Kinshasa. Elles étaient censées être des élections pour un changement de pouvoir pacifique, mais sont pourtant devenues un sujet de préoccupation. Les élections présidentielles se sont déroulées dans un climat d’hostilité et de tension, dû en partie au report du 23 au 30 décembre décidé par le président Kabila1. À cela s’ajoute la décision de ne pas tenir la consultation dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, où elle sera votée en mars 2019 (le serment du nouveau vainqueur étant fixé à février).  La Commission Électorale Nationale Indépendante (Ceni) a dénoncé une situation de désorganisation causée par l’utilisation de machines électroniques et le caractère incomplet des listes électorales. Les troubles à Kinshasa ont fait 17 morts, entraînant des déclarations inquiètes de la part de la communauté régionale (Angola et République du Congo) et d’autres acteurs internationaux (surtout l’Onu et l’Union), en attendant la proclamation des résultats officiels cette semaine2.

La Constitution de la République Démocratique du Congo, rédigée en 2006, fixe un maximum de deux mandats présidentiels. Joseph Kabila, président congolais depuis 2001, a terminé sa présidence à l’automne 2016, lorsque de nouvelles élections devaient avoir lieu3. Depuis lors, Kabila a enchaîné les reports jusqu’en décembre 2018, ce qui a conduit au développement d’une dynamique négative qui a affecté la consultation de fin 2018. Ainsi, certaines personnalités politiques congolaises ont refusé de se porter candidats, dont Jean-Pierre Bemba et Moise Katumbi. Une grande partie de la population congolaise s’est montrée très mécontente à cet égard, demandant une figure de médiation pour l’opposition4. Au début du mois, une candidature a été trouvée en la personne de Martin Fayulu, mais ce choix a été fortement critiqué par de nombreux milieux sociaux et politiques du pays, provoquant des forfaits et de nouveaux candidats. Le plus impressionnant d’entre eux est Felix Tshisekedi, fils du célèbre Étienne, qui conteste la position de Fayulu en tant que candidat de l’opposition. Le parti de Kabila a présenté Emmanuel Shadary, le dauphin du président, qui assure la continuité avec l’ancienne présidence. Les sondages préélectoraux ont donné Fayulu comme favori, mais sans une forte majorité au Parlement. Fayulu, Shadary et Tshisekedi sortaient du lot dans une liste de 21 candidats, pour la plupart sans parti derrière eux. Notons qu’une seule femme se présentait5.

/L’absence de figures fortes et le rôle de l’ancienne administration congolaise conduisent à une série d’incertitudes pour l’avenir du pays. L’année 2018 a été marquée par deux problèmes majeurs qui occuperont la nouvelle présidence : la crise humanitaire, liée aux épidémies d’Ebola, et la présence de milices dans les provinces orientales. Officiellement, la décision de ne pas voter dans ces régions du pays a été prise pour les raisons suivantes : il est très probable, cependant, que le choix a été fait par Kabila d’affaiblir les oppositions, qui sont très fortes dans l’est du pays. Avec les élections tenues au Nord-Kivu et en Ituri en mars 2019, le principal risque est une nouvelle fracture dans le pays, le serment des nouveaux élus étant prévu pour février 20196. Dans ces élections pleines d’incertitudes, dont le vainqueur sera annoncé mi-janvier, les deux questions principales seront traitées par une figure délégitimée aux yeux d’une grande partie de la population et de la classe moyenne, en totale confusion. Un plan de cooptation des milices, à l’instar de l’accord République Démocratique du Congo-Rwanda de 2009, ne peut être possible qu’avec une diplomatie solide et une présence étatique forte sur l’ensemble du territoire, ce qui n’est actuellement pas possible pour Kinshasa. De plus, les flambées d’ebola sont un facteur supplémentaire de crises humanitaires pour près de 13 millions de personnes, qui ne peuvent être soignées que par une coopération au développement prudente et transparente.

La bonne gouvernance et l’imposition de la souveraineté des États sont les seules recettes possibles pour surmonter cette situation. Les troubles à Kinshasa, officiellement à cause des machines électroniques, ont fait 17 morts, ce qui a accru l’inquiétude de l’Angola et de la République du Congo7, des troupes onusiennes de la mission Monusco, dont le retrait commence en février, et de l’UE, qui attend le résultat des élections pour décider si les sanctions et l’embargo sur les armes doivent continuer et pour rappeler ses représentations diplomatiques. Dans une année 2019 qui sera celle des élections dans de nombreux pays africains, les élections présidentielles en République Démocratique du Congo ouvrent le bal de manière décisive.

Perspectives :

  • 15 janvier 2019 : date de l’annonce officiel du gagnant. Martin Fayulu est en tête, selon les sondages préélectoraux, avec environ 44 % des voix.
  • Selon le plan du Conseil de sécurité de l’Onu, il devrait y avoir un premier retrait des troupes de la Monusco d’ici à fin février.
  • Mars 2019 : consultations au Nord-Kivu et en Ituri, officiellement reportées à cause des troupes de la milice ougandaise Adf. Les villes de Beni et Bunia, également touchées par les épidémies d’ebola, représentent un bassin électoral très important pour l’opposition. Il faut souligner qu’il y a aussi un facteur historique, culturel et linguistique qui a motivé la décision de reporter les élections : le bassin occidental, surtout depuis la seconde guerre mondiale, considère les zones orientales, plus liées à la culture swahili et aux Grands Lacs, comme une réalité lointaine d’affiliation paramilitaire, ce qui témoigne de la faiblesse des institutions de Kinshasa. Cette région est en effet victime d’occupations répétées des forces militaires étrangères (Ouganda et Rwanda).

Sources :

  1. BOISSELET Pierre, Élections en RDC : les chefs d’État voisins, réunis en sommet à Brazzaville, expriment leur “vive préoccupation”, Jeune Afrique, 26 décembre 2018.
  2. Commission Electorale Nationale Indépendante, Liste definitive des candidats aux elections presidentielle, legislatives nationales et provinciales, décembre 2018.
  3. Groupe d’études sur le Congo, Fondation BERCI, RDC Sondage d’opinion publique – Elections 2018 : Redistribution des rapport de force politique , Center On International Cooperation – University of New York, octobre 2018.
  4. Élections en RDC : des cas de fraudes signalés dans plusieurs villes du pays, RFI, 2 janvier 2019.

Alessandro Rosa