Votre travail sur la Compagnie britannique des Indes Orientales s’est étendu sur deux décennies — de White Mughals (2002) à The Anarchy (2019), vous avez consacré quatre livres à cette question, tous réunis dans le Company Quartet. Vous avez constamment exploré le rôle de la Compagnie dans la formation de l’histoire indienne. Qu’est-ce qui a motive cet intérêt constant pour la Compagnie, et comment votre compréhension de son impact a-t-elle évolué au cours de ces travaux ?

Lorsque vous voyez ces livres désormais présentés dans une seule et même reliure, disponibles dans les librairies sous le nom de Company Quartet, c’est comme si vous assistiez à un plan brillamment exécuté il y a deux décennies, et qui aurait été réalisé sans faille sur une longue période. En réalité, c’est une idée que mon éditeur a eue après la publication du quatrième livre — The Anarchy. Le projet initial sur lequel j’avais initialement donné mon accord était légèrement différent. Il était censé plonger davantage dans les racines de l’histoire des Moghols  plutôt que de se concentrer exclusivement sur l’histoire de la Compagnie britannique des Indes Orientales.

Heureusement, j’ai eu le privilège d’avoir des éditeurs incroyablement encourageants et coopératifs qui m’ont permis de suivre le fil changeant de mes centres d’intérêts. Avec le temps, je me suis de plus en plus passionné pour la Compagnie des Indes Orientales — une entité corporative singulière possédant à la fois une armée et un empire. C’est tout à la fois fascinant et terrifiant de voir comment elle représente un sombre exemple de la mesure dans laquelle une entreprise peut exercer le pouvoir. Parallèlement, j’ai été profondément intrigué par le concept plus large du colonialisme et de ses implications complexes.

Contrairement à des sujets qui peuvent perdre de leur pertinence avec le temps, l’importance de la Compagnie des Indes Orientales n’a cessé de se renforcer au fil des ans.

William Dalrymple

Au Royaume-Uni, nous avons traversé un processus unique : il a fallu près de 70 ans à la population britannique pour vraiment commencer à saisir les conséquences de sa politique coloniale sur le reste du monde. D’une certaine manière, cela a été plus facile pour des pays comme l’Allemagne, qui ont connu la défaite puis ont entamé une introspection après la fin du nazisme et de la Seconde Guerre mondiale. Mais en tant que vainqueurs, les Britanniques n’ont jamais entrepris un tel examen de conscience. Ce n’est que maintenant, avec l’émergence d’une nouvelle génération de Britanniques d’origine indienne, que nous commençons à voir le monde sous cette perspective nouvelle. 

En vivant en Inde, où je passe l’essentiel de ma vie, j’ai ressenti ce que pouvait signifier d’être britannique sous un angle nouveau. Contrairement à d’autres puissances coloniales qui ont connu des conflits intenses, la Grande-Bretagne n’a pas connu d’équivalent à la guerre d’Algérie. Il n’y a pas eu d’affrontement décisif lors de la fin de l’Inde britannique en 1947. Les chiffres sont même sidérants : alors que 1,5 million de personnes sont mortes lors de la partition, 16 d’entre elles seulement étaient britanniques. Aveugles à ce traumatisme final, les Britanniques n’ont jamais véritablement entamé un processus d’introspection approfondi.

De plus, dans les années 1970, lorsque le Royaume-Uni a rejoint l’Union européenne, le débat public s’est déplacé loin de l’histoire coloniale. Des émissions humoristiques de cette époque, comme Monty Python, représentaient les discussions sur l’empire de manière légère, se moquant souvent du sujet — ou tournant en dérision les nostalgiques de l’époque coloniale. Bien que ces émissions aient été divertissantes, elles n’ont pas réussi à saisir pleinement la gravité du colonialisme — les massacres, les expropriations et l’oppression. C’était presque traité comme une plaisanterie pompeuse, qui faisait abstraction de l’immense violence de la période. 

Au cours des deux dernières décennies, il y a eu un regain d’intérêt pour l’histoire coloniale, accompagné d’une prise de conscience accrue du pouvoir exercé par les multinationales. Le paysage technologique a radicalement changé ; des plateformes comme Google, Facebook et Twitter, qui n’existaient pas — ou à peine — il y a vingt ans, sont devenues des géants mondiaux. Ce contexte nouveau rend d’autant plus urgente l’étude des premières multinationales. La Compagnie britannique des Indes Orientales en est un exemple frappant. C’était une entité colossale possédant deux fois plus de troupes que l’armée britannique en 1799, à son apogée.

Alors que 1,5 million de personnes sont mortes lors de la partition, 16 d’entre elles seulement étaient britanniques. Aveugles à ce traumatisme final, les Britanniques n’ont jamais véritablement entamé un processus d’introspection approfondi.

William Dalrymple

C’est une bête singulière dans l’histoire. Si les premières sociétés par actions comme la Compagnie de Moscovie ou l’horrible Compagnie Royale Africaine, responsable de la majeure partie de la traite des esclaves dans le premier Empire britannique, furent importantes, aucune n’a atteint l’échelle de la Compagnie britannique des Indes Orientales. Son influence s’étendait sur de vastes régions, faisant d’elle la maîtresse de territoires significatifs en Inde dès les années 1780. De plus, elle a construit une toile commerciale sophistiquée, orchestrant le commerce d’opium indien vendu clandestinement en Chine. Les profits issus de ce commerce lui permettaient d’acquérir le précieux thé chinois, destiné aux rivages de l’Inde, de l’Europe et de l’Amérique. Ce thé, symbole de ces échanges, fut jeté avec dédain dans le port de Boston à l’aube de la Révolution américaine. Cette multinationale possédait des tentacules qui s’étendaient sur tous les continents, exerçant un contrôle et influençant des États en Inde, en Chine, et au-delà.

Au cours des deux dernières décennies, la signification historique de la Compagnie est devenue centrale dans la réflexion historique. Je ne pouvais m’attendre à une pareille évolution il y a vingt ans, mais cela a été fascinant à observer. Contrairement à des sujets qui peuvent perdre de leur pertinence avec le temps, l’importance de la Compagnie des Indes Orientales n’a cessé de se renforcer au fil des ans.

Dans votre conclusion de The Anarchy, vous écrivez que la Compagnie des Indes Orientales est l’un des avertissements les plus impressionnants qu’offre l’histoire sur le potentiel abus du pouvoir par les entreprises et sur la manière dont les intérêts des actionnaires peuvent se confondre avec ceux de l’État. Existe-t-il des équivalents contemporains, aux États-Unis ou ailleurs ?

L’histoire possède un rythme unique qui ne se répète pas de manière identique. Comme le disait si bien Mark Twain : « L’histoire rime, mais elle ne fait jamais d’écho ». Le paysage contemporain est radicalement différent et bien que des figures comme Bill Gates et Elon Musk aient une influence considérable, ils ne contrôlent pas de sous-marins nucléaires, ni même de régiments d’infanterie — comme ce fut le cas de la Compagnie des Indes Orientales.

Narendra Modi pendant l’inauguration de Kashi Vishwanath Dham Corridor, une promenade qui relie le Gange sacré au temple séculaire dédié à Shiva à Varanasi, en Inde, le 13 décembre 2021. © Rajesh Kumar Singh/AP/SIPA

Dans le domaine des multinationales contemporaines, il n’existe pas d’entités qui détiennent des armées capables d’engager de véritables opérations de conquête territoriale. Depuis 1945, certaines entreprises, comme la United Fruit Company, la Anglo-Persian Company en Iran ou encore ITT dans le cas du Chili, ont pu jouer un rôle considérable dans la décision de déstabiliser des gouvernements étrangers ; mais il ne s’agit pas du même type de pouvoir.

Cela dit, les multinationales contemporaines exercent un pouvoir différent aujourd’hui. Plutôt que la puissance militaire, leur influence réside dans leur capacité à mener à bien des stratégies complexes d’évasion fiscale, qui leur permettent de contourner l’impôt dans les États où, pourtant, elles opèrent. Par le biais de paradis fiscaux ou en exploitant des lois fiscales comme celles offertes par des pays qui cherchent à jouer de la concurrence fiscale, elles échappent aux niveaux attendus de taxation. Cette forme unique de pouvoir leur permet d’opérer tout en minimisant leurs obligations.

Par ailleurs, les dynamiques de pouvoir contemporaines tournent autour du contrôle des données. La collecte d’informations via nos téléphones permet aux entreprises de prédire nos comportements, nos préférences et même nos inclinations intimes. Cette puissance basée sur les données se distingue de la puissance militaire traditionnelle elle mais n’en est pas moins remarquable ou menaçante. Alors que nous nous aventurons davantage dans l’ère de l’Intelligence artificielle, la trajectoire potentielle de ce pouvoir reste incertaine.

Bien que des figures comme Bill Gates et Elon Musk aient une influence considérable, ils ne contrôlent pas de sous-marins nucléaires, ni même de régiments d’infanterie — comme ce fut le cas de la Compagnie des Indes Orientales.

William Dalrymple

Le travail de Shoshana Zuboff, dans Surveillance Capitalism (2019), offre une perspective stimulante sur le pouvoir extraordinaire exercé par les entreprises technologiques. Bien qu’il ne soit pas directement comparable à la puissance militaire et coloniale de la Compagnie des Indes Orientales, ce nouveau type de pouvoir a un poids énorme. Il est analogue dans sa capacité à façonner et influencer la société, bien que par des moyens différents. Cette transformation des dynamiques de pouvoir suggère que si les formes de pouvoir ont évolué, la préoccupation sous-jacente soulevée par la question d’une influence dénuée de tout contrôle des grandes entreprises demeure un sujet central du discours contemporain.

À la lumière de vos recherches sur la Compagnie britannique des Indes Orientales, pensez-vous que l’héritage et les conséquences de cette entreprise coloniale continuent de se manifester dans l’Inde d’aujourd’hui ?

Les héritages persistants de la Compagnie des Indes Orientales sont incontestables, exerçant leur influence sur l’Inde contemporaine de multiples façons : les empreintes de cette entreprise coloniale perdurent et résonnent encore aujourd’hui.

Prenons les institutions qui constituent aujourd’hui la charpente de l’Inde. Bon nombre d’entre elles ont été établies pour la première fois par la Compagnie britannique des Indes Orientales. L’armée indienne en est un parfait exemple : de nombreux régiments remontent à l’époque de la Compagnie, notamment les Skinner’s Horse et Gardner’s Horse. Fondés à l’origine par la Compagnie, ces régiments restent parmi les plus prestigieux de l’armée moderne. Ce lien direct rattache le passé au présent, soulignant certains effets de continuité, par-delà les ruptures qui ont marqué l’histoire de l’Inde depuis la fin du XVIe siècle. 

L’héritage de la Compagnie ne se réduit pas à une simple note en bas de page de l’histoire ; il constitue un fil vivant tissé dans la trame de la société indienne contemporaine.

William Dalrymple

De plus, l’influence de la Compagnie des Indes Orientales s’étend à divers secteurs, incluant le système judiciaire, les institutions éducatives, la police, et bien d’autres. Les bases posées par la Compagnie ont été intégrées avec fluidité dans l’Inde moderne, façonnant son paysage institutionnel. L’héritage de la Compagnie ne se réduit pas à une simple note en bas de page de l’histoire ; il constitue un fil vivant tissé dans la trame de la société indienne contemporaine.

Mais son influence ne se limite pas uniquement aux institutions formelles. Elle se reflète également dans les attitudes et comportements qui imprègnent la société. La façon dont les fonctionnaires et les policiers interagissent avec les citoyens porte en elle les échos du passé. Il y a, par moments, une nuance indéniable de mépris lorsqu’on interagit avec des fonctionnaires ou des membres des forces de l’ordre. Cette attitude, souvent remarquée lors des déplacements en Inde, peut être perçue comme un vestige de la période coloniale, voire directement de la Compagnie britannique des Indes Orientales dans ses rapports avec les populations locales.

En somme, l’héritage de la Compagnie des Indes Orientales demeure étroitement lié à l’Inde contemporaine, se faisant l’écho à travers le temps dans les institutions, comportements et dynamiques sociétales. Cet impact durable témoigne des effets profonds et vastes que les entreprises coloniales peuvent avoir sur la trajectoire d’une nation.

Qu’en est-il du Royaume-Uni ? Quel héritage la Compagnie y a-t-elle laissé ? 

La relation du Royaume-Uni avec l’héritage de la Compagnie est façonnée par les évolutions de la conscience historique britannique. Au départ, l’influence de la Compagnie s’était estompée, mais un regain d’intérêt récent a radicalement modifié cette perspective. Cette année, une multitude d’ouvrages consacrés à la Compagnie et à l’Empire britannique vont être publiés, comme un signe d’une redécouverte qui s’apparente aussi à un examen historique. 

Pendant longtemps, les romans, les films et la télévision britanniques ont présenté le Raj comme une époque élégante au charme pittoresque, faite de costumes impeccablement taillés, de parasols, et de pelouses soignées. Les films de Merchant-Ivory étaient un exemple de cette esthétique, cultivant une vision d’ordre et de raffinement, qui déplaçait en Inde l’imaginaire fantasmé d’une Grande-Bretagne immémoriale et idyllique.

Son héritage est néanmoins beaucoup plus ambivalent. Il est clair que la Compagnie, en tant que précurseur des multinationales, maîtrisait l’art d’influencer la politique en usant de sa puissance financière pour orienter la législation, obtenir des alliés politiques et décrocher des honneurs et des postes, jusqu’à la Chambre des Lords. Cette pratique, issue du XVIIIe siècle, perdure encore, sous une forme distinctive, au sein de la société britannique contemporaine.

Pendant longtemps, les romans, les films et la télévision britanniques ont présenté le Raj comme une époque élégante au charme pittoresque, faite de costumes impeccablement taillés, de parasols, et de pelouses soignées. 

William Dalrymple

Bien que la Compagnie des Indes Orientales soit un vestige du passé, des traces de son influence subsistent. Étonnamment, le Foreign Office utilise encore aujourd’hui du mobilier arborant l’emblème de la Compagnie pour des réunions officielles. Cette connexion tangible avec l’histoire est palpable ; chaises et portraits incarnent cet effet de continuité à travers les siècles. Par ailleurs, en parcourant les couloirs du Foreign Office, on est accueilli par une série de portraits représentant d’importantes figures de la Compagnie, telles que Richard Wellesley ou Robert Clive. La présence de ce dernier est particulièrement marquée, avec quatre images distinctes stratégiquement disposées dans l’édifice du ministère. Le symbolisme ancré dans ces objets souligne la rencontre entre histoire et diplomatie contemporaine.

Plus tôt, vous avez mentionné d’autres compagnies, aucune n’étant aussi prospère que la Compagnie des Indes Orientales. Comment expliquez-vous ce succès ?

L’ascension de la Compagnie des Indes Orientales repose sur une multitude de facteurs et à la convergence d’avantages stratégiques qui ont préparé le terrain pour son succès exceptionnel.

Le premier de ces avantages fut la manière habile dont la Compagnie a profité du déclin de l’Empire moghol. Ce déclin a créé un vide de pouvoir que la Compagnie s’est empressée de combler. Étonnamment, les forces de la Compagnie coïncidaient parfaitement avec les vulnérabilités des États qui ont succédé aux Moghols. Si les Britanniques n’étaient pas nécessairement bien accueillis, leur fiabilité et leur discipline budgétaire jouaient en leur faveur. Les banquiers et financiers indiens, même s’ils n’appréciaient pas particulièrement les Britanniques, reconnaissaient la capacité de la Compagnie à remplir ses obligations financières à temps. Cette approche pragmatique a été essentielle pour obtenir le soutien de ces bailleurs de fonds.

Contrairement au paysage tumultueux de l’époque, la Compagnie des Indes Orientales incarnait une modernité et une efficacité professionnelle. À l’opposé des risques et incertitudes liés aux cours indigènes, elle fonctionnait comme une entreprise contemporaine. Les transactions financières étaient menées en toute transparence, avec des comptables et des mécanismes de remboursement bien organisés. Cette habileté commerciale les distinguait et créait un sentiment de confiance chez leurs partenaires.

Ce qui est également remarquable, c’est que l’ascension de la Compagnie des Indes Orientales a été orchestrée par une poignée de fonctionnaires et de militaires, qui ont judicieusement recruté des mercenaires indiens. Cette stratégie a contribué au succès exceptionnel de la Compagnie, puisqu’une écrasante majorité de son armée était composée de forces indiennes (près de 95 %). Mais cette dépendance envers les soldats indiens a joué un rôle déterminant dans le déclin de la Compagnie, et son importance a été mise en évidence par la révolte des Cipayes — qui partit d’une mutinerie des troupes de la Compagnie — 1857, qui a failli la renverser.

La gestion efficace de la Compagnie s’étendait également à ses transactions financières. Emprunter de l’argent à des prêteurs indiens, qui adoptaient une approche comptable, était crucial. Ces prêteurs comprenaient que malgré leurs différences culturelles et leurs réserves à l’égard des Britanniques, ceux-ci avaient un modèle fiable qui garantiraient leurs fonds. Les Britanniques n’étaient peut-être pas appréciés ou pleinement compris, mais ils étaient dignes de confiance lorsqu’il s’agissait de leurs obligations financières. Cette position pragmatique a conduit à des partenariats financiers durables.

Cette dépendance envers les soldats indiens a joué un rôle déterminant dans le déclin de la Compagnie, et son importance a été mise en évidence par la révolte des Cipayes.

William Dalrymple

Dans des endroits comme Calcutta, les dynamiques étaient similaires à celles des paradis fiscaux contemporains tels que Dubaï ou Singapour. Il était possible d’accumuler des richesses sans subir le fardeau d’une fiscalité lourde. Pour les prêteurs indiens, habitués à traiter avec des dirigeants locaux souvent très prédateurs économiquement, les Britanniques offraient un environnement économique plus favorable où une grande partie de leurs gains demeurait intacte. Des familles comme les Marwaris, qui soutenaient les Britanniques, ont prospéré dans ce contexte, et leur héritage est encore palpable à ce jour.

Aujourd’hui, dans le nord de Calcutta, les demeures de ces familles témoignent d’ailleurs de l’héritage durable de leurs décisions stratégiques. Bien que leurs résidences principales aient souvent été déplacées vers des métropoles modernes, les vieux manoirs demeurent comme un hommage au succès pérenne de ceux qui avaient eu le pragmatisme de soutenir les Britanniques.

En fin de compte, le succès de la Compagnie résidait donc dans sa capacité à alterner entre la force et la ruse ?

Absolument, la démarche de la Compagnie était duale, alliant finement l’habileté comptable et une violence extrême. Cette dichotomie a façonné la trajectoire de la Compagnie et, après elle, celle de l’Empire britannique : une maîtrise des stratégies militaires, notamment influencée par la réflexion de Frédéric le Grand sur l’armement et la tactique, couplée à une aptitude pour la manœuvre financière, grâce à leur adoption des méthodes néerlandaises de gestion des marchés monétaires et de création de bourses.

La démarche de la Compagnie était duale, alliant finement l’habileté comptable et une violence extrême. 

William Dalrymple

Il est à noter que les Britanniques ont imposé un concept novateur — la société par actions — qui demeure essentiel dans le paysage entrepreneurial moderne. Bien que des échos de structures similaires puissent être trouvés dans les guildes et diverses confréries arabes, la forme innovante de la société par actions, d’abord développée par la Compagnie de Moscovie en 1585, constituait une véritable révolution. Ce concept ingénieux a permis à des entreprises prospères d’obtenir un soutien financier conséquent, ouvrant effectivement les portes à un financement presque illimité.

La force des Britanniques résidait dans leur capacité à fusionner sans heurts ces éléments apparemment disparates.

Vous remettez en question des travaux récents qui nuancent la vision du XVIIIe siècle indien comme une période de tumulte social et politique. Vous écrivez notamment que le révisionnisme historique serait allé trop loin. Qu’est-ce qui vous a conduit à adopter cette position alternative ?

Pendant longtemps, la vision d’un XVIIIe siècle anarchique a prévalu, d’autant qu’il était décrit ainsi dans les sources anglaises et persanes. Cependant, les années 1980 ont introduit une perspective nouvelle, dans laquelle l’émergence des États successeurs (des Moghols) est perçue comme un terrain propice à l’avènement du capitalisme. Or, ma perspective s’écarte de cette vision, avancée par exemple par Christopher Bayly.

Des prêtres hindous prient sur le Gange après l’inauguration du corridor Kashi Vishwanath Dham, une promenade qui relie le Gange sacré au temple séculaire dédié à Shiva à Varanasi, le 13 décembre 2021. © Rajesh Kumar Singh/AP/SIPA

Il est pour moi évident que de vastes étendues du Centre et du Nord de l’Inde étaient dans un état d’anarchie totale. Ce sont des régions où les marchands n’osaient pas s’aventurer sans des escortes militaires redoutables, voire de véritables armées. La vérité est que d’importantes portions du pays étaient essentiellement inaccessibles au commerce et au développement. Les villes jadis glorieuses de Delhi et d’Agra furent en ruines pendant une grande partie du XVIIIe siècle.

Je propose une perspective nuancée. Pour moi, il est tout à fait plausible que ces deux réalités — l’anarchie et l’émergence d’un capitalisme prospère — aient pu coexister. Imaginez une anarchie régnant dans les cœurs historiques comme Delhi, tout en assistant simultanément à l’émergence d’institutions capitalistes et de centres bancaires dans des endroits comme Bana. Il s’agit de deux récits parallèles qui, loin d’être contradictoires, se croisent et s’entremêlent.

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Votre plume est très vivante. Vous dressez par exemple des portraits saisissants de vos protagonistes. Comment naviguez-vous entre la précision historique et une forme de panache narratif lors de la reconstitution de la vie et des motivations de ces individus ?

Tout d’abord, je veux souligner que mes livres reposent sur une recherche rigoureuse. Il n’y a pas de place pour les embellissements fictifs ou les libertés créatives. Si je dis que le soleil brillait un jour particulier de l’histoire, c’est que j’ai une source qui le confirme. Cette recherche méticuleuse est la raison pour laquelle vous trouverez environ 120 pages de notes en bas de page dans The Anarchy. Chaque affirmation est étayée, chaque détail appuyé.

Si je prends le début de White Mughals, je plonge dans un rapport extraordinaire où des officiels britanniques interrogent William Kirkpatrick (1754-1812) sur sa vie personnelle. Cette source, qui s’étend sur plusieurs pages et ressemble à des interrogatoires policiers modernes, permet de saisir la dimension humaine de ce moment historique. C’est comme entrer dans une conversation passée et la vivre en direct.

Ce qui est réellement remarquable, c’est l’abondance des archives qu’offre le XVIIIe siècle. Les gens de cette époque ont documenté chaque recoin de leur existence, préservant lettres, journaux intimes et mémoires. Ce trésor permet une représentation multiple de l’époque. Un autre élément clef qui a enrichi mon travail est l’inclusion de sources persanes jusqu’alors inexplorées. Ces traductions, réalisées par Bruce Wannell, mon traducteur et ami qui a disparu juste avant la parution de The Anarchy, ont dévoilé des récits qui n’avaient jamais été mis au jour. Ces sources, combinées à l’exceptionnelle aisance et rigueur académique de Bruce, ont insufflé une vie incroyable à ce récit.

Si je dis que le soleil brillait un jour particulier de l’histoire, c’est que j’ai une source qui le confirme.

William Dalrymple

Bruce, qui était à la fois traducteur et véritable érudit, a joué un rôle essentiel dans ce travail de recherche et de critique documentaire. Il avait une capacité unique à plonger dans les textes persans et à en tirer une prose magnifique et élaborée. Ses commentaires méticuleux en marge de mes premiers brouillons garantissaient aussi que le récit reste fidèle à nos sources. Il me manque terriblement aujourd’hui.

Dans The Anarchy, comme dans plusieurs de vos articles, vous soulignez que l’Empire, en tant que phénomène politique et géopolitique, est une constante, une permanence. Comment percevez-vous l’évolution de ce phénomène dans le contexte actuel ? Où sont les empires d’aujourd’hui ? Et sont-ils différents des empires du passé ?

Bien que chaque empire ait ses propres caractéristiques, le fil conducteur est l’ambition des puissances dominantes d’étendre leur emprise sur des territoires plus faibles, d’extraire des ressources, de la main-d’œuvre et des services. Je ne pense pas que cette impulsion disparaisse un jour. 

L’évolution de l’Empire à notre époque révèle un éventail de continuités et d’adaptations. Prenons la Chine, par exemple, qui n’est pas une puissance que l’on associe aux empires traditionnels. Pourtant, à y regarder de plus près, elle incarne l’essence même de l’empire. L’influence de la Chine sur des régions comme le Tibet et le Xinjiang rappelle les entreprises coloniales du passé, fondées sur une centralisation de la gouvernance, l’extraction des ressources et l’exploitation de la main-d’œuvre. Les échos avec le passé sont indéniables, et dans certains cas, étonnamment amplifiés. Observer les Chinois au Xinjiang, c’est comme si nous pouvions observer les Britanniques au Bengale au XVIIIe siècle. 

Et puis, il y a l’Empire américain — une autre bête étrange. How to Hide an Empire : A Short History of the Greater United States, de Daniel Immerwahr, capture parfaitement sa complexité. C’est une exploration fascinante des subtilités qui définissent ce colosse.

L’influence de la Chine sur des régions comme le Tibet et le Xinjiang rappelle les entreprises coloniales du passé, fondées sur une centralisation de la gouvernance, l’extraction des ressources et l’exploitation de la main-d’œuvre.

William Dalrymple

Vous êtes un historien de l’Inde, qui vit en Inde. Dans un article de 2014 pour The New Statesman, juste avant l’élection de Modi, vous aviez rappelé son rôle dans le massacre du Gujarat en 2002 et vous avez repris les critiques qui le voyaient comme un néo-fasciste ou un « Poutine indien ». Après presque dix ans, le « modisme » a-t-il dépassé vos pires attentes ?

Si vous m’aviez posé la question il y a cinq ans, j’aurais peut-être remis en question mon analyse initiale. Durant ses cinq premières années, il y avait une certaine modération, peu différente des coalitions précédentes. Mais avec le début de son second mandat il y a quatre ans, une transformation radicale s’est produite. Cette période a vu l’émergence de politiques beaucoup plus extrêmes concernant les musulmans, la gestion du Cachemire, les ambitions géopolitiques de l’Inde, et la promotion du concept de « Grande Inde ». Cette idée a même trouvé sa place sur la carte qui s’affiche au Parlement indien et qui englobe dans l’Inde des pays comme le Pakistan, le Bangladesh, le Népal et le Bhoutan.

Ce que je n’avais pas anticipé lorsque j’ai écrit cet article, c’est l’efficacité remarquable de ce gouvernement sur plusieurs plans. Économiquement, la croissance de l’Inde a bondi à un impressionnant 7,5 %, faisant d’elle l’économie majeure à la croissance la plus rapide au monde, dépassant même la Chine. Cependant, cette efficacité ne s’est pas limitée aux affaires économiques. Elle s’est aussi étendue à la suppression de la liberté de la presse, à la limitation de la liberté académique, ou à la répression de l’opposition. Une forme extrême d’islamophobie hindoue associée à un nationalisme violent a gagné du terrain, bien au-delà de ce que j’aurais pu imaginer. Cette idéologie a gagné en popularité, notamment dans le Nord.

Une forme extrême d’islamophobie hindoue associée à un nationalisme violent a gagné du terrain, bien au-delà de ce que j’aurais pu imaginer. Cette idéologie a gagné en popularité, notamment dans le Nord.

William Dalrymple

Au cœur de tout cela se trouve l’efficacité de l’administration Modi, qui a quelque chose de bismarckien. La façon dont ils ont réussi à faire taire les voix d’opposition, à réduire au silence le monde universitaire, et à contrôler la dissidence est véritablement troublante. Ce contrôle est exercé avec une efficacité qui va au-delà de ce que l’on pourrait attendre normalement dirigeant indien. J’avoue que j’avais sous-estimé les capacités de Modi. 

Mais si cette efficacité a contribué au renforcement économique de l’Inde, elle a un coût terrible. Le mandat de Modi a été préjudiciable aux droits de l’Homme, à la liberté politique et à la liberté d’expression. Même moi, j’ai en partie choisi de m’autocensurer. J’évite par exemple d’exprimer de telles opinions sur des plateformes comme X…

Diriez-vous que, à l’instar de Poutine et Erdogan, Modi utilise l’histoire pour servir son agenda nationaliste hindou ? Si oui, quelle est sa version de l’histoire ?

Il existe une différence notable en matière de sophistication historique entre eux. L’approche de Poutine consiste à se plonger dans les livres d’histoire sur des personnages tels que Catherine la Grande et Ivan le Terrible. Sa lecture de l’histoire se reflète dans ses manœuvres stratégiques (ce qui ne signifie pas qu’il la comprenne réellement). La direction du BJP ne possède pas de profondeur historique comparable : il ne se soucie pas vraiment de lire de l’histoire. Cette absence de sophistication historique est particulièrement évidente dans l’approche de Modi.

Tandis que Poutine fouille minutieusement le passé, l’utilisation de l’histoire par Modi est plus simpliste. Sa version de l’histoire tourne autour d’une vision assez fruste d’un passé hindou glorieux. Ce récit remonte à l’Antiquité, célébrant la magnificence, la culture et la splendeur de l’Inde ancienne. Pour Modi, son effondrement est attribuable à divers facteurs historiques, tels que les invasions islamiques et le colonialisme, pour avoir prétendument érodé la grandeur de l’Inde. L’essence du récit historique de Modi se concentre souvent sur les torts qui auraient été infligés à l’Inde par les musulmans et les Britanniques. Ses discours mettent fréquemment l’accent sur ces deux points, trouvant un fort écho chez ses partisans.

Tandis que Poutine fouille minutieusement le passé, l’utilisation de l’histoire par Modi est plus simpliste. Lors de l’inauguration d’un hôpital, il a évoqué Ganesh, le dieu à tête d’éléphant, comme un exemple de la chirurgie plastique ancienne — au grand embarras du public.

William Dalrymple

Par ailleurs, il peut lui arriver de faire un usage étrange des références historiques ou mythologiques. Par exemple, lors de l’inauguration d’un hôpital, il a évoqué Ganesh, le dieu à tête d’éléphant, comme un exemple de la chirurgie plastique ancienne — au grand embarras du public. 

Lors d’une interview avec The National en janvier dernier, vous disiez penser que le « pic d’hypernationalisme » était en passe de décliner en Inde. Pourquoi avez-vous cette impression ? Quelle latitude les régions ont-elles pour contrer le pouvoir central ?

Récemment, des élections partielles au Karnataka, un centre névralgique du secteur technologique indien, ont vu le parti du Congrès prendre l’avantage, défiant donc le BJP. Bien que ce soit une élection isolée, cela pourrait indiquer le début d’une tendance plus large dans le Sud, où le nationalisme hindou de droite rencontre une certaine résistance.

Cette distinction régionale est particulièrement visible dans des États comme le Kerala et le Tamil Nadu, qui ont été moins enclins à adhérer au discours nationaliste hindou que le Nord. Ceci dit, le Nord possède un poids électoral majeur du fait de sa densité de population, notamment dans des États comme l’Uttar Pradesh, où la popularité de Modi reste très élevée, atteignant parfois 80 %.

L’attrait de Modi, renforcé notamment par son discours et ses actes antimusulmans, a encore renforcé sa popularité. De plus, son discours sur la renaissance de l’Inde est renforcé par des succès tels que le récent lancement de la fusée Chandrayaan vers la Lune. De surcroît, la position de l’Inde en tant que puissance mondiale émergente est mise en avant. Le pays a déjà dépassé le Royaume-Uni, ce qui a été célébré. Désormais, l’ambition assumée est de surclasser l’Allemagne et le Japon dans la prochaine décennie.

Malgré l’opposition de certaines régions, l’influence de Modi demeure imposante, véhiculant une vision du renforcement de l’Inde qui trouve un profond écho. Les espoirs de l’opposition résident dans la résistance de certaines régions, notamment le Sud, où un contre-discours pourrait s’enraciner. À terme, l’objectif est d’unifier les forces de l’opposition pour façonner un paysage politique plus inclusif. Du reste, les partis d’opposition ont déjà cessé de s’affronter dans des luttes stériles.

L’Inde a déjà dépassé le Royaume-Uni, ce qui a été célébré. Désormais, l’ambition assumée est de surclasser l’Allemagne et le Japon dans la prochaine décennie.

William Dalrymple

Bien que le Sud puisse constituer un contrepoids à l’hypernationalisme, il faut admettre que l’attrait du nationalisme de Modi est prépondérant dans le paysage politique actuel. Personnellement, je suis convaincu qu’il va remporter les prochaines élections.

Le 26 février 2020, un groupe de musulmans se presse à l’arrière d’un mini-camion et quitte la zone avec ses affaires après les violences communautaires de mardi à New Delhi, en Inde. © Rajesh Kumar Singh/AP/SIPA

Vous avez passé votre vie à contrer les mythes anglocentrés. En quoi sont-ils différents des récits indocentrés ? 

C’est un sujet que j’aborde intensément en ce moment, car le livre que j’écris actuellement porte sur l’expansion des idées indiennes durant les premiers siècles du premier millénaire de notre ère. Je pense que ce sujet pourrait particulièrement intéresser les admirateurs de Modi. Cela crée un contraste intéressant. D’une part, cela trouve un écho auprès des personnes qui apprécient les idéologies de Modi, s’alignant sur certaines perspectives centrées sur l’hindouisme. Mais d’autre part, je souligne aussi que le nationalisme hindou rencontre une forte résistance dans les universités d’Asie du Sud-Est aujourd’hui.

Le bouddhisme, religion typiquement indienne, a parcouru l’Asie, imposant des concepts indiens sur son passage. Si l’Inde n’a pas conquis militairement l’Asie du Sud-Est, la région a néanmoins absorbé volontairement des notions indiennes, comme la cosmologie, l’astronomie, etc. L’influence était profonde, entraînant l’adoption d’idées indiennes au Cambodge, au Vietnam, en Thaïlande et en Birmanie. Ce lien dynamique tranche néanmoins avec l’idée d’une conquête coloniale indienne dans la région, qui mériterait une qualification soignée.

Dans mon prochain livre, je remets aussi en question des perceptions sino-centrées qui se sont largement diffusées en Occident. Par exemple, je remets en question l’importance de la Route de la Soie, en suggérant qu’elle n’avait jamais été que temporaire. À l’inverse, j’affirme que l’Inde a joué un rôle plus central dans le lien entre l’Ouest et l’Est, avec des preuves qui montrent d’importantes interactions commerciales. De manière remarquable, des éléments suggèrent qu’une partie importante du budget militaire romain dérivait des droits de douane sur les importations en provenance de l’Inde, comme l’ivoire et la soie. Des navires parcouraient régulièrement les mers entre l’Inde et le Kerala, favorisant un commerce qui liait des régions diverses.

Personnellement, vous avez été la cible de nationalistes hindous, comme lors de la controverse qui a suivi l’annonce de la publication de Delhi Riots 2020 : The Untold Story 1. D’autres fois, on vous a comparé aux colonisateurs sur lesquels vous avez travaillé pendant des décennies. Est-il très difficile pour un étranger de travailler sur l’histoire indienne aujourd’hui ?

Travailler sur l’histoire indienne en tant qu’universitaire étranger vous expose à ce genre d’accusations aujourd’hui. Cet incident a mis en lumière la complexité de mon rôle en Inde, en particulier mon implication dans le Festival de littérature de Jaipur, que j’ai co-fondé et que je co-dirige toujours. Cela a suscité des accusations et soulevé des questions sur ma position. On m’accuse notamment de fermer le festival aux auteurs indiens… 

Il y a toujours des défis lorsque l’on travaille à l’étranger, en particulier dans un pays avec une histoire aussi riche et complexe que celle de l’Inde. 

William Dalrymple

Pourtant, malgré ces défis, l’Inde m’a accueilli chaleureusement pendant plus de trois décennies. C’est là où mes livres trouvent leur plus grand lectorat et où mon podcast « The History of India » est le plus populaire. J’ai également le privilège de collaborer avec certains des meilleurs universitaires indiens. Ces interactions ont enrichi ma compréhension et m’ont permis d’approfondir mon engagement envers le pays.

La clef, je pense, est la sincérité. La passion pour le sujet est primordiale. Ma fascination pour l’Inde est sincère et découle d’une curiosité académique réelle. Bien sûr, il y a toujours des défis lorsque l’on travaille à l’étranger, en particulier dans un pays avec une histoire aussi riche et complexe que celle de l’Inde. Cependant, ces défis sont également ce qui rend le travail si gratifiant.

L’Inde contemporaine se trouve à un carrefour. Elle affronte des défis à la fois intérieurs et extérieurs. Son rôle sur la scène mondiale ne cesse de croître, et avec lui, la nécessité de comprendre son histoire et sa culture. Dans ce contexte, il me semble que les contributions d’historiens étrangers sont d’autant plus précieuses.

Sources
  1. Delhi Riots 2020 : The Untold Story, paru en 2020, prétendait dévoiler la vérité sur les sanglantes émeutes antimusulmanes de Delhi en février 2020. Les auteurs attribuent leur responsabilité à des « djihadistes », ainsi qu’à des « Urban Naxal », un terme apparu en 2018 dans le lexique de Modi pour désigner l’opposition de gauche. Cette analyse est contestée par plusieurs organisations de défense des droits de l’homme, dont Amnesty International et Human Rights Watch. Initialement édité par Bloomsbury India, l’éditeur s’est retiré en raison face au scandale provoqué par l’annonce de livre. Un éditeur proche du nationalisme hindou, Garuda Prakashan, a rapidement repris le flambeau et a reçu un grand nombre de précommandes. Les auteurs, des universitaires et des juristes ayant des liens avec le gouvernement, ont affirmé que leur liberté d’expression était étouffée. Ils ont déposé une plainte formelle contre Bloomsbury India, accusant l’entreprise de violation de confiance et d’autres infractions pénales. Ils ont également accusé certains intellectuels, dont William Dalrymple, d’avoir semé la haine entre communautés. La situation a polarisé la communauté intellectuelle, amenant plusieurs auteurs à rompre les liens avec Bloomsbury India.