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Lors des élections européennes du 9 juin, une nouvelle liste d’extrême droite, Se acabó la fiesta (SALF), menée par l’influenceur conspirationniste Alvise Pérez, a fait une irruption inattendue sur la scène espagnole. Avec 800 763 voix et 4,59 %, SALF a remporté trois députés européens, faisant jeu égal avec Sumar en nombre de sièges et dépassant même Podemos. Même si les sondages du mois de mai donnaient une chance à Alvise Pérez d’entrer au Parlement européen, son émergence à ce niveau a provoqué la stupéfaction. D’autant plus si l’on considère qu’il s’agit d’un mouvement électoral sans siège, sans militants et sans programme, né il y a seulement quelques mois sur les réseaux sociaux.

C’est sur la côte méditerranéenne entre Alicante et Cadix, ainsi qu’à Las Palmas de Gran Canaria, que SALF a obtenu ses meilleurs résultats, avec plus de 6 % des voix. Selon les premières analyses, il s’agit d’un vote transversal en termes de niveaux socio-économiques, mais Alvise Pérez a surtout gagné parmi les jeunes hommes, dans les villes intermédiaires et avec des niveaux de chômage élevés. Ses plus de 800 000 voix proviennent essentiellement d’anciens électeurs de Vox — qui a d’ailleurs perdu plusieurs points de pourcentage par rapport aux élections générales du 23 juillet 2023 — et du PP, en plus de l’abstentionnisme.

SALF, c’est d’abord et avant tout Luis Pérez Fernández. D’après ses dires, il aurait trouvé son surnom, Alvise — un nom qui dérive de Luigi en italien et qui correspondrait donc à Luis en espagnol — dans un livre de l’humaniste du XVe siècle Agostino Nifo. Né à Séville en 1990, Pérez a commencé à s’intéresser à la politique à l’université, en tant que bénévole pour l’Unión Progreso y Democracia (UPD) de Rosa Díez. Il n’a jamais validé son diplôme en sciences politiques et administration à l’UNED et se définit comme un « analphabète académique ». En 2017, après une expérience à Leeds, il rejoint Ciudadanos et devient rapidement chef de cabinet du parti au Parlement de Valence, où il établit une étroite collaboration avec son leader, Toni Cantó. Après les élections législatives de novembre 2019, il prend ses distances avec le parti — ou plutôt : il en est éloigné en raison de sa communication agressive et violente. Il tentera, sans succès, de se rapprocher ensuite de Vox.

À partir de ce moment, et surtout pendant les mois les plus difficiles de la pandémie, Pérez se consacre à la constitution d’une persona numérique, lançant ou participant à des campagnes de trolling et de harcèlement contre Pedro Sánchez et les membres de son gouvernement à travers la diffusion d’infox et de théories conspirationnistes. Il est ainsi lié à tout le milieu d’ultra-droite sur les réseaux sociaux espagnols. Au-delà, il collabore également jusqu’en 2022 avec Estado de Alarma TV (EDA), un média d’extrême-droite comparable à Breitbart News. En 2021, il reçoit un prix de l’association ultra-catholique Hazte Oír, aux campagnes de laquelle il a participé, par exemple en se filmant en train de prier devant des cliniques d’avortement.

Ces dernières années, Pérez a été poursuivi à de nombreuses reprises pour sa diffusion de fake news et ses violentes calomnies. Dans certains cas, il a déjà été condamné pour avoir diffusé de fausses informations, comme dans le procès intenté par l’ancienne maire de Madrid, Manuela Carmena, ou l’ancien ministre des transports, José Luis Ábalos. Dans d’autres cas, comme les plaintes de l’ancien ministre de la santé, Salvador Illa, de l’ancien maire de Valladolid, Óscar Puente, ou de la journaliste Ana Pastor, un jugement est toujours attendu. L’une des principales raisons qui ont poussé Pérez à se présenter aux élections semble précisément l’objectif d’obtenir une immunité parlementaire. Après son élection en tant que député européen, les affaires vont maintenant passer devant le Tribunal suprême, qui devra demander une requête à la Chambre de Strasbourg. Bref, tout sera retardé pour longtemps.

Ces dernières années, Pérez a été poursuivi à de nombreuses reprises pour sa diffusion de fake news et ses violentes calomnies.

Steven Forti

Pour ces raisons, ses comptes sur certains réseaux sociaux, comme X (anciennement Twitter), ont été bloqués ou suspendus à plusieurs reprises. Pérez communique principalement sur Telegram et Instagram, où il comptait avant le 9 juin respectivement près de 500 000 et plus de 800 000 followers. C’est sur ces plateformes qu’il a presque exclusivement fait campagne — à l’exception d’une douzaine de rassemblements mégaphone en main sur les places de certaines villes. Son canal Telegram a d’abord été créé sous le nom de Gobierno Dimisión — pour la campagne duquel il a été sanctionné — et est ensuite devenu son canal personnel. C’est aussi de là que vient le symbole de SALF — un écureuil avec le masque des Anonymous. Pérez appelle en effet ses partisans des écureuils (ardillas). C’est sur cette métaphore filée qu’il façonne son image de justicier : tel l’écureuil, l’influenceur d’ultradroite, à coups de dénonciations, ramasserait une par une les noix d’un arbre malade : le système politique espagnol.

Même si elle bouleverse le paysage espagnol, la proposition d’Alvise Pérez n’a en réalité rien de nouveau. De fait, il mélange des styles et des techniques qu’on a vu se développer ces dernières années sous d’autres latitudes : de l’Alt Right américaine avec des figures comme le complotiste Alex Jones à Javier Milei lui-même ou au président salvadorien Nayib Bukele. Son récit d’outsider luttant contre le système se concentre sur seulement quelques thèmes — répétés ad nauseam de manière incendiaire et agressive. Nous analysons son discours en 10 phrases.

1 — « Pedro [Sánchez], prépare-toi car tu vas dégager (…) tu ferais mieux de te cacher dans un coffre parce qu’on va te mettre en prison. » 1

L’agressivité verbale d’Alvise Pérez est probablement sa principale caractéristique. Le fondateur de SALF imite Javier Milei, devenu la nouvelle référence d’une partie de l’extrême droite mondiale et connu pour ses insultes à l’encontre des opposants politiques. Dans le discours qu’il a prononcé le soir des élections, le 9 juin, depuis une discothèque de Madrid, Pérez a indirectement cité le dirigeant argentin en disant qu’il ferait don de 100 % de son salaire en tant que député européen. Pendant son mandat de deux ans en tant que député, entre 2021 et 2023, Milei tirait au sort le gagnant de son salaire dans une sorte de tombola géante parmi ceux qui s’inscrivaient sur son site personnel « Mi Palabra ». Au-delà de la dimension évidemment populiste contre la « caste » des politiciens, l’objectif était surtout d’obtenir les données personnelles de millions de citoyens argentins — ce qui vaut nettement plus cher qu’un salaire de député. Il reste à voir si Alvise Pérez s’inspirera de cette tactique. 

La phrase prononcée ici par l’influenceur d’ultradroite fait référence à la fuite de l’ancien président catalan Carles Puigdemont en octobre 2017, qui aurait traversé la frontière entre l’Espagne et la France dans le coffre d’une voiture pour se retrouver réfugié en Belgique et s’éviter une arrestation pour avoir déclaré unilatéralement l’indépendance de la Catalogne. Pérez active ici les deux clefs qui animent le discours ultranationaliste espagnol : l’opposition à la gauche et l’antiséparatisme. Cette rhétorique est liée au canon réactionnaire espagnol depuis la fin du XIXe siècle et l’invention du thème de « l’anti-Espagne ». 

2 — « L’Espagne est devenue la fête des criminels, des corrompus, des mercenaires, des pédophiles et des violeurs. » 2

La rhétorique incendiaire d’Alvise Pérez vise avant tout les hommes politiques, qualifiés de « parasites ». S’il ne ménage pas ses attaques contre le Partido Popular, défini comme un « PSOE bleu » — rappelant la « droite lâche » dont parle Vox — ses flèches sont majoritairement dirigées contre la gauche et en particulier contre le gouvernement de Pedro Sánchez, qui aurait transformé l’Espagne en une république bananière contrôlée par les narcotrafiquants, à l’instar du Venezuela. Cela fait s’inscrit dans une tradition d’attaques d’extrême droite contre des gauches qualifiées de « castrochavistes »

Chez le fondateur de SALF, la réactualisation de ce cliché s’accompagne d’une vision apocalyptique de la réalité qu’Alvise répète comme un mantra : criminalité, pédophilie, viols, trafic de drogue, corruption. Les fake news diffusés contre des membres du gouvernement, comme les ministres Illa et Ábalos, lui ont d’ailleurs coûté des condamnations. L’ancienne ministre Irene Montero, élue au Parlement européen comme tête de liste de Podemos, a également été insultée pour avoir travaillé comme caissière dans sa jeunesse. Le discours de haine et la déshumanisation des opposants politiques de Pérez s’accompagne d’appels à la violence sous le vernis du maintien de l’ordre : « je ne veux pas qu’on poursuive les narcoterroristes, je veux qu’on leur tire dessus à la mitraillette ». Au fond, « Alvise » vend l’image d’une Espagne idyllique et sûre qui aurait existé dans le passé : cette nostalgie artificielle d’un « bon vieux temps » est un autre trait commun des extrêmes droites 2.0.

Pérez accompagne son discours de haine et de déshumanisation de ses opposants par des appels à la violence sous le vernis du maintien de l’ordre : « je ne veux pas qu’on poursuive les narcoterroristes, je veux qu’on leur tire dessus à la mitraillette ».

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3 — « J’ai repéré un terrain à l’est de Madrid, très beau, très joli. Je vais y faire construire une prison pour 40 000 personnes. À côté, même Bukele passera pour une chiffe molle. » 3

Outre Milei et Trump, un autre modèle d’Alvise Pérez est le populisme carcéral du président salvadorien Nayib Bukele. Dans cette phrase, il le cite explicitement en se référant au Centro de Confinamiento del Terrorismo, la méga-prison construite à la périphérie de San Salvador où ont été détenus des milliers de membres de gangs et plusieurs milliers de citoyens accusés sans aucune preuve — au point que différentes organisations de défense des droits de l’Homme ont dénoncé à plusieurs reprises l’existence de cette structure. La formule de Bukele, qui a fait du Salvador, au cours des cinq dernières années, une démocratie illibérale voire une autocratie électorale, a commencé à être copiée par d’autres politiciens latino-américains — l’Équateur par exemple. Avec SALF, elle atteint désormais aussi l’Europe. Enfin, rappelons que Bukele est connu comme le « président Twitter », car il communique presque exclusivement à travers les réseaux sociaux.

Dans le même entretien, Pérez s’en prend également aux Nations unies et aux organisations de défense des droits de l’Homme qui condamnent ces politiques de « main de fer ». L’antimondialisme, la critique du multilatéralisme et les accusations portées contre les organisations internationales sont des caractéristiques communes à toutes les extrêmes droites dans le monde. Selon Vox, l’ONU serait l’un des principaux ennemis de l’Espagne, tandis que le gouvernement de Milei a proposé que les ambassades argentines cessent de collaborer à des projets liés à l’Agenda 2030 des Nations unies. Il n’est donc pas surprenant que le leader de SALF fasse flotter la possibilité de convoquer un référendum sur la sortie de l’Union dans le cas où Bruxelles n’écouterait pas ses propositions. Enfin, il est intéressant de noter que toujours dans cet entretien, anticipant le reproche d’être vu comme un « tyran », Pérez se revendique « démocrate » : selon lui, des projets tels que la méga-prison ne feraient que respecter le code pénal espagnol et les « droits des Espagnols honnêtes ». La tentative de s’approprier le concept de démocratie en le détournant rappelle là encore la rhétorique d’un Trump, d’un Bolsonaro ou d’un Milei.

4 — « Cette main de fer, c’est la construction d’une méga-prison sans piscine ni gymnase où nous mettrons, après une réforme législative, tous les politiciens qui vivent impunément du vol : José Bono, Felipe González, toute cette bande de gens qui sont devenus millionnaires et qui sont en République dominicaine en train de claquer votre avenir. » 4

Le populisme carcéral de SALF est étroitement liée à ses envolées lyriques anti-politiques. Dans sa « méga-prison », « Alvise » voudrait en effet enfermer tous les politiciens, définis comme membres d’une « caste parasitaire » et d’une « mafia » — bien qu’il finisse toujours par nommer des dirigeants de gauche comme les socialistes José Bono et Felipe González, ainsi que Pedro Sánchez. Là non plus, rien de nouveau : rappelons que l’un des slogans répétés en boucle par Donald Trump lors de la campagne présidentielle américaine de 2016 était « Lock her up » (« Enfermez-la ! »), à l’encontre de la candidate démocrate Hillary Clinton et qu’il dit désormais la même chose à propos de Joe Biden. Pérez tente ainsi de canaliser et de capitaliser sur le niveau très élevé de méfiance des citoyens à l’égard des institutions et des corps intermédiaires — principalement les partis politiques.

Il est intéressant à cet égard de souligner que Pérez mentionne explicitement l’avenir des jeunes, parmi lesquels il compte de nombreux partisans et qui constituent, selon les premières analyses, la part la plus consistante de ses électeurs. Le blocage de l’ascenseur social et le manque d’espérance dans l’avenir — réel ou perçu — est un élément qui explique en partie la crise des démocraties libérales. Dans les contextes de crise, le discours anti-politique et anti-parti est un leitmotiv repris par la plupart des nouveaux partis qui cherchent à s’implanter dans le système politique — de l’Argentine à l’Italique. En Espagne, il a été utilisé par l’Agrupación Ruiz-Mateos — qui, aux élections européennes de 1989, avait obtenu deux sièges — et même par Podemos et Ciudadanos à leurs débuts. 

5 — « Mais à quoi sert le roi, putain ? » 5

Alvise Pérez a prononcé cette phrase le 11 juin 2024 lors d’un entretien avec le média d’ultra-droite Distrito TV, en référence à la récente approbation par les Cortes de la loi d’amnistie pour la normalisation institutionnelle, politique et sociale en Catalogne. Selon le fondateur de SALF, le roi Felipe VI n’aurait pas dû la signer car elle serait « anticonstitutionnelle » : le chef de l’État espagnol n’aurait, ce faisant, pas « protégé le cadre constitutionnel ». Une fois de plus, Pérez diffuse des fake news : l’article 91 de la Constitution espagnole de 1978 prévoit en effet que « le Roi sanctionnera dans les quinze jours les lois votées par les Cortes Generales, les promulguera et en ordonnera la publication immédiate ».

Au-delà de la position ultra-nationaliste espagnole qui considère la loi d’amnistie et tout accord avec les indépendantistes catalans ou basques comme une trahison de la patrie, c’est l’attaque contre la figure du roi qui est ici particulièrement remarquable, tant la droite espagnole a été généralement monarchiste à l’époque contemporaine. Aujourd’hui encore, tant le PP que Vox défendent avec véhémence la monarchie — en essayant de s’approprier l’institution — et ne songeraient pas à critiquer Felipe VI. Il y a bien eu des groupes républicains à l’extrême droite espagnole, comme le Movimiento Social Republicano, mais la position de Pérez sur le roi fait figure d’exception.

L’attaque contre la figure du roi est particulièrement remarquable de la part d’une figure de la droite espagnole.

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Lors des manifestations d’extrême droite de novembre 2023 devant le siège du PSOE à Madrid contre les accords avec les indépendantistes catalans en vue de l’approbation de la loi d’amnistie et de la formation du nouvel exécutif dirigé par Pedro Sánchez — ce que l’on a appelé le « novembre national » — on a entendu des cris tels que « Felipe, maçon, défends ta nation » ou encore « les Bourbons aux requins ». À côté des drapeaux de l’époque préconstitutionnelle à l’effigie de l’aigle franquiste, on trouvait parmi la foule des drapeaux rouges et jaunes avec les armoiries découpées ou des drapeaux du novembre national marqués d’une croix au-dessus de l’acronyme NN. Dans les manifestations, auxquelles ont participé des membres de Vox et même du PP, les groupes néofascistes et identitaires tels que Democracia Nacional, Falange, Comunión Tradicionalista Carlista et Bastión Frontal ont été les principaux protagonistes. Alvise Pérez a été l’un de ceux qui ont appelé aux manifestations devant le siège du PSOE. Avec cette attaque contre la monarchie, il reflète en partie certains des messages qui ont circulé ces nuits-là.

6 — « Le Maroc est notre ennemi géopolitique, économique et militaire. C’est pourquoi, et je l’annonce ici, après les élections européennes et l’été, je partirai avec des colonels de réserve de l’armée espagnole pour expliquer à tous les Canariens comment nous — toute la société civile — allons nous organiser en dehors des partis politiques — parce que les partis politiques ne vont pas sauver l’intégrité territoriale du peuple espagnol. Nous allons expliquer comment tous les Espagnols vont s’organiser pour que, lorsque le Maroc prendra la décision — qu’il a déjà planifiée et qu’il prendra avant 2030 — d’envahir les Canaries, Ceuta et Melilla par tous les moyens, il y ait un certain nombre d’Espagnols libres qui se soient préparés et organisés pour leur tenir tête. » 6

Dans un autre entretien réalisé pendant la campagne électorale sur Distrito TV, le discours ultranationaliste d’Alvise Pérez monte encore d’un cran.

Les déclarations contre le Maroc, défini directement comme un « ennemi géopolitique, économique et militaire », servent également à lui donner de la visibilité et à dessiner son propre profil, en se différenciant de Vox en termes de radicalité. Alors que le Parti Populaire n’a pas ménagé ses critiques à l’égard du royaume alaouite et a même connu des moments de tension par le passé, comme lors de la crise de l’île de Perejil en 2002 avec Aznar au gouvernement, le parti d’Abascal a maintenu un profil beaucoup plus dur, accusant Rabat de vouloir annexer Ceuta et Melilla ou d’envoyer des « criminels » en Espagne. Au printemps 2024, Vox avait ainsi appelé directement l’Union à rompre toute relation et toute aide avec le Maroc.

Le fondateur de SALF franchit un échelon supplémentaire sur l’échelle de la paranoïa, de l’agressivité et des menaces. On retrouve les trois éléments du cocktail « Alvise ». D’une part, la théorie du complot selon laquelle le royaume aurait un plan pour annexer Ceuta, Melilla et même les îles Canaries — thèse déjà diffusée par Vox lors de la crise de Ceuta en mai 2021, lorsque, en quelques jours, entre 6 et 9 000 migrants avaient franchi la frontière. Selon Abascal, il s’agissait d’une « invasion » et « l’armée aurait dû être envoyée pour que plus un seul ne puisse entrer ». 

Sur le Maroc, le fondateur de SALF franchit un échelon supplémentaire sur l’échelle de la paranoïa, de l’agressivité et des menaces.

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D’autre part, on retrouve en arrière-plan l’élément islamophobe et le rejet de l’arrivée de nouveaux migrants donnant lieu à une autre théorie du complot, celle du grand remplacement, selon laquelle il existerait un plan de l’élite « mondialiste » pour remplacer la population européenne par des migrants d’Afrique et d’Asie.

Enfin, Pérez a également diffusé une autre infox selon laquelle Pedro Sánchez serait tenu par le Maroc en raison des informations que Rabat aurait obtenues grâce au piratage du téléphone portable du premier ministre espagnol. Comme l’ont montré de nombreuses études, toutes les théories possibles peuvent être additionnées et juxtaposées dans la tête des conspirationnistes — aussi absconses et invraisemblables soient-elles, même si elles sont contradictoires.

7 — « Il y a de plus en plus de migrants illégaux dont on ne sait pas s’ils sont des violeurs. » 7

Le rejet de l’immigration, la xénophobie et le nativisme sont l’une des principales bannières du discours de l’extrême droite européenne.

Alvise Pérez reprend en somme un « thème à succès » depuis au moins les années 1980, lorsque le Front national de Jean-Marie Le Pen et le Vlaams Belang flamand ont introduit la notion. L’influenceur propage la fake news selon laquelle la plupart des immigrés seraient des violeurs — sans aucune donnée, évidemment, à l’appui. 

Là encore, SALF puise dans un répertoire existant. Santiago Abascal a par exemple écrit sur Twitter : « Qui se soucie vraiment de la sécurité et de la liberté des femmes en Espagne ? Les attaques du troupeau sont réduites au silence parce que 70 % de ses membres sont des étranger ». L’affirmation d’Abascal est une fake news basée sur une mauvaise interprétation consciente du rapport intitulé « Agresores sexuales con víctima desconocida » (Agresseurs sexuels avec victime inconnue) de l’Institut des sciences médico-légales et de la sécurité du CSIF et de l’Université autonome de Madrid. Comme l’explique un article d’Eldiario.es 8, « les statistiques sur les délinquants sexuels condamnés, que l’INE élabore à partir des informations du registre central des délinquants sexuels du ministère de la justice, montrent qu’en 2022, 3 201 personnes ont été condamnées pour des délits sexuels : 3 104 hommes et 97 femmes. Parmi elles, 2 225 étaient de nationalité espagnole et 976 d’autres nationalités. »

8 — « Les gens pensent que je n’ai pas de programme. Bien sûr que j’en ai un, mais je ne le publie pas. Parce que je suis un vieux loup. » 9

Outre l’agressivité, un autre trait de caractère d’Alvise Pérez est son arrogance, que ses partisans, qui voient en lui une sorte de leader messianique, adorent. Il semble que, de fait, SALF n’ait pas eu besoin d’un véritable programme pour gagner les votes de 800 000 Espagnols. Et on ne sait pas s’il en élaborera un à l’avenir. Quoi qu’il en soit, les points principaux seront probablement les quatre idées répétées sans cesse dans ses péroraisons sur les réseaux sociaux, que l’on peut résumer comme suit : ordre public, rejet de l’immigration, nationalisme et anti-politique. 

On peut ajouter deux autres éléments qui montrent à quel point Alvise Pérez est en phase avec une partie de la famille de l’ultra-droite mondiale. D’une part, l’antiféminisme qui se rattache à tout le milieu masculiniste sur les réseaux sociaux (manosfera). D’autre part, l’ultra-libéralisme avec des positions proches du paléolibertarianisme d’un Javier Milei. La proposition originelle de Murray Rothbard, à qui l’on doit la reformulation réactionnaire du libertarianisme aux États-Unis, associait l’anti-étatisme extrême à l’autoritarisme et à la défense des valeurs conservatrices de la branche fondamentaliste chrétienne. Il n’est donc pas surprenant que dans sa proposition désordonnée, Pérez associe tous ces extrêmes.

Outre l’agressivité, un autre trait de caractère d’Alvise Pérez est son arrogance, que ses partisans, qui voient en lui une sorte de leader messianique, adorent.

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9 — « Quand j’arriverai au pouvoir, tous les médias criminels diront adieu à l’argent public, ils ne recevront plus un seul euro d’argent public, et ils devront compenser les centaines de millions déjà reçus du gouvernement actuel et des précédents. » 10

La charge contre les médias, essentielle dans le dispositif rhétorique des droites extrêmes, ne manque pas au répertoire de Pérez. Il suffit de rappeler l’interdiction faite aux journalistes par le parti d’Abascal d’assister aux événements de Vox, ou encore l’exclusion de la Maison Blanche décrétée par Trump à l’encontre de médias tels que CNN. Selon Pérez, les journalistes seraient des « mercenaires » qui reçoivent de l’argent public, rien de plus. 

Ce discours le sert pour au moins trois raisons.

D’une part, les dirigeants d’extrême droite ne peuvent concevoir ou accepter une presse libre qui ne donne pas de place ou remet en cause leurs fake news et les discours de haine qu’ils diffusent. Lorsqu’ils arrivent au pouvoir, dès qu’ils le peuvent, ils tentent de la faire taire. Qu’on pense par exemple à la Hongrie de Viktor Orbán, où plus de 90 % des médias sont contrôlés par le gouvernement ou par des oligarques proches du leader du Fidesz. 

D’autre part, ces déclarations servent au fondateur de SALF à revendiquer la liberté d’expression face à une prétendue censure. Comme l’explique Pablo Stefanoni, l’extrême droite se présente comme rebelle, transgressive et provocatrice face à une supposée « dictature verte » qui aurait imposé une « pensée unique » et le politiquement correct. D’où le symbole de SALF — l’écureuil au masque Anonymous. Pérez affirme d’ailleurs qu’aucun média, à l’exception de ceux de la galaxie ultra, n’aurait accepté de l’interviewer, jouant ainsi la carte de la victimisation. Tout cela s’inscrit dans la vision complotiste d’une prétendue conspiration orchestrée par une élite corrompue pour nous empêcher de connaître la vérité. Les mêmes ressorts sont utilisés aux États-Unis par le mouvement Qanon.

Enfin, la volonté de supprimer le financement public des médias — ainsi que des partis politiques — est liée à des positions paléolibertariennes à la Javier Milei ou Elon Musk. Le propriétaire de X devient d’ailleurs de plus en plus une idole pour de nombreux influenceurs d’ultradroite et complotistes.

10 — « Chaque mensonge que nous racontons entraîne une dette envers la vérité et, tôt ou tard, cette dette est payée. » 11

Le fondateur de SALF devra payer de nombreuses dettes — car il est l’un des plus grands diffuseurs de fake news d’Espagne. 

Outre ceux mentionnés ci-dessus, on peut rappeler que Pérez a également adhéré à la théorie complotiste sur le 11M propagée après l’attentat d’Atocha du 11 mars 2004 par le PP et qui, bien que démentie par la justice, reste répétée jusqu’à ce jour par la droite espagnole et certains média.

Comme si cela ne suffisait pas, pendant la campagne électorale européenne, l’influenceur d’ultradroite n’a cessé de répéter la fake news d’une prétendue fraude électorale — déjà utilisé par Trump et Bolsonaro, mais aussi par le PP et Vox dans la campagne électorale pour les élections régionales du 28M 2023. Pérez a invité ses partisans à ne pas voter par correspondance, au prétexte d’un « sabotage » des outils de vote par correspondance.

Cette phrase sur le mensonge qui devrait « se payer » est symptomatique de l’ère de la post-vérité. Les faits ne comptent plus. Seules dominent les émotions et les opinions personnelles.