Un empire ultramarin pour la France  ?

En juillet 2020, le Président Macron a désigné Annick Girardin, survivante de l’équipe Hollande, patronne des mers et du monde ultramarin français. Elle partage le privilège de poursuivre sa carrière politique avec un autre rescapé de l’ère Hollande, Jean-Yves Le Drian. Tous deux ont collaboré à la politique africaine d’interventions militaires de cette époque, notamment en RCA. Mais elle dispose à présent d’une plus grande surface sur laquelle déployer le drapeau tricolore, et l’emporte de plus dans le débat intérieur sur le ministère des affaires étrangères pour exclure toute rétrocession des îles éparses à Madagascar. Et à partir de la Réunion, mais aussi des autres confettis de l’empire, elle confie au secrétaire général à la Mer, rattaché au Premier ministre, l’accroissement de l’étendue du plateau continental appartenant à la France, ce qui lui donne la possession du sous-sol, en s’ajoutant au vaste domaine des zones économiques exclusives (ZEE) qui entourent les îles océaniques – aussi petites et désertes soient-elles. La vigueur discrète de la ministre d’origine malouine s’inscrit dans la continuité de la déclaration du président Hollande au sommet de la Commission de l’Océan Indien (2014) où dominaient «  l’économie bleue  », à savoir une exploitation «  propre  » des ressources des zones marines concernées, et le rôle des forces armées françaises en zone sud de l’océan Indien (FAZSOI)1

Peu évoqué à l’occasion de cette rencontre de la Commission de l’Océan Indien (COI), le canal du Mozambique a depuis pris une place capitale dans cette partie de l’Océan indien. Les ambitions régionales formulées par François Hollande, dont le dernier Premier ministre était «  directement  » impliqué dans le dossier, entendent à présent se traduire à travers la gigantesque poche de gaz naturel exploitable à partir du nord de l’État du Mozambique. Paris détient dans les environs des points d’appui comme Mayotte et des bases arrière comme la Réunion2. La ministre de la mer a obtenu que la Défense se range à ses positions lorsque son ministre a, le 12 janvier 2021, devant l’Assemblée nationale, officialisé l’aide de la France au pouvoir mozambicain. «  Les formateurs de La Réunion et de Mayotte vont se rendre au Mozambique pour former les militaires à lutter contre le terrorisme. Dans le même temps, la France va verser 300 millions d’euros d’aide pour la coopération bilatérale. Une dépense qui va permettre de protéger les îles éparses et les intérêts de notre pays dans le canal.  » Les formateurs iront former  : une lapalissade s’imposait pour qu’il n’y ait aucune équivoque. Ils seront sur le sol mozambicain, mais pour défendre les eaux et les îles françaises. C’est un singulier rétrécissement de la vocation océanique de la France prônée par ailleurs et en même temps une conception étroite des défis que le Cabo Delgado révèle. Le canal du Mozambique semble ainsi confiné comme lieu d’intérêts tricolores qui doivent être défendus. Cette approche réduit la complexité intrinsèque d’un écheveau de passages et de frontières  ; celles-ci sont plurielles et loin d’être intangibles comme celles des ZEE en particulier. 

Mais le dispositif militaire français parsemé sur les îles du canal du Mozambique semble indiquer l’assurance de maîtriser3 ces «  terrae nullius  ». Ainsi, le Banc du Geyser – bien situé au nord du couloir marin mozambicain – est à 125 kilomètres de Mayotte ; Bassas da India appartient plutôt à la partie sud du canal, comme possession française revendiquée depuis 1897 et gérée par la Réunion depuis 1968. Europa, dotée d’une garnison, se trouve une île éparse absorbée dans le cinquième district des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Une piste de 1300 mètres a été construite sur les Glorieuses où s’est implantée un contingent de soldats français. Dans le goulet du canal, l’île de Juan de Nova dispose aussi d’un aérodrome et d’éléments militaires en garnison.

Fragmenté dans son intériorité par les îles qui en font un puzzle de souverainetés, le canal du Mozambique est écartelé entre plusieurs aires d’influence, politiques, culturelles et marchandes.

Olivier Vallée

Fragmenté dans son intériorité par les îles qui en font un puzzle de souverainetés, le canal du Mozambique est écartelé entre plusieurs aires d’influence, politiques, culturelles et marchandes. Il s’agit donc d’un polysystème complexe d’où il faut extraire quelques sous-ensembles, et dont le découpage repose en grande partie sur des constructions. Sans s’en affranchir, on peut au moins rappeler que le canal fut jusqu’à l’entre-deux guerres un pont entre le Mozambique et Nosy Be4 (la grande île), avant-poste des côtes de Madagascar. Les passeurs historiques de ce chenal sont des marins musulmans rattachés peu ou prou à Zanzibar et à ses sultanats de la mer.

La province éparse

La présidence Macron, dans la continuité de l’action du quinquennat de François Hollande, privilégie la Commission de l’Océan Indien (COI) comme dispositif d’influence et de négociation des positions françaises dans le sud-ouest de l’océan indien. La COI ne s’active cependant que depuis peu dans l’édification d’une coopération multilatérale5 à la hauteur des contradictions de la zone sud-ouest de l’Océan indien. Pour l’instant, elle semble surtout un siphon de l’aide de l’UE pour rééditer la mise en place de bureaucraties spécialisées et pseudo sécuritaires dépourvues de transversalité, d’efficacité et de vision – citons les projets EUNAVFOR Atalanta et CRIMARIO6 I et II aux frais de l’Union européenne. Le 29 avril 2018, quatre accords portant sur un renforcement de la coopération entre États pour une meilleure sécurité maritime dans la région occidentale de l’océan Indien ont été signés. Deux l’ont été dans le cadre du programme régional de sécurité maritime (MASE, MAritime SEcurity) : le premier porte sur l’échange et le partage d’information maritime, notamment à travers le Centre régional de fusion d’information maritime (CRFIM)7 basé à Madagascar ; et le deuxième, porte sur la coordination d’opérations conjointes notamment à travers le Centre régional de coordination opérationnelle (CRCO) basé aux Seychelles. Un plan régional de surveillance des pêches a été élaboré afin de lutter contre la pêche illégale dans la zone COI, en lien avec la Tanzanie, le Kenya et le Mozambique. Cette pauvre et pourtant coûteuse gendarmerie de la mer ne fait rien pour endiguer le pillage du bois de rose à Madagascar et du thon du Mozambique. Elle ne sanctionne pas plus la collecte des holothuries par des corsaires basés aux Seychelles et qui interdisent toute plaisance dans la zone. Derrière la gesticulation des appendices maritimes de la COI, la France cherche à faire avaliser l’appropriation des îles éparses (voir la carte infra). En 1960, 87 jours avant l’Indépendance de Madagascar, le gouvernement français place les îles éparses – jusqu’alors considérées comme des dépendances malgaches – sous l’autorité directe du Ministre de l’Outre-Mer.

La prétention à la profondeur

Au-delà, des îles éparses et de la modicité du mécanisme régional qu’offre la COI, la stratégie française, tiraillée entre Nouméa et le canal du Mozambique, prétend tenir « en même temps » les deux bouts de l’Indopacifique à travers le choix du partenaire indien. Il fallut dans l’immédiat reconnaître que l’Inde s’insère pleinement à l’arc des îles de la vanille, nichée dans le sud-ouest de l’Océan indien. En mars 2020 et sur insistance de la France, l’Inde a ainsi été admise comme observateur à la COI où siègent Les Comores, Madagascar, Maurice, La Réunion et les Seychelles. Mais pas le Mozambique  !

Cette séquence suivait la signature, en mars 2018, d’un accord de soutien logistique réciproque à travers le «  Joint Strategic Vision of India-France Co-operation in the Indian Ocean Region  ». Cependant on peut se demander si les préoccupations des deux pays, aux outils stratégiques et tactiques hétérogènes, sont convergentes. Dans le sud-ouest de l’Océan indien, la marine indienne se veut en mesure de menacer l’approvisionnement de la Chine en fer brésilien ou guinéen et en hydrocarbures africains. Elle n’est jamais intervenue pour interrompre les trafics de bois illégaux à partir du Mozambique et de Madagascar et pourtant à destination de la Chine. Le rapine des holothuries, fort appréciées dans la cuisine asiatique, s’accroît dans les eaux de ces deux pays. Il est vrai que ces marchandises ne sont pas toujours transportées par des navires chinois et que les marines de guerre qui croisent dans les eaux du canal ne sont pas très interventionnistes.

Les pays riverains du sud-ouest de l’Océan indien aspirent à une dénucléarisation de la zone, et les sous-marins français atomiques de la Force Océanique Stratégique n’y sont donc pas les bienvenus. Et ils pèsent peu par rapport au Quad (Quadrilateral security dialogue) qui organise la sécurité de la région indopacifique pour ses quatre grands États riverains  : Australie, Inde, Japon et États-Unis. La France, à la différence de l’Inde et en dépit de son vaste domaine maritime polynésien comme dans les Mascareignes, ne fait pas partie du Quad. Malgré son exigence de s’afficher en partenaire stratégique du Quad afin de contrer la Chine par ses moyens sous-marins, elle n’est pas reconnue comme riveraine de l’ensemble Indopacifique – dont les contours sont au demeurant encore en voie d’élaboration.

C’est donc avec La Réunion et surtout l’aire du canal de Mozambique, où se situent Mayotte et les îles éparses soustraites (voir carte supra) à la souveraineté de Madagascar, que la France disposerait de marges pour s’affirmer. Si elle prétend défendre la nature et la biodiversité dans la zone contrôlée, elle entend surtout exploiter un domaine maritime considérable. Que ce soit pour les ressources halieutiques ou les permis d’explorer et d’opérer le sous-sol océanique, Paris est ainsi en mesure de décider des attributions de droits aux pays riverains (par exemple et paradoxalement à Madagascar) et aux compagnies pétrolières. Malgré les parfums de la vanille répandus sur les îles sous le vent, c’est plutôt l’odeur du gaz qui explique que l’État mozambicain soit à présent au cœur du cyclone politique et juridique8 – et le bénéficiaire de la coopération militaire française et de l’aide budgétaire de Paris, alors que le Trésor français faisait il y a peu semblant d’ignorer les coûteux services de Lazard au ministère des finances de Maputo, confronté à une dette douteuse et croissante provenant de l’achat fictif de navires de guerre et de thoniers d’avant-garde fournis par des chantiers navals de l’Atlantique…

Malgré son exigence de s’afficher en partenaire stratégique du Quad afin de contrer la Chine par ses moyens sous-marins, elle n’est pas reconnue comme riveraine de l’ensemble Indopacifique – dont les contours sont au demeurant encore en voie d’élaboration.

Olivier Vallée

De Diego Suarez à Maputo

Le canal du Mozambique comme Timor Leste, après la seconde guerre mondiale, ont été longtemps considérés comme les marges de l’océan indien et laissés à ce titre sous la tutelle de deux anciens dominions de l’empire britannique : l’Australie d’une part, et la République Sud-Africaine (RSA) d’autre part. La surenchère de la lutte contre la piraterie dans la mer rouge a mobilisé l’attention des marines de guerre étrangères non-côtières (européennes, américaine, chinoise, japonaise, etc.) assez loin du Sud-Ouest de l’Océan indien, bien que cette zone soit aussi depuis longtemps sujette à ces phénomènes. La RSA – pour différentes raisons qui seront reprises plus loin – n’a jamais réussi à jouer le rôle de faiseur de paix entre le Frelimo et la Renamo, à imposer une supériorité militaire terrestre et navale dans la région, à lui proposer une courroie d’entraînement économique et à échapper à la dépendance énergétique vis-à-vis de l’ancienne et multiséculaire colonie du Portugal. Quand les navigateurs de ce pays au XVIème siècle abordent le vaste territoire riverain du canal, ils ont du mal à pénétrer et encore plus à maîtriser les routes africaines de commerce terrestres et maritimes, à contrer les marchands arabes qui depuis le XIIème siècle possèdent des relais guerriers et marchands avec les îles de Zanzibar, des Comores, de Madagascar, sans parler de l’actuelle Tanzanie. 

L’autre rive du canal, à savoir Madagascar, s’est trouvée dépossédée d’une activité navale traditionnelle par l’occupation française des îles éparses. Les routes maritimes avec le continent africain et les autres îles de l’Océan indien se sont rétrécies avec l’avion, et la fourniture par containers des biens de consommation. Avec Diego Suarez, Madagascar a pourtant été présenté comme un enjeu maritime stratégique. Après l’opération britannique «  Ironclad  » en 1942, destinée à protéger la liaison maritime des Alliés avec l’Orient contre d’hypothétiques menaces japonaises durant la seconde guerre mondiale, l’intérêt de Diego Suarez et de sa rade imposante devient cependant relatif. La marine française s’acharnera toutefois, au début de la guerre froide, à transformer Diego Suarez en site vital pour contrer le péril rouge cher à l’amiral Pierre Lacoste. A partir de 1973, l’amiral Didier Ratsiraka demande le retrait de l’arsenal, de la légion étrangère et des navires français de Diégo. 

Les alarmes portant sur la porte ouverte à la déstabilisation du Pretoria de l’apartheid et à l’agitation communiste dans toute l’Afrique australe ne se concrétiseront jamais. À part ceux de la marine tsariste, on ne vit plus de croiseurs russes dans la baie de Diego. Les marins impériaux y ont conservé leur cimetière dans la vieille cité garnison. Du côté mozambicain, la menace d’une base navale soviétique à Nacala ne se réalisa pas plus – et aujourd’hui on peut le regretter. Les navires de guerre de l’URSS qui relâchaient à Maputo étaient destinés à rappeler au régime sud-africain blanc qu’il lui fallait éviter un excès d’actions terroristes au cœur du Mozambique libéré, mais épuisé par des années de combat anticolonial.

Les super tankers qui approvisionnaient l’Europe continuèrent à passer dans le canal sans entraves. La France fit semblant d’aider l’île rouge en délégant aux EUA et à leurs organisations charitables une bonne partie de la charge du financement de la nutrition de ses pauvres, croissants en nombre. Pendant que Madagascar restait sous la coupe d’un colonat français réactionnaire et méprisant, couvert par le discours marxisant de l’époque de Ratsiraka, le peuple mozambicain subissait jusqu’en 1975 la violence inouïe d’un colonialisme tardif soutenu par l’Occident, l’apartheid et la France. Ce n’est qu’en 1992, grâce à Mandela, que les mouvements de libération anticoloniale trouvèrent un compromis fragile et conclurent en 1994 à un cessez-le-feu jamais respecté du fait des interactions des puissances régionales et internationales. 

Les fractures de la libération nationale

De 2013 à 2016, l’affrontement reprit entre le Frelimo et la Renamo. Les emprunts douteux pour l’achat de frégates françaises et de thoniers de la période 2013-2016 auraient été provoqués par la militarisation du parti État Frelimo, face à la résurgence du conflit entre les frères ennemis de la libération nationale. Un des protagonistes de l’épisode tumultuex 2013-2016 se trouve être Filipe Nyusi, l’actuel président du Mozambique. Il est né au Cabo Delgado et a rejoint le Frelimo à 14 ans. Ses parents sont des vétérans de la lutte anticoloniale qui fut particulièrement vivace dans cette partie du Mozambique, aux antipodes de la capitale tenue par la police politique portugaise, la PIDE, elle-même soutenue par les commandos terroristes de l’apartheid.

Ce qui se déroule à présent dans ce goulet de l’Océan indien résulte non pas tant de l’invasion islamique du cône austral du continent africain, que du poison des guerres coloniales à Madagascar et en Afrique australe. La lecture de ces phénomènes est bien sûr différente du point de vue des acteurs extérieurs à la zone qui s’imposent tout d’un coup dans un programme de pacification de l’aire sud-ouest de l’Océan indien, et en particulier du Nord-Mozambique. Le combat mis aujourd’hui en avant contre la rébellion musulmane du Cabo Delgado écarte l’histoire tourmentée du Frelimo, le parti vainqueur de la répression portugaise. Michel Cahen, l’expert français des rivalités tortueuses des mouvements révolutionnaires mozambicains rappelle : « Il y a consensus pour reconnaître que le deuxième congrès (1968) du Frelimo marque une étape importante dans l’histoire du Front et, notamment la victoire définitive des politico-militaires. Le congrès se prépara alors que s’aiguisait la crise entre la direction provinciale du Cabo Delgado, dirigée par Lázaro N’kavandame, et la structure militaire du Front, crise dont l’histoire détaillée reste à faire. Ce qu’il y a de sûr, c’est que le Cabo Delgado était la province où la lutte armée était la plus avancée, mais qu’il fut la province qui envoya le nombre de délégués le plus faible au congrès. »

Ce qui se déroule à présent dans ce goulet de l’Océan indien résulte non pas tant de l’invasion islamique du cône austral du continent africain, que du poison des guerres coloniales à Madagascar et en Afrique australe. La lecture de ces phénomènes est bien sûr différente du point de vue des acteurs extérieurs à la zone qui s’imposent tout d’un coup dans un programme de pacification de l’aire sud-ouest de l’Océan indien, et en particulier du Nord-Mozambique.

Olivier Vallée

Chaque terroir reste prisonnier de ses luttes et l’irrédentisme des chefs du Frelimo dans le Cabo Delgado s’avère aussi une composante de la révolte plurielle qui s’y déroule à présent. Filipe Nyusi grimpe dans l’appareil des chemins de fer du Mozambique indépendant et au sein du parti en raison de la légitimité de sa famille qui a combattu au Cabo Delgado. Les guerres coloniales hantent encore le Mozambique et Madagascar mais sont négligées par la géopolitique contemporaine qui les refoule. Le Frelimo n’est pas un bloc comme le MPLA en Angola a pu l’être, suite à des purges massives et à des batailles conventionnelles comme celles de Cuito Cuanavale. Là, non loin du réduit de l’Unita, l’Afrique du Sud est défaite en 1988 en rase campagne par le MPLA aidé des Cubains et des Russes. Cela signe la débâcle des Blancs et la fin de l’appui direct à l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita) et à la Résistance nationale mozambicaine (Renamo), dans deux pays aux prises avec des guerres civiles dévastatrices. Mais l’Afrique du Sud poursuivra sa politique de déstabilisation au Mozambique. De plus si le Frelimo a bénéficié de la défaite du sous-impérialisme sud-africain, il ne peut revendiquer un succès militaire, ni même un Canossa diplomatique comme celui que les EUA imposeront à Pretoria lors des rencontres de Brazzaville, sous l’égide de Sassou Nguesso.

Sans succès décisifs à leur actif, les chefs militaires du Frelimo de plus ont éliminé – avec l’aide de la PIDE – la police politique de Salazar, leurs rivaux civils charismatiques9. Pour ceux d’entre eux qui ont survécu, le complexe sécuritaire les a intégrés (ou du moins leurs épouses) et a réussi à transformer Filipe Nyusi, le puissant ministre de la défense de 2014 en président de la République alors que la guerre au Cabo Delgado a déjà commencé.

Le Cabo Delgado, terre promise ou brouillard de guerre10

Le gaz mozambicain était prometteur, selon Benjamin Augé (IFRI)  : «  À partir de 2032 environ, 60 millions de tonnes devraient être produites annuellement. À titre de comparaison, le Qatar produit 77 millions de tonnes par an, le Nigeria 23 millions de tonnes par an. Depuis 2004, le Mozambique produit un faible volume de gaz (depuis les champs de Pande et Temane) entièrement exporté vers l’Afrique du Sud. Qu’est-ce qui est déjà décidé ? : l’utilisation du Floating Liquefied Natural Gas (FLNG) – et les deux premiers trains de liquéfaction de 12,8 millions de tonnes par an de Total – Mozambique LNG (à Afungi, province de Cabo Delgado). Le projet d’ExxonMobil Rovuma gaz naturel liquéfié (GNL) de 15,2 millions de tonnes devait suivre en 2020.  » Malgré le soutien de Trump qui y voyait une occasion de contrer les Chinois, ExxonMobil a reporté son investissement et en a réduit le montant. Les Britanniques ne lâchent pas Total car British Petroleum voulait acquérir tout le débit du FLNG ,et une série de multinationales (EDF, Shell, Tokyo Gas, Tohoku, Cnooc) acheter le GNL on shore qui alimentera en grande partie les marchés asiatiques. Mais ces plans sont secoués par les attaques d’Ansar Al-Sunna dans la région, qui ont provoqué le déplacement d’au moins 500 000 personnes. L’accent mis sur la dimension religieuse du conflit oublie que c’est la politique globale du Frelimo, le parti-État, qui est remise en cause sur plusieurs aspects. Le Frelimo s’est installé au pouvoir après l’Indépendance et le cantonnement de la Renamo, l’autre résistance à l’Estado Novo. Après une gouvernance budgétaire et sociale plutôt appréciée des partenaires au développement, le Mozambique s’est engagé clairement à partir de 2013 dans des montages de financements extérieurs secrets accompagnés de versements de fonds au ministre de la défense, depuis devenu président et ardent soutien du projet de Total, qui en 2021 se trouve sous la protection directe des Forces armées du Mozambique.

La compagnie nationale Total et l’État français se retrouvent en première ligne de ce gigantesque champ gazier qui bouleverse l’écosystème de la province du Cabo Delgado et ravive l’affrontement entre les deux forces antagoniques du Frelimo et de la Renamo. Les errements de gestion et la corruption à partir de 2013 ont freiné les dépenses publiques visant à réduire la pauvreté, en particulier dans le Cabo Delgado déjà défavorisé11. Ni les EUA, ni le Royaume Uni après son départ de l’UE, ne vont soutenir frontalement le Mozambique ou la France dans une opération militaire au Mozambique. Londres veut seulement assurer son indépendance énergétique, mais ne souhaite pas contribuer à la dégradation de la planète – surtout qu’une opinion publique nationale entend demander des comptes à Boris Johnson sur ce thème12. La révision par les EUA de l’inscription des Houthis dans la liste des mouvements terroristes indique qu’un réexamen de la diabolisation des luttes du Cabo Delgado n’est pas à écarter un jour.

En 2021, la ministre française de la défense s’efforce pourtant de s’associer à la proposition du Portugal d’aider (45 ans après son départ) à la formation des troupes mozambicaines, plus habituées à chasser sans merci leurs rivaux de la Renamo qu’à la protection d’installations industrielles. Total prétend user d’effectifs non armés des meilleures compagnies militaire privées (Private Military Companies, PMC), les Britanniques Blue Mountain et Control Risks, le canadien GardaWorld, le conglomérat G4S et le mozambicain Arkhe Risk Solutions. Le groupe Sud-africain militaire Dyck Advisory Group (DAG), présent depuis 2019, a connu, comme le russe Wagner, des pertes notables en dépit de ses moyens aériens, en particulier des Gazelles françaises fortement appréciées par l’apartheid pour repérer et détruire les combattants de l’ANC. En raison des réticences de Maputo à solliciter la communauté des États d’Afrique australe (la SADC13) et des débats en RSA où l’on reste échaudé par le massacre d’au moins une vingtaine d’hommes à Bangui en 2013, il se déroule au Cabo Delgado ce qui pourrait être la première guerre privée14.

La compagnie nationale Total et l’État français se retrouvent en première ligne de ce gigantesque champ gazier qui bouleverse l’écosystème de la province du Cabo Delgado et ravive l’affrontement entre les deux forces antagoniques du Frelimo et de la Renamo.

Olivier Vallée

La refonte logistique au fer sécuritaire

La crainte d’une contamination islamique en RSA existe, et certains pensent dans ce pays qu’il n’est pas nécessaire de provoquer les groupes armés du Mozambique qui sont déjà en mesure de mener des représailles en mer. La marine sud-africaine – dont le recrutement est différent de celui de l’armée de terre – estime qu’au vu de l’éloignement du site, il serait plus judicieux de mener des actions de commandos contre les groupes armés insurrectionnels à partir du canal de Mozambique. Selon le capitaine Blaine15, conduire des actions chirurgicales s’impose plutôt que de risquer un embourbement terrestre. Est-ce une inspiration pour Total qui envisagerait de baser ses équipes et une partie du matériel de mise en valeur des champs gaziers à Mayotte  ? Shell et le norvégien Yara International ont pour leur part complètement renoncé à tous leurs projets dans le Nord Mozambique. Total évoque aussi la réalisation d’un terminal de GNL à Maputo, plus de 1000 kilomètres au sud du Cabo Delgado. Cette relocalisation marquerait également les retrouvailles de Total avec le géant sud-africain énergétique de l’apartheid, Sasol. Les deux groupes se partagent encore la raffinerie Natref et Total est présent en RSA depuis 1954. La multinationalisation ambitieuse d’un vaste eldorado gazier dans une des régions les plus pauvres du monde aboutirait-elle à une troïka incertaine alliant la France, le Mozambique et la République Sud-Africaine (RSA)  ?

La politique du Laager, la forteresse afrikaner dans laquelle les racistes sud-africains pensaient tenir contre le monde entier, ne peut se répéter dans le seul compartiment énergétique. Considéré comme un des champions nationaux et disposant de relais dans l’État profond, Total ne peut aller à l’encontre de cette donnée. L’histoire du canal de Mozambique, tout comme la redistribution des cartes de la puissance entre la vieille Europe et les BRICS, pèseront dans le rapport de forces qui va s’installer dans cette partie de l’Océan indien.

Un passé tortueux, un douteux futur

Le mirage gazier et l’État islamique paraissent en effet une grille de lecture hâtive pour justifier l’entrée de la France dans une nouvelle guerre civile africaine. L’Islam n’est pas une idée neuve dans le nord du Mozambique  : «  À partir de 1910, trois éléments auraient favorisé la pénétration de l’Islam vers l’intérieur : la présence de plusieurs milliers de soldats musulmans (swahili, indiens…) dans les troupes de l’armée britannique qui intervient dans le Nord du Mozambique pendant la Première guerre mondiale, la progression du commerce indo-musulman avec l’occupation coloniale de l’hinterland, puis la construction du chemin de fer de Lumbo vers le Malawi Après la soumission à l’autorité coloniale, les leaders musulmans de la côte auraient en outre intensifié leur prosélytisme pour compenser la perte de leur pouvoir politique par un ascendant spirituel et culturel sur les populations de l’intérieur (Carvalho, 1988 : 60). » Au cours de la guerre froide, un des fantasmes des batailles navales d’État-major résidait dans l’installation des Soviétiques à Nacala. Le port est déserté, mais ce site est devenu une place forte des efforts d’endiguement de la résistance du Cabo Delgado. Et la Russie dans sa renaissance africaine utilise l’aéroport de Nacala pour y livrer des équipements de lutte contre-insurrectionnelle. Mais la circulation maritime n’est pas menacée par le déploiement des bateaux de guerre de la Russie, sans doute parce que se dégage un consensus de segmentation du canal selon plusieurs enjeux avec une convergence provisoire autant que dérisoire de lutte contre un mouvement armé considéré comme issu de la mouvance islamiste. La Russie distingue ses interventions navales et aéroterrestres ; sa doctrine stratégique océanique sépare le naval militaire du maritime civil et scientifique. L’alliée de la Russie dans l’Océan indien demeure l’Inde, et le canal de Mozambique n’est pas un objectif militaire pour Moscou. Le versant maritime, distinct du naval militaire, prévoit par contre l’exploitation des ressources énergétiques, la recherche de la biodiversité et surtout le développement de l’Antarctique, avec une rivalité possible dans le vaste domaine des terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Dans ce cadre, la Russie joue la carte malgache et envoie un bateau océanographique visiter ses fonds marins.

Depuis la fin de l’apartheid, la France a du mal à fixer ses azimuts dans cette partie de l’Océan indien. Alain Juppé ne comprenait déjà pas que la nouvelle RSA ne pouvait cautionner la politique française en Afrique, en particulier le génocide du Rwanda ; mais Paris peine de plus à définir un espace géopolitique du canal sur des bases cohérentes. Dans les années 1990, faute de saisir la formation des élites militaires et économiques qui forment un complexe sécuritaire de pouvoir, à Maputo comme à Luanda, la France voulait encore rêver d’un partenariat stratégique avec la RSA – estimée à tort comme un géant militaire du continent. Le marché des frégates que la marine sud-africaine16 projette d’acquérir mobilise alors le ministre français de la Défense, François Léotard, qui durant sa jeunesse avec l’extrême droite n’était pas hostile au Laager…

Faute de succès à Pretoria, une nébuleuse d’officiers de marine français en lien avec des sud-africains vont vendre à Maputo des navires intercepteurs HSI32 fournis par les chantiers navals de Cherbourg, les Constructions mécaniques de Normandie (CMN) appartenant au franco-libanais Iskandar Safa. Ce gros contrat d’achat de chalutiers et de navires de surveillance français conclus avec le gouvernement du président Armando Guebuza17, via des sociétés nationales liées aux services de renseignements mozambicains (SISE), a plombé les comptes du pays, provoquant l’ire du Fonds monétaire international (FMI) et une véritable polémique internationale18 (LOI nº1439). Nicole Bricq se rendra même à Pemba pour y visiter les bateaux livrés par les chantiers navals des Constructions mécaniques de Normandie (LOI nº1363). Pemba attire aussi le groupe Bolloré, livrant dès mars 2013 la première solution portuaire pour les pétroliers du pays, à Pemba. Bolloré Logistics Mozambique fournit également des services au groupe pétrochimique Sasol (champs gaziers de Pande et Temane). Outre le BTP et la logistique où Bolloré s’impose, les Français ont investi le secteur de la restauration avec Catering International & Services (CIS) et Sodexo. EDF avait de son côté conclu avec Anadarko un accord pour l’achat de 1,2 million de tonnes de gaz issues de la production des deux futurs trains de liquéfaction du site d’Afungi depuis abandonné.

Face à cette débâcle, penser que Moscou serait un bouclier des intérêts occidentaux au Cabo Delgado semble une gageure. La volonté politique de la Russie compose avec sa lente stratégie de pénétration des mers chaudes, et l’activisme que ses moyens aériens lui autorisent. Au sol, la clé repose sur la combinaison des moyens marins air et sol. Wagner reste en dessous du sud-africain DAG pour cette articulation et les deux SMP sont pour l’instant découplées de leurs forces armées respectives. Celles-ci ont mené conjointement avec la Chine19 des manœuvres navales dans les eaux australes en 2019. La Chine et la Russie avaient aussi conduit des exercices de leurs flottes avec l’Iran. Le déploiement naval montre un front commun des pays émergents, en dépit des conflits latents entre la Chine et l’Inde. La Chine désinvestit depuis 2017 le Mozambique car ce n’est pas un pays clé, ni pour son approvisionnement ni pour les débouchés ; le faible effectif de la population de résidents chinois ne mobilise pas non plus. Le canal du Mozambique n’est pas un enjeu chinois car Pékin vise davantage l’extension du réseau ferroviaire de l’Afrique australe20 pour fournir, via des ports modernisés et sûrs, le flux de ses marchandises et ses TGV adaptés au milieu21. La relativité de la centralité chinoise dans cette sous-partie de l’Océan indien incite donc à la repenser avec une autre grille que celle déroulée par le président Macron pour l’Indopacifique lors de son discours de Garden Island (Sydney) au printemps 2018.

Face à cette débâcle, penser que Moscou serait un bouclier des intérêts occidentaux au Cabo Delgado semble une gageure. La volonté politique de la Russie compose avec sa lente stratégie de pénétration des mers chaudes, et l’activisme que ses moyens aériens lui autorisent.

Olivier Vallée

Un espace réticulaire  ?

À cette occasion, la Chine apparaissait en filigrane de la doctrine du président Macron comme la menace prioritaire à la liberté des mers, du fait de son expansion régionale mais aussi de son ambition d’un réseau planétaire de couloirs d’échanges et d’escales maritimes. Dans le sud-ouest de l’Océan indien, la Chine abuserait entre autres des ressources halieutiques. Passant du discours de Sydney au canal du Mozambique, le président Macron a réaffirmé que les îles éparses portent la souveraineté océanique française mais aussi son souci de sécurité environnementale. Il y aurait sur cette thématique, en particulier la protection des sites piscicoles, l’occasion de rassembler les États riverains du canal. 

Or rien ne se dessine dans ce sens et l’attrait des flottes européennes pour le thon du sud-ouest de l’Océan indien explique que la COI soit aussi timide que la France dans ce domaine. Au lieu de sérier les litiges, Paris tend à les agréger dans une trame continue : la souveraineté française sur les îles éparses, les TAAF, la présence navale et militaire, les départements français, la guerre du Cabo Delgado, et les affres du projet gazier de Total. Tout cela constitue un écheveau qu’il faudrait dévider plutôt qu’emmêler. 

La sécurité concerne les puissances occidentales présentes dans le voisinage22, mais elles ne partagent pas l’exception de la forme départementale française exportée aux antipodes. Si les États-Unis sont en effet présents depuis plus d’une quarantaine d’années dans l’archipel des Chagos au cœur de l’Océan indien avec une importante base militaire implantée sur l’île de Diego Garcia, il s’agit d’une location. Et il apparaît que ce n’est pas le canal du Mozambique qui préoccupe depuis cet observatoire, mais plutôt les bases maritimes implantées sporadiquement par la Chine, du port pakistanais de Gwadar jusqu’au Cambodge, en passant par le Myanmar, la Thaïlande et le port de Chittagong au Bangladesh. Autre version de la stratégie chinoise dite du « collier de perles ». Maurice – qui revendique les Chagos confisquées par l’ex-puissance coloniale britannique – a su séparer le contentieux de Diego Garcia des Chagos et accepter sans contestation majeure la position américaine sur cette île stratégique, de plus vidée de ses résidents23.

Les Britanniques retiennent dans leur escarcelle post-impériale les Chagos sous la forme de territoires de l’Océan indien (les BIOT) dédiés à la protection de l’écologie marine, la pêche, des coraux et la végétation. La raison sociale des BIOT serait de promouvoir une réserve naturelle, faisant patienter les réclamations du gouvernement mauricien. Cette séparation des genres entre militaire et écologie, peut-être spécieuse, a du moins l’avantage de différer les enjeux et d’ouvrir des pistes de discussions. De même que la fiction du découplage de Diego Garcia des iles Chagos laisse à Maurice comme à Washington des marges de manœuvre.

L’Afrique du Sud n’a pas tenu les promesses de 2003, lors de l’annonce de la formation de l’IBSA, triade que l’Afrique du Sud forme avec le Brésil et l’Inde, deux autres puissances émergentes dont les agendas internationaux sont similaires sur plusieurs points24. Profitant quelques mois plus tard d’un contexte favorable, Pretoria lance sa fameuse stratégie du papillon à partir de laquelle se précise davantage la politique étrangère. Cette démarche visant à construire un statut de puissance émergente, il est attendu que le papillon sud-africain ouvre ses grandes ailes. La première devrait recouvrir l’Atlantique sud et rejoindre le Brésil, son allié latino-américain, tandis que l’autre pourrait s’étendre jusqu’à l’Inde, son partenaire asiatique, et couvrir la région de l’Océan indien, un des espaces considérés prioritaires par la diplomatie sud-africaine. Cette grande ambition ne s’est pas concrétisée car l’Inde est reste pour les États-Unis l’allié objectif de la Russie dans l’Océan indien. Mais surtout, la RSA n’a plus de moyens militaires océaniques, les sous-marins français du temps de l’apartheid sont à bout de souffle et les nouveaux submersibles allemands sont en cours de fabrication. La flotte indienne qui loue des submersibles à la Russie peut se débrouiller autrement. 

Mais l’impasse de la triade IBSA révèle la nature du canal de Mozambique. Ce n’est pas un espace cardinal avec des points géographiques fixes et des acteurs qui les tiennent ; il s’agit plutôt d’une configuration réticulaire. Ce sont les réseaux et les traces laissées par l’histoire, mais aussi les rapprochements contemporains de forces nouvelles qui composent les archipels politiques et institutionnels. Sur cette surface fluctuante, il faut tenir compte de relations asymétriques sans affaiblir excessivement les partenaires subalternes comme Madagascar. Les coalitions entre agents de l’Océan indien sont possibles malgré les discontinuités autour de problèmes instables mais récurrents. Maurice, les États-Unis et le Royaume-Uni édifient depuis des années un rapport de compromis sur les Chagos qui n’apparaît pas pérenne mais suffisamment ferme pour ne pas introduire trop de tensions.

Les coalitions entre agents de l’Océan indien sont possibles malgré les discontinuités autour de problèmes instables mais récurrents. Maurice, les États-Unis et le Royaume-Uni édifient depuis des années un rapport de compromis sur les Chagos qui n’apparaît pas pérenne mais suffisamment ferme pour ne pas introduire trop de tensions.

Olivier Vallée

Reconstruire un ordre austral  ?

De la RSA post-apartheid à l’ile Maurice démocratique, du DOM Réunion au Mozambique déchiré par des années de lutte, la diversité caractérise les formes locales du politique. À l’échelle planétaire, la RSA, la France, l’UE et les États-Unis ont tardé à penser une coopération militaire adaptée à l’environnement du chenal mozambicain en laissant se déchainer l’anarchie des flux illicites, en particulier pour Madagascar. Leurs conceptions discrétionnaires de la gouvernance n’ont jamais été remmaillées pour trouver un début de concrétisation, ne serait-ce qu’une unanimité contre le commerce illégal de bois de rose entre caciques malgaches et oligarques chinois. A contrario, leurs concurrents Moscou et Pékin partagent des conceptions communes des relations internationales, telles que la mise en exergue des concepts de souveraineté et de non-ingérence dans les affaires intérieures, et in fine, la reconnaissance de la pluralité des modèles de développement des États – s’opposant en cela, aux normes et valeurs défendues par l’UE à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières (et donc aussi en Afrique) sur des questions aussi essentielles que la démocratie et le respect des droits humains. L’Afrique du Sud est déçue du montant et de la lenteur de l’aide de l’UE et lassée des remontrances qui l’accompagnent. La France n’a pas rempli le rôle de facilitateur attendu et le partenariat stratégique avec la RSA est bien décevant. La RSA doit de plus toujours respecter le cadre très contraignant de la SADC, alors que la France y a très peu fait recours, en particulier lors du coup d’État de 2009 à Tananarive. Du côté de Madagascar, la partie française n’a jamais aidé à reconstituer les capacités navales de cette île qui compte de nombreux ports et des milliers de kilomètres de côte. La marine malgache ne dispose en effet que d’un remorqueur côtier et de 6 vedettes de surveillance provenant d’un don de la coopération avec les États-Unis. En termes d’organisation, il y a un État-major basé à Antananarivo et une seule base navale dans le nord à Antsiranana, avec 3 détachements (dont 2 dans l’Ouest, Mahajanga et Nosy-Be, et un autre à l’Est, à Sainte-Marie). Seul 17 % de l’espace maritime est couvert par les forces navales, favorisant de la sorte le développement d’activités illicites25

Too little, too late  ?

Depuis 2017, Paris s’efforce de se repositionner à Madagascar, dans une logique de couloir ordonné du sud-ouest de l’Océan indien. Les États-Unis étaient déjà à l’œuvre depuis 2016 avec des exercices communs, notamment l’exercice interallié Cutlass Express, coordonné par le commandement américain pour l’Afrique (AFRICOM). Les autres volets de la coopération avec les États-Unis s’articulent autour de formations notamment en matière d’anti-piraterie et de contre-terrorisme international, d’assistance matérielle (dont les vedettes pour la marine malgache), et d’assistance à l’élaboration d’un programme stratégique pour la sécurité maritime.

Dès 2013, la Chine a pourvu au programme d’équipement des Forces Armées Malagasy portant notamment sur les domaines de la surveillance côtière et de l’aviation légère. Lors de sa visite d’État en RPC, le président de la République de Madagascar d’alors, Hery Rajaonarimampiainina, a manifesté le soutien de Madagascar à l’initiative « une Ceinture et une Route » dans les domaines de l’énergie, de l’aviation, des transports, des ports et de la construction aéroportuaire. De plus, Madagascar joue un rôle de pont entre le programme « une Ceinture et une Route » et le continent africain. Ce pays occupait déjà̀ une place importante dans la route de la soie antique en raison de sa position stratégique dans l’Océan Indien. Si sa souveraineté peut en effet s’exercer, Madagascar règne sur une zone économique maritime exclusive (ZEE) qui est deux fois plus importante que la superficie terrestre, soit 1 200 000 km2 de ZEE pour 5 000 km de côtes maritimes contre une superficie de 587 041 km2. Madagascar a aussi conclu un accord de coopération avec l’Inde qui a mis en place, depuis 1998, l’Indian Ocean Naval Symposium (IONS). Il s’agit d’un forum au travers duquel les chefs d’état-major des marines de tous les États littoraux de l’Océan indien peuvent, à l’occasion de réunions régulières, promouvoir l’adoption de mécanismes communs de sécurité maritime. L’IONS incite à une compréhension partagée des enjeux et des préoccupations relatifs à la région de l’Océan indien dans le domaine de la sécurité maritime, renforce la capacité de tous les États de la région à relever les défis actuels et anticipés à la stabilité de l’Océan indien, cherche à établir et promouvoir une gamme des mécanismes de coopération dans toute la région de l’Océan Indien26

Cette entreprise cohérente de l’Inde pour articuler Asie et Afrique dans la gestion de la zone sud-ouest de l’Océan indien ne fait cependant pas jonction avec le mécanisme de sécurité de la SADC. Cet instrument, l’Organ for Politics, Defense and Security (OPDS) a contribué à dénouer des conflits entre les États membres et à les inciter à des compromis internes, aussi fragiles soient-ils. Certes insuffisamment, mais sans beaucoup d’encouragements des parrains habituels de ce type d’institution. Ainsi, Madagascar a bafoué l’OPDS en 2009 sans que l’OIF ni l’Union africaine ne lui en tiennent rigueur, et s’est retrouvé suspendu de la SADC de 2009 à 2014.

Des passerelles plutôt qu’un hub 

Mais la complexité de la géographie politique du sud-ouest de l’Océan indien indique que l’on ne peut se passer de cet instrument (l’Organ for Politics, Defense and Security (OPDS)) dont la compétence maritime doit être renforcée. La SADC est un système de régulation régionale qui comporte des pays divers, dont certains possèdent une voie spécifique comme le Zimbabwe, quand d’autres sont proches de la Chine, du Brésil et le Russie mais sans alignement acquis. L’UE, les États-Unis et la France ont cessé d’être l’interlocuteur majeur de cette partie du monde qui regroupe 16 États, dont 10 possèdent une façade maritime ou sont des îles. Ce qui signifie une projection de souveraineté de cette cohorte de nations encore insoupçonnée. Avec les îles du Prince Edward, la RAS étend par exemple sa présence et ses intérêts bien au-delà du sud-ouest de l’Océan indien. Sur les eaux et au sol, toute intervention extérieure, surtout de nature militaire, y compris si le président Filipe Nyusi l’encourage, ne devrait pas se produire sans au moins la consultation de l’Organ for Politics, Defense and Security (OPDS). L’avis et le schéma de solutions des différents de la COI n’est pas non plus sollicité pour les îles éparses. Quand la France mêle des rôles de police des frontières à Mayotte à une éventuelle OPEX qui ne dit pas son nom au Mozambique, comment ne pas associer la SADC et de la COI à la définition des rôles et des missions ? Le Cabo Delgado, pointe du canal du Mozambique ne peut être déconnecté de son environnement plurinational et maritime – d’autant qu’il lui est plus proche que Maputo ou Paris. 

Une régionalisation réticulaire serait préférable à l’internationalisation du mercenariat qui se produit pour défendre le projet Total. Le Dyck Advisory Group (DAG) mobilisé au Cabo Delgado, dirigé par un ancien de la Rhodésie blanche, le colonel Lionel Dyck, bénéficie ainsi de la connaissance de la région acquise lors d’opérations contre le braconnage de la faune protégée27. Un thème qui devrait rapprocher les pays riverains du canal dévastés par la destruction des espèces protégées, mais sans forcément participer de sa militarisation. Car le succès de DAG n’est pas assuré après les pertes d’un hélicoptère et d’un avion léger en juin 2020. Le président mozambicain refuse le recours à la SADC car elle implique de souscrire à une sortie coordonnée de la crise par une combinaison d’interactions simultanées à plusieurs échelles d’espaces institutionnels et régionaux. L’intégration de la dimension régionale du canal de Mozambique demanderait à la France de faciliter la connexion des territoires, le développement des réseaux et des flux. Serait ainsi engendrée une plus grande mitoyenneté des acteurs et des thématiques. Le bon voisinage participe d’une dynamique bien plus englobante que les partenariats de coopération militaire que Paris introduit à la hâte. La volonté étatique ne peut plus se concrétiser sans une certaine institutionnalisation des liens entre les acteurs, et éventuellement l’apparition d’une conscience et d’une identité régionale chez les habitants du sud-ouest de l’Océan indien, celle-ci pouvant se bâtir sur les défis écologiques et climatiques – ils semblent particulièrement intenses et nombreux dans l’aire du nord Mozambique. Pourtant, l’exploitation des pêches au thon et à la crevette, l’extension des passages de navires et le développement de champs pétroliers et gaziers aggravent les risques qu’une abondante et récente littérature scientifique explore28.

Le mythe du progrès est confronté au Mozambique à la remise en cause des administrations autoritaires comme de la civilisation du carbone.

Olivier Vallée

Les études de cette transition recommandent que la stratégie de réponse associe tous les États impliqués dans la gestion océanique. En effet, les ZEE ne sont pas consolidées et ne sont pas reconnues telles quelles par les différentes parties concernées. Les délimitations existent de manière théorique, en étant utilisées par les opérateurs de la grande pêche pour la définition de leurs zones d’intervention et la gestion de leurs quotas, sans pour autant n’avoir jamais fait l’objet d’aucun accord ni traité. Les permis de recherche sur Juan de Nova accordés par le ministère français de l’environnement sont caractérisés par des « limites séparatives entre la France et Madagascar à déterminer ». La ZEE française sur les îles éparses est elle-même définie (loi du 16 juillet 1976) « depuis la limite des eaux territoriales jusqu’à 188 miles marins au-delà de cette limite, sous réserve d’accords de délimitation avec les États voisins ». De plus, la France interdit depuis 2018 l’exploitation des ressources pétrolières sur son territoire, ce qui vide de sens la cogestion des îles éparses pour le partage des gisements d’hydrocarbures. 

Historicité et modernité

Rien n’est acquis donc, car l’écosystème océanique est aussi politique. Cette configuration demande de rompre avec le vocabulaire de la fixité, voire de la crispation. Jean-Marc Châtaignier29, qui fut ambassadeur à Madagascar, formulait cette langue du conservatisme, plus que de la conservation, avec des termes comme « sanctuaire ». Ce glossaire gèle l’analyse et l’action de la France. Dans son article30, la proposition de transformer un ensemble de peuples et de territoires vivants en patrimoine de l’humanité paraît aujourd’hui bien loin de la réalité de la nouvelle guerre et du désastre écologique au Cabo Delgado. La situation au nord Mozambique peut enclencher un bouleversement du cône sud-ouest de l’Océan indien, et de tout ce que l’on appelait auparavant la côte swahilie. Fin décembre 2020, le coordinateur antiterroriste du State Department, Nathan Sales, de retour du Mozambique, avait des mots cruels pour la stratégie d’externalisation de la sécurité nationale vers des mercenaires31. Il dénonçait les projets qui privent les populations de leurs ressources, et appelait la RSA à prendre ses responsabilités. Le mot islamiste n’a pas été prononcé. Sans doute parce que le combat qui se profile dans le Cabo Delgado, et peut-être aussi à Madagascar où des gisements d’hydrocarbures sont prometteurs, ressemble davantage à celui du delta du Niger. Robert Ahearne dans son étude « Oil and gas, citizenship, modernity and change in southern Tanzania », montrait dès 2013 que les projets pétroliers et gaziers dans le sud de la Tanzanie, limitrophe du Mozambique nord, perturbaient les droits civiques des habitants des régions concernées. C’était l’occasion dans son travail de revenir à l’émergence au milieu des années 2000 du « Movement for the Emancipation of the Niger Delta (MEND) » au Nigéria. L’ampleur des destructions et des pertes occasionnées par les sabotages du MEND a déséquilibré le Nigéria tout entier et a aussi donné une référence à Boko Haram, qui exprime à l’origine le désarroi politique et économique plus que le djihadisme. La prise en compte des soucis et des prétentions des communautés locales aurait sans doute évité les troubles qu’Ahearne32 pointait dans le bassin du Rovuma au Mozambique et au Mtwara en Tanzanie. Son travail suggère l’histoire réversible33 du développement dans un pays post-conflit et l’étendue des questions que les projets énergétiques soulèvent comme les droits du sol. De plus, le mythe du progrès est confronté au Mozambique à la remise en cause des administrations autoritaires34 comme de la civilisation du carbone35.

Sources
  1. Elles garantissent la protection du territoire national et animent la coopération régionale depuis La Réunion et Mayotte. Elles constituent le point d’appui principal du Théâtre océan Indien.
  2. Voir les FAZSOI.
  3. http://www.cesm.fr/images/Cargo/2015/Cargo-2015_03-Les-eparses-des-iles-si-convoitees.pdf
  4. S. F. Sanchez , Nosy Be, un carrefour de l’Océan indien occidental (1839-1920), mémoire de DEA, Paris 7, juin 2004, 178 p.
  5. Dr. Juvence F. Ramasy , « Sécurité maritime et politique de coopération face à la piraterie en Afrique : le cas de Madagascar », Tananarive 2020
  6. https://criticalmaritimeroutes.eu/projects/crimario/
  7. Que Hollande annonçait dans sa déclaration au sommet de la COI comme une initiative de la France, demandant également que l’Océan indien soit une mer francophone.
  8. https://www.cowrynews.com/mozambique-president-nyusi-dragged-into-a-billion-dollar-loan-scandal/
  9. Voir les travaux de Michel Cahen.
  10. Francisco Almeida dos Santos, «  War in resource-rich northern Mozambique – Six scenarios (2020)  », Bergen : Chr. Michelsen Institute (CMI Insight 2020:02) 18 p.
  11. João Feijó et Jerry Maquenzi, POVERTY, INEQUALITY AND CONFLICT, THE NORTHERN CABO DELGADO, juillet 2016
  12. https://www.cowrynews.com/british-government-ends-investment-in-overseas-oil-but-questionable-mozambique-gas-project-continues/
  13. Communauté de développement de l’Afrique australe (Southern African Development Community, SADC) : Afrique du Sud, Angola, Botswana, Congo (RDC), Lesotho, Madagascar, Malawi, Maurice, Mozambique, Namibie, Seychelles, Swaziland, Tanzanie, Zambie et Zimbabwe.
  14. https://jasoninstitute.com/2020/07/19/a-very-private-war-the-failure-of-mozambiques-approach-to-defeating-an-islamist-insurgency/
  15. Capt (SAN) M.S. Blaine, SIGLA’s Maritime Security Governance hub. E-mail : [email protected]
  16. Où les Blancs sont encore nombreux et comptent des amis dans la marine française (attachés de défense en particulier).
  17. Dont le ministre de la défense était l’actuel président de la République, Filipe Nyusi.
  18. Le boom gazier apparaît comme la clé de voûte du scandale des emprunts cachés mozambicains, à mesure que se poursuit depuis janvier la procédure judiciaire américaine contre Manuel Chang, ex-ministre des finances de la présidence d’Armando Guebuza. Accusées d’avoir contracté 2 milliards $ de prêts validés par Chang sans en informer le Fonds monétaire international (FMI), les firmes parapubliques ProIndicus, Empresa Moçambicana de Atum (Ematum) et Mozambique Asset Management (MAM) ont élaboré un projet de sécurisation des côtes mozambicaine reposant en partie sur les futures recettes gazières. Le géant naval émirati Privinvest, qui devait mettre en œuvre le projet, le présentait en 2014 comme permettant au Mozambique «  d’affirmer sa souveraineté sur sa zone d’exclusivité économique (ZEE) et d’en exploiter les ressources naturelles  ».
  19. La marine chinoise participe à ses toutes premières manœuvres navales conjointes avec la Russie et l’Afrique du Sud dans les eaux d’Afrique australe, ce qui renforcera la capacité des pays à faire face aux menaces à la sécurité maritime, à sécuriser les voies de navigation et à contribuer à la paix mondiale, ont déclaré des experts chinois lundi. La frégate de missiles guidés Weifang de l’Armée populaire de libération (APL) est arrivée dimanche après-midi à Cape Town (Afrique du Sud), où le navire de guerre a été chaleureusement accueilli par le personnel naval sud-africain et les résidents chinois locaux, a rapporté lundi la télévision centrale de Chine (CCTV).
  20. https://www.globalconstructionreview.com/markets/chinese-firms-wi8n-9bn-tanz6anian-rail-sch6eme/
  21. https://www.railjournal.com/africa/chinese-contractors-awarded-contract-for-tanzanian-sgr/
  22. https://legrandcontinent.eu/fr/2020/11/18/le-jeu-de-go-des-chagos/
  23. Ibid.
  24. À ce sujet, voir ALDEN Chris et VIEIRA Marco Antonio « The New Diplomacy of the South : South Africa, Brazil, India and Trilateralism » Third World Quarterly, 26, 7, 2005, pp. 1077-1095. Ou encore TURCOTTE Sylvain F. et LORD Guy, « L’Afrique du Sud, le Brésil et l’Inde dans l’espace commercial global : le G-3 est-il viable ? », dans REGNAULT Henri et DEBLOCK Christian (dir.), Nord-Sud : la reconnexion périphérique, Montréal, Athéna, 2006.
  25. Voir Juvence Ramasy, op.cit.
  26. Ibid.
  27. https://globalriskinsights.com/2021/02/too-many-mercenaries-in-mozambique/
  28. ASCLME/UNDP. (2012). A strategic action programme for sustainable management of the Western Indian Ocean Large Marine Ecosystems. Building a partnership to promote the sustainable management and shared governance of WIO ecosystems for present and future generations. ASCLME pro- gramme/United Nations Development Programme. www.asclme.org.

    Attri, V. N. (2018). A handbook on the blue economy in the Indian Ocean region. Human Sciences Research Council, South Africa/Indian Ocean Rim Association (IORA).

    Bandeira, S. O. (2011). Seagrasses. In M. D. Richmond (Ed.), A field guide to the seashores of Eastern Africa and the Western Indian Ocean Island (3rd ed.) (pp. 74–77).

  29. Jean-Marc Châtaigner. « Les îles Éparses : enjeux de souveraineté et de cogestion dans l’océan Indien. » La Revue maritime, 2015, p. 70-87. ffird-01414230f
  30. Ibid.
  31. Cole, Matthew (2019). « The complete Mercenary : How Erik Prince Used the Rise of Trump to Make an Improbable Comeback. » The Intercept. May 3, 2019. https://theintercept.com/2019/05/03/erik-prince- trump-uae-project-veritas/
  32. Robert M. Ahearne, « Development and progress as historical phenomena in Tanzania : ‘Maendeleo ? We had that in the past », African Studies Review 59, 1 (2016), pp. 77–96.
  33. Ibid.
  34. Chichava, Sérgio (2020). « Quem é o “inimigo” que ataca Cabo Delgado ? Breve apresentação das hipóteses do governo moçambicano ». Maputo. Instituto de Estudos Sociais e Economicos (IESE). IDeIAS no 127, Abril 13, 2020. http://www.iese.ac.mz/wp-content/ uploads/2020/04/ideias-127_SC.pdf
  35. https://clubofmozambique.com/wp-content/uploads/2020/06/Gas-in Mozambique_Friends-of-the-Earth_Executive-Summary_English-.pdf