Disponible début 2023 au format papier — et dès aujourd’hui en précommande —, le numéro 3 de la BLUE contiendra le résumé complet de l’année électorale 2022 sous la plume des meilleurs experts européens, accompagné d’analyses des données électorales. Les cartes et graphiques récapitulatifs de l’ensemble des élections de l’année sont d’ores et déjà disponibles en ligne, ainsi que les analyses des élections du premier semestre 2022.

Cet article est le second volet d’un diptyque qui revient sur l’année politique 2022 en Europe. Mois par mois, la rédaction des Bulletins des élections de l’Union européenne (BLUE) vous propose de revivre les événements marquants de cette année au travers de ses principaux rendez-vous électoraux.

Plutôt qu’une série d’analyses nationales, nous vous proposons un passage en revue des différentes compétitions électorales par famille politique, en classant les partis européens selon leur groupe au Parlement européen. Dans ce second volet, nous nous intéressons aux partis du centre-droit, de la droite et de l’extrême droite européennes, qui composent les groupes Renew Europe (RE, libéraux), du Parti populaire européen (PPE, conservateurs et chrétiens-démocrates), des Conservateurs et réformistes européens (CRE, nationaux-conservateurs) et d’Identité et Démocratie (ID, nationalistes identitaires).

Janvier : défaite du centre-droit, croissance des libéraux et de l’extrême-droite

Les élections anticipées qui se sont tenues le 30 janvier 2022 au Portugal ont vu le socialiste António Costa (PS, S&D) emporter une majorité absolue des sièges, notamment aux dépens de la gauche radicale. Son adversaire traditionnel, le Parti social-démocrate (PSD, PPE) — positionné, malgré son nom, au centre-droit — n’augmente que très légèrement sa part de voix par rapport au résultat catastrophique de 2019 (29,1 %, +1,3 pp). Il perd par ailleurs deux sièges et échoue à concurrencer réellement le PS, notamment en raison de divisions internes et de l’absence d’une stratégie claire quant à une potentielle alliance avec l’extrême-droite. Pour autant, et malgré la victoire de Costa, la part globale des partis de gauche a diminué lors de cette élection, en raison notamment de la croissance de deux formations politiques récentes situés respectivement au centre-droit et à l’extrême-droite du spectre politique.

Le parti Initiative libérale (IL, RE), fondé en 2017, obtient 4,9 % des voix (+3,6 pp) et 8 sièges (+7) grâce à un électorat tendanciellement jeune, urbain et diplômé. Chega (CH, ID), le nouveau parti de l’extrême-droite portugaise créé en 2019, emporte 7,2 % (+5,9 pp) et se classe en troisième position avec 12 sièges (+11). La croissance spectaculaire de Chega depuis 2019 signe la fin de l’exception portugaise en Europe, mais prend pour l’instant des proportions moindres que dans la plupart des autres États de l’Union.

Lire l’analyse de Marco Lisi, professeur à l’Université NOVA de Lisbonne, dans BLUE.

Février : en Castille-et-León, la droite fragilisée s’allie à l’extrême-droite

Dans cette Communauté autonome historiquement marquée à droite, les Socialistes vainqueurs du dernier scrutin ont perdu leur première place aux élections régionales de février, reculant de 4,8 points de pourcentage à 30,0 %. Avec 31,4 % (0,1 pp), le Parti populaire (PP, PPE) remporte une victoire fragile. Après avoir dû faire alliance en 2019 avec les libéraux de Ciudadanos (Cs, RE), c’est cette fois avec le parti d’extrême-droite Vox (CRE), dont le score est en nette hausse à 17,6 % (+12,0 pp), que le parti conservateur choisit de former un gouvernement de coalition.

Cs, en voie de marginalisation depuis 2019 dans l’ensemble des régions espagnoles, perd une fois de plus l’essentiel de sa représentation parlementaire : le parti n’obtient plus que 4,5 % et 1 siège, contre 14,9 % et 12 sièges au scrutin précédent. Le gouvernement de coalition formé par le PP et Vox est annoncé sans surprise dès le 10 mars.

Lire l’analyse de Luís Mena Martínez, professeur à l’Université de Salamanque, dans BLUE.

Mars : déroute en Sarre ; à Malte, rien de nouveau

À Malte, le Parti travailliste (PL, S&D) a confirmé sa majorité absolue (55 %, =) malgré les scandales. Le Parti nationaliste (PN, PPE), second parti de cet État marqué un bipartisme quasi exclusif, remporte 42 % des voix (-2 pp), laissant les rapports de force parlementaires globalement inchangés.

En Sarre, où les sociaux-démocrates ont également emporté la majorité absolue, les conservateurs de l’Union chrétienne-démocrates (CDU, PPE) subissent une déroute bien plus soudaine : formant jusque-là une Grande coalition avec le SPD, la CDU s’écroule (28,5 %, -12,2 pp) et perd sa participation au gouvernement. L’Alternative pour l’Allemagne (AfD, ID), dont les scores sont faibles dans la région, remporte 5,7 % (-0,5 pp) et 3 sièges, alors que le Parti libéral-démocratique (FDP, RE) échoue à entrer au parlement avec 4,8 % (+1,5 pp).

Lire l’analyse de Mark Harwood, professeur à l’Université de Malte, et celle de Marius Minas, chercheur à l’Université de Trèves, dans BLUE.

Avril : les nationalistes en tête en Hongrie, seconds en France, battus en Slovénie

Le mois d’avril présentait des enjeux majeurs pour les libéraux comme pour l’extrême-droite européens. Dans trois élections nationales (en Hongrie, en France et en Slovénie), des candidats de centre-droit et de droite nationaliste jouaient en effet les premiers rôles : avec Viktor Orbán (Fidesz, NI), Marine Le Pen (RN, ID) et Janez Janša (SDS, PPE), trois figures de l’illibéralisme européen faisaient face aux électeurs ; face à eux, le candidat (conservateur) de l’opposition unie Péter Márky-Zay, le Président sortant de centre-droit Emmanuel Macron (Renaissance, RE) et l’outsider centriste Robert Golob (Svoboda, ~RE) tentaient de tirer leur carte du jeu, dans des élections où la gauche n’a finalement tenu que les troisièmes rôles.

Orbán s’est à nouveau largement imposé en Hongrie, confirmant à la fois sa mainmise sur la politique hongroise et son rôle prépondérant au sein du bloc nationaliste européen. L’extrême-droite française a été battue au second tour des élections présidentielles, tout en marquant une nette progression : cumulés, les scores de Marine Le Pen, du souverainiste Nicolas Dupont-Aignan (DLF, CRE) et de l’ultranationaliste Eric Zemmour (R !, NI) atteignent 32 % du total des exprimés (+ 5 pp), soit autant que la somme des voix de gauche (32 %, + 4 pp) et un peu moins que les deux candidats de centre-droit Emmanuel Macron et Valérie Pécresse (LR, PPE), qui obtiennent ensemble 33 % des voix (-9 pp). En Slovénie, Svoboda l’a finalement emporté ; à la suite des élections législatives, il a formé un gouvernement de coalition avec les partis de gauche, confirmant un ancrage au centre-gauche qui le distingue de la majorité des partis européens de sensibilité libérale-démocrate.

Lire l’analyse d’Eszter Farkas, doctorante à l’Université d’Europe Centrale, celle d’Anne-France Taiclet, maîtresse de conférences à l’Université Paris-I, et celle de Marko Lovec, professeur associé à l’Université de Ljubljana, dans BLUE.

Mai : double victoire de la CDU en Allemagne du Nord

En mai, deux élections régionales organisées dans le Nord de l’Allemagne ont vu la CDU l’emporter au détriment du SPD. En Schleswig-Holstein, les conservateurs ont obtenu 43,4 % (+11,4 pp), portés par la popularité de leur ministre-président sortant Daniel Günther. En Rhénanie-du-Nord-Westphalie (NRW), si les gains de la CDU sont plus modestes (35,7 %, +2,7 pp), les conservateurs arrivent toutefois largement en tête. Dans les deux cas, les libéraux du FDP connaissent un recul important : -5,1 pp en Schleswig-Holstein (à 6,4 %) et -6,7 pp en NRW (à 5,9 %).

Ces mauvais scores ont entraîné une perte de majorité pour le gouvernement CDU-FDP de NRW, remplacé par un gouvernement entre la CDU et les Verts. La même option gouvernementale s’est imposée en Schleswig-Holstein, et ce alors même qu’une coalition CDU-FDP aurait été numériquement possible. Quant à l’AfD, elle quitte le Parlement de Schleswig-Holstein en passant sous la barre des 5 % (4,4 %, -1,5 pp) et conserve une modeste représentation en NRW malgré sa défaite (5,4 %, -2 pp).

Lire l’analyse d’Oliver Drewes, chercheur à l’Université de Trèves, et celle de Constantin Wurthmann, chercheur au GESIS, dans BLUE.

Juin : 89 députés pour le Rassemblement national

Les élections législatives des 12 et 19 juin 2022 ont vu l’entrée à l’Assemblée nationale française de 89 députés du Rassemblement national (ID), contre 7 seulement lors de la précédente législature. Le parti dirigé par Marine Le Pen et Jordan Bardella s’est imposé dans de nombreux second tours comme les opposant à l’alliance de gauche NUPES ou aux candidats de centre-droit, bénéficiant de reports importants au second tour. Le cordon sanitaire qui existait dans le passé autour du parti semble s’être durablement fissuré. Dans le même temps, la représentation parlementaire du parti conservateur traditionnel Les Républicains (LR, PPE) s’est effondrée, ces derniers ne recueillant plus que 64 sièges (-56).

La coalition de partis centristes favorables au président Emmanuel Macron, dont les principales forces sont La République en Marche (LREM, RE), le parti de centre-droit Horizon (RE) et le parti centriste historique Mouvement démocrate (MoDem, RE), ont également perdu près d’un tiers de leurs députés, obtenant 245 sièges (-101). À l’issue de cette élection, la coalition macroniste perd sa majorité parlementaire, se trouvant contraint de composer avec les forces d’opposition dans le cadre d’un gouvernement minoritaire.

Lire l’analyse d’Anne-France Taiclet, maîtresse de conférences à l’Université Paris-I, dans BLUE.

Juillet et août : relâche

Pas d’élections pendant l’été.

Septembre : la droite et l’extrême-droite conquièrent le pouvoir en Suède et en Italie

Le mois de septembre a été marqué par un tournant historique en Italie et en Suède, où un gouvernement à dominante d’extrême-droite (Italie) ou soutenu par celle-ci (Suède) a pour la première fois vu le jour. La progression des Démocrates de Suède (SD, CRE), qui obtiennent 20,5 % des voix (+3 pp), leur a permis de ravir la seconde place aux Modérés (M, PPE), dont le score est en baisse (19,1 %, -0,7 pp). Excluant une participation directe des SD au gouvernement, les Modérés dirigés par Ulf Kristersson ont cependant choisi d’intégrer ceux-ci à leur nouvelle majorité, qui regroupe les Chrétiens-démocrates (KD, PPE) et les Libéraux (L, RE). Les deux petits partis de la coalition avaient accusé un net recul lors de cette élection, obtenant respectivement 5,3 % (-1 pp) et 4,6 % (-0,9 pp) des suffrages exprimés.

L’accord de gouvernement dit « de Tidö » fait depuis l’objet de controverses tant en Suède qu’en dehors : les positions adoptées par les coalitionnaires reprennent en effet nombre de propositions-clefs du programme des SD, notamment sur l’immigration. Au Parlement européen, les Libéraux ont été durement critiqués par leurs collègues de Renew pour ce choix, et leur avenir au sein du groupe pourrait être menacé. Faisant un choix différent, le Centre (C), également membre du groupe RE, s’est placé clairement du côté de l’opposition de centre-gauche malgré les pertes subies (6,7 %, -1,9 pp).

En Italie, la coalition dite de centre-droit, désormais dominée par l’extrême-droite postfasciste des Frères d’Italie (FdI, CRE), a obtenu une victoire claire, amplifiée en termes de représentation parlementaire par un système électoral favorable. À la Chambre des députés, les FdI jusque là marginaux ont cette fois obtenu 26 % des voix (+21,6 pp), la Ligue (ID) a divisé son score par deux avec 8,8 % (-8,5 pp), et Forza Italia (FI) de Silvio Berlusconi 8,1 % (-5,9 pp). La part de sièges de la coalition de droite a ainsi progressé de 17,2 pp, alors que le centre-gauche maintenait ses positions (+1,9 pp) et que le Mouvement Cinq-Étoiles s’effondrait dans le nord du pays (-23 pp). Giorgia Meloni, leader des FdI, a été nommée à la tête du gouvernement, qui dispose d’une confortable majorité de 237 sièges sur 400 à la Chambre et de 115 sièges sur 200 au Sénat. Action/Italia Viva (Az-IV, RE) et le Parti populaire du Sud-Tyrol (SVP, PPE), situés au centre, demeurent dans l’opposition parlementaire.

Retrouvez l’analyse de Sofie Blombäck (Mittuniversitetet) et celle de Carolina Plescia et Sofia Marini (Université de Vienne) dans le numéro 3 de BLUE, à paraître.

Octobre : les libéraux-conservateurs lettons en tête, échec du FPÖ et effondrement du centre-droit en Basse-Saxe

Trois élections nationales (en Lettonie, en Bulgarie et en Autriche) ainsi qu’une élection régionale majeure (en Basse-Saxe) se sont tenues en octobre.

En Lettonie, l’alliance Nouvelle Unité (JV, PPE) a remporté le scrutin, permettant à Krišjānis Kariņš de conserver son poste de Premier ministre. Nouvelle Unité a obtenu 26 sièges (+18 pp), et s’est allié après l’élection avec la Liste unie (AS) nouvellement formée (13 sièges, nv.) et l’Alliance nationale (NA, CRE) dont le score est stable (13 sièges, =).

En Bulgarie, la quatrième élection législative en l’espace de deux ans a été marquée par une nette croissance des partis de droite. Le GERB (PPE) de l’ancien Premier ministre Boyko Borisov est arrivé en tête avec 67 sièges (+8), les ultranationalistes de Renaissance (NI) ont obtenu 27 sièges (+14) et les souverainistes russophiles du Réveil bulgare 12 sièges (+12). L’alliance centriste Continuons le changement (PP, ~RE) de Kiril Petkov et Asen Vasilev, en tête au scrutin précédent, est en recul avec 53 sièges (-14) en deuxième position, tandis que le Mouvement pour les Droits et les Libertés (DPS) très lié à la minorité turcophone est stable à 36 sièges (+2).

En Autriche, le président sortant Alexander Van der Bellen (Verts) a été largement réélu dès le premier tour de scrutin avec 56,7 % des voix. Le Parti de la Liberté d’Autriche (FPÖ, ID) était la seule formation parlementaire à présenter un candidat contre lui, mais le candidat FPÖ Walter Rosenkranz n’a obtenu que 17,7 %, contre 35,1 % pour son prédécesseur Norbert Hofer en 2016.

L’élection régionale en Basse-Saxe, dans le nord-ouest de l’Allemagne, a vu la CDU reculer (28,1 %, -5,5 pp) tandis que les libéraux du FDP perdaient leur représentation parlementaire (4,7 %, -2,8 pp) et que l’AfD accroissait d’un tiers sa part de voix d’un tiers (11,0 %, +4,8 pp) sur fond d’inflation en hausse. Alors qu’une Grande coalition SPD-CDU gouvernait jusque-là le Land, une coalition de centre-gauche rouge-verte a été formée suite à l’élection, privant la CDU de participation gouvernementale.

Retrouvez les analyses de Jānis Ikstens (Université de Riga), Petar Bankov (Université de Glasgow), Sylvia Kritzinger et al. (Université de Vienne) et Markus Klein (Université de Hanovre) dans le numéro 3 de BLUE, à paraître.

Novembre : après la recomposition de la droite, une grande coalition au Danemark

Le dernier scrutin de l’année dans l’Union européenne s’est déroulé le 1er novembre au Danemark. Le bilan pour le centre-droit est mitigé : certes, le parti Venstre (V, RE) est en recul, obtenant seulement 23 sièges (-20) ; cependant, cette chute est largement due à la création du parti Les Modérés (M, ~RE), issu d’une scission de Venstre, qui remporte 16 sièges (nv.). À la suite de l’élection et d’un processus de formation gouvernementale d’une longueur historique, Venstre entre également au gouvernement au sein d’une Grande coalition centrale avec les sociaux-démocrates.

Pour l’extrême-droite, le bilan est également ambigu : le Parti populaire danois (O, ID) s’effondre (5 sièges, -11), mais le nouveau parti des Démocrates du Danemark (Æ) obtient 14 sièges (nv.) et la Nouvelle droite 6 (+2). En tendance, l’extrême-droite est donc en croissance. Au centre, l’Alliance libérale (I, RE) est en nette hausse (14, +10), alors que les Radicaux de Gauche (B, RE), inscrits au centre-gauche et qui avaient causé la chute du gouvernement présenté, sont en recul (7, -9).

Retrouvez l’analyse de Karina Kosiara-Petersen et al. (Université de Copenhague) dans le numéro 3 de BLUE, à paraître.

Bilan

Dans l’ensemble, le groupe RE et celui du PPE ont connu un recul au cours de l’année 2022, tandis que l’extrême-droite progressait.

Les partis libéraux européens appartenant au groupe RE ou proches de celui-ci ont accru leurs positions au Portugal (avec Initiative libérale), en France (LREM, premier tour des élections présidentielles uniquement), en Slovénie (Svoboda), en Italie (« Troisième pôle » Action/Italia Viva), en Bulgarie (DPS) et dans le Tyrol (NEOS), reculant partout ailleurs. Dans le cas du Portugal, de la Slovénie et de l’Italie, ces gains coïncident avec l’introduction de nouvelles formations politiques dont il reste à voir si elles passeront l’épreuve du temps. Le cas espagnol (Ciudadanos) montre que cela n’est pas toujours le cas, le parti subissant depuis 2019 des pertes qui apparaissent irréversibles et mènent à l’érosion progressive de sa représentation parlementaire. Dans les régions allemandes, en Suède et au Danemark, le libéralisme politique, s’il n’est pas menacé dans son existence, subit également une série de revers ; enfin, en France, son avenir au-delà du prochain mandat d’Emmanuel Macron en 2027 semble quelque peu incertain, alors que sa représentation parlementaire a fortement décru en juin. Dans l’ensemble, les partis libéraux européens attirent des électeurs plus jeunes, plus urbains, plus diplômés et plus favorisés économiquement que la moyenne — LREM, très populaire chez les retraités et dans certaines couches intermédiaires des périphéries, fait à ce titre figure d’exception.

Pour le Parti populaire européen (PPE), la baisse tendancielle est nette, seuls faisant exception certaines régions allemandes (CDU en Rhénanie-du-Nord-Westphalie et Schleswig-Holstein), l’Espagne (PP), la Bulgarie (GERB) et la Lettonie (principalement JV). Le PPE a quitté les gouvernements slovène, sarrois et bas-saxon, a dû partager ceux de la Castille-et-León et de l’Andalousie avec Vox, et n’a acquis sa place au sein des exécutifs suédois et italien qu’au prix d’un accord avec une extrême-droite plus puissante. En l’absence de tels accords, aucun parti du PPE n’est entré dans un nouvel exécutif. Quoique étant toujours le groupe le plus puissant de l’Union, le PPE voit son hégémonie au centre-droit durement contesté à la fois sur sa gauche (par les libéraux dont LREM, Svoboda…) et surtout sur sa droite, où la montée en puissance des partis de CRE et d’ID s’effectue souvent à leur détriment. À l’issue de ce processus, les partis nationalistes peuvent prendre le contrôle des anciennes coalitions (Suède, Italie) ou tout du moins contraindre le PPE à partager avec eux les responsabilités gouvernementales (Espagne). Souvent moins radicaux dans leur rejet de l’extrême-droite que les libéraux — chez qui cette posture n’est, du reste, pas non plus hégémonique —, les partis membres du PPE en sont d’autant plus sensibles à une fuite de leur électorat vers les forces nationalistes.

Les Conservateurs et réformistes européens (CRE), qui s’inscrivent de manière croissante sur une ligne dure nationale-conservatrice, présentent la hausse la plus nette de l’année, même si celle-ci reste cantonnée à des zones géographiques spécifiques. Cette hausse se concentre en fait sur l’Espagne (Vox), la Suède (SD) et l’Italie (FdI), les partis des CRE étant ailleurs moins présents. Menés par une génération de leaders à la fois moins âgés et très expérimentés, les trois partis développent un nationalisme modernisé dans sa forme, maîtrisant les codes de la communication numérique et adoptant une stratégie de normalisation vis-à-vis de la droite traditionnelle. Leur ligne est dure sur les questions de migration et de sécurité, volontiers islamophobe, identitaire et nataliste, mais aussi plus atlantiste et moins foncièrement eurosceptique que celle d’ID, et souvent proche du centre-droit sur le plan économique. La nouvelle garde des CRE n’est donc plus modérée qu’ID, mais s’en distingue par son inscription plus nette dans un continuum diplomatique et économique avec le conservatisme traditionnel.

Enfin, le groupe Identité et démocratie (ID) connaît une évolution ambiguë. Au Portugal (Chega), en France (RN), en Sicile (Ligue), dans le Tyrol (FPÖ) et en Basse-Saxe (AfD), plusieurs partis du groupe ont connu des succès certains, qui témoignent de leur intégration croissante dans l’espace politique. Les liens d’une partie du groupe avec le Kremlin ne semblent pas l’avoir massivement desservi, et la montée en puissance parlementaire du RN en France constitue l’exemple le plus net de cette dynamique favorable. Cependant, au sortir d’une période pandémique qui leur avait été peu favorable du fait de leur faible participation gouvernementale et de leur crédibilité fluctuante, les partis d’ID restent affaiblis dans beaucoup d’autres régions : en Allemagne, en Autriche, en Italie et au Danemark, leur part de voix a diminué de manière assez nette, parfois dans un contexte de scissions et de reconfigurations internes. Plus que l’extrême-droite elle-même, c’est l’extrême-droite « traditionnelle » héritière des Le Pen père, Wilders ou Strache qui semble en difficulté. Symbole de cette évolution, les deux partis d’ID qui montrent la plus nette croissance sont soit récent (Chega), soit en voie de modernisation (RN).

Le diagramme ci-contre résume ces évolutions : rouge pour une chute de plus d’un point de pourcentage, vert pour une croissance de plus d’un point, jaune pour un résultat stable (moins d’un point d’évolution), et blanc en l’absence d’une participation significative aux scrutins ou lorsque les partis se présentaient au sein d’une coalition plus complexe.

Les scores cumulés du centre-droit (groupes RE, PPE et assimilés) ne leur donne une majorité que dans un petit nombre de territoires : Slovénie, Tyrol du Sud, nord de la Finlande, Schleswig-Holstein, ainsi qu’un certain nombres de communes de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, d’Andalousie, de Castille-et-León et du centre de l’Île-de-France.

En revanche, les partis de droite et d’extrême-droite (CRE, ID et assimilés) regroupent plus de la moitié de l’électorat dans la plupart des territoires, et notamment en France, en Italie, en Espagne et en Finlande. Ce rapport de force explique la tentation d’une alliance avec les nationalistes qui agite une partie du centre-droit européen : contrairement à une coalition des seuls groupes RE et PPE, un accord avec l’extrême-droite permet généralement d’obtenir une majorité.

L’année 2023 en perspective

L’année 2023 devrait être propice à une restructuration de l’extrême-droite européenne. Annoncée dès fin novembre 2022 et défendue notamment par les proches de Viktor Orbán, une future alliance entre les membres des groupes CRE, ID et le Fidesz (chassé en 2021 du PPE) pourrait constituer la seconde voire la première force politique du continent. La grande complémentarité géographique des groupes CRE et ID (voir carte ci-dessous) leur permettrait de couvrir aussi bien que les S&D et le PPE l’essentiel du territoire de l’Union. La volonté de coopération internationale plus forte affichée par des leaders tels que Giorgia Meloni ou Santiago Abascal ces derniers mois, mais aussi l’héritage plus ancien des travaux du groupe de Visegrád et du réseau international d’ID, semble favorable à une telle évolution. L’émulation existe d’ores et déjà au niveau bilatéral, par exemple entre Chega et Vox, Vox et les Frères d’Italie, ou entre différents partis nationalistes de Scandinavie. L’alliance à venir ne devrait en aucun cas déboucher sur une radicalité moindre, mais bien plutôt ancrer cette radicalité, décomplexée et portée par une nouvelle génération, dans une nouvelle dimension européenne.

Pour les partis conservateurs, les tiraillements entre alliances au centre et à l’extrême-droite devraient s’accroître. La croissance des nationalistes, lorsqu’elle s’effectue aux dépens de la droite traditionnelle, contraint souvent les conservateurs à choisir entre le centre-gauche et l’extrême-droite pour former une majorité. En dehors d’Allemagne et du Bénélux, où le cordon sanitaire reste intact, une stratégie de coopération à droite semble de plus en plus souvent être privilégiée, faisant entrer un nombre croissant de partis radicaux dans les majorités parlementaires. À terme, cette stratégie peut cependant se révéler destructrice pour le centre-droit : en témoigne le destin de Forza Italia, ravalée au rang de troisième force d’un gouvernement dominé par la droite la plus dure.

Les libéraux, un temps considérés comme détenant la clef d’une certaine modernité politique, feront face à leur destin : alors que Ciudadanos s’effondre en Espagne, que l’avenir du macronisme reste incertain en France et que le FDP recule dans les régions allemandes, le libéralisme politique semble en suspens. Certes, les dynamiques sont assez favorables dans plusieurs États, notamment grâce aux voix des jeunes générations urbaines, mais les partis concernés obtiennent souvent des scores modestes en termes absolus, loin de toute hégémonie. Les difficultés de positionnement du PP bulgare, du FDP allemand, de Venstre au Danemark et des Libéraux et du Centre en Suède témoignent de cette fragilité. Le centre doit être capable d’accéder au gouvernement, tout en évitant d’entrer dans des alliances forcées avec la droite et l’extrême-droite qui menaceraient sa position-charnière et son profil pro-européen.

En 2023, des élections auront lieu dans plusieurs États (co-)gouvernés par RE ou le PPE — à Chypre, en Estonie, en Finlande, en Grèce et au Luxembourg — ainsi qu’en Pologne dirigée par Droit et Justice (PiS, CRE). En Finlande et au Luxembourg, la capacité de RE à conserver la tête du gouvernement sera essentielle ; en Grèce et à Chypre, c’est d’abord un combat droite-gauche qui devrait dominer ; enfin, en Pologne, le principal axe de conflit opposera la droite nationaliste du PiS à l’opposition centriste menée par Donald Tusk (Plateforme civique, PPE). Des élections régionales en Espagne, en Allemagne (notamment en Bavière, fief du PPE et de son président Manfred Weber) aux Pays-Bas, en Autriche et en Grèce complèteront cette année électorale décisive pour la droite et le centre.