État des lieux des tensions

  • La situation au Cabo Delgado, au nord-est du Mozambique, n’est pas du tout réglée. La province est déjà marquée par la présence de groupes islamistes depuis de nombreuses années et la ville de Mocimboa da Praia est déjà tombée aux mains des islamistes du groupe Ansar Al-Sunna (Les Partisans de la tradition, aussi appelés Al-Chabab) en août 2020, mais c’est le 24 mars 2021 que le chaos est survenu, lorsque la ville de Palma a été attaquée et prise par le groupe armé djihadiste qui sévit dans la région, attaque ensuite revendiquée par Daech (État islamique de la province d’Afrique australe ou ISCAP)1.
  • L’exode. Dès l’attaque, Palma est devenue quasi déserte. Les réfugiés, pour la plupart très pauvres et avec des problèmes de santé importants, sont partis vers le nord et la Tanzanie ou vers Pemba, capitale du Cabo Delgado. Depuis fin mars, le mouvement n’a pas cessé. Le 30 avril, le HCR de l’ONU faisait état du déplacement de plus de 30 000 personnes – un bilan réévalué à 36 000 début mai. Pour l’OIM, ce sont plus de 1000 personnes par jour qui ont fui. Depuis 2017, le conflit dans la région a déplacé plus de 700 000 personnes selon le HCR, dont de nombreuses ont rejoint des camps de fortune aux conditions très précaires2.
  • Et ceux qui restent. Une inquiétude énorme porte également sur ceux qui restent comme pris au piège à Palma, alors que la ville est encerclée et que les voies d’évacuation sont réduites. Le PAM a ainsi qualifié début avril la situation de « catastrophe humanitaire au-delà des proportions épiques »3.

Une question d’échelle

  • Mozambicains… et étrangers. L’une des spécificités de l’attaque de Palma par rapport aux autres attaques survenues au Cabo Delgado en mars a été le ciblage direct d’étrangers, pour la plupart européens, de la ville. Palma est en effet proche de la péninsule d’Afungi où sont situés les projets gaziers dont Total est le principal acteur. Après l’attaque du 24 mars, de nombreuses personnes travaillant sur le projet se sont réfugiées dans l’hôtel Amarula et, selon Amnesty International, les vingt Blancs qui s’y trouvaient ont été évacués en priorité – de même que leurs deux bergers allemands – alors qu’à l’inverse, « les laissés-pour-compte ont tenté de fuir dans un convoi qui a été attaqué »4.
  • Le projet de Total en péril. Malgré un soutien initial à la poursuite du projet, la direction du groupe l’a reporté, sans l’abandonner. Chiffré à 20 milliards d’investissement, le projet de gaz naturel liquéfié (Mozambique LNG) ne devrait pas voir le jour avant au moins 2026. Sa sécurité devrait reposer sur le recours à des forces internationales et non plus sur les seules forces mozambicaines5.
  • Le risque de déstabilisation de l’Afrique australe. Au-delà du projet gazier et de son traitement médiatique dans la presse européenne, la mainmise d’Al-Sunna sur Palma et plusieurs autres zones du Cabo Delgado marque une installation et un contrôle du groupe djihadiste sur la province, elle-même directement limitrophe de la Tanzanie, non loin du Malawi et ouverte sur le canal du Mozambique avec, en face, les Comores et Mayotte. Ce canal est d’ailleurs qualifié de « lieu d’intérêts tricolores qui doivent être défendus » par Olivier Vallée6. Si l’emprise d’Al-Sunna est très locale, il faut ainsi inscrire la présence djihadiste dans ses zones d’influences régionales et comprendre que le recours quasi exclusif par le président Myusi à des mercenaires, mozambicains, africains ou russes pour gérer le conflit inquiète les États limitrophes.
  • La mobilisation de la SADC. Les États membres de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) ont donc témoigné de leur soutien au président mozambicain Nyusi et de leurs préoccupations au sujet de la déstabilisation de la région. Ils se sont réunis le 8 avril et ont abouti à l’idée de la formation d’une force militaire de 3000 hommes et de l’envoi d’équipements militaires provenant de leurs armées, en soutien aux forces mozambicaines. Mais le sommet qui devait se tenir le 29 avril à Maputo a été reporté, puisque le président gabonais était en quarantaine et que le président sud-africain était retenu par une commission d’enquête7. Au-delà de ces facteurs explicatifs qui raisonnent comme des prétextes, il faut noter que Nyusi a refusé à plusieurs reprises le soutien des États de la région et en particulier la place prépondérante qu’y prendrait le Zimbabwe.
  • Une aide humanitaire de la Banque mondiale. Dans l’attente d’une résolution politique et/ou militaire au conflit, la Banque mondiale a débloqué 100 millions de dollars fin avril pour répondre à l’urgence dans la région8.

Quelle réponse européenne ?

  • Le Mozambique était à l’ordre du jour du Conseil de l’Union de la Défense le 6 mai. Le HRVP Borrell a ainsi déclaré que « nous envisageons de lancer une mission militaire de formation, comme celles que nous avons déjà établies dans plusieurs pays africains », mais la mise en place d’une telle force risque de prendre plusieurs mois. Pour l’instant, l’Union européenne contribue déjà à l’aide humanitaire au Mozambique, pour un montant de 14,6 millions d’euros en 20209.
  • Le Portugal en première ligne. En raison de ses liens historiques avec le Mozambique, pays en partie lusophone10 et dont il était la puissance coloniale jusqu’en 1975), le Portugal s’est engagé à fournir la moitié des effectifs de la force militaire européenne. Lundi, Lisbonne et Maputo ont d’ailleurs signé un nouvel accord de coopération militaire jusqu’en 2026. Si « le Portugal commence déjà de façon bilatérale, par avance » comme l’a déclaré son ministre de la Défense Cravinho, il compte sur un soutien plus que symbolique des autres États membres11.
  • Et la France ? Le 18 mai, lors du Sommet sur le financement des économies africaines à Paris, Macron rencontrera personnellement Myusi, dans le cadre d’un échange bilatéral sur la situation.