De sa trajectoire politique à sa doctrine en passant par de nombreux discours, le Grand Continent document depuis cinq ans l’orbanisme et ses effets sur l’Union et le monde. La meilleure manière pour suivre tous nos travaux est de s’abonner à la revue

Plus ancien chef de gouvernement en activité d’un État de l’Union européenne, Viktor Orbán est une personnalité incontournable de la scène politique du continent malgré la puissance mineure que demeure, démographiquement et économiquement, la Hongrie. La figure du chef du Fidesz1 est indissociable du moment populiste dans lequel est engagé ce pays depuis quatorze ans. Le caractère précurseur en Europe du projet politique national-conservateur porté par ce parti et sa solidité au pouvoir expliquent l’intérêt à s’interroger sur le cheminement politique de Viktor Orbán qui a fortement contribué à l’établissement du régime « hybride » ou « transitoire » à la tête duquel il a été reconduit pour la quatrième fois consécutive le 3 avril 2022 après ses succès de 2018, 2014 et 20102. S’intéresser au « système »3 installé par le chef du gouvernement hongrois doit néanmoins aussi conduire à mettre ce dernier à distance. Orbán, produit d’un contexte, émerge dans un environnement tout à fait singulier : celui de la transition démocratique4.

Parmi les symptômes du délitement de l’ordre post-guerre froide en Europe, on compte en effet le phénomène des « révolutions conservatrices »5 aux accents nationalistes qui affectent l’Europe centrale et orientale alors que nombre de pays de la région ont longtemps été considérés comme des modèles de transition après les changements de régimes intervenus en 1989 et 1990. C’était le cas de la Hongrie, « meilleure élève de la classe » parmi les États concernés par le cinquième élargissement de l’Union européenne de 20046.

Certains auteurs ont insisté sur la permanence, en Europe centrale et orientale, d’une tradition anti-libérale alimentée par la crise de modernisation qui affecte la région tout au long des XIXe et XXe siècles7. D’autres sont revenus sur ses traumas historiques ou ses spécificités culturelles8. Dans l’entreprise de qualification de la nature du régime hongrois, la prise en considération de l’histoire immédiate nous semble tout aussi opportune.

Dans l’entreprise de qualification de la nature du régime hongrois, la prise en considération de l’histoire immédiate semble opportune.

Matthieu Boisdron

L’étude de la période 1989-2010 permet d’écarter une forme d’illusion rétrospective selon laquelle Orbán aurait été tardivement libéral et pro-occidental, jusqu’au terme de son premier mandat à la tête du gouvernement en 2002. Un examen de la chronologie révèle que la métamorphose du Fidesz intervient en fait dès 1993. Cette analyse permet de relire le  virage populiste perçu dans la région en mettant à distance les interprétations psychologisantes expliquant la mutation post-2010 par la volonté de « revanche » d’une partie des élites centre-européennes après les humiliations subies au cours des processus d’intégration à l’Union9.

C’est l’objectif poursuivi par cet article qui mobilise, outre la littérature académique et la presse, les archives numériques du bureau national des élections (Nemzeti Választási Iroda). Dès le début des années 1990, celui-ci fait office de précurseur en publiant des sites Internet dédiés aux scrutins. Il offre la matière pour procéder à une utile analyse électorale.

L’ascension d’un jeune opposant (1988-1995)

Si les années de formation d’Orbán ont été marquées par un certain compagnonnage avec le libéralisme occidental, son évolution vers le conservatisme s’avère précoce et s’explique par un grand pragmatisme.

Des années de formation teintées d’anticommunisme : le collège Bibó

Viktor Orbán naît le 31 mai 1963 au sein d’une famille de la classe moyenne provinciale. Malgré les emplois qualifiés occupés par les parents — ingénieur mécanicien et orthophoniste —, les conditions matérielles de la famille sont difficiles10. Orbán grandit néanmoins dans un pays dont le système est différent de celui — stalinien — qui existait avant l’insurrection d’octobre et novembre 1956. Il a pu bénéficier des interstices de liberté concédés par János Kádár, premier secrétaire du Parti socialiste ouvrier hongrois (Magyar Szocialista Munkáspárt, MSZMP) d’octobre 1956 à mai 1988, instrument et artisan de la répression post-1956 mais aussi dirigeant réformateur qui, soucieux d’éviter toute réitération, a laissé davantage de place aux droits individuels et à l’initiative privée11.

Le « nouveau mécanisme économique » (Új gazdasági mechanizmus) établi à l’initiative de Rezső Nyers (1923-2018) en 1968 a permis de garantir une certaine prospérité et d’aboutir à un compromis avec la société hongroise, et cela malgré la modération des réformes dès 197412. Le régime hongrois devient de ce fait le plus tolérant de ceux installés derrière le rideau de fer et joue même un rôle d’intermédiaire entre l’Est et l’Ouest dans le contexte de la Détente, notamment avec la France13. Plusieurs formules illustrent ce phénomène  : János Kádár affirmant le 8 décembre 1961, lors du conseil national du Front populaire patriotique, que « ceux qui ne sont pas contre nous, sont avec nous » (aki nincs ellenünk, az velünk van)14. C’est aussi l’expression le « socialisme du goulash » (gulyáskommunizmus), utilisée pour définir la spécificité du modèle hongrois  ; ou encore la Hongrie qualifiée de « baraque la plus gaie » (a legvidámabb barakk) du camp socialiste.

Malgré les emplois qualifiés occupés par ses parents — ingénieur mécanicien et orthophoniste —, les conditions matérielles de la famille Orbán sont difficiles.

Matthieu Boisdron

Au lycée de Székesfehérvár, chef-lieu du comitat où résident les Orbán, le jeune Viktor, dont le père est un membre fidèle du parti, prend des responsabilités au sein de l’organisation des jeunesses communistes (Magyar Kommunista Ifjúsági Szövetség, KISZ). Préalablement à son entrée à l’université, il accomplit son service militaire. Cette expérience aurait marqué le jeune homme, confronté à la brutalité de l’encadrement et à l’endoctrinement qui visait ceux appelés à faire des études supérieures15. Il débute en 1983 ses études de droit à Budapest. Dans le cadre relativement plus permissif qu’ailleurs, derrière le rideau de fer, du régime kádárien, la liberté de parole des jeunes étudiants ouvre la voie à la constitution de groupements hors du cadre du parti communiste. Orbán rejoint ainsi le collège d’études supérieures István Bibó (Bibó István Szakkollégium), rattaché à la faculté de droit et d’administration de l’université Eötvös Loránd de Budapest16. Le nom de cette structure fait programme en soi : István Bibó (1911-1979), historien et politologue hongrois, a en effet été membre du fugace et pluripartite troisième gouvernement de coalition d’Imre Nagy, constitué le 3 novembre 1956, à la veille de l’invasion soviétique de la Hongrie. Condamné à mort en 1958, Bibó voit sa peine commuée en emprisonnement à vie avant d’être libéré en 196317.

Le szakkollégium Bibó est un lieu de débats où les étudiants se forment en complément des enseignements reçus à l’Université. En ce milieu des années 1980, ils sont encadrés par de jeunes enseignants, dont les politologues László Kéri et István Stumpf. Les étudiants du collège Bibó ne sont pas des révolutionnaires. Leurs professeurs sont membres du parti communiste. Le directeur, István Stumpf, est même le gendre du ministre de l’Intérieur, István Horváth. La dissidence hongroise se veut à l’époque davantage une opposition démocratique qu’une opposition anti-communiste. Pour autant, dans un système universitaire marxiste, le collège Bibó permet à la philosophie politique libérale britannique et étasunienne de pénétrer.

Là se forment ceux qui sont devenus les cadres du Fidesz18. Aux côtés d’Orbán évoluent l’entrepreneur Lajos Simicska  ; le président de la chambre des députés László Kövér (depuis 2010)  ; l’ancien président de la République hongroise, Janos Áder (2012-2022)  ; ou encore l’ancien député européen József Szájer, artisan de la refonte de la constitution en 2010.

Dans un système universitaire marxiste, le collège Bibó permet à la philosophie politique libérale britannique et étasunienne de pénétrer.

Matthieu Boisdron

La création du Fidesz et le surgissement de Viktor Orbán sur la scène politique nationale

C’est au sein du collège Bibó qu’Orbán et trente-six camarades fondent, le 30 mars 1988, le mouvement de jeunesse Fidesz (Fiatal Demokraták Szövetsége), c’est-à-dire l’Alliance des jeunes démocrates19. Les conditions d’entrée sont simples  : être âgé de 16 à 35 ans et ne pas appartenir à l’organisation des jeunesses communistes. Un mois après sa constitution, l’organisation revendique mille membres  ; six mille un an plus tard20. Au cours des années 1988 et 1989, de nombreux partis politiques sont créés  : près de 60 sont enregistrés pour les élections de 199021. L’esquisse de programme établi par les « jeunes démocrates » adopte un ton radical puisqu’ils prônent un ambitieux mouvement de privatisation et de dérégulation de l’économie et la mise en place d’un régime pluripartite22.

Orbán entre dans l’arène politique le 16 juin 1989. Ce jour-là, sur la place des Héros à Budapest, se déroule une cérémonie en hommage aux victimes de la répression de l’insurrection d’octobre et novembre 1956. Dans une Hongrie encore socialiste, mais engagée dans un processus de négociation entre le pouvoir et l’opposition, cette commémoration, qui prend la forme d’un ré-enterrement d’Imre Nagy, exécuté le 16 juin 1958, et de quatre de ses collaborateurs (Miklós Gimes, Géza Losonczy, Pál Maléter et József Szilágyi), révèle les lézardes qui se font jour dans le bloc communiste23. Signe des temps, Kádár meurt trois semaines plus tard, le 6 juillet 1989, le jour même où la Cour suprême de Hongrie réhabilitait officiellement Nagy et ses compagnons.

Le discours d’Orbán — considéré comme l’un des plus radicaux dans le cadre des discussions engagées avec le pouvoir dans lesquelles il représente le Fidesz24 — est plus net que celui des autres orateurs. Invoquant la souveraineté nationale, rapprochant la révolution de 1956 de celle de 1848 et de la première guerre d’indépendance de 1849 contre les Autrichiens et les Russes, Orbán exige le départ des troupes soviétiques du pays. Il demande la démocratisation du pays, affirmant son incompatibilité avec le maintien d’un système communiste, et la possibilité pour la Hongrie de rejoindre le chemin de la prospérité occidentale en trouvant une issue à « l’impasse asiatique » (ázsiai zsákutca) dans laquelle est acculé le pays depuis 1956.

Orbán entre dans l’arène politique le 16 juin 1989. Ce jour-là, sur la place des Héros à Budapest, il exige le départ des troupes soviétiques du pays.

Matthieu Boisdron

Les premières élections libres de 1990

À partir d’avril 1988, Orbán travaille à temps partiel pour l’Open Society Foundation du milliardaire américano-hongrois György (George) Soros. Depuis 1986, ce dernier finance le collège Bibó. En septembre 1989, Orbán bénéficie d’une bourse de neuf mois pour étudier au collège Pembroke, à Oxford. Il s’y rend avec son épouse, Anikó Lévai, et leur fille de quatre mois. Là, il suit les cours des philosophes Zbigniew Pełczyński et Roger Scruton. L’influence de ces intellectuels est grande en Europe centrale et orientale au tournant des années 1980 et 1990. Ils contribuent notamment à l’évolution des sensibilités libérales dominantes dans une direction plus conservatrice25. Cette expérience est néanmoins brève pour Orbán, puisque dès janvier 1990 il rentre en Hongrie afin de préparer les premières élections libres annoncées dans le pays.

Lors de son second congrès, en octobre 1989, le Fidesz avait en effet pris la décision de transformer le mouvement de jeunesse issu de la société civile en parti politique et de participer aux élections de mars et avril 1990. Orbán est désigné tête de liste, devant Gábor Fodor26. Le Fidesz envoie 21 députés (sur 386 sièges)27. La moyenne d’âge de ses élus est de seulement 28 ans28.

Viktor Orbán et József Szájer au parlement hongrois en 1990. Source  : Fortepan

Le scrutin est remporté par le parti conservateur, le Forum démocrate hongrois (Magyar Demokrata Fórum, MDF). Constitué le 27 septembre 1987, lors de la « rencontre de Lakitelek » (Lakiteleki találkozó), réunion de l’opposition organisée par les intellectuels du cercle des jeunes écrivains hongrois, sous une tente dressée dans la cour de la maison du poète et professeur hongrois Sándor Lezsák, ce parti phare de l’opposition occupe 164 sièges et représente la classe moyenne. Son chef, József Antall, prend la tête du gouvernement et peut, sans majorité absolue, gouverner à droite grâce à l’appui des 21 députés du Parti populaire chrétien-démocrate (Kereszténydemokrata Néppárt, KDNP) et d’une partie des 44 élus du Parti civique des petits propriétaires et des travailleurs agraires (Független Kisgazda-, Földmunkás- és Polgári Párt, FKGP), un vieux parti nationaliste et agrarien de l’entre-deux-guerres reconstitué en novembre 198829.

À ses origines, le Fidesz plaide pour le renforcement des libertés individuelles et civiles, l’abolition de la peine de mort, le renforcement des droits des femmes. Il adopte aussi un discours nettement anticlérical.

Matthieu Boisdron

L’Alliance des démocrates libres (Szabad Demokraták Szövetsége, SZDSZ), créée en novembre 1988 comme un parti libéral et centriste, arrive en deuxième position avec 92 sièges et devient le principal mouvement d’opposition. Le Fidesz s’installe entre le Forum démocrate hongrois et l’Alliance des démocrates libres. Il plaide pour le renforcement des libertés individuelles et civiles, l’abolition de la peine de mort (effective fin octobre 1990), le renforcement des droits des femmes (et notamment ceux relatifs à l’avortement, autorisé dans certaines conditions depuis 1956). Il adopte aussi un discours nettement anticlérical30. Malgré quelques convergences avec le parti socialiste hongrois (Magyar Szocialista Párt, MSZP)31, son anticommunisme virulent empêche toute collaboration32.

Les premières années de la transition font apparaître des tendances au sein du Fidesz. Une aile droite et une aile gauche, jusqu’ici soudées dans la lutte contre le régime communiste, commencent à se distinguer.

De chef de parti à chef de gouvernement (1993-2002)

Après avoir pris la tête du Fidesz en 1993, Orbán devient en 1998, à 35 ans, le plus jeune chef de gouvernement d’un pays européen et le deuxième plus jeune chef de gouvernement hongrois après András Hegedüs, nommé en avril en 1955 à l’âge de 32 ans.

Le tournant conservateur du Fidesz (1993-1995)

L’aile gauche du Fidesz, emmenée par Gábor Fodor, est bientôt circonscrite. Ce dernier quitte le parti en 1993 pour rejoindre l’Alliance des démocrates libres. Cette année-là, lors du congrès du Fidesz du mois d’avril, le parti abandonne le principe d’une direction collégiale, se dote d’une présidence et la confie à Orbán qui — élu sans opposant — commence à s’éloigner de la sensibilité sociale-libérale des origines. Le résultat du scrutin de 1990 avait en effet révélé que l’élection s’était jouée à droite. Par ailleurs, le rapprochement qui intervient entre le parti socialiste hongrois et l’Alliance des démocrates libres tend à éloigner le Fidesz, en raison de son profond anticommunisme, de ses partenaires traditionnels de ladite Alliance des démocrates libres. Une sensible reconfiguration interne est donc à l’œuvre.

De plus, le pays n’est pas prêt au brutal changement de modèle politique qui s’accompagne d’une explosion des prix, notamment du pétrole, et du taux de chômage provoqué par l’effondrement de milliers d’entreprises33.

En raison du mouvement de bascule en faveur de la gauche lors des élections législatives des 8 et 29 mai 1994, le Fidesz ne recueille que 7,01  % des voix34. Les socialistes emmenés par Gyula Horn obtiennent 32,99  % des voix et 209 sièges  ; soit 175 de plus que dans la précédente chambre. Leurs alliés de l’Alliance des démocrates libres arrivent certes en deuxième position avec 19,73  %, mais ne parviennent pas à capitaliser sur ce succès et perdent 23 sièges (69 contre 92 dans la précédente législature). Le MDF ne conserve que 38 sièges sur les 164 de la précédente législature. Le succès du parti socialiste conduit à un résultat décevant pour tous les autres mouvements. Le Fidesz limite les dégâts et ne perd qu’un seul siège (20 députés)35.

Après avoir pris la tête du Fidesz en 1993, Orbán devient en 1998, à 35 ans, le plus jeune chef de gouvernement d’un pays européen

Matthieu Boisdron

Malgré cet échec, Orbán ne modifie pas la ligne. Il comprend qu’il y a un espace à occuper à droite. La disparition de la figure tutélaire du MDF, József Antall, décédé en décembre 1993 d’un cancer36, permet à Orbán de se présenter en héritier. Signe de cette réorientation conservatrice, le Fidesz change partiellement de nom et devient le Fidesz MPP (Magyar Polgári Párt)  ; c’est-à-dire l’Alliance des jeunes démocrates Parti civique hongrois. Si le mot polgár signifie littéralement « citoyen », il évoque surtout la figure du « petit-bourgeois », patriote et travailleur  ; en somme une figure conservatrice37. Lors du 7e congrès du Fidesz, en avril 1995, Orbán explique sans détour que l’émergence d’un centre-gauche socialiste et d’un centre-droit modéré ne laisse aucun espoir à un Fidesz centriste38. De parti d’opposition de gauche face à un gouvernement conservateur, le Fidesz devient un parti d’opposition de centre-droit face à un gouvernement socialiste.

Le succès d’une stratégie  : les élections de 1998

Lors des élections de 1998 le Fidesz, qui a conclu avec le MDF et le KDNP une alliance tripartite, absorbe une large part de l’électorat du MDF et obtient 148 députés. Le MDF perd encore 21 sièges, pour tomber à 17 élus. Le Fidesz devient de la sorte le premier parti au parlement, juste devant les socialistes qui conservent 134 élus39. Orbán est nommé premier ministre le 8 juillet. Janos Áder devient président du parlement et József Szájer, président du groupe parlementaire. Sans majorité absolue, Orbán établit un gouvernement de coalition, avec le soutien du FKGP et du MDF. Il trouve ce faisant appui sur une majorité ancrée à droite à laquelle il doit donner des gages.

Sous l’effet de l’exercice du pouvoir, cette mutation se cristallise. En décembre 2000, le Fidesz quitte la fédération de tendance sociale-libérale qu’est l’Internationale libérale — dont Orbán occupait la vice-présidence — et demande son adhésion au Parti populaire européen (PPE), le grand parti de la droite libérale-conservatrice européenne40.

La genèse d’une politique populiste et nationale-conservatrice

La rhétorique populiste et nationaliste trouve dès ce moment une nouvelle place dans le récit politique du Fidesz et apparaît en pleine lumière lors du premier gouvernement Orbán.

À ses débuts, le parti s’était tenu relativement éloigné du culte de l’humiliation du traité de paix de Trianon qui, signé le 4 juin 1920, avait privé la Hongrie d’environ 70  % du territoire qui lui appartenait au sein de la double monarchie austro-hongroise. Le 31 mai 1990, le Fidesz signe, avec cinq autres groupes parlementaires, une déclaration à ce sujet41. Si ce texte rappelle l’injustice représentée par cet instrument diplomatique et demande à ce que les droits des minorités hongroises hors de Hongrie soient pleinement garantis, les six partis signataires « réaffirment qu’ils considèrent les frontières établies, qu’elles soient justes ou injustes, comme une réalité qui détermine la stabilité actuelle de l’Europe [et] réaffirment l’interdiction de modifier les frontières par la force »42. Quelques jours plus tard, le 4 juin 1990, le président de l’Assemblée nationale, l’historien conservateur et membre fondateur du MDF, György Szabad, demande une minute de silence pour commémorer le 70e anniversaire de la signature du traité de Trianon. Mécontents de ne pas avoir été préalablement consultés au sujet de cette initiative, les députés du Fidesz brisent le consensus et quittent ostensiblement la salle des séances.

En février 1999, Orbán, devenu chef de gouvernement, établit la Conférence permanente hongroise (Magyar Állandó Értekezlet, MÁÉRT) dont l’objet est de réunir, dans un cadre de discussion et de consultation commun, le gouvernement, les partis représentés au parlement et les organisations politiques des minorités quant aux modalités de soutien à apporter aux « Magyars d’outre-frontières », c’est-à-dire à ces minorités hongroises ethniques séparées de la mère-patrie par les soubresauts de l’histoire dont les membres sont des ressortissants de l’Ukraine, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie, la Croatie, la Serbie, et l’Autriche. À l’été 2001, le gouvernement fait adopter à la quasi-unanimité — seuls les élus de l’Alliance des démocrates libres la rejettent — la « loi sur les Hongrois des États voisins » qui accorde, sans double-nationalité, un statut aux « Hongrois d’outre-frontières »43. Votée le 19 juin 2001 pour une entrée en application le 1er janvier 2002, ce texte législatif baptisé « loi du statut » puis « loi des facilités » ouvre des droits, notamment l’accès à des bourses d’enseignement et à des cursus d’enseignement en Hongrie. Elle permet aussi de délivrer des aides à des organismes culturels œuvrant à l’étranger. Elle encourage les médias à faire connaître et à promouvoir ces communautés. Elle donne enfin le droit à l’établissement d’une carte de « Hongrois d’origine »44.

Quelques mois plus tard, en février 2002, Orbán ranime, aux côtés de l’Autriche, le contentieux des Sudètes en affirmant l’impossibilité pour la République tchèque et la Slovaquie d’entrer dans l’Union sans avoir au préalable abrogé les décrets Beneš qui avaient en 1945 conduit à l’expulsion de Tchécoslovaquie des Allemands des Sudètes et de quelques milliers de Hongrois. Orbán n’avait pas hésité à soutenir le chancelier autrichien Wolfgang Schüssel lorsque ce dernier avait formé en février 2000 une coalition avec le chef de l’extrême-droite autrichienne Jörg Haider, et ce malgré la vague d’indignation suscitée par cette décision partout en Europe45. L’irrédentisme de ces initiatives suscite des remous, tant avec ses voisins qu’avec l’Union46.

En politique intérieure également, le changement de ton est manifeste. Une des premières mesures du gouvernement est de retirer la gestion des caisses maladie et retraite aux syndicats. Après plusieurs années de privatisations, Orbán suspend le mouvement, n’hésitant pas à favoriser les intérêts des membres ou des proches du Fidesz. En matière d’État de droit, de nombreuses critiques sont formulées dès cette époque. La chambre des députés n’est plus réunie qu’une seule fois toutes les trois semaines, de nombreux hauts fonctionnaires sont remplacés par des fidèles du Fidesz, des pressions gouvernementales sur les médias sont dénoncées47.

Dès la fin de son premier mandat, plus personne n’est dupe quant à la transformation du jeune libéral en un conservateur roué.

Matthieu Boisdron

Pour consolider ses bases dans la perspective des élections de 2002, Orbán met le cap à droite — avec l’espoir de mordre sur ses concurrents48. Les élections de 1998 avaient été marquées par la progression du droitier FKGP, qui avait doublé sa représentation à 48 sièges (gagnant 22 élus) et surtout par l’entrée au parlement de l’extrême-droite à travers le Parti de la justice hongroise et de la vie (Magyar Igazság és Élet Pártja, MIÉP) qui avait obtenu 14 sièges49.

Caricature publiée dans le quotidien de gauche Népszava, le 10 mai 2002. Viktor Orbán passe au moulin à viande István Csurka, chef du parti d’extrême-droite MIÉP, en criant «  Je n’ai écarté et je n’écarterai personne  ». De l’appareil sortent des saucisses aux noms des principaux partis de droite que sont le FKGP, le MDF et le KDNP. Source  : Éva Argejó, «  A politikai karikatúrák a rendszerváltás után  » [Les caricatures politiques après le changement de régime], Médiakutató, Médiakutató Alapítvány [Fondation de la recherche sur les médias], printemps 2003

Dès la fin de son premier mandat, plus personne n’est dupe quant à la transformation du jeune libéral en un conservateur roué, n’hésitant pas à jouer sur la fibre populiste et nationaliste s’il peut en tirer un bénéfice politique50. Mais pour les observateurs européens, qui s’intéressent assez peu à sa politique intérieure, la Hongrie demeure un partenaire fiable  : c’est à partir de 1998 que débutent, sous la férule d’Endre Juhász, les négociations d’adhésion à l’Union européenne. Enfin, c’est en mars 1999 que la Hongrie rejoint l’OTAN51.

Viktor Orbán et le secrétaire général de l’OTAN, Javier Solana, à Bruxelles, le 24 juillet 1998. Source  : OTAN, n°16634/6a

De la traversée du désert à la reconquête (2002-2010)

Le brutal échec de 2002

Fort d’un certain succès pour avoir stabilisé la croissance, jugulé l’inflation, le chômage et la dette publique, Orbán se présente dans de bonnes conditions devant les électeurs en 2002. Toutefois, la situation née des urnes le contraint à quitter ses fonctions dans des conditions qui constituent un pivot dans sa trajectoire politique.

À l’issue du scrutin des 7 et 21 avril 2002, dans un contexte de participation inédite depuis 1989, le parti socialiste devance le Fidesz en voix. Péter Medgyessy, ancien membre du comité central du parti communiste, spécialiste de finances publiques reconverti dans le secteur bancaire, et qui représente le parti socialiste sans y être affilié, obtient le succès dans les urnes grâce à un généreux programme de hausses de salaires des fonctionnaires, des bourses d’étude et des pensions des retraités. Le Fidesz et le MDF coalisés et donnés favoris parviennent à obtenir davantage de sièges — 188 (164 pour le Fidesz et 24 pour le MDF) — que le parti socialiste (179). Le Fidesz et le MDF progressent même tous deux en sièges par rapport au précédent scrutin52.

Orbán est toutefois dans l’incapacité de trouver un autre partenaire puisque le troisième allié de la coalition, le FKGP, n’obtient aucun élu  ; conséquence des scandales de corruption qui l’ont ébranlé et des tiraillements survenus avec le Fidesz au cours de la législature. La disparition du parti d’extrême-droite MIÉP — sur les terres duquel le Fidesz avait chassé pendant la campagne, stabilise également le paysage parlementaire.

Orbán ne parvient donc pas à s’opposer à l’établissement d’un gouvernement dirigé par Medgyessy qui trouve un accord avec l’Alliance des démocrates libres, très affaiblie, mais dont les 20 sièges permettent l’établissement d’une majorité absolue.

Une longue opposition dans les années 2000

Les conditions du retour d’Orbán dans l’opposition en 2002 expliquent la virulence de la lutte politique qui s’engage et culmine dans le contexte de la crise financière de 2008-2009.

Plusieurs scandales affectent la nouvelle équipe  : dès l’été 2002, Medgyessy est accusé par la presse proche du Fidesz d’avoir été un agent des services secrets du régime communiste hongrois, ce qu’il finit par admettre devant une commission d’enquête parlementaire. Son maintien à la tête du gouvernement entraîne la démission de János Kis de la présidence de l’Alliance des démocrates libres, dont il était le fondateur. Par ailleurs, si la générosité du gouvernement est bien perçue dans l’opinion, elle précipite les finances publiques dans les pires difficultés53. Les mesures d’économie prises conduisent à une perte de popularité du premier ministre. En août 2004, après le succès du Fidesz lors des élections européennes et la déroute du parti socialiste, Medgyessy est contraint à la démission par Ferenc Gyurcsány, son ancien directeur de campagne devenu ministre de l’Enfance, de la Jeunesse et des Sports.
Face au nouveau et brillant chef de gouvernement qu’est Gyurcsány, dans un contexte politique pourtant favorable à l’opposition, Orbán montre ses limites. À la veille des élections législatives de 9 et 23 avril 2006, le chef du Fidesz est dominé lors d’un débat télévisé diffusé en direct, le 5 avril54. Le parti socialiste remporte 186 sièges et la majorité absolue au parlement55. C’est la première fois qu’une majorité est reconduite depuis 1989.

Néanmoins, la révélation, le 17 septembre 2006, d’un discours tenu par Gyurcsány, le 26 mai précédent, devant les membres de son groupe parlementaire réunis à Balatonőszöd, au bord du lac Balaton, rebat les cartes. Dans l’enregistrement clandestin, diffusé à la radio, du « discours d’Őszöd » (Őszödi beszéd), Gyurcsány explique avoir menti à la population sur l’état des finances publiques. Cette révélation suscite d’importantes manifestations, instrumentalisées par la droite qui mobilise habilement le souvenir de l’insurrection de 1956 dont la Hongrie célèbre alors le 50e anniversaire. Les protestations débutent le 18 septembre et durent un mois. Les manifestants sont bientôt rejoints par des militants d’extrême-droite. Le 23 octobre 2006, jour anniversaire du déclenchement du soulèvement de 1956, on relève une centaine de blessés, les manifestants s’emparant même quelques instants d’un vieux char T-34 — emblème de l’insurrection de 1956 — installé dans une exposition de plein air. L’ampleur des manifestations révèle le succès de la stratégie d’opposition du Fidesz qui, au lendemain de la défaite de 2002, était allé au-devant de la société civile pour faire pénétrer dans le corps social et électoral les thématiques conservatrices grâce aux « cercles civiques » (polgári körök) constitués partout dans le pays56.

Le désaveu du gouvernement socialiste est rapide et profond et contribue à la disqualification des responsables libéraux, au bénéfice de leurs opposants de droite.

L’avènement du « Système de coopération nationale » (2010)

Non réglée, la crise politique s’accentue, alimentée par un contexte économique et social délétère dont vont profiter le Fidesz et l’extrême-droite.

Orbán retrouvera le poste de premier ministre après huit années d’opposition. Quelques mois plus tôt, le chef du Fidesz avait affirmé sa détermination à clore la période postcommuniste en occupant durablement le pouvoir.

Matthieu Boisdron

En mars 2008, Gyurcsány perd le référendum, initié par le Fidesz, sur la réforme du système de santé et de l’éducation destinée à rétablir l’équilibre des finances publiques, ce qui fait voler en éclat la coalition entre le parti socialiste et l’Alliance des démocrates libres. La Hongrie doit solliciter le soutien international  : en octobre 2008, un prêt de 20 milliards d’euros lui est accordé par le Fonds monétaire international (FMI), l’Union européenne et la Banque mondiale. Gyurcsány démissionne en avril 2009. La crise économique mondiale qui touche la Hongrie dès ce moment accentue les difficultés budgétaires déjà fortes du pays. Le déficit public, la dette publique et le taux de chômage progressent sensiblement.

Les 11 et 25 avril 2010, le Fidesz, allié au KDNP, emporte une large victoire électorale. Il obtient 263 sièges et la majorité des deux tiers. Orbán retrouve le poste de premier ministre après huit années d’opposition. Quelques mois plus tôt, le chef du Fidesz avait affirmé sa détermination à clore la période postcommuniste en occupant durablement le pouvoir57. Ce nouveau pacte ou contrat politique et social est baptisé du nom de NER (Nemzeti Együttműködés Rendszere), c’est-à-dire « Système de coopération nationale ». Il est détaillé dans le programme gouvernemental adopté par le parlement et dans la déclaration ministérielle prononcée par le nouveau premier ministre58, le 14 juin 201059.

Déclaration politique n°1 de 2010 (16 juin) de l’Assemblée nationale de Hongrie relative à la coopération nationale* «  Que règnent la paix, la liberté et l’harmonie  »

Le NER prend, pour certains observateurs, la forme d’un véritable « coup d’État constitutionnel »60. Le Fidesz se veut le représentant exclusif de la Nation. Toute représentativité ou légitimité est déniée aux autres organisations politiques. L’alternance n’est plus un horizon du combat politique envisagé comme une fin en soi, écartant la culture parlementaire du compromis démocratique61.

Fort de sa majorité des deux tiers, le gouvernement s’attaque ensuite à une réforme de la constitution62 qui n’est pas sans faire écho à celle initiée sans succès par la gauche au pouvoir de 1994 à 199863. Orbán ayant clairement indiqué qu’il considérait la chambre des députés élue davantage comme une assemblée constituante que comme une nouvelle législature, la nouvelle loi fondamentale est rapidement adoptée. Déposée le 14 mars 2011 devant le parlement, elle est adoptée le 11 avril  ; annonçant le programme de réformes engagé par la suite par le Fidesz.

*

Les modalités de la transition politique du début des années 1990 en Hongrie expliquent la droitisation précoce du Fidesz, sous l’influence d’Orbán. 2010 marque l’aboutissement de ce cycle, quand bien même le retour aux affaires des « jeunes libéraux » est, cette année-là, rendu possible par un contexte porteur pour l’opposition qu’ils incarnent. La réorientation du Fidesz relève toutefois d’une stratégie opportuniste, établie entre 1993 et 1995, dans une perspective de conquête du pouvoir.

C’est dans un second temps seulement que le processus engagé par le parti a été expliqué par des raisons idéologiques. La mobilisation de la notion d’illibéralisme64, utilisée pour la première et unique fois par Orbán à l’été 2014, sans être complètement dénuée d’un investissement conceptuel ou idéologique65, apparaît comme une justification a posteriori. Elle offre surtout un commode moyen rhétorique à la stigmatisation des « libéraux » et de la gauche au pouvoir entre 1994 et 1998 puis entre 2002 et 2010.

Depuis lors, elle permet — ainsi que ses avatars — de justifier à bon compte toutes les entorses mises par le Fidesz au bon fonctionnement démocratique de la Hongrie dans une stratégie non plus de conquête, mais, cette fois, de conservation — pour ne pas dire de confiscation — du pouvoir.

Sources
  1. Fidesz, acronyme d’Alliance des jeunes démocrates, peut être employé au féminin. La langue hongroise ne connaissant pas la distinction de genre — à l’exception de la marque du genre naturel —, nous faisons le choix, s’agissant d’un parti politique, de l’utiliser au masculin afin de nous conformer à l’usage qui nous semble être le plus naturel au lecteur francophone.
  2. András Bozóki, Dániel Hegedűs, « An externally constrained hybrid regime : Hungary in the European Union », Democratization, vol. 25, 2018, p. 1173-1189 ; Gábor Filippov, « Nations in Transit, Hungary », Freedom House, rapport 2020, en ligne : https://freedomhouse.org/country/hungary/nations-transit/2020 (consulté le 20 juin 2023). Jacques Rupnik, « Le pouvoir confisqué dans la Hongrie de Viktor Orbán », in Alain Dieckhoff, Christophe Jaffrelot, Élise Massicard (dir) L’Enjeu mondial. Populismes au pouvoir, Presses de Sciences Po, 2019, p. 125-135.
  3. János Kornai, « The System Paradigm Revisited. Clarification and Additions in the Light of Experiences in the Post-Socialist Region », Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 1-2, 2017, n°48, p. 288 ; János Mátyás Kovács, Balázs Trencsényi (dir.), Brave New Hungary. Mapping the “System of National Cooperation”, Lanham, Londres, Lexington Books, 2020.
  4. Jérôme Heurtaux, Frédéric Zalewski, Introduction à l’Europe post-communiste, De Boeck, Bruxelles, 2012.
  5. András Bozóki, « Consolidation or Second Revolution ? The Emergence of the New Right in Hungary », Journal of Communist Studies and Transition Politics, 24 (2), 2008, p. 191-231  ; Frédéric Zalewski, « L’émergence d’une démocratie antilibérale en Pologne », Revue d’études comparatives Est-Ouest, « Révolutions conservatrices en Europe centrale et orientale », n°47, 2016, p. 57-86  ; Jérôme Heurtaux, « L’illusion d’une nouvelle “fin de l’histoire”  ? Les révolutions conservatrices en Europe centrale », Revue de l’Union européenne, n°657, 2022, p. 215-220.
  6. « La Hongrie dans l’Union européenne », compte-rendu d’une mission parlementaire du Sénat en Hongrie du 20 au 2 septembre 1999 par une délégation du groupe sénatorial France-Hongrie, rapport GA30, en ligne (consulté le 20 juin 2023).
  7. Roman Krakovsky, Le populisme en Europe centrale et orientale. Un avertissement pour le monde  ?, Paris, Fayard, 2019.
  8. Catherine Horel, Histoire de la nation hongroise. Des premiers Magyars à Viktor Orbán, Paris, Tallandier, 2021. Matthieu Boisdron, « La Hongrie  : une démocratie européenne à l’ère illibérale », Fondation Jean Jaurès, 17 juin 2020, en ligne.
  9. Ivan Krastev, Stephen Holmes, The Light that Failed. A Reckoning, New York, Penguin Books, 2019.
  10. Paul Lendvai, Orbán : Hungary’s Strongman, New York, Oxford University Press, 2017, chap. 2  ; Amélie Poinssot, Dans la tête de Viktor Orbán, Arles, Actes Sud, 2019, p. 147-149.
  11. Catherine Horel, « János Kádár, le bâtisseur de la “baraque la plus gaie du camp”, in Michel Fabréguet et Danièle Henky (dir.) Les « héros du retrait » dans les mémoires et les représentations de l’Europe contemporaine. Histoire et fictions, Paris, L’Harmattan, 2020.
  12. Miklós Molnár, La démocratie se lève à l’Est. Société civile et communisme en Europe de l’Est  : Pologne et Hongrie, Genève, Graduate Institute Publications, 1990, p. 193-205.
  13. Zoltán Garadnai, Kelet-Közep-Európa helye és Magyarország szerepe De Gaulle tábornok Európa-politikájaban (1958-1969) : A francia « détente-entente-coopération » politika lehetőségei, külső és belső korlátai [La place de l’Europe centre-orientale et le rôle de la Hongrie dans la politique européenne du général de Gaule (1958-1969) : opportunités et contraintes intérieures et extérieures de la politique française de «détente-entente-coopération»], thèse de doctorat, Université Corvinus de Budapest, 2015  ; Pierre Bouillon, Entre partenaires et adversaires, une ouverture asymétrique et stratégique. La France face à la Roumanie et à la Hongrie (1968-1977), thèse de doctorat en histoire, sous la direction de Marie-Pierre Rey, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 2013  ; Christopher Pichonnier, La France et la Hongrie (1989-2004), thèse de doctorat en histoire, sous la direction de Bernard Lachaise et István Majoros, Bordeaux 3, 2017  ; Matthieu Boisdron, « Une visite pour rien  ? Le voyage officiel du Premier ministre Raymond Barre en Hongrie (27-29 octobre 1977) », in Ferenc Gazdag (dir.), Vers une nouvelle Europe  ? La France et l’Europe centrale au regard des relations franco-hongroises contemporaines, Budapest, Dialóg Campus Kiadó, 2019, p. 39-52  ; Thomas Laffitte, La France et la Hongrie, 1981-1990. Analyse d’un rapprochement inédit mais limité, Paris, L’Harmattan, 2020.
  14. La formule est en fait du journaliste Tibor Méray (1924-2020), réfugié en France après l’insurrection de 1956. Cette phrase paraît pour la première fois dans l’édition du 23 octobre 1961 du journal Irodalmi Újság, dont il est le rédacteur en chef, pour qualifier la politique de Kádár en la mettant en opposition avec la conception de son prédécesseur, Mátyás Rákosi, résumée ainsi  : « celui qui n’est pas avec nous est contre nous » (aki nincs velünk, az ellenünk van). Inventée pour dénoncer la politique de Kádár, elle est reprise à son profit par ce dernier seulement un mois et demi plus tard.
  15. Paul Lendvai, Orbán : Hungary’s Strongman…, op. cit., chap. 2.
  16. La préfiguration de ce collège d’études supérieures remonte à 1977. Avec l’appui du collège d’études supérieurs László Rajk (Rajk Szakkollégium), constitué en 1970 au sein de l’université de sciences économiques Karl Marx de Budapest, une structure est officiellement établie et s’installe dans ses propres locaux en septembre en 1983. En 1985, il adopte le nom d’István Bibó.
  17. Il est connu pour son ouvrage Misère des petits États d’Europe de l’Est dans lequel il questionne les hystéries politiques et nationalistes de la région dans l’entre-deux-guerres et la Seconde Guerre mondiale. Voir Paul Gradvohl, « Istvan Bibo, l’insubmersible », Le Courrier des pays de l’Est, 3, n°1067, 2008, p. 134-139.
  18. Árpád Pünkösti, Szeplőtelen fogantatás. Történelmi szociográfia [L’immaculée conception. Sociographie historique], Budapest, Népszabadság Könyvek, 2005.
  19. Dix d’entre eux seulement sont membres du collège, les autres viennent du collège d’études supérieurs László Rajk ou de filières de sciences humaines.
  20. Paul Lendvai, Orbán : Hungary’s Strongman…, op. cit.
  21. Nemzeti Választási Iroda [Bureau national des élections], 1990. Évi országgyűlési képviselők választás 1.forduló (1990.03.25). A nyilvántartásba vett szervezetek [Élections parlementaires de 1990, 1er tour (25 mars 1990). Organisations enregistrées], en ligne (consulté le 20 juin 2023)  ; András Bozóki, András Körösényi, György Schöpflin (dir.), Post-Communist Transition : Emerging Pluralism in Hungary, New York, St. Martin’s Press, 1992, p. 74-76.
  22. Amélie Poinssot, Dans la tête de Viktor Orbán, op. cit., p. 22-24.
  23. Sur la place ce jour-là, on trouve six cercueils  : celui d’Imre Nagy et de ses quatre proches collaborateurs et un sixième cercueil vide, symbolisant l’ensemble des tués au cours de l’insurrection.
  24. András Bozóki, (dir.), The Roundtable Talks of 1989. The Genesis of Hungarian Democracy. Analysis and Documents, Budapest, CEU, 2002, p. 17-18, 99-100.
  25. Zoltán Balázs, « Political Theory In Hungary After the Regime Change », International Political Anthropology, vol. 7, n°1, 2014, p. 17.
  26. Les suivants sur la liste étaient János Áder, József Szájer et László Kövér.
  27. Le système électoral associe scrutin majoritaire uninominal à deux tours et scrutin de liste à seul tour. 176 députés sont élus au scrutin uninominal, 152 au scrutin de liste, 58 selon leur position sur la liste nationale de leur parti lors de la répartition des restes. « Hongrie  : vers l’Union européenne », compte-rendu d’une mission parlementaire du Sénat en Hongrie du 21 au 23 octobre 1996 par une délégation du groupe sénatorial France-Hongrie, rapport GA10, en ligne (consulté le 20 juin 2023).
  28. Amélie Poinssot, Dans la tête de Viktor Orbán, op. cit., p. 27.
  29. Csaba Nikolenyi, « Le parti des petits propriétaires indépendants (FKGP) dans le système partisan hongrois postcommuniste (1990-2001) », in Jean-Michel de Waele, Daniel-Louis Seiler (dir.), Les partis agrariens et paysans en Europe, Bruxelles, éditions de l’Université de Bruxelles, 2009, p. 122-137.
  30. Lors de la visite à Budapest du Pape Jean-Paul II en août 1991, Magyar Narancs, titre de presse lié au Fidesz, dénonce la visite du « Pape-requin » (Pápa-cápa). La plume satirique d’István Eörsi (1931-2005) s’y distingue. La majorité des membres du parti est hostile à la restitution des biens de l’Église.
  31. Fondé en octobre 1989, le MSZP est le seul des deux mouvements issus du parti communiste à être représenté au parlement avec 34 sièges.
  32. Nemzeti Választási Iroda [Bureau national des élections], 1990. Évi országgyűlési képviselők választás 2.forduló (1990.04.08). Az országgyűlés összetétele [Élections parlementaires de 1990, 2e tour (8 avril 1990). Composition de l’Assemblée nationale], en ligne (consulté le 20 juin 2023).
  33. Umut Korkut, Liberalization challenges in Hungary. Elitism, Progressivism, and Populism, Palgrave Macmillan, 2012.
  34. Nemzeti Választási Iroda [Bureau national des élections], 1994. Évi országgyűlési képviselők választás 2.forduló (1994.05.29). Az önálló területi listák értékelése [Élections parlementaires de 1994, 2e tour (29 mai 1994). Résultats des listes], en ligne (consulté le 20 juin 2023).
  35. Nemzeti Választási Iroda [Bureau national des élections], 1994. Évi országgyűlési képviselők választás 2.forduló (1994.05.29). Az országgyűlés összetétele [Élections parlementaires de 1994, 2e tour (29 mai 1994). Composition de l’Assemblée nationale], en ligne (consulté le 20 juin 2023).
  36. Il avait été remplacé à la tête du gouvernement par Péter Boross jusqu’aux élections du printemps 1994.
  37. En 2003, le Fidesz MPP devient le Fidesz MPSZ (Magyar Polgári Szövetség), c’est-à-dire l’Alliance des jeunes démocrates Union civique hongroise.
  38. Paul Lendvai, Orbán : Hungary’s Strongman…, op. cit., chap. 4. Voir aussi Máté Szabó, « From a Suppressed anti-communist dissident movement to a governing party : the transformations of Fidesz in Hungary », Corvinus Journal of Sociology and Social Policy, vol.2, n°47, 2011, p. 47-66.
  39. Nemzeti Választási Iroda [Bureau national des élections], 1998. Évi országgyűlési képviselő választás 2. fordulója 1998. május 24. A pártok, független jelöltek eredményei országos összesítésben [2e tour des élections législatives de 1998. 24 mai 1998. Résultats des partis candidats], en ligne (consulté le 20 juin 2023).
  40. Amélie Poinssot, Dans la tête de Viktor Orbán, op. cit., p. 36.
  41. Signent cette déclaration, outre le Fidesz, le FKPG, le KDNP, le MDF, le MSZP et le SZDSZ.
  42. « Nyilatkozat a trianoni békeszerződés 70. évfordulójára » [Déclaration sur le 70e anniversaire du traité de paix de Trianon], Magyar Nemzet, 2 juin 1990, n°128, p. 3, en ligne (consulté le 20 juin 2023).
  43. Antonela Capelle-Pogacean, « La Hongrie et les minorités magyares. Une relation complexe à l’heure de l’intégration européenne », Courrier des pays de l’Est, n°1028, 2002, p. 69-77.
  44. Jacques Leclerc, « Hongrie. Loi sur le statut des Hongrois d’outre-frontières (Loi LXII) », L’aménagement linguistique dans le monde, Université Laval, Québec, 2001, en ligne (consulté le 20 juin 2023).
  45. Martin Plichta, Henri de Bresson, « Le contentieux des Sudètes empoisonne l’Europe centrale », Le Monde, 27 mars 2002  ; Laure Neumayer, L’enjeu européen dans les transformations postcommunistes, Paris, Belin, 2006.
  46. Après plusieurs mois de discussions diplomatiques avec la Slovaquie et la Roumanie, elle est amendée le 23 juin 2003, après le départ d’Orbán du pouvoir. Voir Laure Neumayer, « “Dépasser Trianon”. Les transformations du nationalisme hongrois, de la “politique de la nation” à la protection des minorités dans l’UE », Politique européenne, vol. 37, n°2, 2012, p. 102-131.
  47. Florence La Bruyère, « Hongrie  : l’ambitieux Viktor Orban », L’Express, 21 mars 2002.
  48. Balázs Ablonczy, Bálint Ablonczy, « L’extrême droite en Hongrie. Racines, culture, espace », Hérodote, vol. 1, n°144, 2012, p. 38-59.
  49. Nemzeti Választási Iroda [Bureau national des élections], 1998. Évi országgyűlési képviselő választás 2. fordulója 1998. május 24. A pártok, független jelöltek eredményei országos összesítésben [2e tour des élections législatives de 1998. 24 mai 1998. Résultats des partis candidats], en ligne (consulté le 20 juin 2023).
  50. Mirel Bran, « La Hongrie rejette le populisme de Viktor Orban et se tourne vers la gauche pour entrer dans l’Union européenne », Le Monde, 23 avril 2002.
  51. Amélie Zima, D’ennemi à allié. L’adhésion de la Hongrie, de la Pologne et de la République tchèque à l’Alliance atlantique (1989-1999), Bruxelles, 2019.
  52. Nemzeti Választási Iroda [Bureau national des élections], 2002. évi országgyűlési képviselő választás 2. fordulója. 2002. április 21. Végleges adatok a FIDESZ-MDF, az MSZP és közös jelöltjei által megszerzett szavazatokról [2e tour des élections législatives de 2002. 21 avril 2002. Résultats définitifs des suffrages obtenus par le FIDESZ-MDF, le MSZP et leurs candidats communs], en ligne (consulté le 20 juin 2023).
  53. Paul Lendvai, Orbán : Hungary’s Strongman…, op. cit., chap. 6.
  54. Depuis lors, Orbán n’a plus jamais participé à un débat contradictoire.
  55. Nemzeti Választási Iroda [Bureau national des élections], 2006. évi Országgyűlési Képviselő Választás. 2. fordulója. 2006. április 23. Az Országgyűlés összetétele [Élections parlementaires de 2006. 2e tour. 23 avril 2006. Composition de l’Assemblée nationale], en ligne (consulté le 20 juin 2023).
  56. Balázs Trencsényi, « Beyond Liminality ? The Kulturkampf of the early 2000s in East Central Europe », boundary 2, n°1, 2014, p. 135-152.
  57. János Kornai, « The System Paradigm Revisited… », art. cit., p. 281.
  58. Renáta Uitz, « Reinventing Hungary with Revolutionary Fervor. The Declaration of National Cooperation as a Readers’ Guide to the Fundamental Law of 2011 », in János Mátyás Kovács, Balázs Trencsényi (dir.), Brave New Hungary…, op. cit., p. 9-28.
  59. À la fin de la première décennie du XXIe siècle, après quarante-six années d’occupation et de dictature et deux décennies turbulentes de transition, la Hongrie a retrouvé le droit et la capacité à l’autodétermination

    En 1956, la lutte de la nation hongroise pour l’autodétermination a débuté par un glorieux soulèvement, finalement écrasé dans le sang. La lutte s’est poursuivie avec les pactes politiques après le changement de régime et a conduit à la vulnérabilité au lieu de la liberté, à l’endettement au lieu de l’autonomie, à la pauvreté au lieu de la prospérité, et à une profonde crise spirituelle, politique et économique au lieu de l’espoir, de l’optimisme et de la fraternité. Au printemps 2010, la nation hongroise a retrouvé sa vitalité et a provoqué une nouvelle révolution dans les isoloirs. L’Assemblée nationale déclare reconnaître et respecter cette révolution, menée dans le cadre constitutionnel.

    L’Assemblée nationale déclare que les élections d’avril ont abouti à un nouveau contrat social, par lequel les Hongrois ont décidé l’établissement d’un nouveau système, le Système de coopération nationale. Par cet acte historique, la nation hongroise a obligé la nouvelle Assemblée nationale et le nouveau gouvernement à prendre la tête de cette entreprise, avec détermination, intransigeance et fermeté pour construire le système de coopération nationale en Hongrie.

    Nous, représentants de l’Assemblée nationale hongroise, déclarons que nous construirons le nouveau système politique et économique sur la base de la volonté démocratique du peuple, sur les piliers indispensables à la prospérité, à une vie digne de l’homme et qui unissent les membres de la nation hongroise dans sa diversité. Le travail, le foyer, la famille, la santé et l’ordre seront les piliers de notre avenir commun.

    Le système de coopération nationale est ouvert à tous les Hongrois vivant en Hongrie ainsi qu’aux Hongrois d’outre-frontière. C’est une opportunité et une exigence pour tous ceux qui vivent et travaillent en Hongrie. Nous sommes fermement convaincus que grâce à l’unité incarnée par le Système de coopération nationale, nous serons en mesure de changer l’avenir de la Hongrie et de construire un pays fort et prospère. Cette solidarité, qui libère de grandes énergies donne à chaque Hongrois, quel que soit son âge, son sexe, sa religion ou ses convictions politiques, où qu’il réside dans le monde, de grands espoirs et, après de longues décennies, la possibilité de réaliser enfin ses propres objectifs. C’est à cette tâche que nous consacrerons les prochaines années de notre vie.

    Dr Pál Schmitt, président de l’Assemblée nationale, Lorántné Hegedűs, secrétaire de l’Assemblée nationale, Dr Richárd Tarnai, secrétaire de l’Assemblée nationale * Déclaration politique adoptée par l’Assemblée nationale le 14 juin 2010. (trad. M. Boisdron)

  60. András Bozóki, « Mainstreaming the Far Right. Cultural Politics in Hungary », Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 4, n°47, 2016, p. 92.
  61. Bálint Magyar, Júlia Vásárhelyi (dir.), Magyar Polip, a posztkommunista maffiaállam [La pieuvre hongroise, l’État Mafia post-communiste], Noran Libro, Budapest, 2013  ; Renáta Varga, « La construction du mythe de l’ennemi et du héros dans le discours de Viktor Orbán », in J. Fidel Corcuera, Antonio Gaspar, Monica Djian, Javier Vicente et Chesus Bernal (dir.), Les discours politiques. Regards croisés, Paris, L’Harmattan, 2016, p. 314-323.
  62. Gábor Attila Tóth (dir.), Constitution for a Disunited Nation : On Hungary’s 2011 Fundamental Law, Budapest, CEU, 2012.
  63. Zoltán Gábor Szűcs, « The abortion of a “conservative” constitution-making A discourse analysis of the 1994-1998 failed Hungarian constitution-making enterprise », in Michal Kopeček, Piotr Wciślik (dir.), Thinking through Transition : Liberal Democracy, Authoritarian Pasts and Intellectuals History in East Central Europe After 1989, Budapest, New-York, CEU, 2015.
  64. Fareed Zakaria, « The Rise of Illiberal Democracy », Foreign affairs, vol. 76, n°6, 1997. Sous ce terme sont regroupés des pays où la démocratie est encore formellement en place mais où les droits fondamentaux des citoyens n’ont plus de réalité.
  65. Marlène Laruelle, « Illiberalism : a conceptual Introduction », East European Politics, vol. 38, n°2, 2022.