Abonnez-vous à nos Lettres Restez informés des actualités du Grand Continent
Key Points
- Pour la première fois dans l’histoire, un parti de droite italien mène une opération de propagande qui parle plus à l’étranger qu’à l’intérieur du pays.
- Consciente de son désavantage culturel et institutionnel, Meloni cherche un moyen de construire un système de pouvoir, une identité, un réservoir d’idées et de personnes où puiser s’il revient à Fratelli d’Italia de gouverner le pays en tant que premier parti de la coalition de centre-droit.
- Quelle que soit sa stratégie si elle parvient à se hisser au pouvoir à l’issue des élections du 25 septembre, elle devra se trouver des « idées européennes » capables de concilier les besoins économiques et stratégiques supranationaux avec la protection du champ de compétence des États.
Tout commence par le gouvernement Monti (2011-2013). Avec l’exécutif technocratique du professeur de la Bocconi, doté d’un mandat européen fort pour réformer le pays à marche forcée en pleine crise économique, le bipolarisme de l’ère Berlusconi s’estompe enfin pour accoucher d’une nouvelle ère. Nous sommes au point de rupture de l’histoire politique italienne récente.
Les carrières de la plupart des leaders politiques décollent à ce moment-là : Matteo Renzi, Luigi Di Maio, Matteo Salvini, Giorgia Meloni, Enrico Letta étaient déjà bien établis dans la vie publique, mais c’est cette rupture qui en fait des figures clefs du système politique. Même Mario Draghi a construit son héritage politique et économique au cours de ce moment historique, avec la présidence de la BCE et le « whatever it takes ».
La dépression économique, la délégitimation des partis politiques, le sentiment d’échec et l’état de commissariamento du pays traversent les forces politiques et permettent d’en créer de nouvelles. Rares sont les moments de l’histoire où les élites circulent aussi rapidement qu’au lendemain de la crise de la dette souveraine italienne.
Cette recirculation de la classe politique s’est exprimée sur trois fronts : populisme anti-politique (5 étoiles), technocratie (Monti, Draghi) et nationalisme (Ligue, Fratelli d’Italia). Le système politique était traversé par deux fractures principales : le renouvellement politique (nouveaux contre anciens) et l’Europe (pro-européens orthodoxes contre eurosceptiques). Ces tensions ont conduit à une polarisation du consensus, et à son déversement sur les nouveaux partis populistes et souverainistes, au détriment de la capacité de gouvernement autonome des partis centristes et pro-européens (Pd, Forza Italia, petits partis modérés). La saison technopopuliste, un régime hybride dans lequel la technocratie coexiste et s’intègre aux partis nationaux-populistes, s’est déroulée en Italie plus tôt qu’ailleurs.
L’irrésistible ascension de Giorgia Meloni
L’émergence de Giorgia Meloni — enfant prodige de l’Alleanza Nazionale de droite, responsable des jeunes (Azione Giovani), députée et vice-présidente de la Chambre des députés à seulement 29 ans, ministre de la jeunesse du gouvernement Berlusconi (2008-2011) — et de son parti, Fratelli d’Italia, fondé en décembre 2012 peu avant la fin du gouvernement Monti, doit être envisagée dans ce contexte. Sa stratégie a toujours été simple mais rigoureuse, faite de cohérence et de temporisation. Elle vise à fonder une droite nationaliste classique, héritière de l’ancienne Alleanza Nazionale, après la fin du Popolo della Libertà fondé par Silvio Berlusconi en 2008. Toujours dans l’opposition, elle ne signe — contrairement à la Lega et à Forza Italia — aucun compromis avec le Mouvement 5 étoiles ou le PD et parie sur le fait qu’un système politique affaibli et instable présentera tôt ou tard une opportunité d’entrer au gouvernement avec la coalition de centre-droit.
Ce moment est peut-être arrivé. Entretemps cependant, Meloni a essayé de s’émanciper aussi bien de l’accusation selon laquelle son parti serait enclin à cultiver des sympathies nostalgiques fascistes en son sein que d’une approche eurosceptique et souverainiste dure. Cette stratégie de « démarcation » est démontrée à la fois par la tentative de récupérer le terme « conservateur » pour générer une nouvelle légitimité pour le parti, et par son opposition plutôt légère au gouvernement de Mario Draghi, y compris par son vote en faveur de l’envoi d’armes en Ukraine.
Tout se passe comme si Fratelli d’Italia essayait de dire au monde extérieur : nous sommes atlantistes et pro-occidentaux tout en étant défavorable à la centralisation européenne, au dépassement des frontières et des traditions, et à la dilution de l’identité nationale. En d’autres termes : « Certes, nous sommes souverainistes, mais nous avons les pieds sur terre. » C’est pourquoi il vaut mieux pour Meloni et Fratelli d’Italia se déclarer conservateurs plutôt qu’eurosceptiques ou souverainistes. C’est dans cette tentative de marcher sur la ligne de crête entre establishment et anti-establishment, entre l’européisme pragmatique et l’euroscepticisme, que se joue l’avenir gouvernemental de Fratelli d’Italia, tant en termes de légitimité à l’étranger qu’en termes programmatiques.
Meloni semble être consciente du désavantage culturel et institutionnel qui leste son parti, toujours tenu à l’écart des lieux du pouvoir, critique de la finance internationale et entretenant de mauvaises relations avec les partis populaires des autres grands pays européens. La leader de la droite cherche donc un moyen de construire un système de pouvoir, une identité, un réservoir d’idées et de personnes dans lesquels puiser s’il revient à Fratelli d’Italia de gouverner le pays en tant que premier parti de la coalition de centre-droit. Cet effort se traduit par une campagne électorale qui s’inscrit dans une « stratégie de la contrainte extérieure » (vincolo esterno), visant à rassurer les marchés financiers, à tendre la main aux autres dirigeants des principaux pays européens et à briser les aversions et les préjugés de la presse internationale. Pour la première fois dans l’histoire, un parti de droite italien mène une opération de propagande qui parle plus à l’étranger qu’à l’intérieur du pays.
Entre conservatisme et post-fascisme
L’opération culturelle et politique que la cheffe de file de Fratelli d’Italia cherche à déployer est à la fois ambitieuse et complexe. Ambitieuse d’abord parce que Meloni essaie de mélanger l’imagerie symbolique et culturelle de la droite italienne post-fasciste avec des références à des libres penseurs réactionnaires et réalistes comme Giuseppe Prezzolini 1 et Leo Longanesi 2 tout en important les grands thèmes internationaux qui caractérisent le conservatisme anglo-saxon, américain comme continental.
La proposition de Fratelli d’Italia est celle d’une « union des droites » — libérale, traditionnelle et nationaliste — centrée sur le conservatisme dans un pays où celui-ci n’a jamais existé. Chronologiquement, après la disparition de la « droite historique », les conservateurs se sont dispersés entre monarchistes, nationalistes et populaires, puis ont largement fusionné avec le fascisme. À l’époque républicaine, cet espace politique s’est divisé, dans ses différentes nuances, entre les courants de la Démocratie chrétienne, les partis laïques et le Movimento sociale italiano (MSI). Cette droite italienne a toujours été en réalité peu conservatrice sur le plan politique, institutionnel et économique. C’est plutôt dans l’anticommunisme qu’elle a fini par trouver son ciment.
Les avant-gardes du début du vingtième siècle — qu’on pense aux futuristes — n’avaient jamais eu pour objectif la « conservation » de quoi que ce soit, mais plutôt la révolution esthétique et moderniste. Dans un pays qui s’est toujours perçu comme étant en retard sur l’histoire et la vocation, comme une sorte de Cendrillon du continent par rapport aux autres grands pays européens, même la droite a préféré la promesse de modernisation de la nation à celle du conservatisme.
Même Berlusconi avait immédiatement choisi de faire appel aux invisibles « modérés », aux « libéraux » génériques et d’accoler au mot « droite » celui de « centre » — d’où le terme particulier de « centre-droit » — tout en attisant les braises encore incandescentes de l’anticommunisme de la société italienne, plutôt que de miser sur le conservatisme politique. L’héritage historique du conservatisme en Italie est, à bien des égards, presque nul. Cela offre une opportunité : construire un fond culturel qui n’existe presque pas et dont les fondations peuvent être posées. Mais dans le même temps, un tel constat rend cette mission peu attrayante pour une grande partie de l’électorat de droite qui ne possède pas de substrat historique de référence — contrairement aux anciens communistes, par exemple.
L’influence internationale du néo-nationalisme
C’est pourquoi l’écosystème intellectuel qui fourmille autour de Fratelli d’Italia regarde ailleurs : vers le nationalisme de l’Europe de l’Est ; vers le populisme conservateur américain ; vers le traditionalisme français et espagnol ; et, plus généralement, vers une critique féroce de la mondialisation des frontières, des marchés ouverts et de la technocratie supranationale. La galaxie de la nouvelle droite s’abreuve de la critique du libéralisme progressiste chez des auteurs tels que Patrick Deenen et Michael Lind, épouse le conservatisme sceptique du philosophe britannique Roger Scruton et le communautarisme traditionaliste et girondin du polémiste français Michel Onfray. Elle lit les romans sur les peuples tapis dans les profondeurs de la mondialisation de J.D. Vance. Aujourd’hui, les avant-postes culturels de Fratelli d’Italia sont constituées d’expériences comme celle de Nazione Futura, un think-tank sur le modèle américain fondé par le jeune éditeur de droite Francesco Giubilei ; la Fondation FareFuturo, fondée et présidée par le sénateur Adolfo Urso, qui existe depuis l’époque du Partito della Libertà et a pu refleurir à la faveur du printemps melonien ; la fondation du groupe européen ECR New Direction, apportée en dot par l’ancien ministre de Forza Italia et député européen de Fratelli d’Italia, Raffaele Fitto ; enfin, la nébuleuse des catholiques libéraux d’inspiration ratzingerienne comme Lorenzo Malagola et Eugenia Roccella.
Tout cela ne garantit pas, bien sûr, qu’un « Dio-patria-famiglia » 3 actualisé à notre époque parviendra à ouvrir une brèche suffisamment profonde dans l’électorat italien de droite, c’est-à-dire que Meloni parviendra à construire une identité qui dépasse « la loi et l’ordre », l’arrêt de l’immigration et la polémique contre la gauche politiquement correcte, qui demeurent aujourd’hui les trois bastions populaires de sa proposition.
Son positionnement en matière économique semble par ailleurs encore très nébuleux. Fratelli d’Italia ne semble pas être clairement orienté ni vers le néo-keynésianisme exploité par une Marine Le Pen ou un Boris Johnson, ni vers l’approche libérale des Américains et de la plupart des membres du groupe conservateur européen. Ses propositions sont un mélange particulier de réforme fiscale pour les producteurs (moins d’impôts), de corporatisme (aversion à la libéralisation) et d’interventionnisme étatique (protectionnisme et industrie d’État).
En bref, la définition de « conservateur » sur la scène politique italienne est encore en partie mystérieuse et sortir de ce marasme n’aura rien de facile pour Fratelli d’Italia. Il faut cependant reconnaître à Meloni le mérite d’avoir essayé de trouver l’espace pour se sortir d’une situation où elle semblait coincée, en construisant une mosaïque de pièces importées d’ailleurs pour les agencer sur une base italienne.
Le risque d’un premier mandat de Giorgia Meloni
Venons-en maintenant aux risques et aux perspectives de cette opération. On parle beaucoup du risque de fascisme, peut-être trop. En effet, on dépeint peut-être la démocratie italienne comme plus faible et moins mature que ce qu’elle est en réalité. Il est vrai que la droite de Fratelli d’Italia, dans son organisation interne, a recours de manière excessive à la symbolique post-fasciste — on pense à la flamme tricolore dans le symbole du parti ou les références à un certain ésotérisme évolien chez les militants et les dirigeants du parti — surtout dans ses ramifications périphériques, et qu’il continue à utiliser des formules rhétoriques souvent excessivement nationalistes et nostalgiques. Il est également vrai, peut-être par crainte de répercussions internes au parti, que Meloni n’a condamné publiquement la dictature fasciste qu’au début de cette campagne électorale. Quoi qu’il en soit, comme l’a également noté le philosophe Massimo Cacciari, la démocratie italienne ne risque pas de prendre une tournure autoritaire, le danger du fascisme n’existe pas aujourd’hui en Italie et les derniers relents de néofascisme se sont éteints dans les années 1970. Un raisonnement qui a également trouvé un écho auprès de celui qui est peut-être le plus grand penseur libéral-conservateur italien d’aujourd’hui, l’historien Giovanni Orsina, qui écrivait récemment dans La Stampa : « Si finalement la coalition de droite remporte les élections, comme cela semble probable, l’antifascisme au sens large se sera une fois de plus révélé être l’outil politique d’un parti minoritaire qui ne sait plus comment parler autrement aux électeurs. Et quand, dans cinq ans au plus, nous reviendrons voter dans un système politique non moins démocratique et libéral que l’actuel — un résultat sur lequel, comme la grande majorité des Italiens, je n’ai pas le moindre doute — le pays se souviendra que, pour la énième fois, le petit berger a crié au loup ; alors que de loup il n’y avait point. »
En outre, Fratelli d’Italia est un parti qui est né et a grandi dans le contexte constitutionnel, sans jamais contester ses valeurs fondamentales, il a respecté le Parlement et la Présidence de la République. Depuis un an et demi, il a exprimé une opposition collaborative avec le gouvernement dirigé par Mario Draghi. S’il y a des risques, ils sont ailleurs et de nature différente : principalement diplomatiques et économiques.
La plupart de la classe politique de Fratelli d’Italia est inexpérimentée car elle n’a jamais gouverné ; Silvio Berlusconi est aujourd’hui âgé, sans successeur politique et son parti modéré comptent peu dans le consensus ; Matteo Salvini est un leader en déliquescence, il apparaît souvent terni et surexposé dans les médias, et il est surtout compromis avec la Russie.
En outre, les deux principales forces politiques de la droite italienne se situent en dehors des partis qui gouvernent l’Union européenne et n’ont pas de liens solides avec les dirigeants des autres pays de la zone euro, tandis que le positionnement européen actuel des Fratelli d’Italia suscite des doutes légitimes : rester à l’intérieur de la zone euro mais en s’opposant au renforcement de l’intégration, s’accrocher à un « confédéralisme » qui reste à définir et qui a peut-être été dépassé par la réalité après la pandémie, le plan de relance, la redéfinition du paradigme économique et la guerre en Ukraine. Il faudra donc que Meloni opère un travail patient et discipliné si elle entend gagner une certaine crédibilité internationale et combler les béances de son offre politique — pour autant qu’elle en soit capable. C’est peut-être précisément la raison pour laquelle Giorgia Meloni a annoncé que, si elle remportait les élections et était nommée Présidente du Conseil, elle rendrait immédiatement visite au chancelier allemand Olaf Scholz et au président français Emmanuel Macron.
[Le monde se transforme. Depuis le tout début de l’invasion de la Russie de l’Ukraine, avec nos cartes, nos analyses et nos perspectives nous avons aidé presque 3 millions de personnes à comprendre les transformations géopolitiques de cette séquence. Si vous trouvez notre travail utile et pensez qu’il mérite d’être soutenu, vous pouvez vous abonner ici.]
Il lui faudra également se trouver des « idées européennes » capables de concilier les besoins économiques et stratégiques supranationaux avec la protection du champ de compétence des États. Dans le programme du centre-droit, il est vaguement question de la révision du plan de relance. Rédigé de cette manière, une telle proposition peut signifier tout et rien à la fois : quémander quelques dérogations ou extensions pour la seule Italie ou rechercher carrément un redimensionnement du plan à travers la constitution d’une majorité européenne disposée à le faire. Car le scénario économique et international a radicalement changé en quelques mois. Entre le lancement du plan de relance par l’Union et aujourd’hui, nous sommes passés dans un autre monde – dont les conditions sont encore pires.
L’énergie coûte presque dix fois plus cher ; les chaînes de valeur et d’approvisionnement se sont considérablement raccourcies en raison du gel des relations avec la Russie et la Chine ; l’inflation continue de progresser, érodant le pouvoir d’achat et augmentant le coût des infrastructures ; les banques centrales sont contraintes de relever les taux pour la contenir — une dynamique qui tend à faire augmenter le coût de la dette. La mondialisation s’est contractée, l’économie est organisée en zones régionales supranationales, le centre de la production mondiale qui était à l’Est est progressivement ramené à l’Ouest. Dans ce processus, des crises se manifestent et en premier lieu la crise allemande. L’économie allemande souffre du prix du gaz, du recul de la Chine, du protectionnisme américain et de la lenteur de ses géants industriels à s’adapter au nouveau scénario. Le modèle axé sur les exportations, pivot des vingt dernières années de l’économie européenne et auquel l’Italie était fortement attachée, est révolu. L’Allemagne se trouve à la croisée des chemins : dévier vers le nationalisme économique, avec des dommages potentiellement graves pour tous, ou faire un nouveau saut dans l’intégration économique européenne. Dans ces limbes peut s’insérer une proposition de renégociation et de renforcement du plan de relance, avec la construction d’alliances européennes à même de convaincre l’Allemagne d’émettre de la dette européenne pour financer une politique économique continentale plus robuste. L’essentiel, en l’occurence, sera la relation que Meloni pourrait entretenir avec deux dirigeants de couleurs politiques différentes comme Emmanuel Macron et Pedro Sanchez. C’est une mission difficile mais pas impossible. Les Américains ont d’ailleurs déjà tracé la voie : une hausse des taux d’intérêt accompagnée de nouvelles stimulations publiques stratégiques comme ils l’ont fait avec la récente loi sur les puces, pour les investissements technologiques, et l’imposant Inflation Reduction Act, pour les investissements industriels, énergétiques et verts. Ce sont des manœuvres qui marquent le retour du keynésianisme et d’une relation plus ouverte entre le public et le privé. C’est une voie que l’Union européenne devrait également suivre, sous l’impulsion politique de ses principaux États membres, dont l’Italie. C’est à partir de cette tentative de rechercher ce passage supranational pour le développement d’une politique économique européenne — ou non — qu’on sera à même de comprendre les horizons, les capacités et la maturité éventuelle de Giorgia Meloni et de son parti. En d’atures termes : si la droite italienne choisit de rester simplement nationaliste et fermée ou si elle continue certes à être nationaliste, mais avec un horizon européen
Des perspectives concrètes pour le gouvernement
Sur un plan strictement politique, en revanche, les perspectives d’un éventuel gouvernement de centre-droit sont encore difficiles à cerner.
Une hypothèse circule parmi les milieux autorisés de l’establishment italien : si le centre et la gauche perdront probablement les élections, cette droite ne sera pas en mesure de gouverner dans un contexte international et économique très compliqué.
Toutefois, il n’est écrit nulle part que la chute d’un gouvernement de droite disposant d’une majorité solide serait rapide. Il peut durer cinq mois ou cinq ans. Cela dépendra du nombre de parlementaires que la coalition réussit à placer au Parlement, des acteurs politiques et de la situation internationale.
En cas de victoire, le centre-droit devra choisir : soit une cooptation politique classique entre les membres du parti pour former le nouveau gouvernement, auquel cas tous les risques soulignés sont susceptibles d’être amplifiés ; soit les dirigeants — au premier rang desquels Meloni — peuvent choisir de se lancer dans une expérience différente : des politiciens et des technocrates ensemble dans le gouvernement ; une oreille attentive aux suggestions explicites et implicites de Mario Draghi, dont on dit qu’il a de bons rapports avec Meloni ; une collaboration avec Mattarella sur le choix des principaux ministres ; des politiques économiques qui savent convaincre les marchés et une attitude de collaboration avec les autres dirigeants européens.
Ce deuxième scénario, pour se concrétiser, exige un parcours politique plus difficile, car il suppose l’unité politique des partis et la mise de côté des jalousies entre dirigeants, tout comme la fin des ambiguïtés sur le front international. Mais c’est aussi la meilleure façon de rester en selle plus longtemps une fois le gouvernement gagné. De plus, il n’est pas non plus certain qu’un scénario international et économique complexe soit destiné à affaiblir inexorablement un gouvernement qui vient d’entrer en fonction.
L’histoire a montré que, dans de nombreux cas, les situations d’urgence et les tensions peuvent renforcer des gouvernements qui semblaient précaires, et ce y compris de manière occasionnelle et contingente. Si le centre-droit parvient à combiner un processus volontaire d’institutionnalisation — dans le respect de la nouvelle contrainte atlantique vis-à-vis de la Russie et de la Chine et dans une posture proactive vis-à-vis de la politique économique européenne — avec une conjoncture extérieure pas trop défavorable, qui imposera sans doute l’élaboration d’un parcours national et supranational mais sans que le système ne sombre dans la crise et le chaos, peut-être réussira-t-il à vaincre ses propres fantômes liés au déficit d’expérience gouvernementale et à la faible légitimité au niveau international.
Le résultat des élections italiennes sera donc inévitablement un test pour le centre-droit et pour la politique italienne dans son ensemble. Mais aussi pour la politique européenne.
Sources
- Giuseppe Prezzolini (1882-1982) est un intellectuel, journaliste et éditeur. Il fonda en 1908 la revue littéraire La Voce.
- Leo Longanesi (1905-1957) est un de la tradition anticonformiste influent pendant l’entre-deux-guerres, créateur de plusieurs revues.
- « Dieu, patrie, famille » est un slogan à l’origine discutée et controversée, qui fut aussi utilisé pendant la période fasciste.