Contre l’Iran, Israël prépare sa riposte. Les mots du Chef d’état-major Halevi

La mise en scène est particulièrement soignée. Le Chef d’état-major Herzi Halevi parle depuis la base aérienne de Nevatim, dans le sud du pays. Selon la propagande iranienne, l’attaque du 13-14 avril l’aurait mise hors d’état de nuire. En réalité, elle paraît prête. Prête pour quoi ? « L’Iran fera face à une riposte » dit le plus haut gradé de l’armée israélienne. Nous traduisons ses mots prononcés en hebreu dans la soirée du 15 avril et diffusés largement en Israël. Il faut les lire avec attention alors que Tel Aviv prépare un plan.

L’Iran a décidé d’attaquer Israël dans la nuit du 13 au 14 avril avec des centaines de missiles. Le Chef d’état-major de l’armée iranienne, Mohammed Hossein Baqeri, s’est exprimé dans la matinée du 14 pour expliquer les raisons de ces frappes historiques qui ont vu pour la première fois Téhéran attaquer Israël depuis son propre territoire.

Dans sa déclaration il insistait sur trois points : 1) L’Iran considère que l’opération est une riposte proportionnée à l’attaque subie à son consulat de Damas le 1er avril. 2) Elle est « aboutie et terminée. Nous n’avons pas l’intention de la poursuivre ». 3) Toutefois si Israël envisageait « une quelconque action contre la République islamique, que ce soit à l’intérieur du territoire du pays ou à l’encontre de centres appartenant à l’Iran, en Syrie ou ailleurs, la prochaine riposte sera beaucoup plus importante ». Depuis le 14 avril, en effet, les principales autorités iraniennes envisagent de mettre en place une doctrine dite de « la nouvelle équation » : « Une nouvelle équation a été établie avec cette opération : à partir de maintenant, quand le régime sioniste attaquera nos intérêts, nos propriétés, nos citoyens, la République islamique contre-attaquera immédiatement. »

C’est en tant que riposte discursive au positionnement du Chef d’état-major iranien que doit être lue la prise de parole du Chef d’état-major israelien Herzi Halevi.

La mise en scène est particulièrement soignée. Halevi parle depuis la base aérienne de Nevatim dans le sud du pays. Selon la propagande de Mohammed Hossein Baqeri, « l’opération a été planifiée de manière à viser à la fois le grand centre de renseignement qui fournissait les informations nécessaires aux Sionistes et la base aérienne de Nevatim, où l’avion F-35 a été utilisé pour viser notre consulat à Damas. Ces deux centres ont été détruits dans une large mesure et sont désormais inactifs ». Elle semble en réalité opérationnelle et prête. Prête pour quoi ? 

Depuis quarante huit heures les décideurs israéliens, qu’ils soient militaires ou politiques, multiplient les rencontres afin de décider d’une réponse qu’ils estiment adaptée. Tel-Aviv semble pencher pour des représailles fortes au risque de voir la région s’embraser dans un conflit total. De leur côté, les puissances occidentales, qui ont apporté un soutien indispensable à la défense anti-aérienne israélienne, tentent de dissuader l’État hébreu

Israël doit ainsi peser précautionneusement ses options. Est-il envisageable de répondre à l’Iran, au risque d’endommager ses relations avec des alliés qui lui ont été indispensables pour se défendre ? Et de quelle manière ? Comment éviter l’embrasement ou une guerre totale après des années où la stratégie a été celle de la « guerre entre les guerres » ou de la guerre de l’ombre. 

Ces différents aspects sont tous présents dans cette courte déclaration du Chef d’état-major, Herzi Halevi. Alors que des divisions de plus en plus grandes sont désormais visibles entre le gouvernement Netanyahou et des membres représentatifs du Tsahal, notamment en ce qui concerne le « jour d’après » à Gaza, Halevi, membre les plus gradés de la branche militaire et sécuritaire de l’État, a une voix très influente du fait notamment de la très grande confiance que la population israélienne a dans l’armée. 

Nous traduisons en français et commentons ligne à ligne grâce à l’aide de Milan Czerny cette déclaration importante qui peut être visualisée ici : 

Pour faire court, l’Iran a tenté de nuire aux capacités stratégiques de l’État d’Israël, ce qui ne s’était jamais produit auparavant. 

La prise de parole commence in medias res. Le Chef d’état-major s’adresse à ses troupes. À sa droite se tient le Commandant de la base de Nevatim, Brigadier Général Yotam Sigler. Quatre pilotes et commandant d’escadron,  dont le rang et l’identité sont masqués, lui font face. Il s’agit d’aller droit au but : c’est un discours martial. Par la perspective et l’angle de la caméra, le spectateur se trouve parmi les soldats. Le discours insiste sur l’effet perlocutoire : la mobilisation. À noter également : la vidéo a été diffusée sans sous-titres, ni en anglais ni en arabe. Une autre version avec un contenu très différent, insistant sur la coopération internationale de l’opération Bouclier de fer, a été produite en anglais – elle est disponible à ce lien.

Nous nous sommes préparés à cette menace dans le cadre de l’opération « Bouclier de fer », et cette préparation a conduit l’Iran à affronter une supériorité aérienne parfaitement mise en œuvre.

L’Iran a attaqué l’État d’Israël dans la nuit de samedi à dimanche avec 170 drones « Shahed », plus de 30 missiles de croisière et 120 missiles balistiques, ce qui représente l’une des plus importantes attaques aériennes de l’histoire. En termes de comparaison, l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février 2022 a débuté avec l’envoi d’entre 160 et 200 missiles balistiques et de croisière, contre un territoire bien plus vaste. Selon l’armée israélienne, 99 % de ces projectiles ont été interceptés par Israël et ses alliés, la France, la Jordanie, les États-Unis et le Royaume-Uni. Il s’agit en effet d’une démonstration de la puissance de la défense antiaérienne israélienne face à une attaque sans précédent.

Lundi dernier, nous avions déjà connaissance des plans de l’Iran, et bien que nous croyions en la grande force de l’État d’Israël et en sa capacité à se défendre seule, face à une telle menace, nous sommes toujours reconnaissants pour le soutien reçu. 

Les dirigeants israéliens insistent régulièrement sur l’indépendance militaire du pays et sa capacité à agir seule face aux menaces externes. Ce discours est notamment véhiculé par le Premier Ministre israélien, Benjamin Netanyahu, afin de ne pas donner l’impression à la population qu’Israël est dépendant de ses alliés, en premier lieu des États-Unis. Dans le contexte de la guerre à Gaza, Israël tente de créer ses propres lignes de production de munitions sur le sol israélien. En revanche, l’aide américaine reste indispensable, et la transition vers une production domestique aurait un poids économique important.

Lundi dernier, j’ai eu un appel avec le commandant du Centcom, le général Michael Erik Kurilla, et dès jeudi il était déjà en Israël.

Michael Erik Kurilla, général de l’armée américaine, commandant du Commandement central des États-Unis, qui supervise les opérations militaires au Moyen Orient, en Asie centrale et en Asie du Sud. 

Nous avons alors commencé notre coordination conjointe. Cela envoie un message fort : l’Iran se retrouve confronté à une capacité internationale très, très puissante. 

Les États-Unis ont joué un rôle indispensable dans la défense aérienne contre l’attaque iranienne : bien que les tensions se soient accumulées entre Netanyahu et le Président Biden dans le contexte de la guerre à Gaza, l’aide contre l’Iran a montré la résilience de la relation entre les deux pays. Le président américain avait alerté l’Iran de ne pas attaquer Israël et a réaffirmé le soutien « sans faille » des États-Unis à Israël. Toutefois, des tensions se font désormais sentir autour de la question de la réponse israélienne : Washington tentent de dissuader Israël de riposter, afin d’éviter une escalade régionale.

En ce qui concerne l’avenir, nous évaluons nos options et le lancement de ces nombreux missiles, missiles de croisière et drones sur le territoire de l’État d’Israël fera face à une riposte. En conclusion, des personnes incroyables réalisent des choses remarquables, avec d’excellents résultats. C’est extrêmement important. Je suis convaincu que vous êtes tous très bien préparés, et j’ai une confiance totale dans nos capacités pour faire face à ce qui est nécessaire.

Le Chef d’état-major israélien termine son discours sur un message fort envoyé à l’Iran : une riposte aura lieu. Toutefois, Tel-Aviv souhaite garder ses cartes en main, et les dirigeants israéliens ont répété depuis l’attaque du 13-14 avril que la riposte viendra au moment propice pour Israël. Son ampleur reste la grande inconnue. Israël a de maintes fois attaqué l’Iran en Syrie, Liban, et sur le sol iranien ces dernières années dans le cadre de sa stratégie de « guerre entre les guerres » qui consiste à endommager les capacités iraniennes et de se proxis — Hezbollah, Hamas…— et renforcer la capacité dissuasive israélienne tout en évitant une guerre ouverte avec l’Iran. La question, dorénavant, est de savoir si cette stratégie a pris fin, et si la guerre totale est en train de commencer.

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