1 — Un parti historiquement issu des milieux d’ultradroite suédois

À l’image d’autres partis nationalistes européens comme le Rassemblement national ou le Parti de la Liberté d’Autriche (FPÖ), les Démocrates de Suède trouvent leurs origines dans les milieux d’ultra-droite européens. À la fondation du parti en 1988, une partie importante de son personnel provient du mouvement raciste et nationaliste Bevara Sverige Svenskt (« Pour que la Suède reste suédoise »), qui joue un rôle central dans l’émergence de la « nouvelle droite » suédoise ; son premier dirigeant, Anders Klarström, avait fait ses classes dans un mouvement néo-nazi, le Nordiska Rikspartiet (« Parti du Reich nordique »)1.

À partir de 1995, un changement de direction insuffle cependant une normalisation progressive de la communication du parti, qui s’efforce de s’éloigner de l’imagerie néo-nazie (uniformes, symbole du flambeau) qui l’accompagnait jusque-là, et réforme son programme pour attirer un public plus large. Pourtant, en 1999, cinq crimes, dont trois mortels, commis par les mouvements d’ultradroite suédois contre des syndicalistes, des journalistes et des policiers relancent la controverse autour des proximités des SD avec les milieux néo-nazis.

Les franges les plus extrêmes quittent le parti en 2001 pour former les National Demokraterna (« Nationaux-Démocrates »), permettant au SD de poursuivre son entreprise de normalisation. À la veille des élections de 2002, les SD restent cependant un parti mineur, dont le score aux élections générales ne dépasse pas la barre des 1 %. Leur importance est sans comparaison avec celle de nombreux autres partis nationalistes européen, dont certains (par exemple le FPÖ) ont déjà accédé aux responsabilités gouvernementales. Jusqu’ à la veille des élections de 2010, l’« exception suédoise », celle d’un État sans parti d’extrême-droite significatif, semble tenir bon2.

2 — Une trajectoire électorale en hausse constante depuis sa création

Les Démocrates de Suède ont vu leurs scores électoraux augmenter de manière régulière depuis leur création. Longtemps, cette croissance apparut pourtant anecdotique : passant de 0,02 % des voix à 1,4 % entre 1988 et 2002, le parti attirait alors moins de 100 000 électeurs aux élections générales, et en 2006 encore, ses 2,9 % ne lui permirent pas d’entrer au Parlement. C’est seulement à partir de 2010 que les scores du parti atteignirent un niveau suffisant pour briser l’« exception suédoise ». Depuis, la tendance ne s’est jamais inversée.

C’est seulement à partir de 2010 que les scores du parti atteignirent un niveau suffisant pour briser l’« exception suédoise ». Depuis, la tendance ne s’est jamais inversée.

François Hublet

Obtenant 5,7 % des voix et 20 élus en 2010, le parti a accru sa part électorale à 12,9 % et 49 élus en 2014, puis à 17,5 % et 62 élus en 2018. Après les élections de ce dimanche, les 20,5 % et 73 élus emportés par le parti les placent désormais en seconde place derrière les Sociaux-démocrates (S), parti de masse historique de la politique suédoise qui a remporté dimanche dernier 30,4 % des voix et 107 élus. Résultat de cette croissance ininterrompue, la part de voix des Démocrates de Suède dépasse désormais celle des principaux autres partis nationalistes nordiques, les Vrais Finlandais (17,5 %) ou le Parti populaire danois (8,7 %), dont l’émergence en tant que force politique de premier plan fut pourtant plus précoce.

3 — Jimmie Åkesson, leader historique et figure de proue du parti

Membre des SD depuis l’adolescence, Jimmie Åkesson prend la tête du parti en 2005, à seulement 26 ans. Il poursuit depuis une politique de modernisation de l’image du mouvement, dans la construction de laquelle sa propre personnalité joue un rôle central. Dans une politique suédoise généralement peu personnalisée3, « Jimmie », comme le nomme seulement le site de son parti4, entretient une image de dirigeant à la fois jeune et expérimenté (à 43 ans, il est à la fois le benjamin des trois principaux chefs de partis suédois et le plus ancien dans ce poste), moderne dans son expression et traditionaliste dans son ancrage idéologique.

Le webdesigner de profession a profondément rajeuni la communication de son parti sans jamais renier la continuité historique de son action. De fait, Jimmie Åkesson apparaît comme le principal artisan de la normalisation des SD lors de la dernière décennie, passant à la fois par un lissage de son image et par une pénétration plus importante de ses idées dans l’espace public suédois. Dès 2009, sa tribune « Les Musulmans sont notre plus grande menace étrangère » (sic), publiée dans le très populaire Aftonbladet, introduit au cœur du paysage médiatique maintream un discours anti-immigrants et anti-islam jusqu’alors confiné aux marges5.

© FREDRIK SANDBERG/TT NEWS AGENCY/SIPA

4 — Une idéologie marquée par le nationalismme et le rejet de l’islam

La tribune publiée par Åkesson en 2009 est celle d’une droite identitaire, populiste, nativiste et néoconservatrice, structurée par un rejet de l’islam décrit comme menace civilisationnelle :

« L’un des nombreux paradoxes du multiculturalisme est que, malgré ses prétentions universelles, il demeure un phénomène monoculturel qui ne trouve son terreau que dans le monde occidental postmoderne et oïkophobe […]. C’est la raison pour laquelle l’élite multiculturelle au pouvoir en Suède est si aveugle vis-à-vis des dangers de l’islam et de l’islamisation. […] L’islam se distingue sur beaucoup de points, notamment l’absence de distinction entre pouvoir séculier et pouvoir temporel […]. Tout cela, ainsi que les presque 1 400 ans de guerres et de conflits entre l’islam et l’Europe chrétienne, les gouvernants d’aujourd’hui prétendent le dépasser en un instant. […] La question consiste à savoir à quoi ressemblera [la Suède] dans quelques décennies, lorsque la population musulmane […] se sera multipliée et que beaucoup de grandes villes européennes, dont Malmö, seront très probablement à majorité musulmane »6.

Si le discours du parti s’est partiellement assagi, sa déclaration de principe actuelle reste particulièrement claire quant au projet de société poursuivi : « Les Démocrates de Suède sont un parti social-conservateur de conviction nationaliste, qui considèrent les valeurs conservatrices et le maintien d’un modèle d’État social solidaire comme les principaux outils dans la construction d’une bonne société »7.

En vertu de ses aspirations nationalistes et populistes, le parti se positionne entre la gauche et la droite :

« L’ambition du parti est de combiner les meilleurs éléments des idéologies traditionnelles de droite et de gauche. Nous souhaitons le maintien de la loi et de l’ordre, des traditions et des institutions structurant la société, et des communautés naturelles et éprouvées par l’expérience que constituent la famille et la nation. »

Sur l’islam, la posture de rejet reste nette, même si les discours historiques et civilisationnels comme celui de 2009 tendent à se retirer derrière des prises de position d’essence plus culturelle :

« L’islam, particulièrement dans sa déclinaison politique et fondamentaliste, est selon les Démocrates de Suède le mouvement religieux qui apparaît le plus difficile à concilier de manière harmonieuse avec la culture suédoise et occidentale. »

5 — Un programme politique centré sur la sécurité et l’État-providence

Le plate-forme électorale publiée par le parti en 2022 met l’accent sur les politiques de law and order : lutte anti-gang, anti-terroriste, contre les « crimes d’honneur » et les « sociétés parallèles », renforcement de la police, fin de l’accueil des demandeurs d’asile non issus du « voisinage proche » de la Suède, limitation stricte de l’immigration8. La thématique de la lutte contre la criminalité est systématiquement associée dans son discours aux dangers supposés de l’immigration.

Au-delà des questions de sécurité intérieure, les SD consacrent une attention particulière à la politique sociale, qui leur permet d’atteindre un large électorat. Le parti s’est ainsi emparé du thème des retraites, qu’il souhaite augmenter ; de la famille, domaine dans lequel il propose de verser aux femmes enceintes une allocation pendant leur grossesse et d’étendre la durée du congé de paternité ; de la santé, pour laquelle il souhaite une plus grande centralisation et la limitation du droit des étrangers à accéder au système de soins ; et de la mobilité, thème sur lequel il s’affirme comme le parti des automobilistes, défendant une limitation du prix de l’essence et du diesel.

6 — Une montée en puissance nourrie par la crainte de l’immigration et les difficultés économiques

La littérature scientifique a montré que le vote en faveur des Démocrates de Suède était plus fort dans les zones connaissant une hausse de la proportion de population immigrée9 et dans celles connaissant une part importante de population non-immigrée et peu qualifiée subissant des difficultés économiques10, mais pas dans celle connaissant un taux plus important de violences réelles11. Le vote pour les SD apparaît ainsi comme l’expression d’une forme de « conflit ethnique »12 reposant sur la crainte d’une régression économique, culturelle et sécuritaire, en cohérence avec l’ethno-nationalisme développé par le parti depuis ses origines13.

Si les électeurs des SD sont issus de l’ensemble des groupes sociaux, la part électorale du parti parmi les populations précaires est supérieure à la moyenne14 ; les membres de la puissante fédération syndicale suédoise LO sont ainsi nombreux dans ses rangs15. Alors que la Suède a, derrière le Luxembourg, le second taux de population née à l’étranger le plus élevé de l’Union (19,5 % selon l’OCDE en 2019), les succès emportés par les Démocrates de Suède témoignent des tensions profondes qui parcourent la société suédoise.

Alors que la Suède a, derrière le Luxembourg, le second taux de population née à l’étranger le plus élevé de l’Union, les succès emportés par les Démocrates de Suède témoignent des tensions profondes qui parcourent la société suédoise.

François Hublet

7 — Un cordon sanitaire largement fissuré après la crise politique de 2021

Longtemps relégués aux marges de l’espace politique suédois, les Démocrates de Suède sont entrés de plain-pied dans le jeu institutionnel avec la crise de gouvernement de 2021. Après le retrait par le Parti de Gauche (Vänsterpartiet, V) et de son soutien au gouvernement mené par le social-démocrate Stefan Löfven, le Premier ministre affaibli perd le 21 juin 2021 la confiance du Parlement. Formellement déposée par les SD, la motion conduisant à la chute du gouvernement Löfven II emporte le soutien de l’ensemble des partis des chrétiens-démocrates, des Modérés (M, centre-droit) et du Parti de Gauche, tandis que les partis centristes s’abstiennent. Löfven réussit à former un nouveau cabinet minoritaire avec les Verts dès le mois suivant, mais échoue à s’imposer au Parlement.

L’ancien premier ministre cède la place, le 24 novembre, à sa collègue Magdalena Andersson, mais la nouvelle Première ministre ne reste en poste que pendant moins d’une journée. En cause : le rejet par le Parlement du budget proposé par la coalition, suivi de l’adoption d’un contre-projet proposé par les partis de centre-droit (Libéraux, Chrétiens-Démocrates et Modérés) avec le soutien des Démocrates de Suède16. Dès lors, les SD apparaissent comme faisant partie d’une coalition de fait avec les partis de droite et du centre.

8 — Un résultat électoral inédit

Les élections du 11 septembre 2022 ont vu les sociaux-démocrates de Magdalena Andersson l’emporter avec 30,3 % (+2 pp), sans toutefois parvenir à retrouver une majorité parlementaire. Avec les Verts (5,1 %, + 0,7 pp), le Parti de Gauche (6,7 %, -1,3 pp) et le Centre (6,7 %, -1 pp), le bloc de centre-gauche n’obtient que 173 sièges, soit deux de moins que la majorité absolue. Les Démocrates de Suède arrivent seconds avec 20,5 % et 73 sièges ; au centre-droit, les Modérés (19,1 %), les Chrétiens-Démocrates (5,3 %) et les Libéraux (4,6 %) se partagent les 103 sièges restants. Au vu de la coopération parlementaire déjà engagée depuis 2021 entre les SD et le centre-droit, la voie semble donc libre pour une coalition entre la droite et l’extrême-droite ; Ulf Kristersson, leader des Modérés, est jugé favori pour accéder au poste de Premier ministre. Pour y parvenir, il devra à tout le moins obtenir le soutien de l’extrême-droite au Parlement.

9 — Une participation gouvernementale toujours incertaine

Malgré leur succès électoral, la participation des SD au prochain gouvernement reste très incertaine. Ulf Kristersson a pour l’heure toujours vigoureusement rejeté une telle hypothèse, de même que la direction des Libéraux17. Dans le passé, l’attitude bien plus conciliante de la cheffe des Chrétiens-Démocrates, Ebba Busch Thor, vis-à-vis du parti de Jimmie Åkessonavait donné lieu à de nombreux commentaires. Dans le même temps, l’ensemble des partis de centre-droit, Libéraux et Modérés y compris, s’accordent pour voir dans une coopération parlementaire avec les SD la seule issue possible pour former un nouveau gouvernement — une attitude qui a causé des échanges vifs, cette semaine, entre les Libéraux et leurs collègues du groupe Renew au Parlement européen.

Des discussions quadripartites ont d’ores et déjà commencé entre les quatre formations, dans lesquelles Jimmie Åkesson refuse pour l’heure de voir des négociations de coalition18. L’arrangement qui en découlera pourra prendre diverses formes, mais si les leaders du centre-droit ne souhaitent pas se dédire, la coopération entre les forces de droite devra prendre la forme d’un soutien sans participation. Les SD semblent y être prêts malgré leur peu de sympathie pour Kristersson, afin d’éviter le retour d’un gouvernement de gauche et de se constituer une légitimité institutionnelle. Pour leur part, les Modérés ne paraissent guère avoir d’intérêt à laisser les SD s’emparer de l’initiative en entrant au gouvernement : disposant de davantage de siège que chacun des partis de centre-droit pris individuellement, les Démocrates de Suède seraient alors en capacité de réclamer un véritable leadership au sein de la coalition, dominant ainsi réellement la politique gouvernementale. À moins d’un échec des négociations, la législature qui commence devrait, dans tous les cas, être celle de la montée en puissance politique des SD au sein du Parlement suédois.

À moins d’un échec des négociations, la législature qui commence devrait, dans tous les cas, être celle de la montée en puissance politique des SD au sein du Parlement suédois.

François Hublet

10 — Un moment charnière pour la nouvelle génération des Conservateurs et réformistes européens

Au Parlement européen, les Démocrates de Suède font partie du groupe des Conservateurs et réformistes européens (CRE) plutôt que du groupe traditionnel de l’extrême-droite européenne, Identité et démocratie (ID). Les CRE, groupe historique des Conservateurs britanniques, longtemps d’obédience plus conservatrice que réactionnaire, est désormais dominé par le parti polonais Droit et justice (PiS), les Frères d’Italie (FdI, post-fasciste), la formation espagnole Vox et l’ODS tchèque. À la veille d’une élection-clef en Italie, où les FdI pourraient remporter une victoire historique et accéder pour la première fois à la tête du gouvernement, la montée en puissance de la nouvelle génération de la CRE apparaît évidente.

Les tensions entre le groupe Renew et les Libéraux suédois révèlent l’importance des mutations en cours. Les SD, comme le reste de la jeune garde des CRE, défendent un agenda européen souverainiste et identitaire ; ils envisagent la réduction des contributions de la Suède au budget commun, un respect a minima des normes communautaires, et souhaitent construire une Europe des États-nations fondée sur les valeurs traditionnelles et opposée au multiculturalisme19.

La normalisation de l’extrême-droite européenne semble entrer dans une nouvelle ère.

François Hublet

Leur inscription au cœur de la droite européenne par le jeu des alliances constitue une évolution de taille ; le fait que cette évolution intervienne simultanément en Italie et en Suède, espaces politiques aux pratiques culturelles institutionnelles que tout semble opposer, consacre le caractère continental du phénomène. La normalisation de l’extrême-droite européenne semble entrer dans une nouvelle ère.

Sources
  1. Oja, Simon et Brigitte Mral, « The Sweden Democrats came in from the cold : How the debate about allowing the SD into media arenas shifted between 2002 and 2010 », Right-Wing Populism in Europe : Politics and Discourse. London : Bloomsbury (2013) : 277-292.
  2. Widfeldt, Anders, « Party change as a necessity–the case of the Sweden Democrats », Representation, 44.3 (2008) : 265-276.
  3. Marino, Bruno, Nicola Martocchia Diodati et Luca Verzichelli, « The personalization of party politics in Western Europe (1985–2016) : evidence from an expert survey », Acta Politica 57.3 (2022) : 571-596.
  4. Voir https://sd.se.
  5. Åkesson, Jimmie, « Åkesson : Muslimerna är vårt största utländska hot », Aftonbladet (19/10/2009).
  6. Traduction de l’auteur.
  7. Sverigedemokraterna, Principprogramm 2019. Traduction de l’auteur.
  8. Sverigedemokraterna, Sverigedemokraternas Valplattform 2022.
  9. Rydgren, Jens, et Maria Tyrberg, « Contextual explanations of radical right-wing party support in Sweden : a multilevel analysis », European Societies 22.5 (2020) : 555-580.
  10. Dehdari, Sirus H, « Economic distress and support for radical right parties — evidence from Sweden », Comparative Political Studies 55.2 (2022) : 191-221 ; voir aussi Rydgren et Tyrberg (2022).
  11. Sundell, Anders, « Hits close to home : Shootings and support for the Sweden Democrats », QOG Working Paper Series 15 (2020).
  12. Rydgren et Tyrberg (2022).
  13. Elgenius, Gabriella et Jens Rydgren, « Frames of nostalgia and belonging : The resurgence of ethno-nationalism in Sweden », European Societies 21.4 (2019) : 583-602.
  14. Jyhlä, Kristi, Jens Rydgren, Pontus Strimling. Sverigedemokraternas väljare. Vilka är de, var kommer de ifrån och vart är de på väg ? Forskningsrapport 2018/2. Stockholm : Institutet för Framtidsstudier (2018).
  15. Kjellberg, Anders, « Många av SD:s väljare är LO-medlemmar », Nyheter, Lunds universitet (2018).
  16. « Sweden’s first female prime minister resigns after less than 12 hours », The Guardian, 24 novembre 2021.
  17. Westerberg, Paula, « Liberalernas SD-samarbete får skarp kritik i EU-parlamentet », Aftonbladet (17/09/2022).
  18. Svensson, Olof, « Skarpa förhandlingar i högerblocket – alla fyra deltar », Aftonbladet (15/09/2022).
  19. Sverigedemokraterna, Sverigedemokraternas Valplattform 2022.