Les cas de COVID-19 en Afrique ne représentent qu’une infime partie de ceux enregistrés dans d’autres pays, mais les pays de la région prennent en tout cas des mesures énergiques pour ralentir la propagation du virus : fermeture des frontières, imposition de couvre-feux, fermeture d’écoles, etc. Ces mesures, ainsi que celles prises par d’autres pays pour ralentir la propagation, comme les fermetures d’usines en Chine, en plus d’avoir des conséquences sanitaires, ont des conséquences économiques. Les estimations concernant la croissance africaine ont chuté de façon spectaculaire pour 2020, avec des répercussions allant du secteur du tourisme à celui de l’industrie manufacturière. L’Afrique est le continent qui compte le plus grand nombre de personnes pauvres au monde1, ce qui signifie que les conséquences d’un ralentissement économique s’accompagnent de risques plus importants. Les mesures prises par les pays à revenu élevé pour arrêter la pandémie sont-elles les mêmes que celles que devraient prendre les pays africains à revenu faible ou moyen ?

Le ralentissement de la pandémie et la limitation de son impact sur l’économie sont étroitement liés. La propagation de la maladie empêche les travailleurs de travailler parce qu’ils tombent malades (ou hélas, meurent) ou doivent s’occuper de membres de leur famille malades. Pourtant, les conséquences économiques ont leurs effets sur la santé, avec une augmentation du nombre de décès dus à la faim et à d’autres problèmes de santé. Permettre aux entreprises de continuer à fonctionner comme d’habitude peut faciliter la propagation du virus, mais de nombreux travailleurs africains travaillent dans l’économie informelle, où rester à la maison signifie ne pas être payé. L’extension du filet de sécurité peut être une bonne chose pour ralentir la propagation (car elle permet aux travailleurs de rester chez eux tout en ayant les moyens de se nourrir), mais jusqu’à présent, les nations africaines ont été les plus lentes à étendre la protection sociale pour amortir l’impact des mesures de confinement du virus.

La jeune population africaine

L’une des principales différences entre les nations africaines et les pays à revenu élevé réside dans le fait que leurs populations sont beaucoup plus jeunes. Dans toute l’Afrique, plus de la moitié de la population a moins de 20 ans, contre seulement 22 % dans les pays à revenu élevé. Dans le même temps, des estimations récemment publiées suggèrent qu’un adolescent a plus de 500 fois moins de chances de mourir en étant infecté par le virus qu’une personne âgée de 70 ans2. En Afrique, environ 2 % de la population est âgée de plus de soixante-dix ans. Cela a des conséquences potentielles dramatiques sur l’impact du virus concernant la mortalité de la population.

Voici quelques hypothèses qui sous-tendent cette analyse :

  1. 90 % de la population serait infectée. Il s’agit d’une estimation récente, compte tenu de l’absence d’efforts d’atténuation3. Il est évident que les pays prennent des mesures pour atténuer la propagation, il s’agit donc d’un scénario pessimiste.
  2. Les taux de létalité selon chaque tranche d’âge ont été déterminés à partir des cas en Chine. Ces estimations vont d’un taux de mortalité de 0,00 % pour les enfants de 0 à 9 ans à un taux de 13,4 % pour les adultes de 80 ans et plus. Nous utilisons les dernières estimations démographiques des Nations unies pour 20204. Nous ne sommes pas des épidémiologistes, et les chiffres que nous fournissons ne sont pas destinés à être des prévisions du taux de mortalité réel dans les différents pays, mais plutôt à démontrer dans quelle mesure le taux de mortalité pourrait être affecté selon la pyramide des âges africaine.

Selon ces hypothèses, 1,8 % de la population des pays à revenu élevé mourrait de la pandémie, alors que « seulement » 0,4 % de la population africaine en mourrait. Cela signifie que le taux de mortalité en Afrique est inférieur à un quart de celui des pays à revenu élevé. Les effets sont encore plus frappants pour les pays dont la population est la plus jeune En Ouganda, par exemple, près d’un tiers de la population a moins de 10 ans. Dans ce pays, le taux de mortalité projeté ne serait égal qu’à 14 % de celui des pays à revenu élevé. En Zambie, le taux de mortalité ne serait égal qu’à 15 % de celui des pays à revenu élevé. La figure interactive ci-dessous montre comment le taux varierait à travers le continent.

Si la structure d’âge de la population pourrait réduire considérablement le taux de mortalité, d’autres facteurs pourraient l’augmenter. Les personnes souffrant de problèmes de santé existants (appelés comorbidités) sont plus exposées au risque de décès dû au COVID-195 : Les populations africaines sont confrontées à un grand nombre de ces problèmes, au nombre desquels on compte la plus forte concentration de personnes vivant avec le VIH/SIDA6 de toutes les régions du monde, avec un facteur de plus de six, et la plus forte charge de morbidité globale7. En outre, il faut prendre en compte que les hôpitaux africains sont peut-être moins bien équipés et dotés en personnel que ceux de Chine – d’où proviennent les données sur la mortalité – ce qui signifie que les taux de mortalité peuvent être encore plus élevés. Reste à déterminer si ces facteurs sont suffisants pour compenser le facteur de la jeunesse de la population africaine.

Qu’est-ce que cela implique ?

Pour les épidémiologistes, nous avons besoin de modèles de la propagation de COVID-19 et de l’impact des différentes mesures de confinement avec des paramètres spécifiques aux pays africains à faibles et moyens revenus avec leurs différentes répartitions par âge, ressources en soins de santé et tailles de ménages. Un article publié par l’Imperial College8 va dans ce sens, en incluant l’Afrique dans un modèle mondial. La logique de « l’aplatissement de la courbe », qui, dans les pays à revenu élevé, est liée à la capacité des lits de soins intensifs et des ventilateurs, doit être théorisée de manière appropriée pour un contexte de faible revenu, où ces ressources médicales sont déjà beaucoup plus rares.9

Chaque décès est tragique, il peut donc sembler cynique de souligner ce point. Mais surtout dans les pays africains à faible revenu, l’augmentation de l’extrême pauvreté résultant d’un ralentissement économique sera plus importante, ce qui se traduit par son propre nombre de décès. En outre, dans les pays à faible revenu, la marge de manœuvre du gouvernement en matière de relance budgétaire, ainsi que l’efficacité de la relance monétaire sont bien inférieures à celles des pays à revenu élevé10. Par conséquent, le juste équilibre entre les décisions visant à contenir le virus et celles visant à protéger l’économie peut être différent de celui des pays à revenu élevé.

Enfin, cet équilibre a des implications sur le rôle des pays à revenu élevé dans la lutte contre le  COVID-19 dans les contextes africains. Les pays à revenu élevé récoltent certains des bénéfices si le virus est contenu avec succès dans les pays africains où il est présent, puisque le COVID-19 se propage au-delà des frontières et les pays à revenu élevé ont davantage à perdre en termes de mortalité. Par conséquent, les pays à revenu élevé devraient être encore plus incités à utiliser leurs ressources – aussi étirées soient-elles en ce moment – pour aider les pays africains à contenir le virus et à protéger leurs populations et leurs économies vulnérables.

Sources
  1. World Bank, The 2017 global poverty update from the World Bank, 16 octobre 2017
  2. EVANS David K., WERKER Eric, How Africa’s Age Structure Will Affect the Impact of Covid-19, ISPI, 9 avril 2020
  3. Imperial College COVID-19 Response Team, The Global Impact of COVID-19 and Strategies for Mitigation and Suppression, 26 mars 2020
  4. United Nations, Department of Economic and Social Affairs, World Population Prospects 2019
  5. Denaxas, Spiros & Hemingway, Harry & Shallcross, Laura & Noursadeghi, Mahdad & Williams, Bryan & Pillay, Deenan & Pasea, Laura & González-Izquierdo, Arturo & pagel, christina & Harris, Steve & Torralbo, Ana & Langenberg, Claudia & Wong, Wai & Banerjee, Amitava, Estimating excess 1- year mortality from COVID-19 according to underlying conditions and age in England : a rapid analysis using NHS health records in 3.8 million adults, mars 2020
  6. WHO, Number of people (all ages) living with HIV – Estimates by WHO region, 2 aout 2019
  7. Burden of disease 2017, Our World in Data
  8. Imperial College COVID-19 Response Team, Report 12 : The Global Impact of COVID-19 and Strategies for Mitigation and Suppression, 26 mars 2020
  9. BROADBENT Alex, SMART Benjamin T H, Why a one-size-fits-all approach to COVID-19 could have lethal consequences, The Conversation, 23 mars 2020
  10. HAUSMANN Ricardo, Flattening the COVID-19 Curve in Developing Countries, Project Syndicate, 24 mars 2020
Crédits
Cet article a été originellement publié en anglais sur le site d'ISPI, l'Institut pour les études de politique internationale italien : David K. Evans, Eric Werker, How Africa’s Age Structure Will Affect the Impact of Covid-19, 9 avril 2020. Lien : https://www.ispionline.it/it/pubblicazione/how-africas-age-structure-will-affect-impact-covid-19-25703#%20