La déclaration du colonel major Ismaël Wagué, porte-parole du comité national du salut du peuple est parfaite, empruntée à une lettre d’intention adressée au FMI pour obtenir une nième facilité rapide de crédit pour boucler la trésorerie mensuelle de l’État. D’ailleurs l’accélération de la saisie du président IBK à sa résidence personnelle tient beaucoup de ce que les spécialistes appellent une « mutinerie du ventre ». Quand la paye tarde trop à venir en particulier pour les soldats du rang qui n’ont rien d’autre que leur allocation quotidienne pour manger.

D’ailleurs même si sa disparition a d’abord été attribuée à un groupe armé, le ministre des finances1 a été la première victime du coup d’État puisqu’il disparait très tôt le matin alors qu’IBK ne sera emmené à Kati qu’en fin d’après-midi. La tension politique, la Tabaski et la covid-19 ont vidé les poches des Maliens et asséché les caisses de l’État. La révolte ivoirienne des soldats pompiers avait commencé par une revendication de paiement. L’affaire ne pouvait en rester là quand on apprécie la mise en scène de la déclaration du comité militaire. Entourant le colonel major de l’armée de l’air, des bérets verts (infanterie) et des bérets fauves (Garde nationale). La caméra prend quelques bérets rouges dans les coulisses du plateau mais ils ne sont pas au mieux de leur forme.

Ce coup d’État est dans le prolongement du règlement de compte de toute l’armée contre l’unité d’élite des bérets rouges qui entouraient ATT, le président élu et militaire renversé en 2012. Selon une source proche de l’appareil sécuritaire malien, une tentative de coup d’État avait eu lieu au premier semestre 2020. Parmi les auteurs de cette opération « tuée dans l’œuf » figurait l’ancien lieutenant de l’armée, Seyba Diarra, un maillon important du coup d’État de 2012 contre le président Amadou Toumani Touré. Il était devenu assez rapidement un des hommes forts de la junte qui a pris ensuite le pouvoir. Inculpé en 2013 comme d’autres dans l’affaire de plusieurs militaires « béret rouge » retrouvés morts dans une fosse commune, le lieutenant Seyba Diarra avait été récemment mis en liberté en attendant son jugement.

Depuis 2012, l’armée malienne a profondément changé sans que la MINUSMA ni la France ne s’en rendent compte2. Elle a une capacité de mobilité qui monte en puissance rapidement et les forces aéroportées comme les moyens aériens se sont développés. Les bérets rouges paient d’avoir été les préférés des formateurs étrangers et l’usage d’un matériel soviétique usé par les années, le sable et la négligence. « Pour reprendre Kidal, l’armée malienne dépêche une colonne de 1000 à 1200 hommes – ce qui est considérable à l’échelle du pays – dotés de blindés légers et d’artillerie dont des lance-roquettes Katiouchas BM-21. Dans cette colonne, des soldats nouvellement formés par l’Union européenne, des « bérets rouges » de l’ancienne armée et des hommes d’Ag Gamou3 – sa propre milice, jadis baptisée Delta. Dès qu’ils arrivent à Kidal, ils ouvrent le feu et… se prennent une déculottée, face à quelque 1 500/1 600 combattants du MNLA. Le bras droit d’Ag Gamou, le colonel Ag Kiba, est tué dans les affrontements, comme une quarantaine d’autres soldats. À Bamako, le président est contraint d’appeler au cessez-le-feu, puis limoge son ministre de la Défense. Depuis lors, IBK explique – sans toujours convaincre – ne pas avoir ordonné cet assaut contre Kidal. Quoiqu’il en soit les bérets rouges ont ridiculisé l’armée malienne avec l’ombre de Gamou, l’auxiliaire de l’opération Serval. C’est un scandale pour les officiers maliens qui savent que la France4a promis que le pouvoir central malien ne serait jamais présent à Kidal.

Un des nouveaux hommes forts de la junte connait Gamou, un transfuge régulier, c’est le colonel Camara diplômé du collège d’État-major de Koulikoro qui à 41 ans revient d’une formation militaire en Russie. Avant l’opération Serval il avait collaboré avec Gamou dans le Nord du pays. Il est plus proche d’un autre homme notable de la junte, de Kati, la ville garnison, le colonel Malick Diaw qui était le chef adjoint du camp où a débuté la mutinerie. Il revient également d’une formation en Russie. Le générale Cheick Fanta Mady Dembele est davantage old school5 à la tête de l’institut de maintien de la paix Alioune Blondin Beye. Cet institut est une resucée de RECAMP l’initiative française appuyée par l’Union africaine pour former des soldats à agir uniquement dans un cadre démocratique de maintien de la paix. On a ainsi émasculé l’armée malienne et la génération qui apparait dans le comité est en rupture avec ce processus de désarmement moral et professionnel. Ils ne partagent pas la culture d’expédition coloniale de l’armée française et n’apprécient pas les profondes inégalités entre les militaires de la MINUSMA, qui minent leur efficacité opérationnelle6.

En dépit des propos de bonne volonté du comité militaire vis-à-vis de la MINUSMA, ils ont brisé un tabou de taille. Renverser le pouvoir institué avec une force internationale comme témoin. Mais des questions subsistent sur cette attitude disruptive des bérets verts, les seuls en force à Kati. L’Humanité rappelle judicieusement aujourd’hui que le rapport du groupe d’experts pour le Mali, mandaté par le conseil de sécurité des NU, avait été largement diffusé avant approbation. Pour une fois, étaient mis en cause l’entourage militaire d’IBK et le général commandant la DGSE, rien à voir avec la piscine, mais plutôt le KGB. Il s’agit de la Direction Générale de la Sécurité d’État (existe aussi au Congo Brazzaville) en charge de la surveillance des journalistes et des opposants comme des négociations avec les groupes militaires insurgés du Nord. Les colonels, avec Dembele qui assurait le contact avec l’Union africain qu’il connait bien, ont réussi, pressés par la mutinerie du ventre, à contrer le coup d’État intérieur de la MINUSMA. Ils se dressent aussi face à l’emprise des Saoudiens et des Marocains de l’imam Dicko et bénéficient à ce titre de l’Algérie qui est la puissance qui fera respecter les accords signés chez elle. L’armée malienne est une armée très centralisée de type soviétique. L’armée française d’Afrique intervient avec des groupements tactiques autonomes qui ne correspondent pas du tout au mode opératoire de leurs homologues du terrain. Cela la rapproche davantage de l’armée algérienne d’autant plus qu’elle apporte sa coopération de façon plus intensive depuis quelques mois. Comme au Niger d’ailleurs.

Et la France ? Le désordre sahélien lui incombe avec la guerre déclarée par Nicolas Sarkozy à Kadhafi et son exécution. Le guide de la révolution finançait ATT pour que celui-ci achète la paix avec les rébellions du Nord et limitait la circulation des armes. Après son assassinat, ATT fut bien démuni et les insurgés du Nord mieux armés ont intensifié leurs attaques contre l’armée malienne. La France a sous-traité à la Mauritanie le coup de Sanogo contre ATT, car ce pays semblait, avec le général Abdel Aziz, capable de vaincre ce que l’on présentait à Paris comme le péril des narcotrafiquants. La réalité semble être autre. Le président Macron est à présent en position subalterne sur le dossier malien comme sur la question libyenne. L’Allemagne a été la première informée du coup sans doute par Dembele et Merkel est à la manœuvre pour une reprise de l’aide de l’Union en temps de Covid-19.

Sources
  1. Le ministre Daffé est l’argentier du pouvoir d’Ibrahim Boubacar Kéita depuis le 27 juillet 2020. Ce banquier, ancien PDG de la Banque de Développement du Mali (BDM SA), qui est entré dans le gouvernement restreint du Premier ministre Boubou Cissé est un homme du sérail. Il avait été désigné en son temps par ses pairs comme meilleur banquier africain.
  2. Mali Country Report, Risks from the EU’s Southern Border, William G. Nomikos
  3. « Also of note is the French army’s work with the Tuareg contingent in the Malian army loyal to General Haji ag Gamou, whose men provided the French with invaluable help, primarily by scouting and translating. Working with ag Gamou’s men did not come without risk, however, given that he represents a particular faction within Tuareg society and has a long history of conflict with other Tuareg notables, particularly ones hailing from nKidal and the elite clans of the restive Kel Adagh confederation. What must be stressed, though, is that the French almost certainly knew what they were doing and understood all the pertinent ramifications and risks« . Pezard, Stephanie and Michael Shurkin “Achieving Peace in Northern Mali : Past Agreements, local conflicts, and the Prospects for a Durable Settlement.” RAND (2015).
  4. Pour comprendre la situation, il faut revenir trois semaines en arrière. La ville de Kidal échappe toujours au contrôle du pouvoir central de Bamako. Quand l’armée française y est arrivée, fin janvier 2013, elle a passé un compromis tacite avec le MNLA et, depuis lors, elle s’est évertuée à « empêcher » – selon le mot d’un acteur – toute visite officielle d’un représentant du pouvoir central, par crainte de relancer le conflit. Mais, au Mali, l’armée française est en train de passer progressivement la main à la force des Nations unies (la Minusma) et le 17 mai, le nouveau Premier ministre Moussa Mara s’est rendu à Kidal sans demander l’accord de quiconque – n’est-il pas chez lui ?
  5. Gen Dembele is a graduate of Saint-Cyr military academy in France. He also graduated from the General Staff College of Koulikoro, Mali. He holds a degree in history from the University of Paris I Panthéon-Sorbonne. He also has a master’s degree in civil engineering and graduated from the German Federal Army University in Munich.
  6. AFRICAN SOLDIERS ARE IN THE FIRING LINE IN MALI : Inequality in MINUSMA #1 Peter Albrecht, Signe Marie Cold-Ravnkilde and Rikke Haugegaard