Alors que Joe Biden signait mercredi 24 avril le paquet d’assistance à l’Ukraine, Israël et Taïwan — entre autres — voté la veille par le Sénat, le porte-parole adjoint du département d’État américain Vedant Patel confiait au même moment que le président américain avait déjà « discrètement demandé à son équipe de sécurité nationale d’envoyer des [missiles longue portée] ATACMS » en février1. Ces derniers ont été expédiés en Ukraine dans le cadre de l’aide supplémentaire annoncée le 12 mars par le département de la Défense.

Cette déclaration témoigne d’un revirement significatif de la position de la Maison-Blanche dans le cadre de l’assistance militaire qu’elle fournit à Kiev.

  • Washington a refusé à plusieurs reprises l’envoi de ces missiles d’une portée de 300 kilomètres au cours des derniers mois — malgré l’insistance des autorités ukrainiennes —, arguant que l’armée américaine ne disposait pas d’assez de ces systèmes pour se permettre de s’en séparer2.
  • Au-delà de la question centrale des réserves disponibles, les autorités américaines craignaient également que l’armée ukrainienne n’utilise ces missiles longue portée pour frapper des cibles sur le territoire russe.
  • En addition d’un nombre inconnu de missiles expédiés en mars, des systèmes supplémentaires seront envoyés à Kiev dans le cadre de l’aide d’un milliard de dollars annoncée mercredi 24 avril3.

De la même manière que les États-Unis avaient brisé des tabous en envoyant à Kiev des chars d’assaut, des missiles courte portée et autorisé trois pays européens à transférer des avions de chasse américains F-16 à l’armée ukrainienne, l’annonce de l’envoi de missiles longue portée témoigne de la prise en compte par Washington des risques croissants d’une défaite militaire de l’Ukraine face à la Russie. Jake Sullivan a néanmoins précisé que les ATACMS longue portée ne pourraient être utilisé qu’à l’intérieur du « territoire souverain de l’Ukraine » — incluant donc la Crimée4.

  • L’armée ukrainienne disposait déjà avant le mois de mars de missiles ATACMS américains d’une portée de 160 kilomètres ainsi que de missiles franco-britanniques SCALP-EG / Storm Shadow d’une portée de 250 kilomètres.
  • Ces systèmes étant disponibles en quantité limitée (environ 850 pour le Royaume-Uni et 460 pour la France avant les premiers envois), l’envoi par Washington d’ATACMS d’une portée légèrement supérieure diversifiera les options de Kiev5.
  • Plus important encore, l’annonce de Washington pourrait inciter Olaf Scholz à revenir sur son refus catégorique de livrer des missiles Taurus, plus performants contre les infrastructures renforcées et disposant d’une portée de 500 kilomètres.
  • Le chancelier allemand justifie son opposition à la livraison de Taurus par le refus de Berlin de « devenir co-belligérant » dans le conflit, avançant que l’opération de ces systèmes nécessiterait la présence de militaires allemands sur le sol ukrainien — ce qui a été démenti à de multiples reprises.
  • Lors d’une visite à Berlin du Premier ministre britannique Rishi Sunak mercredi 24 février, Scholz a réitéré son opposition à l’envoi de Taurus à l’Ukraine6.

En janvier 2023, l’Allemagne avait attendu l’envoi par les États-Unis de chars d’assaut M1 Abrams à l’Ukraine pour annoncer la livraison de 14 chars Leopard 2. Dotés d’une ogive intelligente à deux étages, les Taurus allemands (dont 600 sont disponibles dans les réserves de la Bundeswehr) peuvent être programmés de manière à infliger des dégâts bien plus importants que les SCALP-EG / Storm Shadow et les ATACMS sur des infrastructures renforcées. Ils pourraient notamment être utilisés pour détruire le pont de Crimée, coupant une voie d’approvisionnement majeure de l’armée russe dans le sud de l’Ukraine7.

Sources
  1. Department Press Briefing – April 24, 2024, Département d’État américain.
  2. Paul Mcleary, Lara Seligman et Alexander Ward, « U.S. tells Ukraine it won’t send long-range missiles because it has few to spare », Politico, 13 février 2023.
  3. Alexander Ward et Lara Seligman, « The US secretly sent long-range ATACMS to Ukraine — and Kyiv used them », Politico, 24 avril 2024.
  4. Aaron Metha, « Sullivan says Ukraine supplemental should cover all of 2024, long-range ATACMS now in Ukraine », Breaking Defense, 24 avril 2024.
  5. Sylvia Pfeifer et Patricia Nilsson, « Why Germany’s Taurus is Europe’s most-wanted long-range missile », Financial Times, 15 mars 2024.
  6. Michael Nienaber et Alex Wickham, « Sunak, Scholz Find Common Cause to Support Each Other on Defense », Bloomberg, 24 avril 2024.
  7. Ben Hodges, Led Klosky, Robert Person et Eric Williamson, « Putin’s Weak Link to Crimea. Kyiv Should Target the Kerch Bridge—but Needs Missiles to Take It Out », Foreign Affairs, 5 décembre 2023.