• Le décès du président tchadien Idriss Déby à la tête du pays depuis 30 ans, à la fin du mois d’avril dernier, a laissé place à une transition opérée de force par le fils de ce dernier, Mahamat Idriss Déby. Menée par un Conseil militaire de transition, le fils Déby avait nommé un gouvernement dit « de transition » au début du mois de mai, devenant de facto le président de la République du Tchad. Dernièrement, L’Union africaine avait exigé la tenue d’élections libres dans un délai de 18 mois.
  • Malgré l’approbation de la reprise du flambeau – ou du sceptre – du pouvoir au Tchad par le fils d’Idriss Déby par les puissances occidentales dont la France au premier chef, les plus gros contributeurs au budget de l’État tchadien (la Banque Mondiale et la BAD) ont suspendu leurs relations financières avec le nouveau pouvoir. La mission locale de la Banque mondiale s’est quant à elle réfugiée à Yaoundé, la capitale du Cameroun voisin. Cette distance a mis de l’eau au moulin de l’opposition tchadienne, qui a exploité cette mauvaise nouvelle pour le pays en la faisant circuler sur les réseaux sociaux.
  • Ce nuage s’est toutefois dissipé le 27 mai. En effet, il apparaît que le Tchad a déjà reçu le soutien du FMI en 2020 via deux versements totalisant 184 millions de dollars, et a pu entrer fin janvier 2021 dans un programme de supervision du FMI doté de 560 millions de dollars, pour une durée de quatre ans. En 2020, ces aides s’ajoutent à celles d’autres organisations multilatérales d’un montant total de 150 millions, portant le total à 3,1 % du PIB. Ces fonds doivent aider le pays à faire face à un besoin de financement extérieur équivalent à 6 % du PIB, en 2020 et 2021.
  • En raison d’une large dépendance aux ressources pétrolières (qui représentent 37 % des dépenses publiques, 63 % des recettes d’exportation, et 7,6 % du PIB en 2019), les finances tchadiennes se sont sévèrement détériorées en 2020. La dette externe du pays, déjà partiellement restructurée en 2018, s’élève à 27 % du PIB fin 2019 (selon la Banque mondiale) et continue de peser sur la balance des paiements.
  • La chute des prix du pétrole en 2020 liée à la crise du coronavirus a quant à elle dégradé les comptes extérieurs du pays, avec un déficit courant qui devrait atteindre respectivement 13 % du PIB en 2020, et 10 % en 2021 selon le FMI. Le gouvernement doit également solder des arriérés de paiements domestiques auprès de ses principales banques, ainsi que les recapitaliser pour renforcer ce secteur fragile de l’économie.
  • En dépit de la prise de pouvoir récente par la junte, le pays sera le premier à demander une participation au cadre commun prévu par le G20. Le taux très élevé de la pauvreté (40 % de la population en 2019 selon la Banque mondiale), les hauts niveaux de corruption, la situation sécuritaire tendue au Tchad et dans les pays de la région (Cameroun, Nigéria, Libye), ainsi que l’isolement géographique le placent en tête des pays éligibles à la DSSI (lien article). À ces critères d’éligibilité (sauf la corruption bien sûr) au bénéfice de la DSSI, le Tchad ajoute d’être déjà le bénéficiaire des financements internationaux dont ceux de l’UE qui passent par l’Alliance Sahel.
  • Le FMI, depuis le début de la semaine, rouvre donc la possibilité de décaissement de sa facilité sur trois ans. Il est fort probable que la Banque mondiale et la BAD (Banque africaine de développement) reviennent dans leurs locaux lundi prochain, reprenant les financements et sans doute les appuis budgétaires, dont le Tchad a grand besoin. La dette vis-à-vis du trader Glencore qui approche 5 milliards de dollars a vu son service différé, et le taux d’intérêt a été revu à la baisse de 4,5 % à 2,5 %. Cependant, cette diminution ne met pas fin aux échéances qui arrivent dès l’horizon 2022.
  • Comment expliquer qu’en dépit de toutes ces contraintes, le flot d’aides et de prêts d’institutions internationales publiques reprenne rapidement au Tchad, mais pas au Mali ? Sans doute parce qu’à l’inverse du Mali, la junte tchadienne a su déguiser son coup de force en processus de normalisation, aux yeux de ces mêmes institutions. La junte entreprend ce que le régime précédent n’avait jamais fait, à savoir intégrer dans le gouvernement des figures de l’opposition. Ainsi, le nouveau portefeuille de la Réconciliation nationale et du Dialogue a été confié à Acheick Ibn Oumar, ancien chef rebelle devenu en 2019 conseiller diplomatique à la présidence, revenu au pays en 2018 après 25 années d’exil. De plus le Tchad se retrouve depuis le début de l’année à présider le G5-Alliance Sahel. Cela ferait mauvais effet de cesser d’alimenter en ressources financières le pays faitier du G 5 Sahel. Pour rappel, les membres de l’Alliance sont : la France, l’Allemagne, l’Union européenne, la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, le Programme des Nations Unies pour le développement, l’Espagne, l’Italie, le Royaume-Uni, le Luxembourg, le Danemark, les Pays-Bas, la Banque européenne d’investissement et la Norvège. Les États-Unis, le Japon, le Canada, la Belgique, la Finlande, la Suisse, l’Irlande, la Société́ financière internationale, la Fondation Gates, le Tony Blair Institute et l’OIF sont des membres observateurs
  • Le chef de la transition malienne, Assimi Goïta, a quant à lui franchi le Rubicon en décidant de faire appel aux « tombeurs du régime d’IBK » pour diriger le pays, celui-ci ayant été maintenu à bout de bras par la France et par la Minusma. Goïta a beaucoup accepté de la CEDEAO (Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest) et de ceux qu’il avait placé au gouvernement. Ainsi, le Comité national pour le salut du peuple qui a renversé Ibrahim Boubacar Keïta a été dissous par un décret présidentiel daté du 18 janvier 2021.
  • À la différence de leurs homologues tchadiens, les militaires maliens ne sont pas des héritiers du précédent régime. Goïta a pris sa décision de rester dans un projet de transition malgré les menaces, en levant en sous-main des contraintes. Il dispose toutefois d’alliés de poids, comme Issa Kaou Djim, meneur de jeu du M5-RFP (mouvement de contestation à IBK), ou bien le président du Togo, Faure Gnassingbé, dont la voix porte à Abuja auprès du président Muhammadu Buhari du Nigeria, comme de la CEDEAO. Cette dernière, à qui les puissances occidentales ont délégué la mission de contribuer à la normalisation du Mali, devrait s’incliner sous la double pression extérieure et intérieure, de forces qui tendent vers une économie libérale, et vers une paix démocratique.