Guerre

« Nous allons protéger l’Europe du chaos », la position de Zelensky sur le coup Prigojine

Une armée irrégulière russe avance vers Moscou — ou peut-être pas ; l’armée russe est enlisée face à la contre-offensive ukrainienne — ou peut-être pas. Alors que l’étendue de la crise semble entrer dans une dimension quantique, le président ukrainien vient de prendre la parole pour définir la position de l’Ukraine — espace de stabilité dans le chaos des guerres poutiniennes : « la sécurité du flanc oriental de l'Europe ne dépend que de notre défense. »

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© AP Photo/Vadim Ghirda

La prise de parole de Zelenksy était attendue. Alors qu’une partie de la milice de Prigojine se trouve entre le front ukrainien et Moscou, une grande partie de l’armée russe reste enlisée en Ukraine. Continuer dans la contre-attaque, attendre la solution d’une séquence incompréhensible ? 

« Aujourd’hui, le monde en a été témoin : les dirigeants russes ne contrôlent rien. Rien du tout. C’est le chaos total. L’absence totale de prévisibilité. » C’est sur ce point que Zelensky construit son discours prononcé à 19h10 : « tout d’abord, le monde ne doit pas avoir peur. » 

En effet : « l’Ukraine sera certainement en mesure de protéger l’Europe de toutes les forces russes, et peu importe qui les commandera. Nous allons protéger. La sécurité du flanc oriental de l’Europe ne dépend que de notre défense. C’est pourquoi toute manifestation de soutien en faveur de notre défense est un soutien en faveur de votre défense, à vous tous dans le monde libre. »

Nous le traduisons pour la première fois en français.

Chers Ukrainiens, tous les peuples du monde, j’espère que vous vous portez bien  !

Aujourd’hui est un jour où il ne faut certainement pas rester silencieux. Et où nous avons absolument besoin de leadership.

Aujourd’hui, le monde en a été témoin : les dirigeants russes ne contrôlent rien. Rien du tout. C’est le chaos total. L’absence totale de prévisibilité. Et cela se passe sur le territoire russe — qui est entièrement armé.

Comme l’écrit Grigori Yudin : « Si l’émotion principale en Russie est le ressentiment, alors l’affect principal, sur lequel tout est construit maintenant, est la peur. C’est une peur existentielle — la peur de la colère d’une personne spécifique, la peur de la guerre, ou une peur abstraite du chaos. »

Nous nous souvenons tous de la façon dont le dirigeant russe a menacé le monde en 2021. Il avait lancé quelques ultimatums, il essayait de montrer une sorte de force…

L’année 2022 a montré qu’il avait tout confondu — en prenant ses illusions et les mensonges dont il avait été nourri pour de la force. Le Kremlin est capable de recourir à n’importe quelle terreur, à n’importe quelle stupidité, mais ils ne peuvent pas assurer ne serait-ce qu’1 % du contrôle nécessaire. Et ce sont eux, le vrai problème.

En un jour, ils ont perdu plusieurs de leurs villes, qui comptent plus d’un million d’habitants, et ont montré à tous les bandits, mercenaires, oligarques et autres Russes qu’il était facile de s’emparer des villes russes et, probablement, de leurs stocks d’armes.

Il est maintenant très important que personne dans le monde ne reste silencieux parce qu’il a peur de ce chaos russe. Toutes les actions des dirigeants peuvent être historiques. Chaque mot des journalistes a sa valeur intrinsèque. Il est nécessaire de nommer clairement la source du problème. Et si quelqu’un dans le monde essaie d’ignorer la situation, si quelqu’un dans le monde a l’illusion que le Kremlin est capable de reprendre le contrôle… cela ne fait que reporter le problème jusqu’à la prochaine percée du chaos — encore plus dangereuse.

Zelenksy insiste sur un point qui peut paraître contre-intuitif : Poutine paraît interpréter une ligne moins extrême que celle de Prigojine, mais c’est dans le Kremlin qu’il faut identifier la source du chaos.

Nous savons tous quelle est la solution.

Tout d’abord, le monde ne doit pas avoir peur. Nous savons que seule notre unité nous protège.

L’Ukraine sera certainement en mesure de protéger l’Europe de toutes les forces russes, et peu importe qui les commandera. Nous allons protéger. La sécurité du flanc oriental de l’Europe ne dépend que de notre défense. C’est pourquoi toute manifestation de soutien en faveur de notre défense est un soutien en faveur de votre défense, à vous tous dans le monde libre.

Les soldats ukrainiens, les canons ukrainiens, les chars ukrainiens, les missiles ukrainiens sont autant de moyens de protéger l’Europe contre des marches telles que celles que nous voyons aujourd’hui sur le territoire russe. Et lorsque nous demandons que l’on nous donne des chasseurs F-16 ou des ATACMS, nous renforçons notre défense commune. Une véritable défense. C’est ce qui est nécessaire. Le moment est venu de fournir toutes les armes nécessaires à la défense.

Deuxièmement, tout doit être concret. Il est temps que tout le monde dise franchement que toutes les actions criminelles de la Russie contre l’Ukraine n’ont pas été et qu’elles ne sont pas provoquées. Et nous devons tous nous concentrer exclusivement sur nos priorités communes en matière de sécurité. L’OTAN n’est pas qu’un mot ou un ensemble de promesses formelles. Il s’agit de garanties fiables pour tous que la paix ne sera pas détruite. Sans l’Ukraine, ces garanties n’ont aucune valeur. Dès le mois de juillet, lors du sommet de Vilnius, c’est une chance historique de prendre de vraies décisions sans se retourner vers la Russie. Tous les pays limitrophes de la Russie soutiennent réellement cette initiative.

Les pays de l’Alliance s’étaient engagés en 2008 à intégrer à terme l’Ukraine et la Géorgie dans l’Alliance, sans proposer de planning explicite. S’il est admis que l’Ukraine ne pourra pas adhérer tant qu’elle sera en guerre avec la Russie, les membres sont divisés sur la rapidité de l’intégration à proposer au pays. 

Les pays d’Europe de l’Est ont demandé à plusieurs reprises que les procédures d’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN soient accélérées. Mardi 6 juin, lors du sommet des Neuf de Bucarest à Bratislava, les dirigeants ont déclaré espérer que le sommet de l’OTAN qui se tiendra en juillet à Vilnius mettra l’Ukraine sur la voie de l’adhésion, une fois que la guerre qui l’oppose à la Russie aura pris fin1.

Du côté de la France, après une longue position de réserve, Emmanuel Macron a déclaré au sommet Globsec 2023 à Bratislava mercredi 31 mai que l’Ukraine devait recevoir des garanties de sécurité « solides, concrètes et tangibles » et a affirmé que l’Ukraine devrait se voir offrir « une voie vers l’adhésion [à l’OTAN] ». 

En réponse à la déclaration du président français, le chancelier allemand Olaf Scholz a déclaré jeudi 1er juin que « Compte tenu de la situation actuelle, il ne s’agit pas d’établir une adhésion… Nous devons tous nous concentrer sur la manière dont nous pouvons, en tant qu’individus, soutenir l’Ukraine ».

Et le troisième… Je le dirai en russe. L’homme du Kremlin a manifestement très peur et se cache probablement quelque part, sans se montrer. Je suis sûr qu’il n’est plus à Moscou. Il appelle quelque part et demande quelque chose… Il sait de quoi il a peur parce qu’il a lui-même créé cette menace. Tout le mal, toutes les pertes, toute la haine, c’est lui qui les répand. Et plus longtemps il pourra courir entre ses bunkers, plus vous perdrez tous… tous ceux qui sont liés à la Russie.

Comme l’écrit Lawrence Freedman dans nos pages : Le problème des autocrates comme Poutine est qu’ils ne savent pas vraiment ce qui se passe au sein de leur population, ce qui tend à ajouter à l’affolement. De plus, à partir du moment où le haut commandement paraît vulnérable, que feront les jeunes commandants dans leurs batailles avec les forces ukrainiennes ? Seront-ils prêts à mourir pour une cause qui semble perdue ?

Que ferons-nous, nous Ukrainiens ?

Nous défendrons notre pays. Nous défendrons notre liberté. Nous ne nous tairons pas et nous ne resterons pas inactifs. Nous savons comment gagner — et nous le ferons. Notre victoire dans cette guerre est certaine.

Et vous, que ferez-vous ?

Plus vos troupes resteront sur le territoire ukrainien, plus elles apporteront de dévastation à la Russie. Plus cette personne restera au Kremlin, plus il y aura de catastrophes.

Et maintenant, je passe à ma langue maternelle.

Merci à nos soldats ! Merci à tous ceux qui se battent aujourd’hui contre les occupants ! Merci à l’armée de l’air qui protège notre ciel !

Gloire à l’Ukraine !

Nous vaincrons tous les ennemis !

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