Hargheisa. En marge du sommet annuel de l’UA à Addis-Abeba, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a réussi à obtenir une rencontre entre le président somalien Mohamed Farmajo et le président du Somaliland Muse Bihi1. Après le prix Nobel pour la paix, l’activisme d’Ahmed face à la crise somalienne était attendu : à partir d’Addis-Abeba, les premiers pas vers une plus grande intégration régionale ont été enregistrés. Le 24 janvier à Mogadiscio, une réunion informelle entre Farmajo et Isaias Afewerki, président érythréen, a eu lieu pour lancer l’idée d’un plan de coopération régionale visant à une gestion structurelle des flux migratoires et d’un plan de reconstruction et de pacification de l’État somalien2. Dans ce processus de rapprochement, les dernières manœuvres de médiation avec le Somaliland sont incluses. Ahmed et Farmajo ont proposé une visite conjointe à Hargheisa, pour rencontrer le président de l’ancienne Somalie britannique, Muse Bihi, qui s’y est cependant opposé. Malgré cela, il semble y avoir une base solide pour le début d’un dialogue régional qui inclut également l’État, non reconnu internationalement, du Somaliland : Farmajo, en effet, a reconnu les crimes historiques commis par le régime de Siad Barre au cours des années 1980, une étape symbolique très importante.

Le Somaliland est la région correspondant à l’ancienne colonie britannique de Somalie, et représente un cas d’État légalement structuré et non reconnu au niveau international3. L’indépendance de la Somalie a été déclarée en 1991, au début de la guerre civile, afin de créer une structure institutionnelle et politique plus efficace que ses voisins. Selon l’étude de Freedom House sur l’état de la démocratie dans le monde, le Somaliland est un État « partiellement libre », tandis que d’autres études sur la gouvernance (menées, entre autres, par la Fondation Mo Ibrahim) classent le Somaliland comme un « État fonctionnel et efficace ». La non-reconnaissance internationale découle des accusations de sécession, rejetées à l’expéditeur parce que, entre juin et juillet 1960, le Somaliland était un État indépendant (avant l’unification à la Somalie italienne).4. La stabilité interne découle d’un facteur démographique (la pression démographique est moindre et les contrastes internes aussi), mais aussi d’un soutien international informel, surtout de la part des monarchies du Golfe (des pays comme les Émirats arabes unis considèrent le Somaliland comme un facteur géopolitique fondamental dans la gestion du trafic dans le détroit de Bab Al Mandab). Le point focal des relations avec les voisins concerne la mémoire historique des atrocités commises par Mogadiscio à Hargheisa dans les années 70 et 80, en pleine érosion de l’État somalien5.

La Somalie entre rivalités internes et présence extérieure

En Somalie, le seul véritable vecteur d’appartenance nationale reste le nationalisme pan-somalien (fièrement représenté par l’étoile à cinq branches sur le drapeau). Pourtant, la reconnaissance par Farmajo des crimes commis par Siad Barre à Hargheisa est un geste historique, visant à constituer une plateforme de coopération et de dialogue avec tous les acteurs qui influencent l’unité territoriale de l’État. C’est l’objectif ultime du Joint Action Plan 2020 conçu et élaboré lors du sommet tripartite d’Asmara le 24 janvier. À cette occasion, Farmajo, Ahmed et Afewerki ont élaboré un plan avec deux objectifs précis : la construction de la paix et le développement social et économique de la région6. De nombreux analystes doutaient des répercussions du plan de paix dans la Corne sur la situation somalienne, un véritable défi pour le prix Nobel de la paix 2019 : l’idée symbolique d’une visite conjointe de Farmajo-Ahmed à Hargheisa est une tentative d’inclure et de renforcer le dialogue régional7. Le rejet de Bihi est dû à la crainte d’une ingérence excessive de ses voisins dans les affaires intérieures du Somaliland (également due aux critiques passées sur l’activisme excessif des EAU), mais il ne représente pas le mot « fin » des tentatives de pacification régionale, mais, au contraire, il pose les bases d’une relation structurelle avec un acteur qui contribue à la stabilité de la Somalie.

Perspectives  :

  • Après le rejet de Bihi, une délégation d’Addis-Abeba, composée du ministre éthiopien des affaires étrangères et du ministre des finances, est partie pour Hargheisa afin de rencontrer les hauts responsables des institutions du Somaliland et de négocier les conditions de la visite.
  • La Somalie connaît la période de plus grand désengagement de la mission AMISOM (le contingent burundais est maintenant entièrement retiré de Mogadiscio). En attendant, les attaques d’Al-Shabaab, qui a mené deux assauts dans le Bas-Shebelle contre des positions de l’armée somalienne en réponse à une attaque aérienne menée le 17 février par les forces américaines de l’AFRICOM contre un complexe de milice à la frontière kenyane, se poursuivent.