Politique

La « paix » façon Viktor Orbán. Son plan en 10 points

Depuis le début de la présidence hongroise de l’Union, Viktor Orbán se rêve en « faiseur de paix ». Après avoir rencontré Xi, Poutine et Trump, il a écrit une lettre au président du Conseil européen Charles Michel — un briefing en dix points où il détaille son plan. Entre provocation et défi, le lire aide à mieux comprendre pourquoi la tournée diplomatique d’Orbán était aussi un exercice de géopolitique interne.

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Le Grand Continent
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© AP Photo/Thanassis Stavrakis

Depuis le 1er juillet et jusqu’au 31 décembre, la Hongrie occupe la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne. Le premier ministre Viktor Orbán a déclaré vouloir mettre au cœur de celle-ci l’objectif de parvenir à la mise en place d’un cessez-le-feu en Ukraine dans le cadre d’une grande « mission pour la paix »1.

Avant de se rendre en Ukraine et en Russie, le Premier ministre hongrois — dans une autre lettre adressée au président sortant du Conseil européen Charles Michel ainsi qu’aux dirigeants des États membres — avait motivé sa visite controversée par un désir de vouloir « seulement connaître les positions des deux belligérants »2.

Après avoir rappelé qu’il « n’a pas parlé au nom de l’Union », Orbán écrit que « si nous [les Européens] ne parvenons pas à contenir ou à arrêter cette guerre, nous assisterons, au cours des deux prochains mois, à des pertes et à des événements militaires plus dramatiques que jamais sur les lignes de front ». Dans sa première lettre, le Premier ministre hongrois faisait peu mention de la position ukrainienne vis-à-vis d’un cessez-le-feu mais ne laissait pas de s’épancher à plusieurs reprises sur les propositions russes (Accords d’Istanbul, plan de paix sino-brésilien). Lundi 8 juillet, trois jours seulement après la « mission pour la paix » d’Orbán à Moscou, l’armée russe frappait un hôpital pour enfants avec un missile de croisière.

Pour justifier son aventurisme diplomatique, Orbán veut soigner sa copie. Entre défi et provocation, il a rendu publique le 18 juillet une lettre écrite au Président du Conseil européen sur le mode du reporting — une posture ironique et jouant sur une certaine mauvaise foi dans la mesure où Orbán n’avait pas de mandat pour effectuer ces visites au nom de l’Union, ce qu’a eu l’occasion de préciser explicitement Charles Michel.

Monsieur le Président,

Veuillez trouver ci-dessous une évaluation sommaire de mes récentes discussions avec les dirigeants de l’Ukraine, de la Russie, de la Chine, de la Turquie et du président Donald J. Trump, ainsi que quelques suggestions à prendre en considération.

1. Il est généralement admis que l’intensité du conflit militaire va radicalement s’intensifier dans un avenir proche.

Il faut parfois lire entre les lignes. Alors que, depuis deux ans, la plupart des dirigeants occidentaux parlent presque de concert « d’agression russe de l’Ukraine » ou de la « guerre de la Russie de Poutine contre l’Ukraine », Orbán ne mentionne pas l’agresseur et n’emploie même pas le terme de guerre.

2. J’ai personnellement constaté que les parties belligérantes sont déterminées à s’engager plus avant dans le conflit, et qu’aucune d’entre elles ne souhaite prendre des initiatives en faveur d’un cessez-le-feu ou de négociations de paix. On peut donc supposer que les tensions ne diminueront pas et que les parties ne commenceront pas à chercher un moyen de sortir du conflit sans une implication extérieure significative.

Orbán omet sciemment les différentes propositions mises sur la table auxquelles a contribué l’Ukraine. Le dernier sommet en date, au Bürgenstock en Suisse, s’il rassemblait de nombreuses parties, n’était pas pris au sérieux par la Russie. Quelques jours avant, devant son administration, Vladimir Poutine définissait des lignes rouges qui revenaient à une annexion de facto d’une plus grande part de territoire que ce qu’il contrôle militairement.

3. Trois acteurs mondiaux sont en mesure d’influencer l’évolution de la situation : l’Union européenne, les États-Unis et la Chine. Nous devons également prendre en compte la Turquie en tant qu’acteur régional important, seul médiateur réussi entre l’Ukraine et la Russie depuis le début des hostilités en 2022.

4. La Chine poursuivra sa politique, également formulée dans les documents internationaux, appelant à un cessez-le-feu et à des pourparlers de paix. Toutefois, la Chine ne jouera un rôle plus actif que si les chances de succès de son engagement sont proches de la certitude. Selon eux, ce n’est pas le cas actuellement.

Le 8 juillet, Orbán s’est rendu à Pékin pour discuter de la guerre en Ukraine et des relations sino-européennes avec le président chinois Xi Jinping. C’était la deuxième fois cette année que les deux dirigeants se rencontrent après la visite du président chinois à Budapest en mai. Le communiqué chinois indique qu’« Orbán a rendu compte de ses récentes visites en Ukraine et en Russie. Xi Jinping a apprécié les efforts d’Orbán pour promouvoir une solution politique à la crise ukrainienne et a développé les vues et propositions pertinentes de la Chine »3.

Xi Jinping a également rappelé que Pékin avait « activement promu les pourparlers de paix à sa façon et encourage et soutient tous les efforts favorables à un règlement pacifique de la crise », ajoutant que la Chine poursuivait les mêmes objectifs que la Hongrie4.

Le président russe Vladimir Poutine serre la main du premier ministre hongrois Viktor Orbán lors d’une réunion au Kremlin, à Moscou, Russie. © Valeriy Sharifulin/Sputnik/SIPA

5. En ce qui concerne les États-Unis, j’ai constaté lors du sommet de l’OTAN et de mes entretiens avec le président Trump que les États-Unis sont actuellement très préoccupés par la campagne présidentielle. Le président sortant déploie d’immenses efforts pour rester dans la course. Il est évident qu’il n’est pas en mesure de modifier la politique américaine actuelle en faveur de la guerre et qu’on ne peut donc pas s’attendre à ce qu’il lance une nouvelle politique. Comme nous l’avons constaté à maintes reprises au cours des dernières années, dans de telles situations, la bureaucratie, sans leadership politique, continuera à suivre la voie précédente.

Après son voyage en Chine, Viktor Orbán a atterri à Washington pour participer au sommet de l’OTAN, qui marquait les 75 ans de l’alliance. Isolé parmi les membres de l’Alliance, il s’est ensuite rendu à Mar-a-Lago pour rencontrer Trump dont il partage explicitement les vues sur la politique à mener sur la guerre en Ukraine : un deal à tout prix et à n’importe quelle condition pour arrêter l’aide occidentale à Kiev.

6. Lors de mes entretiens avec le président Trump, je suis parvenu à la conclusion que la politique étrangère ne jouera qu’un rôle mineur dans sa campagne, qui est dominée par des questions de politique intérieure. Il ne faut donc pas s’attendre à ce qu’il prenne des initiatives de paix avant les élections. Je peux cependant affirmer avec certitude que peu après sa victoire électorale, il n’attendra pas son investiture, mais qu’il sera prêt à agir immédiatement en tant qu’intermédiaire de paix. Il a des plans détaillés et bien fondés à cet effet.

Dans un entretien avec le quotidien allemand Bild publié lundi 8 juillet, Orbán vantait les effets bénéfiques de la présidence de Trump sur la stabilité du monde : « Trump est « l’homme de la paix ». En tant que président américain, il n’a pas déclenché une seule guerre et a « beaucoup fait pour ramener la paix dans des conflits anciens dans des régions très compliquées du monde. C’est pourquoi j’ai une grande confiance en lui »5.

7. Je suis plus que convaincu que dans le résultat probable de la victoire du président Trump, la proportion de la charge financière entre les États-Unis et l’Union changera de manière significative au désavantage de l’Union en ce qui concerne le soutien financier de l’Ukraine.

8. Notre stratégie européenne au nom de l’unité transatlantique s’est contentée de copier la politique pro-guerre des États-Unis. Jusqu’à présent, nous n’avons pas eu de stratégie européenne souveraine et indépendante ni de plan d’action politique. Je propose de débattre de la question de savoir si la poursuite de cette politique est rationnelle à l’avenir. Dans la situation actuelle, nous pouvons trouver une fenêtre d’opportunité avec une base morale et rationnelle solide pour entamer un nouveau chapitre de notre politique. Dans ce nouveau chapitre, nous pourrions nous efforcer de réduire les tensions et/ou de créer les conditions d’un cessez-le-feu temporaire et/ou d’entamer des négociations de paix.

Les chefs d’État et de gouvernement des pays de l’OTAN ont rapidement réagi au « grand tour » du Premier ministre hongrois. Donald Tusk a notamment déclaré lors d’une conférence de presse à Varsovie en présence de Volodymyr Zelensky : « L’histoire se souvient des hommes politiques qui prétendaient œuvrer en faveur d’une paix juste mais qui, en réalité, travaillaient à la capitulation »6.

9. Je propose d’entamer une discussion sur les propositions suivantes :

a. l’initiative de mener des discussions politiques de haut niveau avec la Chine sur les modalités de la prochaine conférence de paix ;

b. tout en maintenant les contacts politiques de haut niveau actuels avec l’Ukraine, la réouverture des lignes directes de communication diplomatique avec la Russie et la réhabilitation de ces contacts directs dans notre communication politique ;

c. le lancement d’une offensive politique coordonnée vers le Sud global dont nous avons perdu l’appréciation concernant notre position sur la guerre en Ukraine, ce qui a pour conséquence l’isolement global de la communauté transatlantique.

Gagner le Sud global ou, pour parler comme Karaganov la « majorité mondiale » est une obsession chinoise et russe, qui voit dans dans la crise du désalignement l’occasion de prendre l’avantage. En utilisant une rhétorique martiale — « une offensive politique » — plutôt que de parler de connectivité comme le font les autres dirigeants de l’Union, Orbán se place encore une fois en décalage par rapport à ses alliés occidentaux.

10. J’espère que mes rapports et mes suggestions pourront s’avérer une contribution utile aux éventuelles propositions et initiatives que vous présenterez aux dirigeants de l’Union à une occasion appropriée et dans un format adéquat.

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