La propagation du virus n’a pas encore frappé les pays africains de plein fouet, mais ses effets se font déjà sentir. De nombreux pays africains sont tributaires des produits de base et leurs échanges commerciaux avec le reste du monde dépassent encore ceux avec les autres pays africains.1 Les premières évaluations du Fonds monétaire international (FMI)2 sont claires : la pandémie a plongé l’économie mondiale dans la récession. Le ralentissement de la croissance mondiale s’accompagnera d’un ralentissement de la demande de produits de base africains, tels que le pétrole, les minéraux, le cacao et le café. On constate également une baisse des envois de fonds.

Commerce et intégration intra-africains

Le commerce intra-africain est faible par rapport à d’autres régions, comme l’Asie et l’Europe. En 2018, 15 % des exportations totales3 de l’Afrique étaient destinées à d’autres pays africains. Ce chiffre n’inclut toutefois pas le commerce transfrontalier informel (ICBT), qui est particulièrement vulnérable à la pandémie. Le commerce transfrontalier informel varie considérablement d’un bout à l’autre du continent. Les produits agricoles (par exemple le maïs, le riz) font souvent l’objet d’échanges commerciaux, ce qui en fait un secteur important pour la sécurité alimentaire. La plupart des commerçants informels sont des femmes ; plus de la moitié en Afrique occidentale et centrale et environ 70 % en Afrique australe, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)4. Bien qu’une grande partie de la CIAB ne passe pas toujours par les postes frontières, les restrictions frontalières et autres sur la circulation des personnes, auront un impact.

Le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA) fait partie des communautés économiques régionales qui ont mis en place des régimes commerciaux simplifiés (STR) pour les petits commerçants5. Certains, comme la Communauté de développement de l’Afrique australe (CDAA), ne l’ont pas fait. De nombreux pays ont également mis en place des minima dans leur réglementation douanière, avec des plafonnements pour les taux des droits de douane forfaitaires applicables aux importations. Le 7 avril, la CDAA a adopté des lignes directrices régionales, dans le but d’harmoniser et faciliter le transport transfrontalier pendant la pandémie6. L’objectif est, entre autres, de faciliter la circulation des « biens essentiels », tels que le carburant, la nourriture, les médicaments et les intrants agricoles. Sans doute bien intentionnée, une telle mesure présente un inconvénient. Les restrictions commerciales pour les biens « non essentiels » auront un impact sur la viabilité économique de toutes les entreprises dans les chaînes d’approvisionnement régionales, et toucheront de manière disproportionnée les petites entreprises et les entreprises informelles.

Toutefois, les lignes directrices de la SADC encouragent le prédédouanement, le traitement par guichet unique et les plateformes numériques, ainsi que le partage d’informations sur les mesures. Cela permettra d’améliorer la transparence et la certitude pour le secteur privé et les consommateurs. Il est à espérer que COVID-19 sera un facteur d’impulsion pour accélérer l’adoption de solutions commerciales numériques.

Quelles sont les mesures mises en œuvre par les pays ?

De nombreux pays mettent en œuvre des réglementations relatives au transport, au fret et aux frontières. Voici quelques-unes de ces mesures7 :

  • Érythrée : Les frontières terrestres sont fermées
  • Kenya  : Les camions sont autorisés à se rendre au Sud-Soudan, mais les chauffeurs doivent s’isoler, ce qui entraîne une pénurie de camions
  • Malawi  : La frontière terrestre avec la Zambie est fermée
  • Namibie : Le fret aérien n’est pas autorisé
  • Afrique du Sud  : Fret terrestre transfrontalier limité aux denrées alimentaires et aux produits de première nécessité. 35 de ses 53 frontières terrestres (avec les pays voisins : Namibie, Eswatini, Botswana et Lesotho) et deux ports maritimes sont fermés.

Les mesures adoptées par les grandes économies auront un impact significatif dans leurs sous-régions. L’Afrique du Sud est un bon exemple. Ses entreprises de transport, de logistique, de vente en gros et au détail font partie intégrante de nombreuses chaînes d’approvisionnement dans toute l’Afrique orientale et australe. Toute mesure qui étoufferait le fonctionnement de ces chaînes d’approvisionnement et entraverait la circulation transfrontalière des marchandises aurait de graves conséquences pour la région ainsi que pour ces secteurs en Afrique du Sud.

Qu’en est-il des services ?

Les secteurs du transport, de la logistique et de la distribution ne sont pas les seuls à être touchés. Le secteur du tourisme est particulièrement touché. Le Nigeria, l’Afrique du Sud, le Maroc, l’île Maurice et de nombreux autres pays africains ont introduit des restrictions sur les voyages internationaux ; certains interdisent l’arrivée de passagers internationaux8. L’Union africaine estime que le secteur du tourisme et des voyages en Afrique pourrait perdre au moins 50 milliards de dollars et au moins 2 millions d’emplois directs et indirects, en raison du COVID-199.

Afrique : la plus grande zone de libre échange du monde en construction

COVID-19 et négociations commerciales

Les États membres de l’Union africaine ont convenu en janvier 2012 d’établir la zone de libre-échange continentale africaine (ZLEC). Les négociations ont débuté en 2015 et ont fait des progrès impressionnants. Toutefois, les négociations sur les concessions tarifaires et les règles d’origine sont en cours. Celles-ci sont essentielles pour une zone de libre-échange. En ce qui concerne le commerce des services, les négociations d’engagements sectoriels pour 5 secteurs prioritaires (finances, communications, transports, services aux entreprises et tourisme) sont toujours en cours.

Le premier secrétaire général du secrétariat de la ZLEC, M. Wamkele Mene, a prêté serment le 19 mars. Le Comité du commerce des marchandises s’est également réuni en mars. Mais toutes les réunions et négociations ont été suspendues en raison des restrictions de voyage et autres liées à la COVID. Les travaux se poursuivent et l’examen des mandats des sous-comités relatifs aux annexes du protocole sur le commerce des marchandises est effectué à distance par les délégations et les membres du comité du commerce des marchandises. Il est à espérer que les négociations et autres processus passeront également aux plateformes numériques, afin de ne pas perdre l’élan actuel.

Le commerce sous le régime de la ZLEC devait commencer le 1er juillet 2020. Cette date a maintenant été repoussée au 1er janvier 2021. Les préparatifs de la mise en œuvre au niveau national sont également importants ; la formation des fonctionnaires des douanes et autres peut se faire virtuellement, des lignes directrices pour les entreprises sur les annexes qui ont été complétées, par exemple sur la facilitation du commerce, peuvent être préparées. Tout cela est nécessaire à l’instauration du cadre de la ZLEC pour réguler le commerce.

Crédits
Cet article a été originellement publié en anglais sur le site d'ISPI, l'Institut pour les études de politique internationale italien : Trudi Hartzenberg, 9 avril, The Impact of Covid-19 on Africa’s Trade and Integration : https://www.ispionline.it/en/pubblicazione/impact-covid-19-africas-trade-and-integration-25723