La bataille judiciaire organisée par la majorité élue en octobre dernier en Pologne, menée par le Premier ministre libéral Donald Tusk, continue. Après l’épisode de la réforme des médias publics, c’est désormais le gouverneur de la Banque nationale de Pologne (Narodowy Bank Polski, NBP), Adam Glapiński, qui est sous le feu des projecteurs.

  • Dans son programme, la Coalition civique (KO), dirigée par Tusk, prévoyait de « demander des comptes aux gouvernements du PiS » (parti Droit et justice) en traduisant devant le Tribunal d’État de nombreuses personnalités, comme l’actuel président Duda ou l’ancien Premier ministre Morawiecki.
  • Dans la liste figurait Adam Glapiński, « pour avoir détruit l’indépendance de la Banque nationale de Pologne et pour avoir échoué à mettre en œuvre la tâche fondamentale de la NBP, à savoir lutter contre la hausse des prix »1.
  • Glapiński, économiste, membre historique de Solidarność dans les années 1980 et ancien conseiller du président Lech Kaczyński (PiS) a été nommé gouverneur de la NBP en 2016, après un vote favorable de la Diète, alors dominée par le PiS, puis reconduit en 2022, jusqu’en 2028. À partir de 2021, la hausse de l’inflation en Pologne a attiré l’attention sur la politique monétaire de la NBP.

Alors que des accusations planaient sur Glapiński dès la campagne électorale, et encore davantage après la victoire de la majorité libérale en octobre, elles ne s’étaient pas encore concrétisées.

  • À partir de mai 2023, la NBP a commencé à afficher sur son siège, en plein centre de Varsovie, d’énormes banderoles de 150 mètres de long, illustrant ses succès. En novembre dernier, après les élections, elle en a affiché une nouvelle, qui a beaucoup fait jaser : « Toutes les activités de la NBP sont légales ».
  • Finalement, mardi dernier, le 19 mars, le Premier ministre Tusk a déclaré que la motion visant à traduire Glapiński devant le Tribunal d’État était prête. Les 8 chefs d’accusation qui concernent par exemple le financement indirect du déficit budgétaire par l’achat d’obligations, certaines interventions sur le marché des changes ou encore le versement de primes excessives à Glapiński ont fuité dans la presse.
  • Surtout, les accusations qui retiennent le plus l’attention concernent la proximité politique du gouverneur avec le PiS, ainsi que deux importantes baisses des taux d’intérêt, en septembre et octobre 2023, jugées « directement liées à la campagne électorale ».
  • La députée KO Katarzyna Lubnauer a déclaré : « Adam Glapiński est devenu un autre ministre du gouvernement PiS qui a mené une politique non pas pour défendre le złoty, l’inflation ou pour avoir un złoty stable, mais pour aider le PiS autant que possible ».

Un groupe de députés coordonné par la Coalition civique va ainsi déposer la motion ce mardi 26 mars. Pour autant, la procédure commence mal.

  • Le Tribunal d’État juge les personnalités dirigeantes du pays, comme le président, les ministres, les parlementaires ou le gouverneur de la banque centrale2. Selon la loi sur le Tribunal d’État, un quart des députés doivent soutenir la présentation de la motion et, après son examen, la majorité absolue des députés doit la soutenir pour que commence le procès.
  • La majorité parlementaire semble cependant déjà s’effriter. Depuis les élections d’octobre 2023, le gouvernement Tusk s’appuie sur trois groupes parlementaires qui composent les 460 députés de la Diète : la Coalition civique (157 députés), la Troisième voie (65) et La Gauche (26). Tous les députés de la Coalition civique soutiennent a priori la motion ; il n’y aura donc pas de problème à réunir le quart de députés (soit 115) nécessaire à son dépôt.
  • Cependant, la majorité absolue pour le vote final n’est pas acquise. Si plusieurs voix de la Troisième voie ont déclaré qu’elles soutiendraient la motion, ce n’est pas le cas à gauche. La députée de gauche Paulina Matysiak a critiqué ce qu’elle voit comme la volonté de « faire un nouveau coup politique, de détourner l’attention »3.

De plus, en s’attaquant au gouverneur de la NBP, la Coalition civique pèse sur les interférences entre pouvoir politique et banque centrale, en rupture avec le principe d’indépendance. La présidente de la BCE Christine Lagarde le soulignait en décembre dernier dans une lettre adressée à Glapiński : « Les statuts de la banque centrale polonaise et de la BCE, qui garantissent leur indépendance, offrent une protection au cas où un tribunal d’État tenterait de vous poursuivre ».

Au-delà des débats politiques à l’intérieur de la majorité parlementaire et des inquiétudes européennes, c’est bien à une nouvelle querelle juridique que la Pologne se prépare, avec le risque de voir à nouveau s’affronter deux systèmes juridiques parallèles, soutenus chacun soit par le PiS, soit par la Coalition civique.

  • Le débat juridique a commencé dès janvier, lorsque le Tribunal constitutionnel, dirigé par une juge proche du PiS et au cœur du démantèlement de l’État de droit mis en œuvre pendant huit années de législature du parti Droit et justice, a déclaré que certaines dispositions de la loi sur le Tribunal d’État étaient anticonstitutionnelles. Il considère qu’il ne faut pas la majorité absolue, mais la majorité aux trois cinquièmes, pour qu’une motion soit adoptée. Dans ce cas, même le vote de tous les députés de la Coalition civique, de la Troisième voie et de La Gauche ne serait plus suffisant.
  • De plus, selon le Tribunal constitutionnel, l’examen de la motion n’entraîne pas la suspension du gouverneur. La vice-présidente de la NBP a de ce fait indiqué que Glapiński ne se retirerait pas de la présidence pendant la procédure. Elle a même évoqué une possible saisine devant la CJUE, se référant à la lettre de Lagarde.
  • En réponse, le député KO Janusz Cichoń, qui coordonne la motion, a déclaré, au sujet de la démission de Glapiński : « J’espère que cela pourra arriver ». De son côté, le Premier ministre Tusk estime que le verdict du Tribunal constitutionnel n’est pas contraignant et que, encore une fois, « nous avons affaire à des interprétations juridiques différentes », soulignant que son parti continuera la procédure.
  • Hier, Glapiński lui-même a enfin parlé et a annoncé au Financial Times qu’il écrirait une lettre à Tusk, expliquant qu’il n’a « rien à cacher », qu’il « est temps de se rencontrer et discuter » et que son procès serait « très mauvais pour la Pologne »4.

Dans cette affaire hautement symbolique, aux parfums de scandale, qui durera au moins jusqu’à la fin de l’année, rien n’est donc joué et tout reste à faire, politiquement et juridiquement. Après le dépôt de la motion aujourd’hui, une commission sera créée et examinera le cas Glapiński pendant six à douze mois, avant un vote, dont même les modalités ne sont pas encore certaines, entre majorité absolue et majorité aux trois cinquièmes.

Hautement symbolique, cette volonté de faire condamner Glapiński ne l’est pas seulement en raison du rôle institutionnel prépondérant du gouverneur, mais aussi parce que c’était l’une des 100 mesures clefs du programme de la Coalition civique, que celle-ci souhaitait mettre en œuvre en 100 jours. Or, 100 jours plus tard, seules 12 mesures se sont véritablement matérialisées. Pour autant, la Coalition civique ne cesse de monter dans les sondages et est devenue le premier parti de Pologne en termes d’intentions de vote, devant le PiS. C’est une bonne nouvelle pour le gouvernement Tusk, à l’approche des élections européennes du 9 juin, mais aussi des élections locales polonaises qui auront lieu les 7 et 21 avril prochains.

Sources
  1. Programme de la Coalition civique en 100 mesures concrètes pour les élections législatives polonaises du 15 octobre 2023.
  2. On pourrait comparer le Tribunal d’État polonais à la Cour de justice de la République française, même si celle-ci juge uniquement les crimes ou délits commis par les membres du gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions, et non les députés, par exemple.
  3. Rzeczpospolita, Adam Glapiński przed Trybunał Stanu ? Paulina Matysiak z partii Razem : Hucpa, nie poprę, 21 mars 2024.
  4. Financial Times, « Polish central bank chief seeks truce with Donald Tusk over ‘idiotic’ accusations », 25 mars 2024.