1 — L’affaiblissement du centre-gauche et du centre-droit traditionnel se poursuit
Dans l’ensemble, l’année passée a vu un affaiblissement des groupes traditionnels de centre-gauche et de centre-droit.
Les partis sociaux-démocrates réunis au sein du groupe S&D au parlement européen ont subi des pertes significatives. Leur part de voix a diminué de manière significative en France – où la candidate à l’élection présidentielle Anne Hidalgo (PS) a obtenu moins de 2 % des suffrages -, mais aussi dans la plupart des régions allemandes, autrichiennes et espagnoles où ils étaient en compétition. En Italie et en Suède, les sociaux-démocrates italiens et suédois n’ont pas subi de pertes aussi fortes, mais leur échec à empêcher l’accession au pouvoir de la droite radicale les a renvoyés dans l’opposition.
Le groupe du Parti populaire européen (PPE), au sein duquel siègent la plupart des partis du centre-droite et de la droite traditionnelle, a subi d’importants revers. Hormis la réélection du gouvernement conservateur letton, ses seules victoires ont été remportées lors d’élections régionales, d’abord en Andalousie, puis dans les Länder allemands de Rhénanie du Nord-Westphalie, du Schleswig-Holstein et de Berlin, principalement grâce à la popularité de ses têtes de listes et à l’affaiblissement des sociaux-démocrates. Toutes les autres élections se sont soldées par des pertes, parfois sévères : en Italie, en France, en Slovénie ou encore en Estonie, le centre-droit traditionnel a reculé. Ses accessions au pouvoir en Suède et en Italie n’ont été possible qu’au prix d’une alliance avec des partis d’extrême-droite disposant de scores plus élevés.
Retrouvez notre synthèse continentale dans le troisième numéro de BLUE.
2 — Les Conservateurs et réformistes européens montent en puissance
Bien qu’il n’ait participé qu’à un tiers des élections de l’année passée, le groupe national-conservateur des Conservateurs et réformistes européens (CRE) a été de loin le plus grand gagnant de cette année électorale. Les néonationalistes ont célébré une série de succès majeurs, dont les deux plus symboliques sont la victoire de Fratelli d’Italia (Fdi) aux élections générales italiennes et la deuxième place des Démocrates de Suède (SD). Giorgia Meloni (FdI) dirige désormais le gouvernement italien, tandis que les SD ont obtenu une position clef de soutien sans participation à l’actuel gouvernement de centre-droit suédois. Les deux formations ont en commun leurs liens historiques avec des mouvements ouvertement fascistes ou néo-nazis et leur hostilité radicale à l’immigration, mais aussi une politique active de modernisation de leur image s’accompagnant de la recherche d’alliances avec le centre-droit.
Le groupe CRE dispose désormais de trois représentants au Conseil européen : Giorgia Meloni, Mateusz Morawiecki (PiS, Pologne) et Petr Fiala (ODS, République Tchèque). La possibilité d’une alliance avec le groupe de l’extrême-droite traditionnelle Identité et Démocratie et le Fidesz d’Orbán d’ici à 2024 a été évoquée. Un groupe commun réunissant les nationalistes européens pourrait, selon les dernières projections, constituer la première où la seconde force du futur parlement européen. Dans tous les cas, l’année 2023 sera déjà décisive pour les formations national-conservatrices, avec deux élections-clés en Pologne, où le conservateur pro-européen Donald Tusk tentera de contester l’hégémonie du PiS, et en Espagne, à l’issue de laquelle le parti Vox de Santiago Abascal pourrait tenter d’entrer de former une majorité parlementaire avec le Parti populaire (PPE).
Retrouvez l’analyse de Carolina Plescia et Sofia Marini (Italie) et celle de Sofie Blombäck (Suède) dans le troisième numéro de BLUE.
3 — Les Verts, entre croissance et déséquilibres
Seul parmi les trois groupes de gauche et de centre-gauche, le groupe des Verts/ALE a connu en 2022 une nette croissance dans la majorité des régions où ses membres sont implantés. En Allemagne, en Autriche, en France, en Lettonie, les Verts ont augmenté leurs scores et accru leur influence au sein des coalitions. Le président Alexander Van der Bellen a été triomphalement réélu en Autriche, tandis que les Verts allemands entraient au gouvernement dans deux nouvelles régions (Rhénanie-du-Nord-Westphalie et Basse-Saxe). La présence des Verts dans le paysage politique européen reste cependant confinée au Nord et à l’Ouest du continent, avec des positions très faibles à l’Est et au Sud du continent, comme l’a démontré notamment le scrutin italien.
Si leur croissance est indéniable, les Verts font donc face à au moins deux difficultés. D’une part, leur capacité de renouvellement du discours et de la pratique politique reste jusqu’ici limitée à l’Allemagne, à l’Autriche et au Bénélux, où ils se sont engagés dans des alliances nombreuses avec le centre-droit pour accéder aux responsabilités — un pari qui semble avoir fait ses preuves, mais semble difficile à reproduire dans la plupart des autres régions européennes. D’autre part, leur succès auprès d’un électorat jeune, urbain et éduqué s’accompagne d’une pénétration très faible dans d’autres groupes sociaux, ce qui limite encore leur capacité de développement.
À lire : L’absence du vote « vert » sur la politique italienne par Hanna Corsini.
4 — Les Libéraux en difficulté
Les partis libéraux européens qui composent le groupe Renew (RE) ont accru leurs positions au premier tour des élections présidentielles françaises, en Slovénie, en Italie, en Bulgarie, en Autriche et en Estonie, reculant partout ailleurs. Dans le cas de la Slovénie et de l’Italie, ces gains coïncident du reste avec l’introduction de nouvelles formations politiques, dont il reste à voir si elles passeront l’épreuve du temps.
Le cas du parti espagnol Ciudadanos montre que si la capacité d’innovation des Libéraux peut leur permettre une croissance politique rapide, le risque d’un effondrement soudain est tout aussi réel. Depuis l’abandon de sa position centriste en 2019, Ciudadanos subit en effet des pertes irréversibles à l’échelle régionale, et la perte de sa représentation parlementaire à l’issue de l’élection générale de 2023 apparaît désormais probable. Quant à la formation française Renaissance (ex-LREM), qui fournit près de 20 % des députés européens de Renew, son avenir à l’issue du second mandat d’Emmanuel Macron en 2027 semble incertain.
Dans les régions allemandes, en Suède et au Danemark, le libéralisme politique, s’il n’est pas menacé dans son existence, a également subi une série de revers sérieux. La séquence politique à venir pourrait consacrer son affaiblissement.
Retrouvez l’analyse des élections slovènes par Meta Novak et Damjan Lajh dans le troisième numéro de BLUE.
De mars 2022 à mars 2023, la démocratie européenne a vécu pendant un an à l’ombre de la guerre russe contre l’Ukraine.
Le troisième numéro de BLUE (Bulletin des élections de l’Union européenne) publie vingt-six analyses électorales exclusives couvrant l’ensemble de l’année 2022.
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5 — Une participation en berne
Au cours de l’année écoulée, la participation a diminué de manière relativement systématique dans l’ensemble des régions européennes. Cette tendance a affecté plusieurs scrutins cruciaux, alors même que l’Europe était confrontée à des crises majeures et que les restrictions dues à la pandémie de Covid-19 étaient progressivement levées.
Les deux tours de l’élection présidentielle française ont attiré moins d’électeurs qu’en 2017. La baisse était de 4,1 points de pourcentage au premier tour, et de 2,6 points au second. De même, malgré des enjeux importants, la participation aux élections générales italiennes a également été beaucoup plus faible qu’en 2018 (-9 pp). Toutes les élections régionales allemandes ont connu des tendances similaires, avec des hausses d’abstention de l’ordre de 2 à 12 points.
Seuls quatre scrutins ont vu la participation augmenter de manière significative. L’évolution la plus significative a concerné la Slovénie, où la participation a augmenté de 18 points aux élections parlementaires, sur fond de renouveau politique et d’opposition au premier ministre populiste sortant Janez Janša. En Lettonie, où la campagne électorale a été très fortement marquée par la guerre, une augmentation de 5 points a également été observée.
Retrouvez notre synthèse continentale dans le troisième numéro de BLUE.
6 — Les alliances de la droite et de l’extrême-droite se banalisent
Le mois de septembre 2022 a été marqué par un tournant historique en Italie et en Suède, où un gouvernement à dominante d’extrême-droite (Italie) ou soutenu par celle-ci (Suède) a vu le jour grâce au soutien du centre-droit. La progression des Démocrates de Suède (CRE) leur a permis de ravir la seconde place aux Modérés (PPE), dont le score est en légère baisse. Excluant une participation directe des SD au gouvernement, les Modérés dirigés par Ulf Kristersson ont cependant choisi d’intégrer ceux-ci à leur nouvelle majorité, qui regroupe les Chrétiens-démocrates (PPE) et les Libéraux (RE). L’accord de gouvernement dit « de Tidö » fait depuis l’objet de controverses tant en Suède qu’en dehors : les positions adoptées par les coalitionnaires reprennent en effet nombre de propositions-clefs du programme des SD, notamment sur l’immigration.
En Italie, la coalition dite de centre-droit, désormais dominée par l’extrême-droite postfasciste des Frères d’Italie (FdI, CRE), a obtenu une victoire claire, amplifiée en termes de représentation parlementaire par un système électoral favorable. À la Chambre des députés, les FdI jusque-là marginaux ont cette fois obtenu 26 % des voix, contre moins de 5 % lors du scrutin précédent, dominant leurs partenaires de la Ligue (ID, 9 %) et de Forza Italia (PPE, 8 %). Giorgia Meloni, leader des FdI, a été nommée à la tête du gouvernement, qui dispose d’une confortable majorité de 237 sièges sur 400 à la Chambre et de 115 sièges sur 200 au Sénat.
À lire : notre résumé de l’année électorale de la droite européenne.
7 — En France, un cabinet minoritaire et un système politique en crise
Réélu en avril, le président français Emmanuel Macron a perdu sa majorité parlementaire à l’occasion des élections législatives de juin, qui ont mené à la situation unique dans l’histoire récente d’une Assemblée nationale dépourvue de majorité. Le cabinet minoritaire dirigé par Élisabeth Borne peut compter sur le soutien de 250 députés sur 577, et fait face à une opposition hétéroclite comprenant des députés de gauche et de centre-gauche (149), de droite (61), mais aussi un important groupe d’extrême droite (89). Fait sans équivalent en Europe de l’Ouest, le bloc de gauche est dominé par un mouvement de gauche radicale, La France Insoumise (GUE/NGL). Le refus des groupes d’opposition de voter leurs motions de censure respective et l’absence de vote de confiance obligatoire — fait incongru dans la comparaison européenne — a jusque-là dispensé le gouvernement de centre-droit de devoir négocier un accord de gouvernement formel pour se maintenir en fonction.
En pratique, l’exécutif a fait à plusieurs reprises usage de dispositions constitutionnelles permettant de limiter les débats parlementaires, et s’est appuyé sur une concertation ponctuelle avec la droite traditionnelle pour faire voter certains textes. La réforme des retraites en cours d’examen, qui fait l’objet d’une forte contestation dans les milieux syndicaux et dans la société civile, cristallise cependant les tensions, qui pourraient déboucher sur des conséquences politiques imprévisibles au cours de l’année à venir. Une dissolution du parlement avant l’issue de la mandature ne peut pas être exclue.
Retrouvez l’analyse d’Anne-France Taiclet dans le troisième numéro de BLUE.
8 — La Bulgarie toujours dans l’impasse
Parce qu’elle voit s’affronter des forces politiques refusant de collaborer entre elles et dépourvues de majorité parlementaire, la situation bulgare présente certaines similitudes avec le cas français. Le blocage institutionnel y apparaît cependant plus sévère : début avril 2023, le pays connaîtra sa cinquième élection législative en l’espace de deux ans, conséquence d’une incapacité des scrutins précédents à produire des majorités stables. Les élections qui se sont succédées ont tour à tour vu l’affaiblissement du GERB du controversé premier ministre de centre-droit Boïko Borissov (avril 2021), le triomphe du parti populiste “Il y a un tel peuple” du présentateur de télévision Slavi Trifonov (juillet 2021), celle du nouveau parti centriste et anti-corruption “Continuons le changement” (PP) des économistes Kiril Petkov et Asen Vasilev (novembre 2021), et finalement le retour à la première place du GERB, s’accompagnant de l’affaiblissement du PP et de l’effondrement du mouvement de Trifonov (octobre 2022). La dernière élection a également vu la montée en puissance du mouvement d’extrême-droite pro-russe Renaissance, qui a emporté près de 10 % des voix. Le double clivage entre mouvements historiquement clientélistes (notamment le GERB) et mouvements anti-corruption d’une part, entre tendances europhiles et eurosceptiques ou pro-russes d’autre part, qui ne se recoupent pas, rend la sortie de crise difficile.
Retrouvez l’analyse de Petar Bankov dans le troisième numéro de BLUE.
9 — Le Danemark abandonne son opt-out sur la politique de défense
En juin 2022, les électeurs danois ont voté à 67 % en faveur de l’abandon de l’option de retrait dont disposait le pays vis-à-vis de la Politique de défense et de sécurité commune (PDSC) de l’Union. La décision de soumettre cette mesure à référendum est une conséquence directe de l’invasion russe en Ukraine. Le score important obtenu par le « oui » est à replacer dans ce contexte, et ne signifie pas pour autant une hausse des souhaits d’intégration de la part de l’électorat ou du gouvernement danois, ou l’abandon prochain des autres opt-outs (notamment concernant l’adoption de l’euro).
L’issue de ce scrutin reflète toutefois de manière spectaculaire l’influence de la conjoncture géopolitique sur les dynamiques d’intégration européenne dans certains domaines-clefs. La solidarité avec les partenaires européens et la volonté d’accroître l’influence danoise dans la politique de défense commune ont été les deux arguments les plus fréquents parmi les partisans du « oui » : face à la crise sécuritaire, la volonté de co-décision des électeurs et leur intégration dans les dynamiques d’opinion publique européennes ont permis de dépasser les réserves exprimées depuis trois décennies.
Retrouvez l’analyse de Rasmus Brun Pedersen, Derek Beach, Roman Senninger et Jannik Fenger dans le troisième numéro de BLUE.
10 — Le bilan ambigu des alliés de Moscou
Au terme d’un an de guerre, les partis historiquement liés à la Russie de Vladimir Poutine ont connu des évolutions inégales. Certains, comme le mouvement letton Harmonie (S&D) ou le Parti du centre (RE) estonien, ont connu des défaites sévères. Dans un certain nombre de cas, cependant, une dynamique inverse s’est manifestée : le mouvement d’extrême-droite bulgare Renaissance, le SNSD de Milorad Dodik en Bosnie-Herzégovine, mais aussi le Fidesz de Viktor Orbán ont su maintenir ou accroître leur influence malgré leur positions complaisantes vis-à-vis du gouvernement russe.
De même, l’historique des bonnes relations avec le Kremlin ne semble guère avoir pesé négativement sur les scores du Rassemblement national (RN, ID) français ou du Parti de la Liberté d’Autriche (FPÖ, ID). Le RN a officiellement condamné l’invasion russe de l’Ukraine, tandis que le FPÖ s’est positionné sur une ligne d’équidistance, critiquant les sanctions occidentales vis-à-vis de la Russie. Les deux partis obtiennent tous deux des scores élevés dans les enquêtes d’opinions : les taux d’approbation de Marine Le Pen dépassent ceux d’Emmanuel Macron, tandis que le FPÖ est actuellement en tête dans les sondages.