Au temps de leur Préhistoire, les séries s’intéressaient déjà à l’histoire. Elles évoquaient aussi bien la Guerre de Cent ans (Thierry la fronde), la condition des esclaves (Racines) que la Shoah vue d’en bas (Holocauste). Peu à peu, elles sont devenues une pratique culturelle majeure. Les 15 % du trafic internet mondial réalisés aujourd’hui par Netflix1 soulignent la place qu’elles ont acquise. Aux côtés des sagas policières (The Wire, Braquo, La Casa de Papel) et politiques (Marseille, House of Cards), nombre d’entre-elles se réfèrent à l’histoire. Sans avoir la prétention d’offrir une forme de vérité scientifique, ces shows mobilisent des personnages historiques (Édouard II dans The Bastard Executioner, Thomas Cromwell dans L’Ombre des Tudors, Elizabeth II, Churchill et Lord Mountbatten avec The Crown) et mettent en scène des événements différents (tâtonnements de la chirurgie moderne avec The Knick, guerre d’anéantissement dans Generation War, l’accident de Tchernobyl dans la série éponyme …). Mais, pour dire le vrai, beaucoup d’entre-elles n’hésitent pas à puiser dans le faux. 

Est-ce pour cette raison que les shows ne sont pas encore un objet d’étude considéré comme légitime  ? On note, à cet égard, une différence entre le monde anglo-saxon, où les séries sont étudiées par des universitaires depuis de nombreuses années, et l’espace francophone, où une réticence se manifeste. Celle-ci n’est pas sans rappeler la frilosité tancée par Marc Ferro2 ou le scepticisme évoqué par Stéphane Haffemayer à propos des historiens face au cinéma3. Cependant, la situation n’est pas figée. Ioanis Deroide a ainsi publié un ouvrage où des séries britanniques sont analysées avec un regard scientifique. En Suisse, Thalia Brero et Sébastien Farré, dans une collection qui compte déjà trois volumes, décryptent en historiens les séries TV d’hier (Zorro) et d’aujourd’hui (Vikings). Au printemps 2020, la revue française Médiévales a consacré un numéro entier au Moyen Âge en séries, en plaçant la focale soit sur des shows particuliers (Merlin, The Bastard Executioner…), soit sur des thématiques précises (le paysage sonore des séries médiévalistes…). Une des raisons de cette réticence réside probablement dans le rapport ambigu qu’entretiennent ces productions avec les travaux historiographiques. Si certaines se placent dans la doxa académique, d’autres offrent une rupture non seulement avec la vulgate mais aussi avec les écrits des spécialistes. En ce sens, les séries constituent un laboratoire historiographique, autrement dit, un espace culturel spécifique où les scénaristes et showrunners se livrent à une réflexion sur la manière d’écrire l’histoire.

Pour être un tant soit peu crédibles, les shows historiques doivent s’inscrire dans l’horizon d’attente de la «  received history  ». Il s’agit de cet ensemble de connaissances d’origines diverses (école, université, romans et ouvrages d’historiens, films, etc.) qu’a le public sur une époque particulière.

Yohann Chanoir

Pour être un tant soit peu crédibles, les shows historiques doivent s’inscrire dans l’horizon d’attente de la «  received history  ». Il s’agit de cet ensemble de connaissances d’origines diverses (école, université, romans et ouvrages d’historiens, films, etc.) qu’a le public sur une époque particulière. Les séries sur le Moyen Âge, par exemple, doivent ainsi arborer des châteaux, d’abord vus de loin, des églises, des chevaliers en armure forcément rutilantes, des paysans nécessairement misérables… De fait, on distingue souvent mal ce qui relève de poncifs, d’une lecture des sources et d’un recyclage de thèmes nourrissant la culture générale. Bon nombre de productions se positionnent dans un univers balisé, adoptant le régime usuel de représentations sur une période donnée et/ou sur un personnage. Dans The Bastard Executioner, dont la diégèse est fixée dans le pays de Galles au XIVe siècle, l’image du roi Édouard II obéit à une vision historiographique bien ancrée. Le souverain y est ainsi dépeint comme un roi fainéant et un monarque incompétent. Sa description comme homosexuel pose cependant question. Même si certains travaux évoquent cette homosexualité, l’orientation sexuelle évoquée par la série semble davantage une reprise de l’imagerie forgée par Maurice Druon dans Les Rois maudits4 et par Mel Gibson dans le film Braveheart. En cela, The Bastard Executioner contribue à figer dans l’imaginaire le portrait d’un prince efféminé et homosexuel. Cet exemple rappelle que dans leur écriture de l’histoire, les scénaristes ne veulent ou ne peuvent pas toujours s’extraire de l’héritage légué par les romans et/ou par le cinéma. Si on ne connaît pas toujours le cheminement intellectuel de celles et ceux qui bâtissent les scénarios (quels livres ont-ils consulté  ? quelles sources ont-ils convoqué ?), force est de constater que certaines séries véhiculent des thématiques largement travaillées par les historiens. Tchernobyl présente ainsi un véritable condensé historiographique sur l’URSS  : rôle du secret dans la pratique du pouvoir, violence contre le peuple, espace d’autonomie sociale face à un État dictatorial, construction d’un Homo sovieticus appuyée sur un régime d’historicité, etc. Même la série dystopique Westworld, dans sa reconstitution du Far West, recycle des thèmes historiographiques. Dans l’omniprésence de la violence, on peut en effet trouver un écho des théories d’Howard Zinn évoquées dans son Histoire populaire des États-Unis, et mises en image précédemment par Martin Scorsese dans Gangs of New York. Toutefois, un feuilleton ne peut uniquement reposer sur les écrits des historiens.

Ceux-ci ne savent pas tout. Si cette incertitude fait la beauté (ou le drame…) de la profession, elle est loin d’empêcher le travail des scénaristes des séries télévisées. Ces derniers revendiquent haut et fort le droit de combler des vides historiographiques par des éléments fictionnels. La série Tchernobyl en offre un exemple avec le personnage fictif d’Oulana Khomiouk, une scientifique travaillant à l’Académie des Sciences de la République de Biélorussie. Cette invention répond à des intentions narratives et diégétiques. Elle permet d’abord d’incarner en une seule personne le groupe de savants qui ont aidé le héros réel, Valeri Legassov, à gérer les conséquences de l’incident nucléaire. Cette présence fictionnelle évite ainsi de multiplier le casting et de diluer l’intrigue autour d’un trop grand nombre de figures. Mais cette licence est aussi d’une rare historicité, renvoyant en effet à la forte présence des femmes dans le champ scientifique soviétique. Cette réinterprétation s’inscrit donc dans une réalité sociale et politique de l’URSS de 1986. De même, Downton Abbey mobilise des êtres fictifs pour raconter l’histoire quotidienne de l’aristocratie et de la domesticité britanniques avant et après la Grande Guerre. Le réalisme est toutefois assuré par les lieux de tournage (Highclere Castle, Byfleet Manor), la reconstitution du paysage sonore et visuel de la Belle Époque et par les accents des acteurs qui renvoient à leur statut social. Qu’en penser en tant qu’historien  ? Force est de reconnaître que cette pratique n’est pas que l’apanage des scénaristes et des showrunners. Antoine Prost, dans ses Douze leçons sur l’histoire, rappelait que tout travail historiographique commençait par une «  mise en intrigue  ». Récemment, l’historien du Moyen Âge Patrick Boucheron n’a pas hésité à combler le silence des archives pour inventer un récit plausible de la rencontre entre Léonard et Machiavel. À l’écran, ces inventions sont récurrentes, voire rituelles et peuvent entrer en conflit avec les enseignements des historiens.

Dans leur écriture de l’histoire, les scénaristes ne veulent ou ne peuvent pas toujours s’extraire de l’héritage légué par les romans et/ou par le cinéma. Si on ne connaît pas toujours le cheminement intellectuel de celles et ceux qui bâtissent les scénarios, force est de constater que certaines séries véhiculent des thématiques largement travaillées par les historiens.

Yohann Chanoir

Un cas d’école est fourni par l’image du souverain anglais Henry VIII dans The Tudors. Comme l’ont souligné Nicolas Fornerod et Daniel Solfaroli Camillocci5, cette série offre un «  conflit de représentations  » entre l’histoire et la fiction. À rebours de l’imagerie traditionnelle du roi (bouffi, bien en chair et avec une barbe épaisse), le show développe le portrait d’un monarque rajeuni au corps mince, épilé, sensuel voire érotisé et au visage d’abord glabre. Cette vision «  iconoclaste  », radicalement différente des conventions picturales et cinématographiques, bouscule aussi les représentations «  statiques  » et figées du roi dans les travaux académiques. Or, celui-ci, c’est une évidence, n’a pas toujours été âgé et ventripotent. Il a été même décrit comme le plus beau prince de la chrétienté en son temps. Comment expliquer ce conflit  ? Souci de jeunisme  ? Volonté de mettre en scène un Sex and the City sous les Tudors  ? Pour nous, au-delà de l’effet de temporalité porté par la persona6 de l’interprète – Jonathan Rhys Meyers –, il y a là un signe évident de la capacité des séries à retravailler la manière dont l’histoire est écrite et une invitation brutale à reconsidérer les représentations héritées. N’est-ce pas là d’ailleurs une problématique essentielle du métier d’historien  ? 

La manière, dont une production peut aller à rebours de la doxa historiographique, est aussi illustrée par un épisode de The Crown. Dans l’épisode 2 de la troisième saison, on assiste à la rencontre entre Lyndon B. Johnson et la princesse Margaret. Cette séquence s’inscrit dans un axe narratif développé précédemment, à savoir l’image sans nuance de John Fitzgerald Kennedy. Sa jeunesse, son charme et sa mort tragique ont éclipsé la face obscure d’une courte présidence, d’autant que dès novembre 1963 s’est développée une histoire officielle mythifiant JFK. Présenté par sa veuve comme un nouveau roi Arthur, il est le sujet d’une véritable hagiographie, entretenue notamment par ses conseilleurs, tel Pierre Salinger. La série se place, elle, dans une autre tendance historiographique. Le choix de l’acteur Michael C. Hall pour l’interpréter, suggère d’emblée la volonté de rupture. La persona du comédien (entrepreneur de pompes funèbres qui cache son homosexualité dans Six Feet Under, membre de la police scientifique le jour, serial killer la nuit dans Dexter) est à même d’évoquer une personnalité complexe loin de se résumer à son image publique. De fait, l’infidélité du président est soulignée, de même que son inconstance dans l’action politique et son nombrilisme exagéré. Cette représentation constitue un écho du travail de déconstruction de la mythologie «  JFK  » en vigueur aux États-Unis depuis les années 80 (dans les travaux de Garry Willis, Thomas Reeves…) mais qui a encore du mal à prendre en Europe et notamment en France, où la modernité politique passe par la case «  Kennedy français  ». Parfois en conflit avec la vision académique, les séries peuvent aussi y puiser des éléments narratifs. 

Elles y trouvent des béquilles historiographiques. Par ce terme, nous désignons un point d’appui sur lequel se fonde un show pour développer une autre imagerie narrative. L’épisode 4 de la première saison de The Crown en donne un exemple. Fixé en décembre 1952, ce volet de la saga évoque le Smog épais et tenace qui a effectivement frappé Londres à l’époque. Le traitement de cet événement réel s’appuie sur un mix historiographique. Il y a d’abord la représentation d’un Churchill un peu absent, fatigué et dépassé par le contexte. Il apparaît par ailleurs focalisé sur le danger encouru par la monarchie avec la passion du pilotage du duc d’Édimbourg. Churchill est comme obsédé par cette affaire, alors que la capitale est paralysée par un épais brouillard, que le système hospitalier a atteint son point de rupture et que l’opposition rue dans les brancards. Cette imagerie convoque une historiographie assez ancienne, forgée dès la mort de l’ancien Premier Ministre par son médecin Lord Moran. Dans ses Mémoires, le praticien a soutenu que la santé du leader conservateur était si délabrée qu’il était incapable de diriger le pays. Ce portrait, qui ne correspond pas à la réalité dessinée par les sources, est associé à la thématique historiographique bien plus récente de l’anthropocène. Notre société serait désormais entrée dans une nouvelle ère, celle des changements environnementaux provoqués par l’homme, dont l’épisode met en scène un exemple. L’origine du brouillard enveloppant Londres est de fait attribuée au charbon brûlé par les centrales thermiques. L’explication est conforme aux idées des chercheurs sur l’anthropocène qui affirment que les premières conséquences sur le climat sont visibles dès les années 50. 

Or, celle-ci nous semble davantage la mise en évidence rétrospective d’une causalité, que la société anglaise de 1952 n’a pas encore les moyens scientifiques de formuler. L’explication semble donc davantage un effet de temporalité, témoignant des préoccupations de notre propre société, bousculée par les conséquences du changement climatique et qui s’interroge sur l’absence de véritables réactions de la part des gouvernements. Y aurait-il donc un peu de Trump dans Churchill, qui incarnerait à l’écran un modèle précoce d’un climato-sceptique aux affaires  ? Qu’on se rassure  ! Le vieux lion se ressaisit et, à la fin de l’épisode, prononce un discours fictif galvanisant, annonçant la mobilisation de l’appareil d’État. Le Churchill de 1952 est in fine encore celui de 1940. Le titre originel, Act of God, référence à une phrase prononcée par Churchill dans l’épisode, nuance un peu, il est vrai, cette explication présentiste de l’épisode. Il n’empêche pas moins que la fiction offre un terreau propice à une réécriture du passé. On touche là à la manière dont l’histoire est réécrite par les showrunners. Convoquer des points d’appui, autrement dit des béquilles historiographiques et les inscrire dans un régime d’historicité, où le passé est plié aux besoins et tensions du présent. En ce sens, l’écriture des séries historiques n’est pas si moderne. Parler d’hier pour évoquer aujourd’hui recouvre en effet un procédé narratif plutôt ancien. De fait, l’écriture des shows emprunte plusieurs de ses méthodes à celles des romanciers du XIXe siècle. Mise en intrigue, effets de suspense dont le cliffhanger est devenu la forme rituelle, multiplication des points de vue, monologue des personnages, etc. La pratique de rédaction d’un scénario à plusieurs mains au cours de sessions collectives n’est, enfin, pas sans rappeler la manière dont Alexandre Dumas mobilisait des collaborateurs dans son atelier d’écriture pour préparer ses romans.

La pratique de rédaction d’un scénario à plusieurs mains au cours de sessions collectives n’est, enfin, pas sans rappeler la manière dont Alexandre Dumas mobilisait des collaborateurs dans son atelier d’écriture pour préparer ses romans.

Yohann Chanoir

En dépit de ces procédés communs aux studios occidentaux, héritiers en la matière de pratiques littéraires semblables (feuilleton romanesque en France, Penny dreadful en Grande-Bretagne, dime novel aux États-Unis), des différences sensibles existent, selon les aires culturelles, quant à l’écriture de l’histoire. On trouve ainsi des shows relevant d’un roman national, qui ne dit pas toujours son nom. Le Royaume-Uni, qui possède une longue tradition de costume dramas, privilégie les mises en scène du XIXe siècle et de la Belle Époque, période où le soleil ne se couchait jamais sur l’empire et où l’archipel était l’ «  atelier du monde  ». The Crown, à cet égard, tout en s’inscrivant dans ce paradigme (décors somptueux, costumes soignés) marque une nette rupture en s’intéressant à la décolonisation mais aussi à la perte d’influence de la puissance britannique (crise de Suez, difficultés financières obligeant le gouvernement de mendier un prêt aux États-Unis). Les studios espagnols aiment porter à l’écran ces grands qui ont fait l’Espagne (Isabel, Rey Emperador). Leurs homologues français ont longtemps préféré les programmes patrimoniaux avec des héros populaires (Thierry la fronde, Rocambole, Vidocq), non sans les plier parfois à un régime d’historicité. La lutte de Thierry la fronde dans une Sologne occupée rappelait les combats des résistants sous l’Occupation. D’autres productions relèvent d’une lecture davantage sociale de l’histoire. La série américaine Deadwood raconte par exemple la vie d’un groupe particulier, celui des populations attirées par la fièvre de l’or dans une petite ville minière à la fin du XIXe siècle. Les studios outre-Atlantique affichent d’ailleurs un intérêt pour la Frontière (Westworld, Godless, The Son…), décrivant une société qui se construit dans la violence et offrant ainsi une relecture critique du concept de Frederick Jackson Turner. Cet intérêt pour des groupes minoritaires se retrouve également en Europe. Le programme espagnol Les Demoiselles du téléphone s’intéresse à quatre femmes standardistes dans l’Espagne de la République et de la guerre civile, illustrant de manière fictionnelle, l’agency des minorités sexuelles de la péninsule. Peut-on parler pour autant d’écoles historico-scénaristiques  ? La réponse demanderait à étudier plus finement non seulement les séries mais aussi les parcours universitaires des scénaristes, les sources qu’ils ont pu convoquer, les orientations qu’ils ont voulu donner. 

Les quelques exemples analysés, dans un corpus qui ne cesse de s’accroître, suggèrent que les séries sont à l’image du cinéma  : un espace culturel où les imaginaires sont (re)configurés, les conflits interprétés et les consensus fixés ou brisés (Pablo Iglesias Turrión). Il y a de toute évidence une communauté méthodologique entre le bureau du scénariste, l’atelier du romancier et le cabinet de l’historien, ne serait-ce que parce que le premier a puisé chez les deux derniers une méthode (le recours aux documents, la mise en scène d’une intrigue, le recours aux tableaux, la construction d’une totalité qui fait sens…). À cette aune, la série historique se place résolument dans une histoire-récit, plus que dans une histoire-problème. Poser les créations audiovisuelles comme laboratoire historiographique revient plus globalement à s’interroger sur la capillarité des travaux scientifiques mais aussi sur la perméabilité entre le monde académique et le milieu professionnel des shows. Une porosité qui ne résume pas au simple rôle de conseiller, dont le cinéma a déjà montré les contraintes et les limites.

Il y a de toute évidence une communauté méthodologique entre le bureau du scénariste, l’atelier du romancier et le cabinet de l’historien, ne serait-ce que parce que le premier a puisé chez les deux derniers une méthode (le recours aux documents, la mise en scène d’une intrigue, le recours aux tableaux, la construction d’une totalité qui fait sens…).

Yohann Chanoir

Le Nom de la rose est, à cet égard, un cas d’école. La collaboration entre l’équipe réunie autour de Jacques Le Goff et Jean-Jacques Annaud s’est brisée sur les pesanteurs de l’industrie cinématographique : poids des producteurs dans un tournage, préférence du spectaculaire au détriment de la vérité, centralité du réalisateur, réduction conséquente de l’historien au rôle de documentaliste. La représentation misérabiliste des paysans, la présence d’une statue Renaissance dans une abbaye en 1327 et la mort grand-guignolesque7 de l’inquisiteur, etc. ont illustré la complexité du dialogue entre les deux professions. En dépit de ces difficultés, il nous semble que la mise en récit de l’histoire a tout à gagner à s’inspirer des pratiques narratives adoptées à l’écran. The Man in the High Castle et The Plot Against America ont ainsi démontré la force et la vitalité de l’histoire contre-factuelle, hier terre des maîtres de la science-fiction et des romanciers, aujourd’hui champ de l’historien. Écrire le « roman vraisemblable de ce qui aurait pu se passer »8 ne s’appuie pas que les ressources offertes par l’imagination. Cela réclame de faire ressentir les caractéristiques d’une période passée, en étudiant les structures sociales et mentales d’une société. L’histoire contre-factuelle est certes potentielle mais elle doit être réaliste. À ce titre, elle permet aussi de sortir de cette aporie éprouvée par bien des scénaristes : mettre en scène des figures historiques connues du public national et international. A contrario, la dimension uchronique autorise un décentrage du regard en portant à l’image une histoire d’en bas, une histoire des sans voix… Les séries sur le passé dessinent ainsi, sans doute, le futur de notre profession.

Sources
  1. DELORME, Stéphane, «  La guerre des mondes  », Cahiers du cinéma, n° 750, 2018, p. 5.
  2. FERRO, Marc, «  Le Film, une contre-analyse de la société  », dans LE GOFF, Jacques, NORA, Pierre (dir.), Faire de l’histoire, tome III, Paris, Gallimard, 1974, p. 315.
  3. HAFFEMAYER, Stéphane (dir.), «  Le passé révolutionnaire à l’écran  : enjeux de la question  », dans HAFFEMAYER, Stéphane (dir.), Révoltes et révolutions à l’écran. Europe moderne, XVIe-XVIIIe siècles, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2015, p. 9.
  4. Les romans de Maurice Druon n’ont d’abord connu qu’un succès d’estime aux États-Unis. Mais la confession du créateur de Game of Thrones, qui a avoué s’en être largement inspiré, a offert une seconde vie à la saga outre-Atlantique. Leur première adaptation télévisée (Claude Barma, 1972), qui a marqué les esprits, a pu aussi fournir un régime de représentations au showrunner Kurt Sutter.
  5. FORNEROD, Nicolas, SOLFAROLI CAMILOCCI, Daniel, «  The Tudors et la fiction de l’Histoire, un conflit de représentations  ?  », dans BRERO, Thalia, FARRE, Sébastien (dir.), The Historians. Saison 1. Les séries TV décryptées par les historiens, Chêne-Bourg, Georg Editeur, 2017, p. 64-92.
  6. La persona est cet ensemble complexe d’éléments formels et culturels issus des personnages qu’un comédien a incarnés, de son jeu d’acteur et de son image publique.
  7. Pour s’inspirer d’une remarque de Jacques Le Goff. Cité dans MORRISSEY, Priska, Historiens et cinéastes. Rencontre de deux écritures, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 292.
  8. ROWLEY, Anthony, D’ALMEIDA, Fabrice, Et si on refaisait l’histoire ?, Paris, Odile Jacob, 2011, p. 10.