La Chine est partout et nous n’en savons presque rien. La structure de notre débat public fait que nous connaissons beaucoup mieux les dynamiques internes au parti socialiste français que le fonctionnement du premier parti au monde, le Parti communiste chinois. L’ignorance presque complète du système politique chinois, de ses doctrines et de ses tensions nous empêche de réfléchir collectivement aux manières de nous positionner dans le monde que Xi Jinping entend façonner. C’est un problème. Depuis plus d’un an, dans les pages de la revue, nous essayons de comprendre les dynamiques profondes qui transforment la Chine de Xi. Si vous pensez que ce travail d’analyse et de traduction mérite d’être soutenu, nous vous invitons à vous abonner au Grand Continent.

Où va la Chine ? Alors que les marchés s’effondrent, que la croissance ralentit, que les tensions internationales s’accroissent à l’extérieur tandis que la politique intérieure continue de dicter l’agenda de Pékin, cette question paraît de plus en plus urgente. Pour s’orienter dans un système opaque et de plus en plus fermé, les Deux Sessions qui se déroulent en ce moment à Pékin sont une mine de signaux faibles, sans doute l’un des points de repère les plus décisifs pour analyser les grandes tendances de la politique chinoise dans les prochains mois.

1 — Que sont les « Deux Sessions » et en quoi sont-elles importantes ? 

Les Deux Sessions sont les réunions annuelles concomitantes du Comité national de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC) — qui a commencé le 4 mars cette année — et de l’Assemblée Nationale Populaire (ANP) — qui s’ouvre aujourd’hui, 5 mars. Les réunions devraient s’achever la semaine prochaine aux alentours du 11 mars et devraient être structurées autour de plusieurs temps forts.

Le Comité national de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC) est une organisation du Front uni qui mobilise les groupes sociaux pour soutenir et conseiller le Parti-État. Instrument clef pour la mise en œuvre de la stratégie du PCC, le Front uni est un réseau de groupes et d’individus contrôlés par le Parti au service de ses intérêts. Il comprend huit partis politiques autorisés, dont la CCPPC.

L’Assemblée Nationale Populaire est le corps législatif monocaméral de la Chine et, théoriquement, l’organe suprême du pouvoir de l’État. Les deux organes sont toutefois sous le contrôle du Parti Communiste Chinois (PCC), mais ils remplissent des fonctions politiques importantes et distinctes.

S’il faudra prêter une attention particulière aux Deux Sessions, c’est aussi parce que le Secrétaire général du PCC Xi Jinping n’a pas encore convoqué la troisième session plénière du Comité central du Parti, qui approuve traditionnellement les réformes économiques, et que le Premier ministre Li Qiang a profité donc de cette occasion pour présenter son premier rapport de travail du gouvernement.

Le rapport de travail du gouvernement, R.T.G.

C’est au nom du Conseil des affaires de l’État lors de la session d’ouverture de l’ANP le 5 mars que le Premier ministre Li Qiang a présenté son premier rapport de travail du gouvernement (R.T.G). La lecture de ce document est la pièce maîtresse des Deux Sessions. Le « rapport d’activité » du gouvernement passe en revue les travaux de l’année écoulée, expose les exigences générales et l’orientation des politiques du développement pour l’année à venir, et énumère les tâches spécifiques que le gouvernement poursuivra.

Il comporte plusieurs volets spécifiques, qui sont autant de signaux faibles à scruter.

L’emblème national chinois se reflète sur la fenêtre d’un bus alors que les délégués quittent le pays après avoir assisté à la session d’ouverture de l’Assemblée populaire nationale (APN) au Grand Hall du Peuple à Pékin, mardi 5 mars 2024. L’objectif officiel de croissance de la Chine pour cette année est d’environ 5  %, a déclaré mardi le premier ministre Li Qiang dans un rapport annuel sur les plans et les performances du gouvernement qui donne la priorité à la sécurité et à l’économie. © AP Photo/Andy Wong

2 — La stratégie économique : multiplier par deux le « développement de haute qualité »

L’économie est au centre des préoccupations du rapport, mais Li Qiang n’a pas réserver de grandes surprises ce 5 mars. Lors d’une réunion tenue le 19 février1, il a déclaré que le Conseil des affaires de l’État devait « suivre les instructions » données par le Parti en décembre dernier2 lors de sa Conférence centrale annuelle sur le travail économique (CCTE). Si la CCTE a indiqué un changement tactique en faveur de la croissance cette année, elle a affirmé la stratégie sous-jacente de Xi, à savoir que « développement de haute qualité » était « la dure vérité de la nouvelle ère ».

Li Qiang a annoncé un objectif de croissance de 5 % pour cette année. Le rapport de la CCTE indique que le Parti maintiendra sa « politique budgétaire active » et « renforcera modérément la politique budgétaire », « utilisera efficacement la marge de manœuvre de la politique budgétaire » et mettra davantage l’accent sur les ajustements anticycliques. Malgré une récente baisse des taux hypothécaires, le différentiel de taux d’intérêt entre les États-Unis et la Chine et les craintes de fuite des capitaux signifient que l’assouplissement monétaire sera moins privilégié, la CCTE s’engageant à maintenir sa « politique monétaire prudente ». La directive qui incite à « construire le nouveau d’abord et se débarrasser de l’ancien ensuite » implique également la détermination de Pékin à favoriser les réformes planifiées et progressives plutôt que le type de chocs politiques négatifs qui ont fait dérailler les marchés en 2021. Le compte rendu de la réunion du Bureau politique du 29 février3 consacrée à l’examen du RTG s’est également engagé à « créer un environnement politique stable, transparent et prévisible », tout en reprenant pour l’essentiel les termes du compte-rendu de la CCTE.

Li Qiang tente de séduire les entreprises privées et le milieu des affaires pour stimuler la reprise de la consommation, de l’investissement et du marché boursier. Il a déclaré lors d’une réunion plénière du Conseil des affaires de l’État le 19 février4 que Pékin devrait « mettre en oeuvre des mesures pragmatiques et puissantes pour renforcer la confiance de l’ensemble de la société » et lors d’une réunion exécutive du Conseil des affaires de l’État le 23 février5 que la stabilisation des investissements étrangers est un « point d’appui important » pour la politique économique. Pékin accélère également l’adoption d’une loi visant à promouvoir le développement du secteur privé.

Toutefois, les éléments dont nous disposons jusqu’à présent suggèrent que les modifications de politique consisteront principalement à affiner les mécanismes de politique économique existants, plutôt qu’à déployer des approches novatrices. Xi lui-même semble considérer que les problèmes actuels représentent la contrepartie douloureuse mais nécessaire à court terme pour le gain d’une économie plus sûre et plus autonome à long terme. De grandes questions subsistent quant à sa capacité de Xi à maintenir le taux de croissance de la Chine sans réformes structurelles qui stimulent la consommation, améliorent les finances locales et accordent un rôle plus important aux forces du marché.

L’accent mis par la CCTE sur un « développement de haute qualité » ne suggère aucune révision de l’approche étatique de Xi. Ce concept s’inscrit dans le plan économique actuel de Xi Jinping, présenté lors du 19e Congrès du Parti en 2017, intégré dans le 14e Plan quinquennal en 2021 et approfondi lors du 20e Congrès du Parti en 2022. Il implique un « nouveau concept de développement » qui établit un équilibre entre la poursuite de la croissance à court terme et les programmes à long terme visant à rendre la croissance plus innovante, coordonnée, verte, ouverte et équitable. Il est également associé à un « nouveau paradigme de développement » axé sur la demande intérieure, les technologies locales et la réduction des dépendances étrangères.

Comme attendu, Li Qiang n’a pas annoncé un recentrage définitif sur la croissance économique par rapport à la sécurité nationale — la double priorité déroutante6 du troisième mandat de Xi. Des déclarations récentes, telles que les commentaires7 de Xi sur les rapports annuels des institutions du Parti-État, ont fait entendre des bruits positifs sur l’importance de l’enjeu économique. Mais le 27 février, le Comité Permanent de l’ANP (CPANP) a révisé la loi sur la protection des secrets d’État afin de renforcer davantage l’État sécuritaire en introduisant les « secrets de travail » en tant que nouvelle catégorie d’informations restreintes susceptibles d’affecter les entreprises qui traitent avec la Chine. Seul un signal fort et clair pourrait rétablir la confiance dans l’environnement commercial chinois.

Xi lui-même semble considérer que les problèmes actuels représentent la contrepartie douloureuse mais nécessaire à court terme pour le gain d’une économie plus sûre et plus autonome à long terme.

Neil Thomas, Jing Qian

Li Qiang a également annoncé de nouvelles approches dans la lutte que mène Pékin depuis longtemps pour augmenter la part de la consommation par rapport à l’investissement dans l’économie, et le lancement d’une campagne « Consommer sans souci ». Une réunion de l’influente Commission centrale des affaires financières et économiques, qui s’est tenue le 23 février8, s’est concentrée sur le potentiel de renouvellement des équipements industriels, de remplacement des biens de consommation et de réduction des coûts logistiques pour stimuler la consommation. Cette idée se traduira probablement par un financement central de prêts encourageant les ménages à moderniser leurs voitures, leurs appareils électroniques et leurs appareils électroménagers. Cette approche permet à Pékin de stimuler la consommation d’une manière dirigée et de créer des marchés pour l’industrie de pointe et les industries vertes qui sont au cœur de l’agenda de Xi.

Des journalistes tentent de prendre des photos alors que le porte-parole du Congrès national du peuple, Lou Qinjian, arrive pour une conférence de presse à la veille du Congrès national du peuple au Grand Hall du peuple à Pékin, le lundi 4 mars 2024. © AP Photo/Ng Han Guan

Mais Xi s’oppose à la relance directe de la consommation pour des raisons idéologiques, alors qu’elle pourrait être plus efficace pour stimuler la croissance. Il en va de même pour le renforcement du filet de sécurité sociale et l’abolition des restrictions à la migration interne et à l’utilisation des terres. Pour autant, Xi ne semble toujours pas disposé à poursuivre des réformes structurelles aussi profondément redistributives9, ou ne semble pas s’en préoccuper. Il en résulte qu’un rééquilibrage significatif en faveur de la consommation et une relance économique soutenue ne sont pas encore à l’ordre du jour.

Fondamentalement, Pékin devrait utiliser les Deux Sessions pour annoncer des mesures tactiques visant à renforcer la confiance à court terme dans l’économie chinoise, mais sans modifier la stratégie sous-jacente de Xi, à savoir un développement guidé par l’État et reposant sur l’investissement. Des changements majeurs dans la politique économique sont plus concevables lors d’une troisième session plénière présidée par Xi que dans un discours de Li Qiang lors des Deux Sessions. Néanmoins, la prochaine session plénière, qui doit se tenir plus tard dans l’année, abordera probablement la politique économique si les perspectives de croissance de la Chine sont mauvaises.

Des changements majeurs dans la politique économique sont plus concevables lors d’une troisième session plénière présidée par Xi que dans un discours de Li Qiang lors des Deux Sessions.

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3 — Un objectif de croissance : 5 %

Les gros titres sur le RTG se concentreront sur l’annonce de l’objectif de croissance du PIB pour 2024. Ce chiffre constitue un signal important pour les responsables politiques quant à la priorité à accorder à la croissance par rapport à d’autres objectifs politiques. L’année dernière, le premier ministre sortant Li Keqiang avait fixé un objectif d’« environ 5 % », ce qui était considéré comme relativement modeste étant donné que les blocages et confinements liés au Covid-19 avaient réduit la croissance en 2022. Pékin affirme que l’économie a progressé de 5,2 % en 2023, mais la plupart des analystes externes sont sceptiques quant à cette affirmation, les estimations de la croissance réelle de la Chine ne dépassant pas 1,5 %10.

Li Qiang a révélé pour cette année renouvelé un objectif de croissance ambitieux de 5 %. La plupart des gouvernements provinciaux, qui convoquent eux aussi des réunions de leurs deux assemblées locales en janvier et février, ont proclamé des objectifs de croissance similaires, avec un objectif moyen pondéré de 5,4 % — en légère baisse par rapport aux 5,6 % de 2023. Le gouvernement central fixe généralement un objectif légèrement inférieur, car il joue un rôle plus important dans l’équilibre entre la croissance économique et les autres priorités politiques. Cette année, seuls Pékin, le Liaoning, Tianjin et le Zhejiang ont revu leurs objectifs à la hausse, ce qui reflète mieux la volonté du gouvernement central de privilégier la qualité plutôt que la quantité en matière de développement.

Par rapport à l’année dernière, un objectif de croissance d’environ 5 % reste relativement ambitieux, surtout si l’on considère la lenteur de la reprise post-Covid en Chine, les difficultés du secteur immobilier, la déflation récurrente et la baisse de la confiance des entreprises et des consommateurs. Cet objectif serait le signe d’une concentration tactique sur le rétablissement de la confiance et des dépenses. Un objectif plus bas, autour de 4,5 %, suggérerait une plus grande attention aux programmes de régulation et pourrait déstabiliser les entreprises et les marchés, tandis qu’un objectif plus élevé, autour de 5,5 %, renforcerait les attentes en matière de relance.

Par rapport à l’année dernière, un objectif de croissance d’environ 5 % reste relativement ambitieux, surtout si l’on considère la lenteur de la reprise post-Covid en Chine.

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4 — Un objectif de déficit : des mesures de relance limitées et plus d’importance pour les entreprises publiques

Il est peu probable que des mesures de relance de type « bazooka » soient prises. Xi est déterminé à réorienter l’économie en s’éloignant d’un modèle de croissance fondé sur des dettes risquées et ancré dans le marché immobilier, et le pays est loin du type d’effondrement qui pourrait accabler le dispositif  sophistiqué de sécurité interne du Parti. Dans un discours prononcé à Davos le 16 janvier11, Li Qiang a laissé entendre qu’il n’y aurait pas de « stimulus puissant » comme lors de la crise financière de 2008 ou du krach boursier de 2015.

Des officiers militaires chinois arrivent au Grand Hall du Peuple pour assister à une session préparatoire de l’Assemblée populaire nationale (APN) à Pékin, le lundi 4 mars 2024. © AP Photo/Andy Wong

Des mesures de relance sont prévues, mais elles seront probablement modérées par rapport au ralentissement économique de la Chine. L’année dernière, Li Keqiang a annoncé un objectif de 3 % du PIB, ce qui est traditionnellement considéré comme une limite supérieure, mais le CPANP a révisé cet objectif à 3,8 % en octobre en émettant 1000 milliards de RMB d’obligations spéciales du Trésor pour soutenir la croissance par le biais de l’aide aux sinistrés. Li Qiang a annoncé un ratio déficit/PIB pour 2024 de 3 %.

Mais un objectif de croissance du PIB de 5 % cette année nécessitera davantage de mesures de relance budgétaire ou monétaire. Le ministre des finances, Lan Fo’an, a déjà déclaré que les dépenses budgétaires augmenteraient cette année et que les émissions d’obligations de l’année dernière seraient reportées. Pékin pourrait apporter un soutien budgétaire supplémentaire12 dans le courant de l’année par le biais d’environ 1 000 milliards de yuans d’obligations spéciales du Trésor et de 4 000 milliards de yuans d’obligations à usage spécial pour les investissements dans les infrastructures locales.

Le ralentissement structurel actuel du secteur de l’immobilier, dû à la diminution de la demande, continuera à perturber le marché immobilier et la santé financière des gouvernements locaux.

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Le ralentissement structurel actuel du secteur de l’immobilier, dû à la diminution de la demande, continuera à perturber le marché immobilier et la santé financière des gouvernements locaux. En réponse, Pékin devrait s’appuyer de plus en plus sur les entreprises d’État pour absorber les dettes et finaliser les projets inachevés des promoteurs immobiliers en difficulté. En outre, la construction de logements plus abordables devrait devenir une priorité encore plus importante. Un autre point à surveiller qui indiquera si une plus grande liquidité dans le secteur de l’immobilier sera de mise est de voir si Li Qiang passera outre le mantra « les maisons sont faites pour y vivre, pas pour la spéculation ».

La centralisation du pouvoir par Xi signifie que les réformes structurelles visant à renforcer la capacité budgétaire des gouvernements locaux sont peu probables, même s’il s’agit du moyen le plus efficace de réduire leur dépendance vis-à-vis des revenus immobiliers et de remédier à leur situation financière désastreuse. Au lieu de cela, Pékin se concentrera probablement sur des solutions pour éponger les dettes locales existantes, telles que l’élimination progressive des politiques de réduction d’impôts de l’époque du Covid-19, la poursuite de la centralisation des systèmes de retraite à l’échelle des provinces, l’autorisation d’émettre davantage d’obligations pour la restructuration de la dette des mécanismes de financement des gouvernements locaux et, éventuellement, l’introduction d’un système de subventions en capital pour les provinces les plus pauvres. Toutefois, ces mesures positives s’accompagneront probablement d’une surveillance accrue des fonctionnaires locaux dans les provinces moins performantes, ce qui entraînera des purges anti-corruption et une mise en œuvre inégale des politiques dans les provinces.

5 — Technologie et politique industrielle : les « nouvelles forces productives »

Le rapport fera aussi probablement écho à la stratégie de Xi qui consiste à privilégier une politique industrielle technologique et manufacturière guidée par le Parti plutôt que des réformes axées sur le marché pour relever les défis économiques de la Chine. Le 31 janvier, Xi Jinping a présidé une session d’étude du Bureau politique axée sur « l’accélération du développement » des « nouvelles forces productives » — un concept qu’il a introduit lors d’une tournée d’inspection au Heilongjiang en septembre. Xi a déclaré que le développement de nouvelles forces productives était « une exigence intrinsèque et un axe important de la promotion d’un développement de haute qualité », ce qui résume son approche économique emblématique, et indique qu’elles pourraient occuper une place importante dans l’élaboration des politiques à l’avenir. Les experts sélectionnés pour partager leurs points de vue sur le projet de RTG avec Li Qiang lors d’une réunion le 23 janvier étaient principalement des technologues, dont Robin Li, PDG de Baidu, Yan Jianwen, président d’une entreprise de fabrication intelligente, et Wang Chunfa, qui fait autorité en matière de politique d’innovation.

Selon Xi, les nouvelles forces productives sont celles dans lesquelles « l’innovation joue un rôle de premier plan », et le « principal indicateur » de leur succès est « une augmentation significative de la productivité totale des facteurs ». La croissance de la productivité chinoise, et particulièrement son différentiel avec la productivité des États-Unis, ont considérablement diminué ces dernières années, à mesure que l’État progressait et que le secteur privé reculait. Si l’innovation peut inverser la tendance, elle aidera Pékin à relever des défis économiques tels que la dette, la démographie et les restrictions occidentales en matière de commerce et d’investissement. Des investissements massifs dans le développement de technologies plus avancées contribueront à stimuler la productivité totale des facteurs en augmentant la valeur ajoutée du capital et du travail. Mais il est peu probable qu’ils permettent de résoudre les problèmes structurels, de rétablir la confiance et de relancer la croissance à un niveau proche de ce qui serait possible avec une approche davantage axée sur le marché.

Le 31 janvier, Xi Jinping a présidé une session d’étude du Bureau politique axée sur « l’accélération du développement » des « nouvelles forces productives » — un concept qu’il a introduit lors d’une tournée d’inspection au Heilongjiang en septembre.

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Le ralentissement de la croissance globale et le dirigisme de Xi envers les marchés, l’argent et l’innovation ont une conséquence claire : les signaux politiques deviennent de plus en plus cruciaux pour les entreprises et les investisseurs. Le 19 février13, Xi Jinping a déclaré à la puissante Commission chargée d’approfondir les réformes que le Parti devait se concentrer sur « ce que l’innovation doit faire, qui doit organiser l’innovation et comment soutenir, encourager et protéger l’innovation ». Ses récents discours suggèrent qu’investir dans de nouvelles forces productives signifie davantage de soutien politique à la modernisation des anciennes industries et à la construction d’industries nouvelles, y compris la fabrication de pointe, la technologie agricole, l’intelligence artificielle, la biotechnologie, l’aviation commerciale, le numérique, les drones, la technologie verte, les sciences de la vie, l’informatique quantique et le capital-risque. Lors d’une réunion avec des économistes japonais le 25 janvier14, Li Qiang a indiqué que l’économie numérique, les industries vertes, la santé et les soins aux personnes âgées étaient des domaines particulièrement bienvenus pour les investissements étrangers.

6 — Politique étrangère : priorité à la stabilité entre les États-Unis et la Chine ?

Il est peu probable que Li Qiang annonce des changements majeurs dans la politique étrangère de la Chine, qui est principalement décidée par les institutions du Parti — dominées par Xi. Son rapport sur la politique étrangère reprendra probablement les thèmes de la conférence centrale sur les Affaires étrangères15 qui s’est tenue en décembre. Le compte rendu de cette réunion, qui a fait autorité, a fourni l’articulation la plus forte à ce jour de la stratégie diplomatique émergente de la Chine visant à repousser le leadership américain, en s’alignant sur le Sud global sur les lignes de fractures comme le changement climatique, le libre-échange ou la Palestine. Cette position reflète le sentiment croissant de Pékin qu’il peut tirer profit des divisions croissantes de l’Occident, de l’Ukraine à Gaza, ainsi que de la possibilité d’une nouvelle présidence de Donald Trump aux États-Unis.

Des hôtesses se préparent à verser du thé avant la session d’ouverture de la Conférence consultative politique du peuple chinois dans le Grand Hall du peuple à Pékin, le lundi 4 mars 2024. © AP Photo/Ng Han Guan

Le 7 mars, le ministre des Affaires étrangères — quel qu’il soit à ce moment-là — devrait tenir une conférence de presse annuelle sur les priorités de la politique étrangère chinoise pour 2024. Lors de la conférence de l’année dernière, qui s’est tenue quelques semaines seulement après l’« incident du ballon » qui a fait dérailler les relations entre les États-Unis et la Chine, l’ancien ministre Qin Gang (lequel a depuis disparu du grand public l’été dernier, et a été démis de ses fonctions sans explication) avait critiqué l’appel du président américain Joe Biden à « établir des garde-fous » pour gérer la diplomatie bilatérale. Aujourd’hui, après la fragile stabilisation obtenue lors du sommet de Woodside en novembre dernier, tout commentaire sur les « garde-fous » pourrait refléter la disposition actuelle de Xi à l’égard des groupes de travail bilatéraux et des mécanismes de contrôle des crises, et donc leurs perspectives de réussite. Il est probable qu’il donnera la priorité à la stabilité cette année afin d’améliorer la confiance des entreprises avant les élections américaines. Li Qiang rencontrera le président de la Chambre de commerce américaine le 28 février16 et le vice-président de la République Han Zheng sera l’invité d’honneur d’un dîner de l’AmCham China, la chambre de commerce américaine en Chine.

Il est peu probable que Li Qiang annonce des changements majeurs dans la politique étrangère de la Chine, qui est principalement décidée par les institutions du Parti — dominées par Xi.

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Li Qiang devrait également répéter des formules standards sur la politique de défense, telles que la réalisation de certains objectifs de modernisation d’ici le centenaire de l’Armée populaire de libération (APL) en 2027, étape d’une transformation plus vaste dont les grandes scansions sont positionnées en 2035 et en 2049. Les rapports budgétaires révèleront également les dépenses prévues par Pékin pour la défense nationale, qui devraient continuer à augmenter. L’année dernière, le budget militaire annoncé était de 1550 milliards de yuans, soit une augmentation de 7,2 % par rapport au chiffre de 1450 milliards de yuans prévu pour 2022. Toutefois, ces chiffres de croissance doivent être interprétés avec prudence17, en particulier lorsqu’ils sont comparés aux données du PIB, car ils représentent des augmentations nominales et non réelles. Cette année, Li a annoncé que le budget militaire atteindrait 1660 milliards de yuans (231 milliards de dollars) — une augmentation de 7,2  % donc, comme l’année dernière.

7 — Taïwan et Hong Kong : vers une escalade progressive ?

Les positions de Pékin sur Taïwan et Hong Kong attirent l’attention, mais il est peu probable que des changements politiques significatifs soient apportés. Le rapport comprend toujours quelques lignes sur ces sujets, mais les analystes devraient être prudents avant de diagnostiquer des changements de politique majeurs, car ils viendront plus probablement de Xi. En 2020, par exemple, l’ancien Premier ministre Li Keqiang avait omis le mot « pacifique » lorsqu’il avait évoqué le désir de Pékin de « réunifier » Taïwan — un écart par rapport à l’expression habituelle, que certains médias avaient interprété comme un signal d’agression « imminente ». Cette partie du rapport avait toutefois été abrégée pour tenir compte de la discussion sur le Covid-19, et d’autres responsables ont rapidement réaffirmé la préférence de Pékin pour une « réunification pacifique ».

Le point le plus intéressant à surveiller cette année est de savoir si le rapport gouvernemental et la CCPPC s’engageront à « combattre » plutôt qu’à simplement « s’opposer » ou « freiner » l’indépendance de Taïwan. L’idéologue Wang Huning, également membre du comité permanent du Bureau politique, a utilisé ce langage pour la première fois lors d’une conférence annuelle sur Taïwan le 23 février18, bien que des fonctionnaires de niveau inférieur aient employé cette expression dans les années précédentes. « Combattre » laisserait entrevoir des efforts plus importants pour déployer l’intimidation militaire et les sanctions économiques afin de dissuader le nouveau président de Taïwan, Lai Ching-te, de rechercher une plus grande autonomie par rapport à la Chine continentale.

Le point le plus intéressant à surveiller cette année est de savoir si le rapport gouvernemental et la CCPPC s’engageront à « combattre » plutôt qu’à simplement « s’opposer » ou « freiner » l’indépendance de Taïwan. Wang Huning a utilisé ce langage pour la première fois le 23 février.

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8 — Autres points de vigilance politiques

Le rapport comporte une section sur la protection sociale, qui devient de plus en plus importante pour la légitimité politique à mesure que la croissance ralentit et que le risque d’instabilité sociale augmente, comme le souligne le rapport de l’Asia Society China 2024 : What to Watch. Comme l’année dernière, le R.T.G devrait viser environ 12 millions de nouveaux emplois urbains et un taux de chômage urbain ne dépassant pas 5,5 %, en mettant davantage l’accent sur le chômage des jeunes et l’assurance chômage pour les travailleurs migrants. Le gouvernement devrait également répondre aux défis socio-économiques posés par le vieillissement de la population en renforçant le soutien aux services de garde d’enfants et de soins aux personnes âgées.

Le rapport comprend également une section sur la politique environnementale et climatique, mais, là encore, il est peu probable que de nouvelles annonces importantes soient faites. Il est possible que l’accent soit davantage mis sur les technologies vertes telles que l’énergie solaire, les batteries et les véhicules électriques — les « trois nouveaux secteurs » qui pourraient devenir des moteurs de croissance importants. Toutefois, bien que la capacité de production d’énergie propre augmente à un rythme soutenu, la Chine est loin d’avoir atteint ses objectifs de réduction de l’intensité énergétique et de l’intensité en carbone pour 2025. Il sera intéressant de voir si le discours de Li Qiang suggère que Pékin est toujours déterminé à faire ce qu’il faut pour atteindre ces objectifs dans le contexte d’une trajectoire économique plus difficile.

Des membres de l’orchestre militaire chinois répètent, un jour avant la session d’ouverture de la Conférence consultative politique du peuple chinois dans le Grand Hall du peuple à Pékin, le lundi 4 mars 2024. © AP Photo/Ng Han Guan

L’ANP entendra également les rapports annuels de la Commission nationale du développement et de la réforme (CNDR) sur le développement économique et social et du ministère des finances (MOF) sur les budgets centraux et locaux, ainsi que les rapports de travail du Comité permanent de l’ANP (CPANP), de la Cour populaire suprême (CPS) et du Parquet populaire suprême (PPS). Il tiendra également ses dernières délibérations sur la toute première révision de la loi organique du Conseil des affaires de l’État adoptée en 1980, qui modifiera l’organisation du Conseil de manière à renforcer le contrôle et le pouvoir de l’ANP.

Concernant la dimension environnementale, il est possible que l’accent soit mis sur les technologies vertes telles que l’énergie solaire, les batteries et les véhicules électriques — les « trois nouveaux secteurs » qui pourraient devenir des moteurs de croissance importants pour l’économie chinoise.

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Le rapport de travail de la CPANP fournira des indices sur les points de son plan législatif quinquennal19 qui figureront dans le plan législatif annuel qu’elle publiera en avril. Parmi les textes législatifs en cours relatifs à la politique économique et aux opérations commerciales que la CPANP pourrait privilégier cette année figurent la loi sur la taxe à la consommation, la loi sur la stabilité financière, la loi sur les litiges d’intérêt public, la loi sur les tarifs douaniers et la loi sur la taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que les révisions de la loi sur la comptabilité, de la loi contre la concurrence déloyale, de la loi sur les douanes, de la loi sur les faillites d’entreprises, de la loi sur le commerce extérieur et de la loi sur l’assurance.

Que fera Xi ?

Les Deux Sessions sont l’un des rares événements politiques en Chine où Xi n’est pas au premier plan. Les projecteurs seront théoriquement braqués sur le premier ministre Li Qiang, le président de l’ANP Zhao Leji et le président de la CCPPC Wang Huning. Les photos de ces lieutenants orneront la première page du Quotidien du Peuple, l’organe officiel du Parti, mais le journal continuera à suivre les moindres faits et gestes de Xi, en proposant des reportages en coulisses qui révèlent souvent des propos plus révélateurs que les principaux comptes-rendus de ses activités.

9 — Les remarques de Xi : des thèmes politiques d’envergure

Les contributions les plus importantes de Xi lors des Deux Sessions sont les remarques qu’il fait aux délégations provinciales de l’ANP et aux groupes sectoriels de la CCPPC, la Conférence Consultative Politique du Peuple Chinois. En 2023, il s’était adressé aux délégués de l’ANP du Jiangsu, à une réunion conjointe de deux groupes de la CCPPC, l’Association pour la construction démocratique de Chine (ACDC) et la  Fédération nationale de l’industrie et du commerce de Chine (FNICC), ainsi qu’aux délégués de l’APL, l’Armée populaire de libération,  et de la Police armée du peuple de l’ANP. Xi s’adresse toujours à ce contingent militaire mais il visite généralement des provinces et des secteurs différents d’une année à l’autre.

Les Deux Sessions sont l’un des rares événements politiques en Chine où Xi n’est pas au premier plan.

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Ces remarques reflètent ou préfigurent souvent des thèmes clefs de la politique nationale. L’année dernière, par exemple, Xi a déclaré aux délégués du Jiangsu20 que « la clef qui nous permettra de devenir une puissance socialiste moderne comme prévu est l’autosuffisance technologique et l’auto-amélioration ». Une anecdote21 a révélé qu’il avait ajouté : « À aucun moment nous ne devrions nous engager sur la voie de l’urgence pour obtenir des résultats, assécher l’étang pour attraper le poisson et ne nous soucier que du PIB ». Lors de la réunion FNICC-ACDC22, Xi a affirmé que « les pays occidentaux, menés par les États-Unis, ont mis en œuvre un endiguement, un encerclement et une répression contre la Chine ».

Ces commentaires laissent présager des politiques intérieures qui donnent la priorité à la sécurité par rapport à la croissance et des politiques étrangères qui mettent l’accent sur les liens avec la Russie et les pays du Sud. Toutefois, il est plus difficile de prévoir le cadre et les messages des activités de Xi que ceux du rapport de travail du gouvernement. L’un des points à surveiller est de savoir si Xi rendra visite à la délégation de l’ANP du Hunan, où le secrétaire local du parti a récemment lancé23 une « grande campagne de discussion pour émanciper l’esprit », qui a généré un battage médiatique considérable — mais probablement injustifié24 — au sujet d’une révision de la politique économique.

10 — Les résultats des votes de l’ANP : une mesure de la domination de Xi

L’emprise de Xi sur le Parti sera également suivie de près. L’ANP a approuvé tout ce qui a été soumis au vote, mais les marges d’approbation ne sont pas unanimes, car le vote soi-disant anonyme enhardit certains délégués à exprimer leur mécontentement à l’égard de certaines politiques ou de certains responsables en votant « non » ou en s’abstenant. En mars 2013, par exemple, après que la pollution de l’air eut atteint des niveaux record à Pékin, seuls 67 % des délégués avaient approuvé la liste des noms pour la nouvelle commission de l’environnement de l’ANP.

Le vote annuel moyen25 de l’ANP en faveur du RTG, du rapport de développement de la CNDR (la Commission Nationale du Développement et de la Réforme), du rapport budgétaire du Ministère des Finances et des rapports de travail du Comité Permanent de l’ANP (CPANP),  de la Cour populaire suprême (CPS) et du Parquet populaire suprême (PPS) est passé d’un minimum de 85,3 % en 2013, juste avant l’accession de Xi à la présidence, à un maximum de 98,6 % en 2023, deux décennies plus tard. Le fait qu’un plus grand nombre de délégués choisissent ou se sentent obligés d’approuver les moindres faits et gestes de Pékin démontre la plus grande emprise de Xi sur le pouvoir par rapport à ses prédécesseurs. Les votes seront probablement quasi-unanimes cette année encore, mais le malaise économique soulève la possibilité de votes de protestation qui pourraient ébranler la façade d’invincibilité de Xi. C’est là un autre point délicat à surveiller.

Le fait qu’un plus grand nombre de délégués choisissent ou se sentent obligés d’approuver les moindres faits et gestes de Pékin démontre la plus grande emprise de Xi sur le pouvoir par rapport à ses prédécesseurs.

Neil Thomas, Jing Qian

11 — La conférence de presse du Premier ministre : apprendre à connaître Li Qiang

À la fin des Deux Sessions, Li Qiang devrait tenir sa deuxième conférence de presse annuelle de premier ministre, selon une tradition commencée par Li Peng en 1991 et officialisée par Zhu Rongji en 1998. Mais Pékin l’a annulé purement et simplement.

L’année dernière, Li Qiang avait expliqué26 que Pékin pensait pouvoir gérer les retombées sociales du ralentissement de la croissance en poursuivant d’autres priorités politiques, en déclarant que « la plupart des gens ne s’intéressent pas à la croissance quotidienne du PIB, mais plutôt au logement, à l’emploi, au revenu, à l’éducation, aux soins médicaux, à l’environnement et à d’autres choses concrètes qui les entourent ». Sur un ton plus subversif, Li Keqiang a utilisé sa célèbre conférence de presse de 202027, dernière année de la guerre de Xi contre la pauvreté, pour déclarer que 600 millions de Chinois ne gagnaient toujours qu’environ 1 000 yuans par mois (140 dollars). Lors de sa dernière conférence de presse en 2012528, Wen Jiabao avait plaidé en faveur d’une « réforme structurelle politique » plus profonde. Cette année, on n’entendra donc pas le Premier ministre chinois s’exprimer dans ce format.

Le Premier ministre chinois Li Qiang boit pendant qu’il présente son rapport de travail lors de la session d’ouverture de l’Assemblée Nationale Populaire (ANP) au Grand Hall du Peuple à Pékin, Chine, mardi 5 mars 2024.© AP Photo/Andy Wong

12 — Couverture des dirigeants et des délégués : la politique des élites et les relations entre l’État et la société 

D’autres points de vigilance politiques concernent le profil correspondant aux principaux lieutenants de Xi. Son chef de cabinet, Cai Qi, occupera-t-il une place importante dans la couverture officielle, contrairement aux congrès précédents ? Si c’est le cas, cela confirmerait la faveur croissante dont il jouit en tant que « secrétaire général adjoint » informel de Xi. Li Qiang bénéficiera-t-il d’une couverture plus importante dans le Quotidien du Peuple que Li Keqiang ? Dans l’affirmative, cela indiquerait qu’il jouit d’une plus grande confiance politique et d’un champ d’action plus large que son prédécesseur. En sera-t-il de même pour Zhao Leji ou Wang Huning ?

Cai Qi, chef de cabinet de Xi Jinping, occupera-t-il une place importante dans la couverture officielle, contrairement aux congrès précédents ? Si c’est le cas, cela confirmerait la faveur croissante dont il jouit en tant que « secrétaire général adjoint » informel de Xi.

Neil Thomas, Jing Qian

Plus bas dans la hiérarchie politique, le fait de suivre les délégués et les propositions mises en avant par les médias du parti donne une bonne indication des enjeux que le parti souhaite faire connaître au public, à la fois pour asseoir sa légitimité et pour mettre en évidence les domaines prioritaires pour l’élaboration des politiques futures. Certaines propositions de loi soumises par les délégués peuvent même influencer l’orientation et le rythme de l’agenda législatif de l’ANP29. Ces dernières années, renforcer la protection de l’environnement, rendre plus abordable la création de famille et créer des emplois pour les diplômés de l’université étaient les thèmes les plus populaires. Ces priorités témoignent des interactions continues, bien que limitées, entre l’État et la société en Chine : l’État continue de surveiller les principales sources de mécontentement de la société pour chercher à y répondre.

Ressources humaines : un retour à la normales dans les ministères des Affaires étrangères et de la Défense ?

Le début de l’année dernière a achevé le triomphe politique de Xi initié lors du 20e congrès du parti en octobre 2022 : la sélection d’une liste de loyalistes pour les postes de direction au sein de l’ANP, de la CCPPC et du Conseil des affaires de l’État avait été assurée avant et pendant les Deux Sessions de mars 202330.

Mais certains de ces choix se sont rapidement révélés peu judicieux. Qin Gang a été démis de ses fonctions de ministre des Affaires étrangères en juillet et a démissionné de son poste de délégué à l’ANP le 27 février31, prétendument en raison d’indiscrétions personnelles lorsqu’il était ambassadeur aux États-Unis. Li Shangfu a été démis de ses fonctions de ministre de la Défense en octobre, à la suite d’informations selon lesquelles il faisait l’objet d’une enquête pour corruption. Tous deux ont été démis de leurs fonctions simultanées de conseiller des Affaires de l’État, un poste de rang supérieur qui les plaçait parmi les quelques dizaines de dirigeants les plus importants de Chine.

Pékin devrait profiter de ces Deux Sessions pour achever la transition vers leurs successeurs. L’approbation des décisions relatives au personnel lors de la session annuelle de l’ANP, qui compte 2 977 membres, plutôt que lors d’une réunion bimestrielle du Comité Permanent de l’ANP (CPANP), qui compte 175 membres et qui détient des pouvoirs similaires en matière de personnel, confère un vernis de légitimité supplémentaire à ces changements inattendus.

12 — Un nouveau ministre des Affaires étrangères ?

Liu Jianchao est le grand favori pour devenir le nouveau ministre des Affaires étrangères de la Chine. Liu est actuellement directeur au niveau ministériel du département international du parti, qui s’occupe des relations entre les partis plutôt qu’entre les États. Diplomate chevronné, il a été ministre adjoint des Affaires étrangères, responsable de la lutte contre la corruption à l’étranger de Xi, chef de la discipline de la base du pouvoir de Xi, située dans la province de Zhejiang, et directeur adjoint du Bureau central des Affaires étrangères du parti (BCAE) sous Xi. Parmi les autres candidats figurent Ma Zhaoxu, vice-ministre exécutif des Affaires étrangères, qui a récemment représenté la Chine lors d’une réunion des ministres des Affaires étrangères du G20, et Liu Haixing, un ancien diplomate qui occupe le poste de directeur exécutif adjoint de la Commission centrale de sécurité nationale.

Liu Jianchao est le grand favori pour devenir le nouveau ministre des Affaires étrangères de la Chine.

Neil Thomas, Jing Qian

Liu est le seul diplomate actif de niveau ministériel au sein du comité central, et son calendrier chargé de voyages diplomatiques de haut niveau suggère qu’il est mis à l’épreuve en vue d’une promotion. En janvier, il a conduit une délégation exceptionnellement diversifiée de diplomates, d’économistes et de fonctionnaires provinciaux aux États-Unis, où il a rencontré le secrétaire d’État Antony Blinken et un grand nombre de fonctionnaires, de cadres et d’universitaires. Liu est un diplomate talentueux et un anglophone sophistiqué, capable de défendre les intérêts de la Chine sans s’aliéner ses interlocuteurs. Il pourrait aider Xi à stabiliser ses relations avec l’Occident et à réparer certains des dommages causés par la diplomatie agressive de « loups guerriers ».

Mais il est possible que Liu ne soit pas retenu. Wang Yi, le numéro un de diplomatie chinoise, qui siège au Bureau politique du Parti (24 personnes) en tant que directeur du CFAO, a remplacé Qin en tant que ministre des Affaires étrangères en juillet dernier, reprenant un rôle qu’il a occupé de mars 2013 à décembre 2022. Wang est largement considéré comme un intérimaire, étant donné qu’il occupe un autre poste de haut niveau, mais il domine désormais l’espace politique diplomatique en dessous de Xi, ce qui amène certains à Pékin à spéculer sur le fait qu’il pourrait conserver son rôle.

Si Liu devient ministre des Affaires étrangères, la question est de savoir s’il deviendra également conseiller des Affaires de l’État. Dans l’affirmative, il serait l’héritier présomptif de Wang au poste de premier diplomate après le XXIe congrès du parti en 2027 et aurait une voix plus importante dans la prise de décision. Dans le cas contraire, il resterait bien en dessous de Wang dans la hiérarchie et pourrait se tourner vers des politiques plus belliqueuses pour tenter d’impressionner Xi.

Si Liu devient ministre des Affaires étrangères, la question est de savoir s’il deviendra également conseiller des Affaires de l’État. Dans l’affirmative, il serait l’héritier présomptif de Wang

Neil Thomas, Jing Qian

13 — De nouvelles promotions pour le nouveau ministre de la Défense ?

Dong Jun a remplacé Li Shangfu au poste de ministre de la Défense en décembre. Le Congrès national populaire devrait le promouvoir au poste de conseiller des Affaires de l’État et à la Commission militaire centrale (CMC) de l’État, qui est l’homologue de l’organe du même nom du Parti, identique mais plus autoritaire. Dong est membre du comité central, mais il devra attendre la troisième session plénière avant de pouvoir rejoindre la CMC du parti.

Dong était commandant de la marine de l’Armée populaire de libération (APL) depuis août 2021. Il est le premier officier de marine à occuper le poste de ministre de la Défense, ce qui constitue une première pour la marine sous le mandat de Xi et un signe parmi plusieurs autres de l’importance croissante accordée par Pékin à la puissance maritime. Dong possède également une expérience de commandement dans des zones sensibles telles que la mer de Chine orientale et la mer de Chine méridionale, ce qui témoigne de l’importance pour Xi de faire avancer les revendications maritimes de Pékin dans ces zones.

Le personnel de sécurité enlève une protection contre la pluie pour les marches du Grand Hall du Peuple avant la session d’ouverture de l’Assemblée populaire nationale (APN) à Pékin, Chine, mardi 5 mars 2024. © AP Photo/Ng Han Guan

14 — De nouveaux conseillers des Affaires de l’État ?

Dong est le principal diplomate militaire de la Chine, et Liu serait le principal interlocuteur de la Chine auprès des gouvernements étrangers. Leur confier les mêmes rôles et pouvoirs que leurs prédécesseurs aiderait Pékin à améliorer son rayonnement international à un moment où l’incertitude économique et les conflits géopolitiques sont importants. Si ni Dong ni Liu ne deviennent conseillers des Affaires de l’État, cela pourrait indiquer un degré plus élevé de méfiance et de paralysie au centre du leadership de Xi et des perspectives moins bonnes pour les tentatives de la Chine de gérer les tensions avec l’Occident et de diriger le Sud global.

Si ni Dong ni Liu ne deviennent conseillers des Affaires de l’État, cela pourrait indiquer un degré plus élevé de méfiance et de paralysie au centre du leadership de Xi.

Neil Thomas, Jing Qian

15 — Autres remaniements ?

Une rumeur circule selon laquelle Wang Qingxian, gouverneur de l’Anhui, pourrait remplacer Sun Yeli au poste de directeur du Bureau d’information du Conseil des affaires de l’État, la principale agence de propagande externe du Parti. Wang est un ancien journaliste qui a travaillé avec plusieurs collaborateurs de Xi dans le Shanxi et le Shandong. Sa nomination, qui fait suite aux appels de Xi à améliorer la propagande économique, donnerait plus de poids à l’opinion selon laquelle Xi considère que les difficultés du marché chinois sont avant tout un problème de discours. Meng Fanli, secrétaire du parti de la ville de Shenzhen, pourrait succéder à Wang dans l’Anhui.

Une autre rumeur affirme que la direction du ministère de l’écologie et de l’environnement (MEE) pourrait être renouvelée pour la première fois depuis avril 2020. Cette idée relève davantage de la spéculation, car le secrétaire du parti Sun Jinlong et le ministre Huang Runqiu sont tous deux bien en deçà de l’âge de la retraite ministérielle, fixé à 65 ans. Toutefois, Sun était lié à la faction de la Ligue de la jeunesse communiste, aujourd’hui décimée, et Huang n’est pas membre du Parti communiste, de sorte que Xi pourrait vouloir les remplacer par des alliés politiques plus proches. Une autre possibilité est le remplacement du ministre des transports Li Xiaopeng — le fils de l’ancien premier ministre Li Peng — qui aura 65 ans en juin et occupe ce poste depuis 2016.

Sources
  1. 李强主持召开国务院第三次全体会议
  2. Xi Signals More Growth but Same Strategy at China’s Central Economic Work Conference | Asia Society
  3. 中共中央政治局召开会议讨论政府工作报告中共中央总书记习近平主持会议
  4. 李强主持召开国务院第三次全体会议
  5. 李强主持召开国务院常务会议–新闻报道
  6. Neil Thomas, Xi Jinping Is Trying to Adapt to Failure, Foreign Policy, 24 juillet 2023.
  7. 中央政治局委员书记处书记全国人大常委会国务院全国政协党组成员最高人民法院最高人民检察院党组书记向党中央和习近平总书记述职
  8. 习近平主持召开中央财经委员会第四次会议强调推动新一轮大规模设备更新和消费品以旧换新有效降低全社会物流成本
  9. China’s Economy Ahead of the Third Plenum : The End of the “China Miracle” ? | Asia Society
  10. Through the Looking Glass : China’s 2023 GDP and the Year Ahead | Rhodium Group
  11. 李强在世界经济论坛2024年年会开幕式上的特别致辞(全文)-新华网
  12. China’s ‘two sessions’ 2024 : have new pressures already fractured last year’s economic model ?
  13. 习近平主持召开中央全面深化改革委员会第四次会议
  14. 李强会见日本经济界访华团
  15. China’s Central Foreign Affairs Work Conference : Implications for PRC Foreign Policy | German Marshall Fund of the United States
  16. 李强会见美国商会访华团-新华网
  17. What Does China Really Spend on its Military ? | ChinaPower Project
  18. 2024年对台工作会议在京召开
  19. 十四届全国人大常委会立法规划14th NPCSC Legislative Plan – 维基文库,自由的图书馆
  20. 牢牢把握高质量发展这个首要任务
  21. “我常说两个必保”(两会现场观察)
  22. 正确引导民营经济健康发展高质量发展
  23. 中共湖南省委关于在全省开展解放思想大讨论活动的通知
  24. Lire plus
  25. Xi Jinping is gaining support from Party elites, the numbers say
  26. 李强总理出席记者会并回答中外记者提问__中国政府网
  27. 国务院总理李克强回答中外记者提问(实录全文)-新华网
  28. 国务院总理温家宝答记者问(实录全文)
  29. Explainer : What Happens to the Delegate Bills Introduced During Annual NPC Sessions ?
  30. What To Watch During the Two Sessions | Asia Society
  31. 受权发布丨全国人民代表大会常务委员会公告〔十四届〕第三号
Crédits
Cette étude a été produite par Asia Society. En plus des auteurs, les experts Taylah Bland, Andrew Chubb, G.A. Donovan, Jie Gao, Bates Gill, Bert Hofman, Lizzi C. Lee, Li Shuo, Kate Logan, Lyle Morris, Haolan Wang, Shengyu Wang, Guoguang Wu, Gavin Xu, Hongjia Yang et Yifan Zhang y ont également contribué. Nous remercions Philippe Le Corre pour la mise en relation.