• Derrière le cliché1 d’un guerrier du désert. Les chercheurs français Marielle Debos et Roland Marchal2 ont longuement et minutieusement analysé comment le flamboyant combattant que louait l’armée française avait installé une milice au pouvoir dans son pays, le Tchad. Un de ses fils avait pris la tête de la Direction générale des services de sécurité des institutions de l’État (DGSSIE) en 2014 dans une chasse aux sorcières des derniers soldats qui ne manifestaient pas une fidélité absolue au président tchadien. Mais cette police politique de l’Armée Nationale Tchadienne, coutumière, depuis sa naissance sur les fonts baptismaux français, de violences et de terreur, ne suffisait plus à mobiliser les combattants.
  • Les généraux exigeaient des monceaux d’argent pour donner des ordres d’offensive et sur le terrain les désertions et les exactions se multipliaient dans les rangs. Déby lui-même a trahi son protecteur Kadhafi, interféré au Darfour, critiqué Buhari, joué l’agression en RCA. Mais en dépit de quelques rodomontades contre le franc CFA, Idriss Déby était l’homme destiné à contrer l’insurrection qui menaçait le dominion d’espions que Jacques Foccart avait implanté au Tchad. Le livre récent de Powell3 décrit bien comment tous les ingrédients d’une crise permanente ont été réunis par la persistance de l’interférence française au Tchad. L’armée française gère encore en 1965 les régions du Nord (BET) et au Sud où les Saras sont devenus les protégés de Paris ; on brime les Musulmans. Le FROLINAT a trouvé son maitre historien avec Buijtenhuis4 qui explique que ce mouvement, avec la figure de Goukouni Oueddei, incarne une véritable révolution africaine contre les hiérarchies du Nord, le monopole administratif du Sud, l’ingérence libyenne. Il mobilisait dans une cause nationale les Toubous à cheval sur plusieurs pays et aujourd’hui à la manœuvre dans l’attaque venue de Libye.
  • La mort de Déby signe la fin d’un modèle de contre-insurrection. Pays pétrolier, le Tchad a reçu des bonus de Chevron pour au moins 4.5 milliards d’US $. Ils seront dépensés en grande partie en équipements, en mercenaires pilotes d’hélicoptères, en prestations de colonels français en retraite. La vocation de la milice aux ordres de Déby était de combiner l’oppression intérieure et la lutte contre le terrorisme islamique. L’effort guerrier extérieur de ce régime martial n’a pas permis de retrouver les recettes de son succès initial. Déby gagne ses lauriers de soldat en 1990 dans un affrontement avec les troupes d’Hissen Habré, qui est au pouvoir. Le Soir5 a parfaitement associé les éléments de cette victoire : « Si les 2.000 rebelles ont pu l’emporter au terme d’une offensive éclair de trois semaines, c’est aussi parce que l’armée tchadienne a lâché Hissen Habré au profit d’Idriss Déby, l’ancien commandant en chef demeuré très populaire parmi ses hommes. Mais d’autres facteurs ont joué : l’armée régulière n’avait plus été payée depuis longtemps, la France avait refusé de remplacer les armes et les véhicules perdus lors des récentes batailles. Et surtout, utilisant les mêmes techniques qu’Habré naguère, les rebelles ont mené des raids éclair, se déplaçant de nuit, retrouvant des dépôts d’essence et de munitions cachés dans le désert, harcelant les 12.000 soldats gouvernementaux engoncés dans des stratégies trop lourdes pour la guerre des sables. »
  • Déby a repris la technique révolutionnaire du FROLINAT en 1990 : mobiliser toutes les forces disponibles et les déplacer rapidement en Toyota pour frapper au cœur de la force adverse. La vieille règle de Sun Tze : vaincre le long avec le court. Le maréchal avait perdu les astuces du lieutenant – à moins que, là aussi, Paris se soit décidé à regarder au-delà des sables.
Sources
  1. https://sites.tufts.edu/wpf/files/2017/05/Behind-cliche-of-Chadian-desert-warriors.pdf
  2. Roland Marchal, ‘An emerging military power in Central Africa ? Chad under Idriss Déby’
  3. Powell, N. (2020). France’s Wars in Chad. In France’s Wars in Chad : Military Intervention and Decolonization in Africa(African Studies, p. I). Cambridge : Cambridge University Press
  4. https://www.ascleiden.nl/content/webdossiers/rob-buijtenhuijs-1936-2004, Le Frolinat et Les Révoltes Populaires du Tchad 1965-1976
  5. https://www.lesoir.be/art/hissene-habre-chasse-du-tchad-par-deby-habre-et-deby-le_t-19901203-Z03D38.html