Province de Cabo Delgado, Mozambique. Le 23 mars, un groupe de terroristes prennent d’assaut la ville de Moçimboa da Praia et hissent leur drapeau sur le quartier général des forces de défense et de sécurité dans la ville. Le 25 mars, ils prennent la ville de Quissanga située à environ 150km au sud et font de même. Ces attaques, bien que loin d’être les plus meurtrières, sont certainement les plus symboliques perpétrées par la « mystérieuse insurrection » qui frappe le Cabo Delgado depuis 2017. Le renversement de la bannière est un défi direct lancé à Maputo, qui peine de plus en plus à enrayer ce mouvement. 

Le Mozambique semblait pourtant se rapprocher de la paix lorsqu’en 2014 le président Armando Guebuza et la RENAMO ont signé un accord de cessez-le-feu, qui a abouti en 2019 à un traité de paix mettant fin définitivement à la guerre civile. Depuis ce rapprochement, le gouvernement mozambicain s’intéresse de plus en plus au Cabo Delgado, non en raison des violences qui y sont apparus, mais pour ses réserves de gaz qui promettent de sortir le pays de la pauvreté. C’est dans cette province que se concentrent les contradictions du Mozambique contemporain : entre pauvreté extrême et promesse de richesse, cela semble être un climat idéal pour l’émergence d’une contestation armée. 

Cependant l’absence de communications de la part des insurgés laisse les observateurs perplexes sur leurs objectifs et leur organisation. L’hypothèse de groupes armés par des trafiquants locaux afin de faire fuir les entreprises étrangères perd de plus en plus de crédit par rapport à celle de combattants islamistes depuis la première revendication d’une attaque par Daesh le 4 juin 2019. Que sait-on donc de cette insurrection au Mozambique  ? Comment expliquer cette montée des violences et quelles perspectives cela amène-t-il pour le Mozambique et ses partenaires européens  ? Loin de pouvoir proposer une véritable réponse à ce phénomène, cet article cherche à faire le point sur les connaissances en vigueur sur la situation, et la rendre plus claire pour le public francophone, qui ne connait que très peu ce pays.

Contexte général

Indépendant du Portugal depuis 1975, le Mozambique est dirigé sans interruption par le Front de Libération du Mozambique (FRELIMO), parti d’obédience marxiste qui s’est depuis éloigné de son idéologie d’origine, à l’image du parti communiste chinois. Le pays s’organise à l’origine comme une république marxiste centralisée, une situation qui favorise le sud du pays où se situe la capitale Maputo, mais ne permet pas de rapprocher les provinces les plus lointaines, comme le Cabo Delgado. Cette province, la plus septentrionale du pays, n’est pourtant pas sans importance. En effet c’est là que la lutte pour l’indépendance débuta et le président actuel, Filipe Nyusi, en est originaire. Si la guerre civile a contraint le parti au pouvoir à une plus grande décentralisation, la culture administrative reste toujours centralisatrice et les richesses se concentrent à Maputo.

Le Cabo Delgado souffre de son éloignement de plus de 2000 km de la capitale. Peu relié aux principaux pôles économiques régionaux de Nampula au Mozambique et de Dar-es-Salam en Tanzanie, c’est une province isolée. Les investissements étrangers – hormis ceux du gaz qui sont très récents – sont très limités. C’est une province de plus de deux millions d’habitants dont l’économie est tournée vers l’agriculture vivrière. Plus de la moitié de la population est de religion musulmane1. Cette absence de perspectives créé une frustration chez la jeunesse que des organisations concurrentes de l’Etat peuvent exploiter. Des étrangers, comme des Ougandais, ont déjà été arrêté au Mozambique car suspectés de participer à des camps d’entrainements d’insurgés islamisant dans le Cabo Delgado. Les insurgés mozambicains sont en effet surtout des jeunes qui ne profitent pas de la croissance économique de leur pays et ne profiteront probablement pas de l’installation des entreprises gazières dans leur région, faute d’éducation scolaire et de formation professionnelle. 

Enfin l’isolement de la province de Cabo Delgado est propice au développement des trafics. Historiquement elle se trouve sur la route de l’héroïne, qui part d’Asie centrale, arrive en petits bateaux sur les côtes peu contrôlées de cette région et est envoyée vers le sud pour être distribuée en Afrique du Sud. Le FRELIMO a un accord avec les trafiquants pour faire transiter la drogue par le Mozambique contre rémunération, en échange de quoi cette dernière n’est pas vendue dans le pays. Il faut aussi citer le trafic de rubis dans des mines illégales du district de Montepuez – au sud de la province à l’intérieur des terres – dont les logisticiens ont plusieurs fois été accusés par le gouvernement mozambicain d’être à l’origine des attaques. De la même manière que les marchandises pénètrent facilement la province, les hommes peuvent donc s’y rendre dans l’espoir d’être embauché par les compagnies gazières ou pour y développer des activités illicites, marchandes ou non. 

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L’état des connaissances sur l’insurrection.

C’est dans ce contexte difficile que s’est produit la première attaque dans la ville de Moçimboa da Praia le 5 octobre 2017. Depuis cette date plus de 180 attaques ont été recensées avec plus de 450 victimes2. Depuis le début des violences, les insurgés n’ont fait qu’un seul communiqué, le 26 mars 2020. Avant de voir ce dernier plus en détail, il faut souligner à quel point cette insurrection est restée difficile à appréhender autant pour les autorités mozambicaines que pour les observateurs internationaux. 

Depuis le début de l’insurrection il est possible de déceler un mode opératoire des insurgés. Les attaques se cantonnent principalement au nord-est de Cabo Delgado, bien que certaines incursions aient déjà eu lieu dans d’autres parties de la province, comme dans la capitale Pemba, au sud. La plupart des attaques se déroulent en fin de journée ou durant la nuit dans des villages ou sur des axes de circulation. Les insurgés ne font pas nécessairement de victimes, et le plus souvent incendient des habitations, des bâtiments contenant des réserves de nourriture, et bloquent les routes et les pistes. Cependant lorsque des morts sont constatés, ces derniers sont le plus souvent exécutés à l’arme blanche, décapités voire démembrés. L’objectif principal est donc d’instiller la terreur dans la population locale, qui doit quitter les villages pour les villes. Ces populations nomment leurs attaquants « Al-Shabaab », ce qui veut dire « les jeunes » en arabe, bien qu’ils n’entretiennent aucun lien avec le groupe somalien éponyme. 

Ainsi l’absence de revendication des insurgés a pu laisser penser qu’il s’agissait de criminels employés par des trafiquants pour mener des actes terroristes dans le but d’empêcher les compagnies gazières de s’installer dans le Cabo Delgado. Cette explication qui a été envisagé par le gouvernement mozambicain est incomplète car elle n’explique pas pourquoi ils ne s’attaquent qu’à la population locale. Elle cède de plus en plus de terrain à l’idée d’une insurrection islamiste. En effet la situation d’une population jeune, à majorité musulmane, délaissée par l’Etat central, constitue un terreau fertile pour que des groupes islamistes rigoristes viennent offrir une échappatoire à de nouveaux « Al-Shabaab ». Selon le spécialiste du Mozambique Eric Morier-Genoud3, dès les années 2000 des jeunes auraient progressivement rompu avec le Conseil Islamique du Mozambique à force de promouvoir une vision plus rigoriste de l’islam. L’abandon de l’Etat central et l’incapacité de se reconnaître dans l’institution nationale du culte musulman auraient donc poussé ces jeunes à prendre les armes. Des suspicions de pénétration de groupes islamistes rigoristes ont gagné en importance depuis 2017 et l’arrestation d’Ougandais au Mozambique en janvier 20194 et de Mozambicains en RDC au mois de juin5 révèlent l’existence de flux. Des islamistes ougandais iraient au Mozambique pour entrainer des combattants et des mozambicains partiraient combattre sur d’autres fronts islamistes. Cela révélait qu’il existait certainement des contacts entre les insurgés du nord du Mozambique avec des groupes d’autres pays, alors que jusque-là ils paraissaient très isolés. La thèse islamiste continue de gagner en crédit à partir du 4 juin 2019 lorsque l’Etat Islamique de la Province d’Afrique Centrale revendique une attaque perpétrée par les Al-Shabaab mozambicains. Bien qu’il s’agissait plus probablement d’une communication opportuniste de Daesh qui pallie sa perte de territoire physique par une présence internet accrue – la communication en question comportant des erreurs géographiques sur l’attaque – l’absence de réaction du groupe mozambicain indiquait que cela leur servait en leur donnant plus d’importance. Les revendications d’attaques de Daesh au Mozambique se sont depuis multipliées. Il faut cependant préciser que cette explication ne fait toujours pas consensus. Certains chercheurs comme le professeur Yussuf Adam de l’Université Eduardo Mondlane de Maputo considèrent que l’insurrection provient de la frustration de ne pas profiter des bénéfices des investissements en Cabo Delgado.

La vidéo du 26 mars 2020 suivant les attaques quasi-simultanées contre Mocimboa da Praia et Quissanga vient renforcer la thèse d’une insurrection islamiste. Les insurgés, après avoir remplacé le drapeau national par le drapeau de l’Etat Islamique au quartier général des forces de sécurité, ont exprimé dans un portugais local leur rejet du FRELIMO et leur volonté d’établir la charia au Mozambique, en appelant la population à les suivre.6 Cette vidéo montre que les insurgés se sont rapprochés de l’Organisation Etat Islamique et qu’au-delà de simplement terroriser la population, ils ont un objectif politique. Les compagnies gazières restent pour le moment hors de leur viseur. Enfin les assaillants se sont montrés armés de kalashnikov, en uniformes de l’armée mozambicaine – butin abandonné par l’armée régulière – ce qui est révélateur de leur montée en puissance. Le remplacement des drapeaux et la diffusion d’une vidéo de revendication montre une prise de confiance réelle des insurgés de Cabo Delgado, mais il convient de nuancer : ces attaques ont eu lieu en terrain connu, sur les terres que le groupe saccage depuis 2017, et les insurgés ont quitté la ville peu après leur message, ce qui montre qu’ils n’ont pas encore de volonté d’occupation. Il n’y a donc pour le moment ni occupation du territoire, ni extension géographique de l’insurrection.

Quelle réponse le gouvernement apporte-t-il  ?

Depuis plus de 2 ans que l’insurrection s’aggrave dans le Cabo Delgado, il serait logique de penser que le gouvernement mozambicain prendrait des mesures fortes pour assurer ses intérêts économiques dans la région, pourtant lorsque l’on constate que des quartiers de la police et de l’armée ont été conquis lors des deux assauts de la mi-mars, l’idée d’une situation incontrôlable s’impose. C’est plus compliqué que cela.

Le gouvernement du FRELIMO, fidèle à sa culture du secret héritée de la période socialiste, refuse de reconnaître l’existence d’une insurrection islamiste dans le nord du pays. En plus de museler la presse dans la région, le gouvernement dans ses communiqués ne parle que d’actes criminels venant de « malfaiteurs » lorsqu’il n’occulte pas simplement les évènements. Cette politique profitait de l’absence de communication de la part des insurgés, mais la vidéo du 26 mars doit contraindre les autorités à reconnaître l’existence d’un groupe « Al-Shabaab » au Mozambique7. Cela ne signifie pas pour autant que le FRELIMO admettra immédiatement l’existence d’une véritable insurrection djihadiste sur son territoire. 

Cependant, officieusement, les officiels mozambicains savent que des évènements ont lieu à Cabo Delgado et qu’ils peuvent nuire à l’établissement des projets gaziers. Les cadres du FRELIMO jouent donc un double-jeu de nier l’existence d’une insurrection armée tout en réfléchissant à un moyen de remettre de l’ordre dans la province. La véritable prise de conscience de Maputo s’est produite le 21 février 2019 lorsque des employés d’une entreprise sous-traitante d’Anadarko se sont retrouvés pris dans une attaque et que l’un d’entre eux y a laissé la vie. L’attaque n’était pas dirigée contre l’entreprise, il s’agissait d’un dommage collatéral, mais pour Maputo il fallait réagir pour montrer que la situation était sous contrôle et rassurer les entreprises étrangères. Dans le cadre d’un Memorandum of Understanding (MoU) signé avec Anadarko, des troupes ont été envoyées pour assurer la sécurité des compagnies gazières. Au moins 500 soldats mozambicains seraient mobilisés pour cette mission8. Cependant de manière générale les troupes mozambicaines manquent de moyen pour lutter efficacement contre les insurgés. Ceux-ci se cachent dans la campagne ou parmi la population et semblent donc insaisissables. Le Mozambique s’est donc résolu à demander de l’aide à certaines puissances étrangères, en premier lieu le Royaume-Uni et la France pour obtenir de l’imagerie satellite. Les Mozambicains se sont montrés plus promptes à travailler avec les premiers et ont signé un MoU avec Londres le 13 mai 2019 pour accroitre la coopération en matière de défense entre les deux pays, dont une partie est consacrée à de l’imagerie satellitaire pour aider les Forces Armées de Défense du Mozambique (FADM) au Cabo Delgado. Il faut cependant relativiser l’efficacité de ce type d’aide en raison de la petite taille des groupes d’insurgés et de la capacité de ces derniers à se morfondre dans la population et la campagne de la région.

Un autre acteur qui gagne en importance est la Russie dont des mercenaires seraient présents dans la province. L’alignement du Mozambique sur le bloc de l’est dès l’indépendance a conduit à des relations solides jusqu’à la chute de l’Union Soviétique. Elles se sont depuis distendues mais il paraît logique que le Mozambique fasse partie de la stratégie de retour russe en Afrique. La présence de mercenaires russes au Mozambique n’a été confirmé ni par Maputo ni par Moscou mais la nouvelle d’une attaque le 27 octobre 2019 ayant fait notamment 5 victimes russes de la société militaire privée Wagner Group renforce les suspicions9. Il serait en effet intéressant pour la Russie que de retourner au Mozambique au travers d’une coopération en matière de sécurité, un domaine dans lequel elle est très présent, par le biais d’une SMP qui montrerait l’efficacité de son aide sans trop se compromettre. Pour le Mozambique cela fait une aide militaire directe pour ses troupes mal entrainées afin d’essayer de reprendre le contrôle de la situation. Toutefois la coopération se serait mal passée, les FADM auraient été méprisées par les Russes pour leur inefficacité tandis que ces derniers ne se sont pas adaptés aux conditions de combat de ce front. L’entreprise Wagner se serait donc retirée au mois de mars après avoir reconnue son échec10. Le retrait de cette entreprise ne signifiant pas nécessairement le retrait de toute force mercenaire dans la région.

Une place pour l’Union Européenne  ?

Alors que la situation à Cabo Delgado ne fait que se dégrader, il pourrait être pertinent d’envisager la résolution de cette crise à une échelle plus large que celle des Etats. En effet les intérêts des étrangers en Cabo Delgado se résument principalement aux investissements gaziers sur la côte. Le Français Total et l’Italien ENI font partie des acteurs les plus importants sur ce théâtre – les investissements se comptent en milliards d’euros – et vont attirer en plus de capitaux, de nombreux ressortissants européens pour mener à bien leurs opérations. L’enjeu de la protection des ressortissants et des intérêts économiques des européens dans une région régulièrement victime d’attaques terroristes, classée «  formellement déconseillée  » par le Quai d’Orsay, doit aussi faire réagir l’Union. 

L’Union Européenne applique au Mozambique une politique similaire à ce qu’elle fait dans le reste de l’Afrique : principalement de l’aide au développement. Elle s’immisce peu dans les questions de sécurité, qu’elle laisse aux Etats membres, à l’exception des situations où une réponse politique peut suffire à résoudre le problème. L’UE a ainsi contribué au processus de paix au Mozambique entre le gouvernement et la RENAMO où elle pouvait avoir un rôle de médiateur. Néanmoins lorsque la situation implique que l’un des acteurs soit un groupuscule terroriste peu identifiable qui refuse de négocier, l’organisation a tendance à s’effacer au profit des Etats membres. L’Union Européenne rechigne à employer le « hard power » et la réduction de l’opération Sophia semble montrer que la nouvelle Commission continuera dans cette voie. 

Une opération de maintien de la paix au Cabo Delgado est pour le moment inenvisageable : à l’exception du Portugal les Etats européens s’intéressent peu au Mozambique, la France qui est le seul Etat promouvant des missions PSDC commence seulement à reconsidérer ses intérêts sur place, enfin le Mozambique n’a pas fait de demande d’aide de ce type. Cependant cela ne veut pas dire que la situation n’inquiète pas l’UE11 et que des pistes de réflexion ne peuvent pas être amorcées. La formation des policiers et militaires mozambicains pourrait par exemple éviter une aggravation du conflit, l’Union ayant notamment déjà montré sa capacité à remplir ce type de mission au Mali ou en RCA. Les forces de défense et de sécurité mozambicaines sont en effet mal entrainées et mal équipées, et fuient rapidement lorsqu’elles sont prises par surprise par les insurgés de Cabo Delgado. 

A l’échelle régionale, dans le cadre du partenariat UE-Afrique une réflexion pourrait être amorcé avec les pays de la Communauté de Développement d’Afrique Australe (SADC) qui n’ont aucun intérêt à ce qu’une insurrection islamiste vienne déstabiliser le Mozambique. Des pays de l’intérieur du continent comme le Malawi, la Zambie et le Zimbabwe dépendent du Mozambique pour l’exportation de leurs marchandises et la Tanzanie qui a connu des troubles liés à de l’islamisme radical n’a pas intérêt à ce que son voisin devienne une base arrière de ces derniers. La police mozambicaine coopère déjà avec son homologue tanzanienne pour empêcher les insurgés d’utiliser la frontière à leur avantage, mais ce n’est pas suffisant. Une piste intéressante pourrait être celle prise au Nigéria, où une force multinationale mixte a été mise en place dans le cadre du partenariat UE-Afrique afin de lutter contre Boko Haram. Financée par la Commission Européenne et mise en œuvre par les Africains, une telle initiative pourrait apporter une première réponse au défi sécuritaire dans le Cabo Delgado. 

Cela reste pour le moment de la pure hypothèse. Dans chacune des parties, des obstacles empêchent qu’une telle coopération sécuritaire entre l’UE et le Mozambique ait lieu. Côté européen il faut citer le manque d’initiative européenne sur la question sécuritaire, l’Union préférant se concentrer sur les questions d’aide au développement. La plupart des Etats ont des intérêts limités au Mozambique, ce qui s’accentue au Cabo Delgado. La France, l’Italie, l’Allemagne et le Portugal sont les Etats les plus susceptibles d’avoir des intérêts à défendre dans cette région, maintenant ou dans un avenir proche  : à moins qu’ils aient une volonté commune de porter cet enjeu au niveau de l’UE, il n’y aura pas d’action de Bruxelles. Côté mozambicain le refus de reconnaître l’insurrection comme telle est un obstacle majeur vers l’établissement d’une véritable coopération. A quoi bon proposer une action conjointe pour lutter contre de simples «  malfaiteurs  »  ? Si action internationale il y a, elle ne peut venir que d’une demande du gouvernement mozambicain.

Conclusion

Que se passe-t-il donc au Mozambique  ? Dans une des régions les plus pauvres du monde, qui porte la promesse de devenir la locomotive économique du pays, des attaques viennent régulièrement bouleverser la vie locale. Ce n’est que deux ans après le début de ces exactions que les protagonistes de ces événements diffusent une première vidéo permettant de confirmer les indices disponibles pour tenter de les identifier. Il s’agit d’islamistes radicaux, la plupart mozambicains, qui veulent instaurer la charia dans leur pays. Ils sont probablement liés que de manière indirecte à l’Etat islamique, l’organisation leur fournissant essentiellement un relai pour la communication. Les insurgés profitent du manque d’infrastructures et de réseaux dans la région pour lancer des attaques surprises et se dérober aux contre-attaques des forces gouvernementales, mettant ces dernières – mal entrainées et mal équipées – face à un nouveau défi sécuritaire. 

Maputo, qui vient seulement de dépasser celui que posait la RENAMO, ne veut pas reconnaitre qu’elle fait face à un nouveau défi sécuritaire. La priorité est la sécurité des opérations des compagnies gazières qui pourtant ne semblent pas dans le viseur des insurgés. Elles constituent pourtant la majeure partie des intérêts des étrangers dans la région, et si aide au Mozambique il doit y avoir, cela se fera pour assurer les intérêts gaziers. Ainsi si certains Etats, comme la France, se préoccupent de plus en plus de cette situation, il est pour le moment peu probable qu’ils tentent de porter une solution au niveau européen en raison de la diversité des intérêts des différents Etats dans la région. Si l’UE est elle aussi préoccupée par le Cabo Delgado et dispose des outils pour apporter un début de réponse à cette crise, cela ne se fera pas sans volonté politique commune. Dans la situation actuelle, le Mozambique ne sera pas un nouveau terrain de la PSDC.

Il faut cependant rester vigilants car les évolutions sont rapides. Le renforcement des moyens des insurgés pourrait amener à terme à une généralisation des attaques dans toute la région voire dans d’autres provinces. L’augmentation des activités des compagnies gazières renforcera le risque de dommages collatéraux, ce qui engendrerait la réaction du gouvernement mozambicain et de la communauté internationale. Les Européens doivent rester vigilants et force de proposition s’ils ne veulent pas que le Mozambique s’en remette uniquement à ses partenaires chinois et russes. 

Sources
  1. Document de l’Institut National de Statistiques (INE), Cadre 11 : Population par religion, selon le lieu de résidence, l’âge et le sexe. Province de Cabo Delgado, 2017
  2. Ratner Sam, Cabo Delgado Insurgency Attack Locations, Zitamar News, données mises à jour depuis le 13 juin 2018
  3. Morier-Genoud Eric, Tracing the history of Mozambique’s mysterious and deadly insurgency, The Conversation, 18 février 2019
  4. Ugandans detained in Mozambique over attacks in gas-rich Cabo Delgado province, The Defense Post, 29 janvier 2019
  5. Moçambicanos pertencentes a grupos armados são detidos na RDC, Deutsche Welle, 12 juin 2019
  6. Retranscription de la vidéo de Quissanga, portugais, 26 mars 2020
  7. Portail du Gouvernement du Mozambique, Policias mortos em confrontos com invasores em Mocímboa da Praia, 23 mars 2020
  8. Rumney Emma, Bate Felix, Oil majors request more Mozambique troops after Islamist attacks : sources, Reuters, 1 février 2020
  9.  Carta de Moçambique, Insurgentes emboscam e matam 20 membros das FDS e cinco russos, 29 octobre 2019
  10. Carta de Moçambique, De como os mercenarios russos da Wagner perderam a guerra contra os terroristas no norte de Moçambique, 20 avril 2020
  11. Communiqué de la Délégation de l’UE au Mozambique, Moçambique : Delegação da União Europeia manifesta preocupação com a situação em Cabo Delgado, 15 avril 2020