La nouvelle aide américaine à l’Ukraine qui pourrait potentiellement devenir loi dès ce soir ouvrira la voie à la livraison d’une quantité très importante d’armements et de matériels, tant en qualité qu’en quantités.

  • Des responsables américains ont signalé hier, lundi 22 avril, que la première tranche d’aide américaine depuis le 12 mars comprendrait des véhicules blindés, des véhicules de combat d’infanterie M2 Bradley, des Humvees ainsi que des véhicules de transport de troupes M1131.
  • Joe Biden a également garanti à Volodymyr Zelensky hier que les États-Unis devraient autoriser la livraison de missiles ATACMS supplémentaires. Le communiqué ukrainien ne précisait toutefois pas s’ils feraient partie de la première livraison, ni la portée des modèles2.
  • Washington n’a pour le moment autorisé que la livraison de la version courte portée de ces missiles (160 kilomètres), tandis que les Ukrainiens demandent d’avoir accès aux modèles dont la portée est de 300 kilomètres afin de frapper des cibles militaires russes dans la profondeur.

Le montant de la première tranche d’aide américaine qui pourrait être annoncée dès mardi soir ou mercredi 24 avril pourrait potentiellement avoisiner voire dépasser les 3 milliards de dollars. Les États-Unis n’annonceront toutefois probablement pas la livraison de systèmes de défense antiaérienne Patriot dont Kiev a particulièrement besoin pour défendre ses villes et infrastructures énergétiques. Le nombre d’obus d’artillerie de 155mm — dont l’armée ukrainienne a besoin en grand nombre pour freiner les tentatives de percée russes — qui seront livrés est pour le moment inconnu, mais devrait être relativement faible par rapport aux besoins de l’Ukraine.

  • L’an dernier, l’ex-ministre de la Défense ukrainien Oleksiy Reznikov déclarait que l’armée ukrainienne avait besoin d’au minimum 356 400 obus d’artillerie par mois (tous calibres confondus, pas uniquement de 155mm)3.
  • Afin de tirer profit de tous les systèmes d’artillerie dont dispose Kiev, les forces ukrainiennes seraient en mesure de tirer jusqu’à 594 000 obus par mois — soit dix fois plus qu’actuellement.
  • Avec une production mensuelle actuelle d’environ 37 000 obus de 155mm — qui devrait cependant monter à 100 000 par mois d’ici fin 2025 —, les États-Unis ne seront en mesure que de couvrir environ 10 % des besoins de l’Ukraine en obus d’artillerie, et ce dans le scénario (impossible) d’une redirection de toute la production vers Kiev4.
  • En octobre, le fabricant norvégien de munitions Nammo AS estimait que l’industrie européenne ne sera pas en mesure de « couvrir plus de 5 à 10 % de la demande [ukrainienne] à court terme ». Plus alarmant encore : « il faudra 40 ans pour reconstituer les réserves nationales de munitions avec les chiffres actuels de production »5.

Le renouvellement très attendu de l’aide militaire américaine à l’Ukraine permettra certainement d’améliorer la situation sur le front, qui se dégrade progressivement depuis cet hiver. Il ne résoudra néanmoins pas les lacunes de production — notamment de munitions — ni le manque d’hommes au sein des forces ukrainiennes.

Enfin, la potentielle réélection de Trump en novembre menacerait considérablement l’aide des États-Unis à Kiev. Si le Congrès alloue les fonds, c’est le président (à travers le département de la Défense) qui a la main sur les envois de matériel via deux principaux instruments : la presidential drawdown authority (PDA)6 et l’Ukraine Security Assistance Initiative (USAI)7. Comme Joe Biden l’a illustré au cours des derniers mois, le chef de l’exécutif américain n’a aucune obligation de dépenser ces fonds8.

Sources
  1. Lara Seligman et Lee Hudson, « Next Ukraine package to be larger than normal, include armored vehicles », Politico, 22 avril 2024.
  2. Чотири пріоритети : ППО, сучасна артилерія, далекобійність і щоб допомога від США прибула якнайшвидше – звернення Президента, Présidence d’Ukraine, 22 avril 2024.
  3. Andy Bounds, « Ukraine asks EU for 250,000 artillery shells a month », Financial Times, 3 mars 2024.
  4. Sam Skove, « Army aims to double 155mm shell production by October », Defense One, 5 février 2024.
  5. Høringsinnspill fra Nammo AS, Stortinget (assemblée législative norvégienne), 26 octobre 2023.
  6. Concernant la PDA, le projet de loi d’aide à l’Ukraine qui sera considéré par le Sénat aujourd’hui ne consiste pas en la création d’un fonds spécial mais réhausse le plafond de 100 millions de dollars prévu à la section 506(a)(1) du Foreign Assistance Act de 1961 (22 U.S.C. 5 2318(a)(1)) à 7,8 milliards pour l’année fiscale 2024 (qui se termine le 1er octobre 2024). Le président n’est en aucun cas tenu de dépenser la totalité de cette somme.
  7. Le projet de loi d’aide à l’Ukraine qui a passé la Chambre samedi dernier (H.R. 8035) octroie 13,77 milliards de dollars pour l’Ukraine Security Assistance Initiative jusqu’à la fin de l’année fiscale 2025. 
  8. Au 23 avril 2024, le président démocrate dispose toujours de 3,878 milliards de dollars d’aide à l’Ukraine disponible au titre de la PDA octroyés pour les années fiscales 2022 et 2023 en raison d’une erreur comptable ayant conduit à la surévaluation du coût de certains articles transférés à l’Ukraine. Joe Biden n’a cependant pas pris la décision d’annoncer des transferts supplémentaires en utilisant ces fonds disponibles.