiale. Eliot A. Cohen a officiellement écrit que les États-Unis menaient la Quatrième guerre mondiale. L’objectif principal était l’attaque de l’Iran et la destruction de l’Islam.
Hassan Abbasi fait référence à un article de Eliot A. Cohen, conseiller de Condolezza Rice de 2007 à 2009, et aujourd’hui professeur à la Paul H. Nitze School of Advanced International Studies de l’Université Johns-Hopkins, écrit dans le Washington Post le 20 novembre 2001 et intitulé « World War IV ».
La Quatrième guerre mondiale s’achève grâce à la voie montrée par la République islamique, et surtout grâce aux préceptes du Guide Suprême, qui était conscient de la nature de cette Quatrième guerre mondiale avant même qu’elle ne soit déclarée. Sa capacité à nous avertir témoigne de sa sagesse et de sa grâce particulière — qui est la grâce de Dieu.
En effet, les Américains ont dû fuir l’Afghanistan à l’été 2021. L’Irak, quant à lui, n’est plus américain, mais aux mains de Hachd al-Chaabi 4.
Nous annonçons aujourd’hui la fin de la Quatrième guerre mondiale, la fin de la recomposition politique du Grand Moyen-Orient, la fin de la guerre de religion. Un nouveau chapitre a commencé, que nous appelons la nouvelle guerre froide.
3 — La nouvelle guerre froide
Pour comprendre la configuration de la nouvelle guerre froide, nous avons représenté sur ce graphique l’OTAN mondiale en trois branches : l’OTAN arabe, l’OTAN européenne, l’OTAN orientale, face aux trois puissances régionales qui leur font face. Dans cinq ans, ce sera la feuille de route de tout le monde — pas seulement de l’Iran.
Si l’on voit poindre l’idéologie libérale-sioniste derrière le drapeau américain, on voit derrière les drapeaux de la Russie, de l’Iran et de la Chine respectivement l’Orthodoxie, l’Islam et le Social-confucianisme. Ces trois idéologies diffèrent de l’idéologie libérale.
Pendant la précédente Guerre froide, où se trouvait le lieu de tension maximale ? La ville de Berlin, entourée par son mur. Quand le mur de Berlin est tombé, la première Guerre froide s’est achevée.
Le thème de la nouvelle guerre froide, comme l’idée d’une alliance naturelle entre la Chine, la Russie et l’Iran, se situe dans la continuité de la politique étrangère de « regard vers l’Est », lancée par Mahmoud Ahmadinejad lors de sa présidence 5 et qui avait déjà fait son aggiornamento lors d’un Dialogue sur la Sécurité Régionale organisé en octobre 2018 à Téhéran, où il était question de « Regard vers l’Est 2.0 » 6.
Les trois Berlin de la nouvelle guerre froide
Dans cette nouvelle Guerre froide, il y a trois Berlin.
Le premier Berlin est l’Ukraine ; le deuxième Berlin est la Palestine ; et le troisième Berlin, Taïwan. Chacune des trois puissances, la Russie, la Chine et l’Iran, se trouve derrière un point de tension : la Russie derrière l’Ukraine ; la Chine derrière Taïwan ; la Révolution islamique et la République islamique derrière la Palestine.
Chaque Berlin pourrait représenter l’échec ou le succès de chacun de ces acteurs. Si la civilisation libérale se retire de l’Ukraine, c’est qu’elle y a échoué. Si la civilisation libérale se retire de Taïwan, c’est qu’elle y a échoué. Si la civilisation libérale se retire de la Palestine, c’est qu’elle y a échoué. Les défaites et les victoires de cette nouvelle Guerre froide se produiront sur ces trois champs de bataille.
Tous les événements qui se sont produits récemment sont résumés par ce schéma. Les évolutions et les mouvements stratégiques durent généralement au moins 25 ans et s’étalent souvent sur deux générations, c’est-à-dire 50 ans. Il est nécessaire de faire évoluer notre esprit stratégique pour quitter les concepts de la Quatrième guerre mondiale et embrasser les coordonnées de la nouvelle Guerre froide.
C’est un monde divisé en quatre pôles idéologiques, dans lesquels trois se trouvent face à un ennemi commun : la civilisation libérale.
La Trilatérale de la nouvelle guerre froide
Dans la précédente guerre froide, le Trilatéralisme se situait du côté de la civilisation occidentale, à travers l’alliance entre l’Amérique du Nord, l’Europe occidentale et le Japon. Dans la nouvelle guerre froide, le Trilatéralisme est apparu du côté opposé : les Russes orthodoxes, les Chinois confucéens sociaux et les Iraniens musulmans ont mis en place une nouvelle Trilatérale.
Je fais référence au concept de ce livre, The Trilateral Commission and Elite Planning for World Management.
Quiconque veut comprendre le système d’organisation du monde actuel doit s’approprier ce concept de Trilatérale. Le nouveau trilatéralisme unit la Chine, l’Iran et la Russie, qui ne sont pas unis par une idéologie, mais par leur appartenance commune au Pacte de Shanghaï et leur opposition à l’idéologie libérale.
La référence à la Commission Trilatérale est un topos du discours complotiste. Ici, elle semble d’autant moins justifiée que les « triptyques » opposés d’Abbasi n’ont pas grand chose à voir. Le vocable « trilatéralisme » est agité comme un slogan qui ne correspond à aucune réalité concrète, visant essentiellement à chercher à mettre l’Iran sur le même plan que la Chine ou la Russie — alors que le « Pacte de Shanghaï » (l’Organisation de Coopération de Shanghaï).
Les États-Unis sont contraints de défendre leurs alliés en Ukraine et leur bastion à Taïwan pour qu’il ne s’effondre pas. Ils doivent défendre leur position sur le front intermédiaire à Gaza pour que le régime sioniste ne s’effondre pas et ne soit pas contraint de se retirer de Palestine.
La civilisation libérale, en somme, a constitué au cours des ces dernières années trois fronts, trois Berlin — où se jouera l’avenir du monde.
Sources
- L’idée d’un « triple axe » Iran, Chine, Russie, est étudié dans le livre d’Ariane Tabatabai et Dina Esfandiary, Triple Axis : Iran’s Relations With Russia and China, 2018, I.B. Tauris.
- « Kétâb-é DoMaranche va mâdjérâï az esrâ-yé Irâni » (« Le livre de De Maranches et la peur des prisonniers Iraniens », 29 juillet 2015, accessible en ligne.
- Chef du Parti démocratique du Kurdistan depuis 1979, Président du gouvernement régional du Kurdistan (2005-2017).
- « Unités de mobilisation populaire », coalition paramilitaire de milices en majorité chiites en Irak.
- Institute for Strategic Research, « Siyâsat-é négâh bé sharq va irân » (« La politique de regard vers l’Est et l’Iran »), 17 âbân 1395 (16 août 2016).
- Al-Monitor, « Iran’s launch of ‘Look East 2.0’ », Hamidreza Azizi, 9 octobre 2018.