L’adoption de l’Inflation Reduction Act (IRA) par Joe Biden le 12 août 2022 a suscité de vives réactions dans les États-membres, qui considèrent que les crédits d’impôts pour l’achat de voitures électriques contenus dans le texte sont en violation des règles de l’OMC.

  • La loi rapproche grandement les États-Unis de leur objectif de réduction de 50 % des émissions de CO2 en 2030. Les différentes projections réalisées par Rhodium Group, Energy Innovation ou le projet REPEAT de Princeton concluent que l’IRA devrait permettre aux États-Unis d’atteindre en 2030 un niveau d’émissions de CO2 environ 40 % inférieur à celui de 2005 — soit une baisse de 10 à 15 points supérieure à celle prévue à politique constante.
  • En accordant un traitement préférentiel aux équipements produits aux États-Unis (une bonification de l’ordre de 10 % si au moins 40 % de la valeur des équipements est d’origine américaine), ces crédits d’impôts discriminent les produits importés — particulièrement les produits européens.
  • Le Canada et le Mexique disposent d’un régime d’exception en raison de l’accord de libre-échange dont ils disposent avec les États-Unis. 

Si le diagnostic est partagé par les 27, aucun consensus n’existe à ce stade sur la réponse commune à apporter. Plusieurs actions sont considérées, tandis que les négociations entre l’Union et les États-Unis relatives à une éventuelle adaptation des prévisions contenues dans l’IRA sont en cours.

À ce stade, trois principales réponses sont en discussion.

  1. Un assouplissement des règles relatives aux aides d’État. Si l’article 107 TFUE interdit ces dernières, la Commission a adopté l’encadrement temporaire de crise en matière d’aides d’État le 23 mars 2022 (puis modifié fin octobre)1. Celui-ci permet de venir en aide aux entreprises dans le contexte de la guerre en Ukraine.
  • Un cadre temporaire similaire avait déjà été adopté le 19 mars 2020 pour atténuer l’impact économique de la pandémie du Covid-19. Celui-ci, qui a expiré le 30 juin 2022 (juin 2023 pour certaines options de conversion et de restructuration des instruments de la dette, tels que les prêts et les garanties, en d’autres formes d’aide), a été utilisé par les 27 États-membres et a permis au total l’approbation de 3 200 milliards d’euros d’aides d’État.
  • Cette approche pose toutefois une question de fond. Les États qui seront le plus en mesure de soutenir leur industrie sont ceux qui disposent d’une marge budgétaire et fiscale importante. À titre d’exemple, sur les 672 milliards d’euros approuvés par la Commission dans le cadre de l’encadrement temporaire de crise, l’Allemagne a obtenu l’autorisation pour des aides d’État représentant 53 % du total. La France en représente 24 % et l’Italie autour de 7 %2.

2. La mise en place d’un fonds alimenté — totalement ou en partie — par les sommes non-allouées contenues dans le plan de relance NextGenerationEU est notamment soutenu par l’Allemagne. À ce jour, seulement 7 pays — l’Italie, la Grèce, la Roumanie, la Pologne, Chypre, la Slovénie et le Portugal — ont fait appel aux prêts disponibles.

  • Dans leurs plans de relance nationaux, les États-membres se sont engagés à consacrer au moins 37 % du montant total à la transition verte. Au total, il s’agit d’environ 215 milliards d’euros. De plus, le budget de l’Union pour la période 2021-2027, d’un montant de 1 074,3 milliards d’euros, consacre 30 % des dépenses à travers les différents programmes à la lutte contre le changement climatique3. Si des sommes importantes y sont donc déjà consacrées à l’échelle européenne, pour les pays les plus favorables à la mobilisation des instruments budgétaires déjà existants, il s’agit désormais d’une question de ciblage. 

3. La création d’un « fonds souverain » qui pourrait soutenir l’émergence d’une politique industrielle européenne verte — mentionné pour la première fois par Ursula von der Leyen dans son discours sur l’état de l’Union en septembre 2022 — ne fait pas consensus. Celui-ci est notamment défendu par Thierry Breton (qui avait estimé le montant nécessaire à 350 milliards d’euros) et a également recueilli le soutien de Charles Michel. Cependant, les avis divergent sur son financement4.

  • Si l’Allemagne s’était opposée à l’émission de dette supplémentaire par la voix de Christian Lindner et Olaf Scholz au mois de décembre, dans un papier stratégique du 11 janvier le parti du chancelier, le SPD, ajoute que : « des instruments de financement conjoint supplémentaires devraient également être examinés de manière constructive »5.
  • L’Italie, l’Espagne et la France notamment sont favorables au financement des politiques communes via l’émission de dette commune. Les Pays-Bas et les pays scandinaves y sont les plus opposés.

Dans une note du 9 janvier, Paris privilégie une approche en deux temps : la constitution d’un « fonds d’urgence » qui s’appuierait « largement » sur des financements existants puis la mise en place d’un fonds souverain d’ici fin 2023, pour lequel une réflexion sur « l’origine possible des financements » devra être menée. La stratégie française, baptisée « Made in Europe », repose sur quatre piliers : 

  • accélération de la mise en œuvre de l’agenda de Versailles, notamment par la définition d’objectifs de réduction des dépendances et par l’adoption de législations sectorielles sur les secteurs sensibles ;
  • modernisation et simplification du cadre des aides d’État (relèvement des seuils et extension des champs de notification prévus par le règlement général d’exemption par catégorie — ou RGEC —, mise en oeuvre de clauses d’alignement) ;
  • la mise en place d’un fonds souverain ;
  • une « pleine mobilisation » de la politique commerciale européenne, qui passerait notamment par un dialogue constant avec les partenaires de l’Union (à l’image de la task force États-Unis – Union européenne) ainsi que par la défense de la politique commerciale européenne, notamment en ayant plus recours aux instruments de défense commerciale définis par le cadre multilatéral de l’OMC.

Si les discussions vont se poursuivre dans les prochains mois, l’approche différente que les États-Unis et l’Europe ont en matière de lutte contre le changement climatique risque de prolonger les tensions commerciales entre les deux puissances bien au-delà de l’Inflation Reduction Act. En effet, l’administration Biden mise sur une nouvelle politique industrielle qui passe principalement par des programmes de subventions ciblés pour les secteurs-clefs. L’Union privilégie pour le moment une approche reposant en grande partie sur un prix carbone, accompagné d’une taxe carbone aux frontières, pour parvenir à la réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030.

Sources
  1. Temporary Crisis Framework for State Aid measures to support the economy following the aggression against Ukraine by Russia, Journal Officiel de l’Union européenne, C 131 I/1, 24 mars 2022.
  2. Lettre de Margrethe Vestager, 13 janvier 2023.
  3. Voir GREEN, Après la COP 27 : géopolitique du Pacte vert, direction Laurence Tubiana, Groupe d’études géopolitiques, janvier 2023.
  4. Charles Michel, « Going big for EU industry », Politico, 15 janvier 2023 et A European Sovereignty Fund for an industry “Made in Europe” I Blog of Commissioner Thierry Breton, Commission européenne, 15 septembre 2022.
  5. Michael Nienaber et Alberto Nardelli, « Germany’s Scholz Backs Joint EU Funding to Counter US Aid », Bloomberg, 11 janvier 2023.