Key Points
  • Mardi 18 mai, la France accueillera au Grand Palais Éphémère un Sommet sur le financement des économies africaines. Cette séquence, ouverte la veille par un événement plus confidentiel consacré au Soudan, s’inscrit dans la construction d’un axe partenarial avec l’Afrique que le Président français a appelé de ses vœux.
  • Si plusieurs stratégies face à la dette sont envisageables, y compris le recours aux pays riches du Golfe, il semble toutefois impossible d’écarter la Chine de l’équation.
  • Par petites touches, pour la seule année 2020 et le début de 2021, Pékin a consenti près de 10 milliards d’USD de rééchelonnement à ses débiteurs les plus exposés.

Le jeudi de l’ascension, l’Élysée a confirmé que le 18 mai prochain, le Président de la République accueillera le Sommet sur le financement des économies africaines, au Grand Palais Éphémère, à Paris. «  Ce Sommet sur le financement des économies africaines fait suite à la diffusion d’une tribune de 18 dirigeants africains et européens, publiée le 15 avril 2020, en faveur d’une mobilisation de la communauté internationale pour affronter les conséquences de la crise sanitaire et économique causée en Afrique par la pandémie  ». Au premier chef, c’est la dette qui préoccupe les nombreux chefs d’État africains qui seront présents physiquement à Paris dès le 17 mai et qui dineront à l’Élysée le même jour. Et ce n’est pas une nouveauté, car dès le mois de mars, les Institutions de Bretton Woods (IBW) proclamaient la nécessité d’un allègement de la dette pour les nombreux pays éligibles au guichet de financement des pauvres1. Si les IBW ont encore des instruments de contrainte et des facilités de liquidité pour les États clients de l’Association Internationale pour le Développement (IDA)2, elles défaillent devant le chaos qu’est devenu leur endettement souverain. Ce sont de grandes turbulences qui secouent les marchés de la dette souveraine et remettent en cause des pratiques dangereuses qu’on ne sait pas vraiment, comme un virus malin, traiter, ainsi que le livre blanc de la banque Lazard le rappelait dès septembre 20203. Au premier rang de ces maudits de la dette, l’Afrique.

Ainsi, malgré le caractère très général de l’intitulé de la réunion du 18 mai, le but du Président français est d’aider les dirigeants africains, en pleine tourmente politique, sociale et économique, à trouver une solution à la crise des remboursements à laquelle leurs pays sont confrontés. Il ne s’agit donc pas en principe d’une simple négociation entre financiers, dont le Club de Paris est coutumier. Cette enceinte (le Club de Paris) gère les restructurations des prêts consentis par les États et les agences publiques des pays occidentaux qui en sont membres. Elle n’a pas l’habitude de faire de cadeaux et comptabilise par exemple pour le Soudan des intérêts de retard depuis 19844. Le plus grave est que ces pays débiteurs, traqués par leurs créanciers depuis des décennies5, se trouvent être les plus pauvres de la planète.

Avec la faim et à la maladie, leurs populations connaissent guerres et dictatures depuis la période coloniale6 et renouent, en temps de SARS-Cov-2, avec les vieilles recettes du FMI  : dévaluation de la monnaie nationale7, fin des subventions de l’État et paiement de la dette. Ce bilan peu engageant s’alourdit car le poids et la structure de la dette souveraine africaine ont évolué défavorablement8. Le FMI et la Banque mondiale demandent à l’Éthiopie, par exemple, de réduire les importations et d’accentuer les réductions de dépenses sociales pour que ce pays puisse rembourser la dette qu’il a contracté auprès de créanciers privés où l’on trouve des banques commerciales, des fournisseurs, des traders, des partenaires comme l’Inde, la Chine, la Turquie qui n’entendent pas se soumettre aux conditions prônées en avril 2020 par le G20 dans le cadre de l’Initiative pour la Suspension du Service de la Dette9 (DSSI). Ces nouveaux prêteurs ne se précipiteront pas au Sommet du Palais Éphémère alors qu’ils détiennent la clé d’un traitement novateur souhaité par le Président Macron.

Malgré le caractère très général de l’intitulé de la réunion du 18 mai, le but du Président français est d’aider les dirigeants africains, en pleine tourmente politique, sociale et économique, à trouver une solution à la crise des remboursements à laquelle leurs pays sont confrontés. Il ne s’agit donc pas en principe d’une simple négociation entre financiers, dont le Club de Paris est coutumier.

Olivier Vallée

Où sont les créanciers du troisième type  ?

Les plus lucides des analyses prédisent en cette année 2021 un double choc10 pour la partie la plus vulnérable du continent africain. Si elle a soulagé leur trésorerie budgétaire, la DSSI ne répond pas à la mutation de la structure de la dette des États africains rassemblés au Palais Éphémère le 18 mai. La seule Côte d’Ivoire totalise un endettement de 13,6 milliards de dollars d’Eurobond11 à fin 2020 et en a emprunté de nouveau 1,3 milliard au dernier trimestre 2020 pour payer les intérêts sur les précédentes émissions12. Comme lors des précédentes crises systémiques de la dette, à travers la DSSI, les institutions financières internationales et les États occidentaux n’ont servi qu’à garantir un flux minimal de service de la dette en faveur des détenteurs privés d’obligations ou de créances pétrolières. Ce «  vieux monde  » de la finance internationale doit trouver encore un schéma plus ambitieux que celui qu’offre le cadre commun de la DSSI.

Les faiblesses du cadre commun

Pour les dirigeants d’États souvent décrits comme en faillite, le SARS-Cov-2 a paradoxalement offert l’opportunité de s’extirper de la trappe de liquidité13 dans laquelle les pressions des prêteurs divers les poussent. Ils invoquent alors, comme Idriss Deby14, peu de temps avant sa mort, le «  Common Framework  ». Ce cadre commun de discussions et de traitement de la dette souveraine des pays pauvres et très endettés a été élaboré l’année dernière15 par le G20 que l’Arabie saoudite présidait et le Club de Paris. Sa finalité était de résoudre l’insolvabilité des États endettés, principalement africains, c’est-à-dire de fournir des allègements qui produisent des effets sur au moins une décennie et se traduisent par une reprise du développement en faveur des plus pauvres. Pourtant ces derniers, frappés par la maladie ou la famine (le kéré à Madagascar16) font toujours face au déficit des services publics. La directrice générale du FMI, dans sa lettre du 15 avril 2021 au président Sassou Nguesso, récemment réélu, lui signifiait une fois de plus que la dette congolaise était insoutenable. Et qu’en conséquence les décaissements du FMI en faveur du Congo seraient interrompus. Ce propos sonne comme un aveu de l’échec du G20 à contrarier la dynamique infernale d’endettement à des conditions commerciales des pays pauvres. Le Sommet de Paris ne signale pas une volonté de rupture avec le mode insalubre de financement des déséquilibres structurels des amis africains de la France. Dans une note pour l’action du Groupe d’études géopolitiques, l’année dernière, avec Alexandre Pointier, nous rappelions, à propos de la dette en Afrique, le besoin d’un espace financier pour sa recomposition en profondeur. Cela semblait en symbiose avec les transformations considérables de l’économie de cette partie du monde et offrir des capitaux de long terme pour l’investissement. Nombre de propositions originales17, dans ce sens et basées sur un accord régional, ont vu jour à ce moment. Elles semblent bien absentes de l’agenda du 18 mai 2021. 

Pourtant les pays riches et les IBW ne pourront indéfiniment être à la fois dicteurs de règles sur la dette et «  en même temps  » créanciers, tandis que les financements privés devront prouver aussi leur conformité à un minimum de déontologie, au contraire des scandaleux18 financements de thoniers au Mozambique. Comme à chaque phase de dérangement majeur des comportements hasardeux des banquiers, il faudrait dépasser l’urgence du besoin de liquidité d’États sans réelle trésorerie et songer à une relation de prêt qui soit en liaison avec le développement19.

Dans le cas mozambicain, les critiques de la société civile contre le scandale de la dette cachée seront-elles entendues par les autorités françaises qui, il y a peu encore, soutenaient le régime du FRELIMO dans sa lutte contre l’insurrection du Cabo Delgado20  ? On peut en douter. Il semble même qu’a contrario d’une refondation de l’offre de services publics, en particulier pendant le Covid-19, la ligne commune à Pékin et à Paris serait de ne pas consentir à une restructuration massive21 de la dette africaine. Ce serait pourtant la première marche d’un nouvel équilibre économique et social et une tentative de chasser les démons de la corruption et de l’évasion fiscale sur le continent africain. 

Il semble même qu’a contrario d’une refondation de l’offre de services publics, en particulier pendant le Covid-19, la ligne commune à Pékin et à Paris serait de ne pas consentir à une restructuration massive de la dette africaine.

Olivier Vallée

Le test soudanais  ?

On en est loin, car en réalité le souci immédiat du Club de Paris, présidé par le Trésor français est de faire participer la Chine22 au «  cadre commun de la dette  ». La République Populaire détient à présent une part notable des créances globales sur le monde émergent, du Venezuela au Sri Lanka, en passant par le Soudan et le Tchad. Il faudrait embarquer la Chine sur le même bateau23 que les autres membres du G20 et lui demander, à l’ère Covid, de faciliter l’adaptation des institutions de Bretton Woods et de l’aide publique au développement. Certains pensent que ce serait aussi l’occasion de concevoir une approche plus globale24 de l’inégalité des richesses et de revaloriser le rôle de l’Union européenne dans ce domaine. Mais cette dernière reste bien timide, y compris pour formuler une démarche uniforme entre ses États membres et pour rappeler son attachement à la démocratie et aux droits de l’homme comme base du partenariat pour la dette. 

Il est assez remarquable d’ailleurs qu’une réunion qui se tiendra le 17 mai25 à Paris, où le président Macron entend réintroduire le Soudan en tant que destination de l’investissement étranger direct (FDI)26, ne comporte aucune personnalité connue de l’Union européenne. Certes, elle met en exergue, ce qui est naturel, Madame Vera SONGWE, Secrétaire exécutive de la Commission Économique pour l’Afrique27 des Nations Unies mais aussi Hafez GHANEM, Vice-Président Afrique de l’Est et Australe (World Bank Group)28, celui-ci venant tout droit de la période glorieuse où la Banque mondiale suscitait des émeutes de la faim, de Madagascar au Maroc, et prônait la privatisation à tout crin. Mais cette réunion du 17 mai, si elle s’inscrit dans l’aventure soudanaise de Paris, initiée par une promesse de rembourser les arriérés de Khartoum vis-à-vis des IBW29 si les Émirats arabes unis levaient leurs sanctions, ne devrait connaître son acmé que le lendemain. À cette occasion, la partie française voulait que le premier des Chinois soit présent, ce qui ne sera pas le cas. Pourtant nombre des chefs des États lourdement endettés auprès de Pékin devraient participer à l’événement. «  Côté africain, outre la dizaine de chefs d’État annoncés de longue date (Alassane Ouattara, Paul Kagame30, Félix Tshisekedi, Macky Sall, Muhammadu Buhari, Cyril Ramaphosa, João Lourenço, Uhuru Kenyatta, Alpha Condé ou encore Denis Sassou Nguesso), trois autres présidents ont été invités fin avril : le Togolais Faure Gnassingbé, le Mozambicain Filipe Nyusi et le Nigérien Mohamed Bazoum. De son côté, le président camerounais Paul Biya n’a pas reçu d’invitation, suscitant l’agacement du Palais d’Etoudi.  »31 L’enthousiasme chinois ne paraît pas au rendez-vous et les réunions du 17 mai, dont celle consacrée au Soudan sous l’égide du MEDEF, seront un tour de piste. Il est difficile de croire à un revirement chinois dans la mesure où le Quotidien du Peuple participe à «  une vaste campagne médiatique dans la presse panafricaine en vantant, à grands coups de publireportage, une approche « équilibrée et respectueuse » vis-à-vis des créanciers africains. »32 Le 18 mai, dans la discrétion, il sera question de mettre en marche un programme de restructuration de la dette du Soudan. On attendait MBS d’Arabie saoudite mais lui aussi déclare forfait et peut-être que Lazard obtiendra un mandat de conseil. Que ce soit les riches du Golfe ou les magiciens des reprofilages de dette et des prévisions riantes de croissance comme Lazard, ils ne peuvent réellement avancer sans la Chine.

Le passager mandchou  ?33

La dette tchadienne, comme celle du Soudan ou du Mozambique, est supposée polluée par les prêts chinois. En réalité, le Tchad connaît depuis plus de 10 ans de graves problèmes budgétaires qui ne tiennent pas seulement à ses emprunts chinois.

Il a en effet, pour s’armer, gagé son pétrole auprès du trader Glencore, également un des plus gros opérateurs mondiaux pour les minerais stratégiques comme le cobalt. Et ainsi un partenaire stratégique de poids de Pékin. Les créances chinoises sur ce pays sont caractérisées par leur éventail et donc la diversité de leur nature34. Il est donc difficile de prétendre leur appliquer la règle du Club de Paris en toute circonstance. La China National Petroleum Corporation (CNPC) prête au Tchad sur des bases commerciales et n’a aucune raison de considérer une restructuration selon les conditions du Club de Paris. Les financements de la CNPC sont, comme au Congo Brazzaville, assimilables à ceux de Glencore ou de Trafigura. Les refus ou l’incapacité de fournir les cargaisons promises à la Chine selon les mécanismes des « Oil Backed Loans »35 peuvent valoir à Ndjamena comme à Juba36 des condamnations devant les cours de justice.

À Khartoum, à Niamey et à Ndjamena, la Chine, à la recherche d’hydrocarbures depuis au moins deux décennies, réalise que ses partenaires locaux du secteur énergétique ne sont pas sûrs. Leur prêter davantage, ce à quoi aboutit en somme une restructuration de dette, ne présente pas autant de garanties que celles disponibles chez les «  nations off-shore  » comme l’Angola et le Congo Brazzaville. Dans ces deux pays, la Chine, comme les grands traders basés en Suisse et à Dubaï, peut contrôler la production, l’embarquement des cargaisons et la domiciliation de leurs ventes. 

Une étude37 toute récente et approfondie des financements chinois démontre les «  sûretés  » dont s’entoure la Chine avec des «  Oil Backed Loans  » qui n’ont rien à envier à Glencore ou à Trafigura. L’exemple équatorien est parlant et de plus ne met pas en scène la CNPC, mais PetroChina, bel exemple de la multiplicité et de la plasticité du créancier chinois.

Cette plongée dans la technique des montages financiers chinois affiche leur proximité avec les méthodes des traders internationaux. C’est aussi l’occasion de constater que l’État français lui-même n’hésite pas à emprunter des méthodes contraignantes, peu transparentes et loin de l’aide au développement avec les pays «  amis  » à qui il prête38. Cela explique peut-être que Paul Biya ne soit pas convié à Paris pour la rencontre du Palais Éphémère. Son pays a fait preuve pourtant d’une exceptionnelle transparence en fournissant à l’enquête mentionnée39 toutes les informations sur les contrats de prêts, en principe secrets, de ses défiants partenaires au développement. 

Il n’est pas certain que la diplomatie chinoise soit attirée par un retour en grâce du Soudan sur la scène internationale. En effet, la perte du Sud Soudan relativise l’intérêt de Khartoum40 comme fournisseur et comme emprunteur. Cependant ce pays reste une étape de l’initiative des nouvelles routes de la soie. Mais d’une importance bien moindre que Djibouti ou Nairobi. Quoiqu’il en soit, par la différence de nature des créances et la tendance de la Chine à s’aligner, comme au Mozambique, sur les conditions des marchés financiers, on peut difficilement attendre que sa contribution à un «  Common Framework  » élargi aux pays non-membres du Club de Paris soit significative41. La Chine veut jouer les règles du marché et non pas le « Common Framework  ». De plus elle use parfois (involontairement peut-être) de l’imprécision du glossaire de la dette qui fait référence à un anglais souvent fabriqué.

Il n’est pas certain que la diplomatie chinoise soit attirée par un retour en grâce du Soudan sur la scène internationale. En effet, la perte du Sud Soudan relativise l’intérêt de Khartoum comme fournisseur et comme emprunteur. Cependant ce pays reste une étape de l’initiative des nouvelles routes de la soie.

Olivier Vallée

Ainsi «  debt relief  » qui appartient plutôt au langage du Club de Paris et des IBW se trouve rapproché de «  debt-write offs  » souvent préféré par le gouvernement chinois pour effacer des arriérés en proportions minimes de ses partenaires africains42.

La voie soyeuse de l’allègement  ?

La Chine a continué à prêter aux pays pauvres, mais souvent pourvus de ressources naturelles, quand les créanciers publics du Club de Paris (le Royaume Uni au Soudan, la France au Tchad ou au Niger) s’étaient retirés après l’effacement des dettes au titre du point d’achèvement de l’IPPTTE. La Chine a pu donc elle-même allonger les durées de remboursement de ses prêts publics au Tchad, en dehors de toute intervention du FMI et sans se soucier beaucoup de la DSSI.

Par petites touches, pour la seule année 2020 et le début de 2021, Pékin a consenti près de 10 milliards d’USD de rééchelonnement à ses débiteurs les plus exposés43. Il lui sera difficile de consentir davantage d’efforts lors de ce mai de la dette organisé à Paris. Pour le Mozambique qui a dû emprunter sur le marché de l’Eurobond pour assumer ses engagements vis-à-vis du français Iskander Safa44, la Chine a rééchelonné la durée du service de la dette sur le modèle de ce qui était pratiqué par les détenteurs d’obligations internationales45. Total et le président Macron sont fortement engagés auprès du président mozambicain attendu à Paris. Mais Pékin n’aura pas grand-chose à ajouter à ses accords de 2018 avec Maputo. Dans la foulée de l’allongement de la dette existante, la Chine entreprend de grands travaux au Mozambique, non pas dans le secteur énergétique, mais plutôt afin de construire des infrastructures pour pénétrer l’Afrique australe avec ses marchandises et ses TGV. 

De même, là où est en cause son approvisionnement en énergie et où elle est prise par des engagements très importants, la Chine a déjà accompli son œuvre. Elle a utilisé une combinaison d’instruments, dont le «  Common Framework  », mais en gardant les comptes sécurisés dont elle dispose, en particulier pour les prêts jugés risqués. L’Angola est critique pour la Chine. Entre 2000 et 2019 elle a engagé un peu plus de 42 milliards de USD dans ce pays. Elle ne pouvait se permettre d’attendre la réunion de Paris pour donner au président Lourenco des gages de son amitié46.

«  Le président chinois a également déclaré que l’Angola était un partenaire important de la Chine en Afrique et que la Chine et l’Angola étaient de bons frères et partenaires en termes de sincérité, de résultats réels, d’affinité et de bonne foi, notant aussi que la Chine soutenait l’Angola dans l’exploration indépendante d’une voie de développement adaptée à ses conditions nationales et était prête à travailler avec lui pour orienter la direction des relations bilatérales et porter le partenariat stratégique sino-angolais à un niveau supérieur.  »47

Les qualités morales de l’amitié bilatérale semblent des préalables à une approche raisonnable de la question de la dette. Ainsi, la DSSI a permis à la Chine de commencer avec l’Angola48, dès juin 2020, un allègement du seul service de la dette, mais sur une période plus longue que celle prévue par la DSSI. En effet, la CDB et l’ICBC consentent à un report du seul amortissement du capital de la dette durant trois ans. Mais cela se passe en dehors du cadre de la DSSI comme du Cadre commun du G20. Car la China Development Bank (CDB) et l’Industrial and Commercial Bank of China (ICBC) ne sont pas assimilables pour Pékin à des créanciers publics49. L’assurance de l’amitié sino-angolaise durant la pandémie prend tout son sel quand l’allègement chinois de 6,2 milliards USD se détourne de l’esprit de la DSSI, tout en invoquant le Covid-19. Les intérêts sur cette dette commerciale chinoise seront payés à travers le dépôt préalable que l’Angola a fait dans les livres de la China Development Bank pour un montant de 1,5 milliard USD. Finalement en janvier 2021, l’Angola est parvenu à un accord public avec le créancier chinois pour obtenir le décaissement du FMI  : «  Angola has secured three years of payment relief from Chinese creditors and expects to get more than $700 million in its next tranche of International Monetary Fund financing in the coming days, its finance minister said on Monday.  »50

On a supposé la Chine menant une diplomatie de la dette. Il semble bien qu’elle se soit davantage comportée en stratège de la géo-économie.

Olivier Vallée

On a supposé la Chine menant une diplomatie de la dette. Il semble bien qu’elle se soit davantage comportée en stratège de la géo-économie. Le spectre chinois de compétences en matière de financements et d’investissement extérieur est sans doute proche du point de rupture tant il est étendu et complexe. Le Parti communiste chinois lui donne sûrement une architecture souterraine laissant aux ambassadeurs un simple rôle de porte-parole. Mais efficace pour contrer les tentatives du G20 d’enchâsser les créances de la Chine, en particulier en Afrique. Le sommet de Paris pose un jalon avec le Soudan mais les prêteurs du troisième type jouent leur partition dans une autre arène.

Sources
  1. https://www.banquemondiale.org/fr/news/statement/2020/03/25/joint-statement-from-the-world-bank-group-and-the-international-monetary-fund-regarding-a-call-to-action-on-the-debt-of-ida-countries
  2. Ibid.
  3. https://www.lazard.com/media/451400/20200929-whitepaper-fr-final.pdf
  4. «  Tim Jones, head of policy at the Jubilee Debt Campaign, said that the debt western governments claimed from Sudan was “mostly made up”, as it was based on the addition of up to 12 % interest every year for decades. » in https://www.theguardian.com/world/2021/mar/28/four-fifths-of-sudans-861m-debt-to-uk-is-interest
  5. Ibid.
  6. « Nick Dearden, director of Global Justice Now, said the UK was among those which had been “a force for more harm than good” following decades of Anglo-Egyptian rule of Sudan until 1956, and criticised how support was dependent on the rolling back of public spending  ». Source : Ibid.
  7. « Through what appears reminiscent of a structural adjustment programme, the impoverished north African country (Sudan), which defaulted on its loans in 1984, is under pressure from lenders to impose austerity measures, including reduced public spending and slashed subsidies, if it wants its spiralling debt cancelled.  » Source : Ibid.
  8. «  Ainsi, l’endettement africain a quasiment triplé en volume entre le point bas de 2006 et 2019. Le paysage de la dette africaine s’est par ailleurs fortement diversifié avec la multiplication par 3 de la part des créanciers privés dans l’endettement public extérieur africain, l’essor sans précédent des émissions obligataires en devise sur la dernière décennie, l’usage de collatéraux et l’apparition de la Chine comme premier créancier bilatéral.  » Source  : https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2020/12/03/l-afrique-de-nouveau-face-au-mur-de-la-dette
  9. « Soixante-treize pays sont admis à bénéficier (a) d’une suspension temporaire des paiements dus au titre du service de la dette contractée auprès de leurs créanciers bilatéraux publics. Le G20 a également appelé les créanciers privés à participer à cette démarche sur des bases comparables. La période de suspension, dont la fin était initialement prévue le 31 décembre 2020, a été prolongée jusqu’à juin 2021. » https://www.banquemondiale.org/fr/topic/debt/brief/covid-19-debt-service-suspension-initiative
  10. Homi Kharas, Meagan Dooley, «  Debt distress and development distress : Twin crises of 2021  », Center for Sustainable Development, Brookings Institution, mars 2021, Global working paper #153 www.brookings.edu/global
  11. Source : BIS Statistics Explorer (http://stats.bis.org/statx/) Printed on : 03/05/2021 18:34
  12. De plus  : « So far, there has been no private creditor participation in the DSSI, and given this, the fiscal breathing room created by official bilateral creditors serves to first pay back private creditors, rather than generating resources for priority social spending. » Source : Ibid.,pp. 6-7.
  13. « Slightly indebted, (42 % of GDP according to the latest IMF data, including 25.6 points of state-guaranteed debt), Chad is nevertheless approaching a liquidity crisis due to a high debt burden and low oil revenues. » Source : https://www.theafricareport.com/62933/chad-1st-country-in-covid-era-to-ask-for-restructuring-of-its-debt/
  14. « Chad has requested that a “common framework” be set up between the Paris Club and the G20 for the treatment of debt. These donors will probably extend the moratorium enjoyed by some fifty countries, mostly African, until the end of 2021. » Source : https://www.theafricareport.com/62933/chad-1st-country-in-covid-era-to-ask-for-restructuring-of-its-debt/
  15. « Formally agreed upon on 13 November 2020 at a G20 meeting between finance ministers and Central Bank governors, the “common framework” on debt now serves as the backbone for dealing with the debt of the least developed countries in the Covid era. All official creditors are thus leading the process together and with the same approach. This includes China who is used to dealing with its creditors on a bilateral basis. » Source : Ibid.
  16. « Le sud de Madagascar continue de sombrer dans une famine (kéré) brutale, et le gouvernement semble rester inactif malgré les quelques images que l’on veut bien nous montrer. Après des sécheresses à répétition depuis trois ans, la population se voit contrainte de se nourrir à l’argile, au tamarin et au manioc, tandis que le riz est devenu une denrée de luxe. Si la solidarité internationale s’est rapidement mobilisée autour de la Grande Ile pour la fournir en colis alimentaires, du côté du gouvernement, on peine à trouver des solutions pour venir en aide à la population. D’après le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations Unies, ce sont désormais 1,5 million de personnes – soit la moitié de la population de la région – qui ont besoin d’une assistance alimentaire d’urgence. » Source : https://www.ipreunion.com/actualites-reunion/reportage/2020/12/04/madagascar-madagascar,127953.html
  17. Soto (2020). “Africa Eyes Own ‘Brady Plan’ as Debt Relief Proposal Takes Shape.” Bloomberg, Apr. 28.
  18. « In 2013, Mozambique borrowed $2 billion from global investors to finance development of its maritime industries. At least $750 million of these monies were embezzled or remain unaccounted for. Mozambique, overburdened with debt, eventually defaulted on the loans. That default contributed to a 2017 financial crisis in Mozambique, with the poorest parts of the Mozambican population still paying the highest price today. » Source : https://www.justiceinitiative.org/newsroom/dutch-appeals-court-affirms-misconduct-by-tmf-management-bv-in-mozambique-hidden-debt-scandal
  19. https://www.bu.edu/gdp/files/2021/04/GDPC_Building_Back_Safety-Net_FINAL.pdf
  20. « Professor Adriano Nuvunga, Chair of the Budget Monitoring Forum (FMO), a Mozambican civil society group, said, “TMF helped facilitate a significant international fraud that is contributing to the collapse of the Mozambican state and society. Mozambique’s health system collapsed long before COVID-19, with nurses and teachers barely paid. Because of the Hidden Debt, Mozambique’s gas wealth is facing pre-source curse—a resource curse that arose even before production started—compromising not only the present, but also the future of Mozambique. And a hopeless future makes recruitment for violent extremism attractive to youth in northern Mozambique. In essence, then, the illegal debts help breed violations of human rights and attacks on defenders. » Source : https://www.justiceinitiative.org/newsroom/dutch-appeals-court-affirms-misconduct-by-tmf-management-bv-in-mozambique-hidden-debt-scandal
  21. https://som.yale.edu/blog/whos-afraid-of-some-not-so-big-or-bad-debt-relief
  22. « The latest work conducted within the G20 has ensured that China, Africa’s major creditor, is willing to join this common approach,” said a source close to the French authorities. On another sensitive issue – that of the participation of private creditors in debt restructuring–  the same source indicates that the Paris Club and the G20 have agreed that henceforth, no restructuring action would be taken without the equal participation of both private and public creditors. » Source : Ibid.
  23. « China restructurings amid Paris Club negotiations. Over 60 years of operation, the Paris Club has acted as a forum to coordinate a group of bilateral official creditors in their debt relief efforts. While not acting as a formal forum, the Paris Club established a set of principles to guide debt relief actions among the participating creditor countries. The comparability of treatment is one of them, requiring a debtor country that benefits from a Paris Club debt treatment to seek additional debt relief with comparable terms from non-Paris Club creditors. In practice, it is very difficult to ensure the enforcement of this clause. China is not a member of this club and therefore can decide on a case by case. » Source  : Gatien Bona, Gong Cheng «  China’s overseas Sovereign debt relief actions : What insights do recent cases provide ?  », EconomiX, Université Paris Nanterre, 25 juin 2020
  24. https://ecfr.eu/paris/publication/comment-leurope-peut-reconstruire-le-multilateralisme-apres-le-covid-19/
  25. PARIS CONFERENCE ON SUDAN, BUSINESS FORUM, (MEDEF – 55 avenue Bosquet, 75007 Paris, May 17, 2021)
  26. « À cette occasion, le Premier Ministre du Soudan, M. Abdallah HAMDOK et le ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, M. Bruno LE MAIRE, participeront le 17 mai au lancement d’un Forum des Affaires sur le Soudan. Cette séquence d’échanges entre le secteur privé, le secteur public et les institutions internationales permettra de faire le point sur les perspectives économiques et les opportunités d’affaires dans un pays qui, en dépit des difficultés actuelles, dispose d’un réel potentiel économique encore insuffisamment exploité. » Source  : MEDEF
  27. Le Medef à la base de cette réunion ne connait pas bien la CEA dont il écorche le nom. Ibid.
  28. Sic, dans la version française de l’invitation. Ibid.
  29. « The Sudan Transition and Recovery Support (STARS) Multi-Donor Trust Fund, which includes Canada, European Union, Finland, France, Germany, Ireland, Italy, Kingdom of Saudi Arabia, Netherlands, Norway, State and Peace Building Trust Fund, Sweden and United Kingdom. Together these donors are matching the support provided by the World Bank’s pre-arrears clearance grants. » Source  : Banque mondiale
  30. Qui ne viendra pas.
  31. AFRIQUE : Sommet sur les économies africaines : Pékin fait patienter Macron, Africa Intelligence, 3 mai 2021
  32. Ibid.
  33. « La grande peste de Mandchourie ne s’est finalement pas propagée sérieusement au reste de la Chine, de la Mongolie ou de la Russie. La fermeture du port de Dalian a stoppé la propagation de la Mandchourie vers les principales destinations au Japon, en Corée, à Hong Kong et ailleurs en Asie. Summers, l’historien, a déclaré que le confinement était dû à une réponse commune. « Une telle conjonction des bonnes connaissances, des bonnes ressources et des bonnes personnes n’a pas toujours été le cas dans d’autres défis mondiaux des maladies épidémiques », a-t-il déclaré. Les mesures prises aujourd’hui dans le monde – hôpitaux de quarantaine spécialement construits, ordonnances de port de masque, pratiques sanitaires améliorées, restrictions de voyage, avions immobilisés et équipes dédiées de personnel de santé – reproduisent à bien des égards celles prises il y a 110 ans dans le nord-est de la Chine. » Source : https://www.fr24news.com/fr/a/2020/04/en-1911-une-autre-epidemie-a-balaye-la-chine-cette-fois-le-monde-sest-reuni.html
  34. « Johns Hopkins University’s China-Africa Research Initiative sorts them into six categories : foreign-aid loans from the Ministry of Commerce ; export buyers’ credits from banks ; foreign-aid loans from China Eximbank, a policy bank ; suppliers’ credits from firms ; and other commercial bank loans. » Source : TRACKING GLOBAL CHINESE DEBT RELIEF IN THE COVID-19 ERA, http://www.sais-cari.org/s/SAIS-CARI-Debt-Relief-Dataset.xlsx
  35. Voir explication plus loin.
  36. https://www.scmp.com/news/china/diplomacy/article/3112694/china-sudan-and-oil-debt-distress-straining-decades-lon
  37. Anna Gelpern, Sebastian Horn, Scott Morris, Brad Parks, Christoph Trebesch, «  How China Lends : A Rare Look into 100 Debt Contracts with Foreign Governments  »
  38. « A contract between Cameroon and the French government development agency (AFD) requires the borrower to deposit royalty payments equal to 150 % of annual payments due from Cameroon in an account formally pledged to AFD, and to maintain a minimum account balance equal to two loan payments due. » Source : Ibid.
  39. Voir op. cit. «  How China Lends : A Rare Look into 100 Debt Contracts with Foreign Governments  »
  40. https://www.africaintelligence.com/oil–gas_courts-and-cash/2020/06/29/juba-made-to-pay-dethroned-trader-trafigura,109241066-ar1
  41. « However, this leaves 95 % of the sovereign debt held by Chinese interests formally categorized as private. These debts are largely owed to state controlled and state-owned organizations like policy banks. This is reflected in the PRC’s guidance for its creditors’ participation in the DSSI. The PRC’s ambassador to Ethiopia claimed that China encourages Chinese financial institutions to respond to the G20’s Debt Service Suspension Initiative (DSSI) and to hold friendly consultations with African countries according to market principles to work out arrangements for commercial loans with sovereign guarantees. » Source : Kevin Acker, Deborah Brautigam, and Yufan Huang, «  Debt Relief with Chinese Characteristics  », SAIS-CARI WORKING PAPER NO. 39 | JUNE 2020
  42. « Song Wei, a researcher at a Chinese think-tank, who writes frequently on African issues noted that only interest-free loans were eligible for debt write-offs, and that “preferential loans are not applicable for debt relief.” Here, it appears that she was using “debt relief” to refer to debt-write offs (a common mistranslation). As the article clearly noted, rescheduling and payment delays (the G-20 pledge) were among the many non-write off measures available for China’s preferential loans. She also noted that China generally preferred to create custom plans for each troubled project. » Ibid.
  43. « Chinese lenders have provided at least $10.7 billion in global debt relief in 2020 and 2021. Four Chinese lenders have participated in debt restructuring so far : The Export-Import Bank of China (Eximbank), China Development Bank (CDB), Industrial and Commercial Bank of China (ICBC), China International Development Cooperation Agency (CIDCA). » Source : TRACKING GLOBAL CHINESE DEBT RELIEF IN THE COVID-19 ERA, http://www.sais-cari.org/s/SAIS-CARI-Debt-Relief-Dataset.xlsx
  44. Voir déjà mentionné  : https://www.justiceinitiative.org/newsroom/dutch-appeals-court-affirms-misconduct-by-tmf-management-bv-in-mozambique-hidden-debt-scandal
  45. « Principal amount of $900 million, with an amortizing structure between 2028 and 2031. The coupon payments increase from 5 % per annum until 2023 to 9 % between 2023 and 2031. Each $1,000 of old bonds was exchanged for $1,238.77 in nominal of the new bonds, a consent fee of $11.01, and an exchange payment of $39.91. » Source  : Kevin Acker, Deborah Brautigam, and Yufan Huang, «  Debt Relief with Chinese Characteristics  », SAIS-CARI WORKING PAPER NO. 39 | JUNE 2020
  46. Le chef de l’État chinois a souligné que face à l’épidémie de COVID-19, les gouvernements chinois et angolais ont pris des mesures résolues et décisives, et réussi à contenir de manière efficace l’épidémie sur la base du principe consistant à donner la priorité aux populations et à la vie, ajoutant que les deux pays se sont soutenus et aidés l’un l’autre, et que les expatriés des deux pays se trouvant dans le pays de l’autre ont été bien pris en charge. La Chine se dit prête à offrir davantage d’assistance à l’Angola dans sa lutte contre le COVID-19, 2020/09/25. Source : Ministère des Affaires Étrangères de la République populaire de Chine
  47. Ibid.
  48. « The DSSI suspension originally applied only to the last eight months of 2020 and required repayment of the suspended debt over three years, after a one-year grace period. Suspension is not automatic, but must be formally requested, and amounts reconciled. In October 2020, the G20 extended the DSSI from January until June 30, 2021 and allowed these amounts to be repaid over six years, also with a one-year grace period. Chinese officials reported in November 2020 that their two official bilateral creditors (Eximbank and CIDCA) had provided G20 DSSI relief to 23 countries worldwide, and in February 2021, that 16 African countries had benefited from China’s G20 DSSI relief. » Source  : Kevin Acker, Deborah Brautigam, and Yufan Huang, «  Debt Relief with Chinese Characteristics  », SAIS-CARI WORKING PAPER NO. 39 | JUNE 2020
  49. « Controversially, China has designated only the Export-Import Bank of China (Eximbank) and China International Development Cooperation Agency (CIDCA) as official bilateral creditors formally participating in the G20 effort. Yet other Chinese banks, such as the China Development Bank (CDB) and the Industrial and Commercial Bank of China (ICBC), have been implementing COVID-19 era debt relief outside of the G20 program. » Source  : Ibid.
  50. Angola gets breathing space from says Chinese creditors finance minister, By Tom Arnold, Karin Strohecker, REUTERS NEXT JANUARY 11, 2021