Dans une prise de parole relativement brève adressée à la nation, Vladimir Poutine reprend certains éléments de son long discours de campagne devant la Douma où il projetait sa vision pour la Russie jusqu’en 2030.

  • Cette intervention est propédeutique à une allocution plus longue attendue pour le 9 mai, fête de la victoire et jour de défilé militaire — à l’occasion duquel le président russe pourrait faire des annonces.

Dans les prochains jours sont également attendues les nominations des nouveaux membres de son gouvernement.

  • En 2018, à la suite de sa quatrième élection à la présidence, Vladimir Poutine avait annoncé dès le 7 mai — date de son investiture — qu’il avait choisi Dmitri Medvedev pour diriger son gouvernement1.
  • Le vote de confirmation par la Douma d’État, exigé par la constitution, avait eu lieu le lendemain, le 8 mai.
  • Depuis 2020, le président du gouvernement de la Fédération de Russie est Mikhaïl Michoustine.

Cette année, il faudra peut-être attendre plusieurs jours. Des sources proches de l’administration russe interrogées par Meduza décrivent une ambiance « plutôt tendue » dans les cercles du pouvoir russe. 

  • Au-delà de quelques bruits de couloir, personne ne semble savoir à quoi pourrait vraiment ressembler le prochain cabinet de Vladimir Poutine, ni qui se verrait potentiellement relégué ou promu.
  • Le président doit soumettre à la Douma un candidat au poste de Premier ministre dans les deux semaines à venir.
  • Le vote pour ce candidat pourrait avoir lieu dès la prochaine session de la Douma, le 10 mai, suite à un report inopiné de la session parlementaire au cours de laquelle le choix de Poutine sera approuvé2.

L’arrestation manu militari de l’ancien vice-ministre de la Défense Timour Ivanov3 à la fin du mois d’avril suggère néanmoins que Poutine pourrait chercher à opérer des changements au sein de la branche de l’exécutif la plus exposée depuis le lancement de l’invasion de février 2022 : l’armée. 

Certains experts au fait des conversations ont activement discuté ces dernières semaines de l’éventuelle « démission » de Sergueï Choigou, dont l’arrestation d’Ivanov pourrait constituer un signe avant-coureur4.

À la mi-avril, le commandant en chef des forces armées ukrainiennes déclarait que le Kremlin s’était fixé l’objectif de capturer la ville stratégique de Tchassiv Yar d’ici le 9 mai, Jour de la Victoire.

  • Il est aujourd’hui presque certain que l’armée russe ne sera pas en mesure d’apporter à Vladimir Poutine une victoire symbolique pour célébrer le 79ème anniversaire de la victoire de l’Union soviétique sur le Troisième Reich.
  • Si elle continue de progresser dans l’Est de l’Ukraine et marginalement dans le Sud et si elle conserve son rythme actuel moyen, l’armée russe ne peut espérer revendiquer une victoire stratégique avant plusieurs mois.
  • Dans le même temps, les soutiens de Kiev augmentent leurs capacités de production et pourraient débloquer un prêt de plus de 50 milliards de dollars dès 2025 lors du sommet du G7 qui se tiendra du 13 au 15 juin.

Du côté de Kiev, le gouvernement ukrainien ne reconnaît pas la légitimité des élections ayant eu lieu sur les territoires occupés par la Russie.

  • Par la voix de son ministère des Affaires étrangères, l’Ukraine a fait par conséquent savoir qu’elle ne « voyait aucun fondement juridique pour reconnaître [Poutine] comme le président démocratiquement élu et légitime de la Fédération de Russie »5. En fonction des scénarios, cette non-reconnaissance pour la première fois aussi explicite pourrait créer des obstacles juridiques supplémentaires à d’hypothétiques pourparlers entre les deux pays.

Discours intégral

Chers citoyens de Russie ! Mesdames et Messieurs ! Chers amis !

En ces moments solennels et responsables de la prise de fonction du président, je voudrais remercier cordialement les citoyens russes de toutes les régions de notre pays, les habitants de nos terres historiques qui ont défendu le droit d’être ensemble avec leur mère-patrie.

Je tiens à me prosterner devant nos héros, les participants à l’opération militaire spéciale, tous ceux qui se battent pour la patrie.

Je vous remercie une fois de plus pour votre confiance et votre soutien, et je m’adresse maintenant à tous les citoyens de Russie.

Je viens de réciter les paroles du serment présidentiel. Ce texte concentre l’essence de l’objectif le plus élevé du chef de l’État : protéger la Russie et servir notre peuple.

Je comprends qu’il s’agit là d’un grand honneur, d’un devoir et d’une obligation sacrée. C’est ce qui a défini le sens et le contenu de mon travail au cours des années précédentes. Je vous assure que je continuerai à placer les intérêts et la sécurité du peuple russe au-dessus de tout.

La volonté consolidée de millions de personnes est une force colossale, une preuve de notre ferme conviction commune que nous déterminerons le destin de la Russie nous-mêmes et seulement nous-mêmes, dans l’intérêt des générations actuelles et futures.

Vous, les citoyens de Russie, avez confirmé la justesse de l’orientation du pays. Cela revêt une grande importance aujourd’hui, alors que nous sommes confrontés à de sérieux défis. J’y vois une profonde compréhension de nos objectifs historiques communs, la détermination de défendre fermement notre choix, nos valeurs, la liberté et les intérêts nationaux de la Russie.

Je suis convaincu que nous traverserons dignement cette période difficile et décisive, que nous deviendrons encore plus forts et que nous mettrons résolument en œuvre des plans à long terme et des projets de grande envergure visant à atteindre les objectifs de développement.

Il s’agit avant tout de sauver notre peuple. Je suis sûr que le soutien des valeurs familiales et des traditions multiséculaires continuera d’unir les organismes publics et religieux, les partis politiques et tous les paliers de pouvoir.

Nos décisions sur le développement du pays et des régions doivent être efficaces et équitables, améliorer le bien-être et la qualité de vie des familles russes.

Nous avons été et resterons ouverts au renforcement des bonnes relations avec tous les pays qui considèrent la Russie comme un partenaire fiable et honnête. Il s’agit en effet de la majorité mondiale.

Nous ne refusons pas de dialoguer avec les pays occidentaux. C’est à eux de choisir s’ils ont l’intention de continuer à essayer de freiner le développement de la Russie, de poursuivre leur politique d’agression et de pression incessante sur notre pays au fil des ans, ou de chercher la voie de la coopération et de la paix.

Je le répète : une conversation, y compris sur les questions de sécurité et de stabilité stratégique, est possible. Mais pas à partir d’une position de force, sans arrogance et exceptionnalisme, mais seulement sur un pied d’égalité, dans le respect des intérêts de chacun.

Avec nos partenaires de l’intégration eurasienne, avec d’autres centres de développement souverains, nous continuerons à œuvrer à la formation d’un ordre mondial multipolaire et d’un système de sécurité égal et indivisible.

Dans un monde complexe qui évolue rapidement, nous devons être autonomes et compétitifs, et ouvrir de nouveaux horizons à la Russie, comme cela s’est produit à de nombreuses reprises au cours de notre histoire.

Mais il est important que nous nous souvenions de ces leçons, que nous n’oubliions pas le coût tragique des troubles6 et des bouleversements internes. C’est pourquoi notre État et notre système sociopolitique doivent être forts et absolument résistants à tous les défis et à toutes les menaces, et garantir le développement progressif et stable, l’unité et l’indépendance du pays.

En même temps, la stabilité n’est pas synonyme de rigidité. Notre État et notre système social doivent être flexibles, créer des conditions propices au renouvellement et à l’évolution.

Nous voyons comment l’atmosphère de la société a changé, comment la fiabilité, la responsabilité mutuelle, la sincérité, la décence, la noblesse et le courage sont hautement appréciés aujourd’hui. Je ferai de mon mieux pour que les personnes qui ont fait preuve des meilleures qualités humaines et professionnelles, qui ont prouvé par leurs actes leur loyauté envers la patrie, occupent des postes de premier plan dans l’administration de l’État, dans l’économie — dans tous les domaines.

Nous devons assurer une continuité fiable dans le développement du pays pour les décennies à venir, élever et éduquer les jeunes générations qui renforceront la puissance de la Russie, développer notre État, qui est basé sur l’harmonie interethnique, la préservation des traditions de tous les peuples vivant en Russie, dans le pays-civilisation, unis par la langue russe et notre culture multinationale.

Chers amis !

Je ferai tout ce qui est nécessaire, tout ce qui est en mon pouvoir pour mériter votre confiance, et j’utiliserai à cette fin tous les pouvoirs du chef de l’État, qui sont inscrits dans la Constitution. En même temps, je voudrais souligner que les résultats de ce travail dépendent essentiellement de notre unité et de notre cohésion, de notre volonté commune de servir la patrie, de la protéger, de travailler avec un dévouement total.

Aujourd’hui, en effet, nous sommes responsables devant notre histoire millénaire et nos ancêtres. Ils ont atteint des sommets apparemment inaccessibles, parce qu’ils ont toujours placé la patrie au premier plan, parce qu’ils savaient qu’il n’était possible d’atteindre de grands objectifs qu’avec leur pays et leur peuple, et parce qu’ils ont créé une puissance mondiale, notre patrie, qui a remporté de tels triomphes qui nous inspirent aujourd’hui.

Nous regardons vers l’avenir avec confiance, nous planifions notre avenir, nous définissons et mettons déjà en œuvre de nouveaux projets et programmes pour rendre notre développement encore plus dynamique, encore plus fort.

Nous sommes une grande nation unie et c’est ensemble que nous surmonterons tous les obstacles et que nous réaliserons tout ce que nous avons prévu. Ensemble, nous gagnerons !

Sources
  1. « Путин предложил кандидатуру Медведева на пост премьера », RIA Novosti, 7 mai 2018.
  2. Message Telegram de RIA Novosti, 6 mai 2024.
  3. « A Russian deputy defense minister is ordered jailed pending trial on bribery charges », Associated Press, 24 avril 2024.
  4. « Чиновникам хочется движа » 7 мая — очередная инаугурация Путина, а потом обновление правительства. Вот каких перестановок ждут источники « Медузы », близкие к Кремлю, Meduza, 6 mai 2024.
  5. Déclaration du ministère des Affaires étrangères ukrainien concernant « l’investiture » de Vladimir Poutine, Ministère des Affaires étrangères ukrainien, 6 mai 2024.
  6. Le mot « смута » est utilisé pour désigner la période dite du « Temps des troubles » de la fin du XVIe au début du XVIIe siècle en Moscovie, qui connaît plusieurs coups d’État et émeutes. Dans le contexte de la Russie contemporaine, l’utilisation de ce terme peut faire penser au coup manqué de Prigogine de l’été 2023.