Après la littérature noire, abordée dans sa version méditerranéenne avec Petros Markaris et dans sa version européenne avec les auteurs des Compromis (Rivages, 2019), le Grand Continent poursuit son dossier sur la fiction européenne en s’intéressant à la série. Scénariste de films comme Dheepan de Jacques Audiard (Palme d’Or du Festival de Cannes 2015), Noé Debré a dirigé l’écriture de Parlement, une comédie politique en 10 épisodes de 26 minutes sur le Parlement européen, diffusée en France, en Belgique et en Allemagne à partir du printemps 2020. Aux côtés de Maxime Calligaro et Éric Cardère, Noé Debré sera présent à l’École normale supérieure le mardi 25 février prochain pour discuter du renouveau de l’image romanesque et fictionnelle de l’institution européenne : venez découvrir ce qui se produit quand La Fiction contre-attaque.

Pouvez-vous nous raconter en quelques mots l’intrigue de la série dont vous avez dirigé l’écriture ?

Samy, un assistant parlementaire français fraîchement débarqué à Bruxelles, complètement égaré dans les institutions, commet une faute professionnelle majeure dès son premier jour. Pour s’en sortir, il est obligé d’accepter l’aide d’Ingeborg, une conseillère politique allemande machiavélique, et se retrouve dès lors à sa merci. Elle l’oblige à déposer un amendement sur la protection des requins, qu’il va devoir porter jusqu’au vote.

Un peu comme un pacte faustien, mais avec un Faust qui ne comprend rien à ce qu’il est censé faire.

Comment vous est venue l’idée d’une série sur le Parlement européen ?

J’ai grandi à Strasbourg. La fenêtre de ma chambre donnait sur le Parlement européen. J’ai toujours eu l’intuition qu’il devait se tramer des choses incroyables à l’intérieur. Voilà. Peut-être que si j’avais grandi à Francfort, j’aurais écrit sur la BCE… Je me réjouis de ne pas avoir grandi à Francfort.

Les institutions européennes représentent pour beaucoup un matériau gris, technocratique et administratif. En quoi Strasbourg et Bruxelles vous ont-ils fourni le matériau pour une comédie politique ?

En réalité, je crois qu’on parle de « technocratie » pour l’Europe, parce que son fonctionnement politique est compliquée. Je ne crois pas que l’Europe soit fondamentalement plus bureaucratique que les appareils étatiques des pays qui la composent. Il suffit de mettre les pieds à Bercy pour s’en apercevoir. En revanche, l’UE est beaucoup plus compliquée à comprendre. Or, la complexité est un matériel de comédie formidable. Voir des personnages égarés dans un monde qu’ils peinent à comprendre, ça peut être hilarant. C’est d’ailleurs un thème comique récurrent de la modernité, qu’on retrouve chez Kafka, Chaplin ou les Frères Coen.

J’ai grandi à Strasbourg. La fenêtre de ma chambre donnait sur le Parlement européen. J’ai toujours eu l’intuition qu’il devait se tramer des choses incroyables à l’intérieur.

Noé Debré

Quelles fictions politiques et/ou comiques ont été vos sources d’inspiration pour Parlement ?

Il y a Armando Iannucci bien sûr, le créateur de the Thick of it, In the Loop et Veep, dont la plume acerbe est une inspiration. Bien que je ne considère pas Parlement comme étant tout à fait dans le même registre : je pense que Iannucci est plus cruel avec ses personnages, qu’il n’hésite pas à rendre monstrueux par moment. Ce n’est pas le cas chez nous.

Ensuite bien sûr, il y a The Office, la version britannique et la version américaine, qui sont des chefs d’oeuvre de comédie et d’émotion. De manière générale, je suis un grand amateur de séries comiques au format 30 minutes : Curb your Enthusiasm, South Park, Arrested Development

Vous mentionnez Veep, dont la septième saison est sortie l’an dernier. Quel est votre rapport aux comédies politiques américaines ? Quelle spécificité le contexte européen ajoute-t-il ?

Il y a fondamentalement une différence de récit. La comédie politique américaine contemporaine raconte presque systématiquement (en particulier chez Iannucci) l’histoire d’hommes et de femmes politiques qui disposent de moins en moins de pouvoir et se débattent pour paraître être à la manœuvre. C’est typiquement la grande ironie de Veep. En France, L’Exercice de l’État traite brillamment de la même thématique.

Au parlement européen, c’est un peu le contraire. Le pouvoir détenu par les parlementaires a plutôt tendance à s’accroître – de presque rien il y a trente ans à plutôt beaucoup maintenant – et ils se débattent pour tenter d’en faire bon usage au coeur d’institutions difficiles à naviguer. Dans Parlement, Samy a la possibilité d’accomplir quelque chose réellement, sauf qu’il ne sait pas du tout comment s’y prendre. Selina Meyer dans Veep n’est jamais en mesure d’accomplir quoi que ce soit et elle se démène pour faire croire le contraire.

Au parlement européen, le pouvoir détenu par les parlementaires a plutôt tendance à s’accroître – de presque rien il y a trente ans à plutôt beaucoup maintenant – et ils se débattent pour tenter d’en faire bon usage au cœur d’institutions difficiles à naviguer.

NOÉ DEBRÉ

Parlement est une série sur l’Europe, mais elle-même une co-production européenne (française, belge et allemande) : comment fait-on pour parler de l’Europe de manière particulière à chacun de ces publics différents ? Fait-on rire ou intéresse-t-on de la même manière un Allemand, un Belge et un Français ? Comment jouez-vous sur la dimension multiculturelle du Parlement et sur les effets comiques et dramatiques qui peuvent en être tirés dans la série ?

Eddie Izzard, un humoriste britannique, a joué son spectacle en anglais, en français et en allemand et en a conclu que les blagues se traduisent finalement assez facilement. Je crois plutôt à cela. En fait, ce qui change d’une langue à l’autre, c’est moins le contenu des blagues que leur rythme. C’est plus une histoire d’accent que de langage. C’est pour cette raison que les Belges sont globalement plus drôles que les Français, bien qu’ils parlent la même langue. C’est aussi pour ça qu’on peut rire en regardant un film avec des sous-titres. J’ai en tête l’exemple de Toni Erdmann (2016) de Maren Ade, qui m’a fait pleurer de rire bien que je ne parle pas un mot d’allemand. Idem pour les films de Ruben Ostlund1. Tout tient au rythme des comédiens et à leur capacité à incarner la situation.

Ce qui change d’une langue à l’autre, c’est moins le contenu des blagues que leur rythme. C’est plus une histoire d’accent que de langage. C’est pour cette raison que les Belges sont globalement plus drôles que les Français, bien qu’ils parlent la même langue.

NOÉ DEBRÉ

Par ailleurs, il y avait bien sûr une forte tentation de rire des particularismes locaux, ce dont nous ne nous sommes pas privés. On ne voulait cependant pas que la série se résume à cela, ç’aurait été un peu pauvre et répétitif. Pour Parlement, on peut probablement parler de « comédie interculturelle », c’est-à-dire qu’on rit souvent de la confrontation des langues et des cultures, ce qui est un peu différent.

Mais bon, de manière générale, on vanne quand même beaucoup les Allemands. Comment faire autrement ?

Contrairement à des eurocrates qui peuvent écrire des polars à partir de leur expérience de la vie de l’UE (voir notre entretien avec Maxime Calligaro et Éric Cardère, auteurs des Compromis), vous êtes un scénariste de cinéma et de séries qui a décidé de s’intéresser à Bruxelles et Strasbourg. Est-ce que de travailler à écrire cette série (y compris en travaillant avec des producteurs étrangers), a fait évoluer l’image que vous-mêmes pensiez avoir du Parlement, de l’Europe en général ?

Dans la phase d’écriture, j’y ai trouvé ce que je cherchais, à savoir un matériel d’intrigue et de comédie riche et singulier, profondément contemporain. En rentrant dans la phase de production, les choses se sont compliquées. Avec le budget dont nous disposions, il nous fallait impérativement tourner certaines scènes dans les murs du Parlement. Impossible pour nous de reconstituer à nos frais un hémicycle ou même des salles de commission. Thomas Saignes, le producteur, secondé par Maxime Calligaro, a dû faire preuve de ressources immenses pour rallier tous les échelons administratifs et politiques au projet. La série est par moment très impertinente, notamment avec les institutions, il a fallu convaincre nos interlocuteurs que nous n’étions pas là pour décrier l’Union Européenne mais pour en faire le portrait avec humour. Au final, c’est passé. Ils ont compris ce qu’on voulait faire et ça les a amusés. Mais la bataille a été épique.

Sources
  1. Réalisateur suédois, récompensé par la Palme d’Or au Festival de Cannes 2017 pour son film The Square.