Londres. Grand écart au sein du cabinet. Vendredi 6 juillet, au terme d’un long séminaire réunissant les membres du cabinet à Chequers, la résidence de campagne des Premiers ministres britanniques, Theresa May a fait connaître sa vision de la future relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Le nouveau plan publié par le gouvernement britannique propose de mettre fin à la libre circulation des personnes et à la juridiction de la Cour de justice de l’Union (1), en prévoyant la création d’une zone de libre-échange avec un ensemble de “règles communes” pour les biens industriels et les produits agricoles. Il propose également de mettre en place un nouveau modèle douanier favorable aux entreprises et d’éviter ainsi une frontière dure entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande, principal point de friction dans la négociation (5). Confirmant l’accord de Chequers, un livre blanc a été publié jeudi dernier qui doit encore être analysé par Bruxelles. C’est le document le plus important depuis juin 2016. Il pose notamment comme priorité pour le Royaume-Uni de protéger la liberté de mouvement des travailleurs qualifiés et des étudiants (8, 7).

Alertée par les milieux d’affaires, Theresa May a finalement choisi de proposer à Bruxelles un Brexit en douceur, marquant un changement de direction par rapport aux promesses initiales du gouvernement. L’accord de Chequers a déclenché un règlement de comptes au sein du cabinet impliquant les vétérans du “Brexit dur”. Deux poids lourds de l’exécutif ont démissionné : David Davis et Boris Johnson, respectivement ministre du Brexit et ministre des Affaires étrangères, tous deux nommés au lendemain du référendum et acteurs de premier plan dans la campagne du Leave. Dominic Raab, eurosceptique convaincu, est désormais en charge de la négociation, tandis que Jeremy Hunt, partisan d’un second référendum, a été nommé à la tête du Foreign Office (5). Un savant mélange censé rééquilibrer le jeu et marginaliser la frange “hard brexit” du cabinet, au moment où pèse la menace d’une arrivée de Jeremy Corbyn à Downing Street. Aujourd’hui, un vote à la Chambre des communes révélera l’ampleur de l’hostilité des “hard-brexiters” sur l’accord de retrait.

Grand écart à l’international. Comme si les manœuvres byzantines au sein du Parti conservateur ne suffisaient pas, Theresa May s’est retrouvée contrainte, au cours de la semaine écoulée, de gérer un positionnement international plus mouvant que jamais. Londres se trouve en effet sur une ligne plus dure que Washington vis-à-vis de Moscou, et plus proche de ses partenaires européens sur le rôle de l’Otan. Mercredi, durant le sommet de l’Alliance atlantique à Bruxelles, Theresa May a mis en garde le chef d’État américain sur sa rencontre avec le président Poutine, prévue ce lundi, en l’invitant à soulever l’affaire Skripal et, plus généralement, à protéger les intérêts du monde occidental (4). Parlent-ils la même langue ? Avant même son arrivée au Royaume-Uni, le président américain s’est lourdement ingéré dans l’équilibre du parti conservateur, en rendant un hommage appuyé à son “ami” Boris Johnson (9). Comme pour lui restituer les compliments que l’ancien ministre des Affaires étrangères lui avait lancé début juin, en affirmant que le Brexit manquait cruellement d’un négociateur comme le président américain (3), afin d’affaiblir ainsi Theresa May. En d’autres temps, la visite de l’allié américain aurait constitué un soutien précieux pour la Grande Bretagne, notamment dans la gestion de ses relations avec l’UE. Aujourd’hui, dans un contexte européen et international chaotique, avec un locataire de la Maison Blanche hostile aux outils de la diplomatie, elle est surtout accueillie par des polémiques et des protestations.

Dans le nouveau plan qu’elle vient de proposer, la Première ministre britannique a tenu à garantir que le choix des électeurs du Brexit – celui d’un Royaume-Uni libre de nouer ses propres accords commerciaux avec le monde – sera respecté. À quel prix ? Dans une interview livrée au Sun jeudi dernier, Donald Trump a prévenu que si la proposition de Theresa May est approuvée à Bruxelles, elle tuera toute possibilité d’accord de libre-échange entre les deux pays (6). Lors d’une conférence de presse le jour suivant, le président américain a tenu à préciser que la relation entre les deux pays n’a jamais été aussi “spéciale” et qu’un accord commercial est tout à fait possible. Une diplomatie bipolaire qui semble avoir principalement comme effet de contribuer à déstabiliser le pays, en un moment politique des plus délicats.

Perspectives :

  • Un nouveau passage parlementaire pour le Brexit bill est attendu ce lundi à la chambre des Communes. Il représentera un test pour les équilibres internes au Parti conservateur, après les démissions de MM. Davis et Johnson.
  • Le Royaume-Uni attend une réponse de Bruxelles sur le livre blanc publié jeudi dernier afin de parvenir à un accord cet automne.
  • La sortie politique du Royaume-Uni de l’UE est prévue en mars 2019.

Sources :

  1. Theresa May livre les détails de la relation post-Brexit voulue avec l’UE, AFP, 12 juillet 2018.
  2. BROCARD Sophie, Jeremy Hunt, nouveau chef du Foreign Office, Touteleurope.eu, 11 juillet 2017.
  3. CASTLE Steven, Trump doing Brexit ? A very good thought, says Britain’s top diplomat, The New York Times, 8 juin 2018.
  4. FISHER Lucy, ELLIOTT Francis, May : we must stay strong against Putin, The Times, 12 juillet 2018.
  5. Prime Minister words following Chequers : 6th of July 2018, Gov.uk, 6 juillet 2018.
  6. NEWTON DUNN Tom, Donald Trump told Theresa May how to do Brexit “but she wrecked it” – and says the US trade deal is off, The Sun, 13 juillet 2018.
  7. The Brexit white paper : what it must address, The UK in a Changing Europe, 9 juillet 2018.
  8. WALKER Peter, What’s in the Brexit white paper ?, The Guardian, 12 juillet 2018. Version officielle du Livre blanc.
  9. WAUGH Paul, Donald Trump praises his “friend” Boris Johnson as he says Britain is in turmoil, Huffington Post, 10 juillet 2018.