1 — La tension entre une défense européenne toujours « made in the US » et la (non)-préparation des scénarios électoraux
En 2023, la guerre de la Russie contre l’Ukraine a clairement démontré que la sécurité européenne continue à être « made in the US ». La défense territoriale et la dissuasion nucléaire en Europe, faute de capacités européennes, reposent sur la volonté des États-Unis d’assurer la défense du continent. Or l’avenir de la défense européenne au-delà de 2024 et de la garantie de sécurité que constituent les États-Unis ne dépendra pas seulement de la bonne volonté de l’administration américaine, mais très concrètement de l’électorat républicain et de sa volonté ou non de soutenir un deuxième mandat de Donald Trump. Ce scénario alarme les capitales européennes en raison du risque posé par une remise en question potentielle de la clause de défense mutuelle de l’OTAN, une forte réduction ou un arrêt du soutien américain à l’Ukraine et, plus généralement, par une imprédictibilité de la politique étrangère américaine.
Les élections américaines constituent ainsi le plus grand défi pour la défense européenne en 2024 : d’un côté, les États-Unis sont un partenaire indispensable pour les Européens et un pilier essentiel pour la dissuasion de la Russie. De l’autre, les tendances structurelles de la politique étrangère américaine — qui se sont déjà manifestées avant l’ère Trump, et ont continué sous l’administration Biden — indiquent que le soutien américain à l’Ukraine et leur engagement dans la sécurité européenne constitue plutôt une parenthèse résultant d’une nécessité stratégique. Même dans les capitales les plus « atlantistes », qu’il s’agisse de Berlin ou des pays d’Europe de l’Est, les décideurs européens sont bien conscients que le retour des États-Unis à un engagement fort en Europe n’est que de courte durée. Celui-ci est avant tout motivé par des calculs géopolitiques, tandis que la priorité de la politique étrangère américaine est clairement le théâtre indo-pacifique et la compétition avec la Chine.
En 2024, les Européens font ainsi face à un dilemme : ils doivent trouver un chemin permettant de garder les États-Unis engagés dans la sécurité européenne tout en entamant la préparation de stratégies visant à mitiger les risques d’un éventuel abandon en cas de réélection de Donald Trump. La seule possibilité pour y aboutir serait de renforcer significativement les capacités européennes, que ce soit dans les domaines opérationnel, stratégique, ou industriel — mais pour le moment, les mesures prises et la volonté politique d’aller plus loin sont insuffisantes pour y aboutir.
2 — Les accords bilatéraux avec les États-Unis : vers une fragmentation ou un renforcement de la défense européenne ?
Au cours des derniers mois, plusieurs États européens ont renforcé leur coopération de défense avec les États-Unis par la conclusion d’accords bilatéraux. Par ces derniers, le Danemark 1, la Finlande 2 et la Suède 3 affirment leur volonté de coopérer davantage dans le domaine de la sécurité et de la défense, ce qui se traduit par un renforcement des dialogues stratégiques et de la coopération dans le domaine de l’industrie de défense — soit l’acquisition de capacités américaines.
La conclusion de ces accords, un an avant l’élection présidentielle américaine, n’est pas un hasard. Celle-ci peut davantage être interprétée comme une sorte d’assurance supplémentaire pour les États européens qui s’y sont décidés, dans la mesure où ces accords leur permettent d’établir des structures les liant d’ores et déjà aux États-Unis. Ces liens seront d’autant plus importants dans le scénario d’une deuxième administration Trump puisque le risque d’abandon par les États-Unis constitue un enjeu sécuritaire crucial pour les États situés aux flancs de l’Union européenne. L’acquisition de capacités américaines pourrait ainsi permettre aux Européens de témoigner de leurs efforts dans le domaine de la défense transatlantique. Les structures de dialogue bilatéral permettront quant à elles de faciliter la mise en œuvre d’accords visant à s’assurer qu’une nouvelle administration Trump resterait engagée dans la défense de l’Europe — par exemple en échange d’un alignement avec la politique étrangère américaine vis-à-vis de la Chine.
Dans une perspective collective, les implications de ces accords pour la défense européenne sont mixtes. Certes, le renforcement des liens bilatéraux de certains pays européens avec les États-Unis peut contribuer à surmonter des divergences entre Européens et Américains au sein de l’OTAN. Néanmoins, il semble peu probable que la perception de l’Union européenne en tant qu’acteur sécuritaire à Washington puisse bénéficier de cette tendance. Si le lancement d’un dialogue de sécurité bilatéral entre les États-Unis et l’Union européenne avait constitué un véritable progrès, la multiplication d’initiatives ne constitue pas une approche coordonnée mais présente le risque d’une fragmentation. Ces accords constituent ainsi une mauvaise nouvelle pour ceux qui visent une plus grande autonomie européenne dans le domaine de la défense puisqu’ils créent de nouvelles dépendances stratégiques en ce qui concerne l’industrie de défense.
3 — Le soutien européen à l’Ukraine à l’épreuve du temps : enjeux industriels et politiques
Le soutien européen apporté à l’Ukraine depuis le lancement de l’invasion russe à grande échelle a été inédit. Il est aujourd’hui, en termes de contributions totales, supérieur à celui des États-Unis selon les données du Kiel Institute for the World Economy. Or deux ans après le lancement de l’invasion, la trajectoire future de ce soutien est de plus en plus incertaine : les réserves d’armes européennes continuent de s’épuiser, et le soutien financier à Kiev pèse sur les budgets des États-membres. Dans un contexte où la situation militaire semble de moins en moins favorable à l’Ukraine — au moins pour qu’elle atteigne l’objectif de restaurer son intégrité territoriale complète —, de nombreux sondages démontrent l’émergence d’une lassitude de guerre dans les opinions publiques européennes 4.
Les dirigeants européens font ainsi face à l’épreuve du temps. Dans une perspective militaire, il est évident que les livraisons d’armes ont permis à l’Ukraine de résister à l’attaque russe jusqu’ici, et que la prolongation voire le renforcement de cet effort sera crucial pour éviter que la Russie ne gagne cette guerre. Dans le même temps, les réserves européennes continuent de s’épuiser, et les capacités de production industrielle s’avèrent insuffisantes pour répondre à la demande accrue. Si la facilité européenne pour la paix a incité les États-membres à fournir des systèmes d’armes à l’Ukraine, la mise en œuvre d’un financement pérenne, et ainsi moins dépendant des décisions du Conseil, apparaît pour le moment peu probable. Bien que le modèle français de fonds spécial permettant l’acquisition d’armes par Kiev directement auprès de son industrie de défense est certainement une contribution importante, ces approches nationales ne pourront probablement pas répondre aux besoins de l’armée ukrainienne — de plus en plus épuisée.
Dans une perspective politique, il sera de plus en plus compliqué de convaincre les citoyens européens de l’importance de cet effort. Depuis le début de la guerre, certains chefs d’État ou de gouvernement ont choisi les formulations d’un soutien à l’Ukraine pour « aussi longtemps que nécessaire » ou « jusqu’à la victoire de l’Ukraine », sans définir un horizon précis ou des échéances concrètes. Le contexte de l’émergence d’une lassitude de la guerre chez les opinions publiques européennes démontre que cette stratégie a été prudente puisqu’elle permet ainsi aux décideurs d’adapter leur communication. Au lieu de permettre d’atteindre des résultats militaires concrets, ces derniers peuvent mettre l’accent sur tout ce que l’Ukraine a accompli au cours des dernières années, notamment la mise en échec de la quasi-totalité des objectifs stratégiques russes. Cet ajustement narratif permettra également d’expliquer la nécessité de continuer ce soutien. Il sera d’autant plus crucial d’adopter une telle stratégie à l’approche des élections européennes afin d’empêcher que celles-ci ne se traduisent par un basculement populiste au niveau européen, sanctionnant ainsi les gouvernements nationaux.
4 — Les élections européennes et les priorités de la nouvelle Commission pour l’Europe géopolitique détermineront le niveau d’ambition pour l’Europe de la défense
Contrairement aux autres politiques européennes, la politique de défense sera relativement moins impactée par les élections européennes. Puisque la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) demeure largement intergouvernementale, la procédure de co-décision ne s’applique pas dans ce domaine, et la composition du Parlement européen n’aura donc pas d’impact sur les formes d’initiatives ou les instruments 5. Néanmoins, l’importance des élections européennes pour la défense européenne ne devrait pas être sous-estimée.
Premièrement, le Parlement européen élit le président ou la présidente de la Commission européenne et approuve les commissaires, disposant ainsi d’une force de véto importante. Par conséquent, la composition du Parlement, et tout particulièrement la force des partis eurosceptiques et populistes, aura un impact direct sur l’accès (ou non) de certains candidats au leadership européen. Malgré les compétences relativement limitées de la Commission dans le domaine de la sécurité et de la défense, elle joue néanmoins un rôle important pour l’élaboration de nouvelles politiques, instruments, et pour la formulation de stratégies après un mandat échéant du Conseil européen. La Commission actuelle a clairement démontré que l’ambition au plus haut niveau de faire avancer l’Europe comme acteur géopolitique a constitué un élan important pour faire adopter des instruments et stratégies. Si cet élan faiblit à la suite d’un changement de leadership, cela aura un impact direct sur la capacité de l’Union d’adopter des politiques renforçant son rôle comme acteur de sécurité et défense.
Deuxièmement, la défense européenne ne se construit pas exclusivement dans le domaine de la PSDC, mais également à travers d’autres volets de la politique européenne, à l’instar du domaine des libertés, de la sécurité et de la justice, ou des politiques budgétaires. Dans ces domaines, la procédure de co-décision s’applique, et le Parlement européen a ainsi son mot à dire. Dans le scénario d’un Parlement européen composé de groupes euro-sceptiques plus forts, il sera plus compliqué de faire voter des propositions budgétaires ambitieuses, qu’il s’agisse de moyens pour soutenir l’Ukraine ou de politiques visant à construire la base industrielle et technologique de l’Europe de la défense.
5 — Les coalitions des pays « able and willing » : un nouveau mode de coopération opérationnelle dans la sécurité européenne ?
Adoptée en 2022, la Boussole stratégique de l’Union européenne constitue le premier livre blanc pour la défense européenne d’ici 2030. Un des livrables à atteindre au cours de l’année 2024 est l’accord sur l’usage de l’article 44 du traité de l’Union européenne, qui permet aux États-membres de déléguer une tâche de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) à un groupe de pays capable et volontaire de se charger de son exécution. En d’autres termes, cet article constitue la base légale pour la création de coalitions ad hoc au sein de l’Union. Cette mesure est particulièrement intéressante pour certains États-membres puisqu’elle permet à ceux qui le souhaitent d’aller plus loin sans être contraints par la réticence ou le véto d’autres pays.
Dans la trajectoire de l’élargissement de l’Union européenne, de tels mécanismes semblent indispensables pour assurer la capacité de l’Europe de réagir aux crises, mais ils peuvent d’ores et déjà être un moyen utile pour permettre aux Européens d’agir lorsque leurs priorités de sécurité divergent. Une telle nécessité pourrait également voir le jour en 2024, si une crise dans le voisinage européen requiert l’engagement européen. Dans le contexte de l’escalade des tensions en mer Rouge, l’Espagne s’est d’ores et déjà prononcée en faveur du lancement d’une mission européenne hors du cadre de l’opération Atalanta, qui vise à lutter contre la piraterie 6.
6 — La stratégie de l’industrie de défense européenne sera une étape cruciale pour construire l’Europe de la défense
Si les premières mesures pour renforcer l’industrie de défense européenne — à l’instar du fonds européen de défense ou de certains projets de la coopération structurée permanente (PESCO) — ont déjà été adoptées il y a quelques années, la guerre de la Russie contre l’Ukraine a brutalement rappelé aux Européens l’importance d’une véritable politique industrielle en matière de sécurité et de défense. La nécessité de penser la défense européenne de manière intégrée, c’est-à-dire d’aligner les objectifs stratégiques et les capacités industrielles, s’est déjà concrétisée dans quelques mesures prises à Bruxelles en 2023, comme l’action au soutien à la production de munitions (ASAP) ou le règlement visant à renforcer l’industrie européenne de la défense au moyen d’acquisitions conjointes (EDIRPA). Pour 2024, la Commission européenne prévoit d’aller au-delà de ces mesures ad hoc, qui prendront fin d’ici fin 2025, en présentant une stratégie pour l’industrie de défense européenne 7.
Selon son niveau d’ambition, cette stratégie aura des implications considérables pour l’avenir de l’Europe de la défense. Premièrement, un véritable volet de politique industrielle au niveau européen pourrait constituer un levier important pour l’harmonisation des industries de défense nationales et, à terme, faciliterait la coopération. Au-delà des questions d’interopérabilité et de standards, des moyens budgétaires au niveau européen pourraient également contribuer aux projets de co-développement ou d’armement multinationaux sur le moyen-terme. Plus immédiatement, ils pourraient favoriser l’acquisition commune de capacités européennes, notamment en matière de munitions. Plus largement, cette stratégie reflètera l’ambition de l’Union au niveau géopolitique. Le poids économique et la capacité de régulation de l’Union pourraient prendre une importance particulière si elle les mobilisait dans le domaine de la défense.
7 – La Pologne peut jouer un rôle clef dans la défense européenne, mais ses choix doivent se clarifier
Les élections polonaises d’octobre 2023 et la prise de pouvoir de la nouvelle coalition réunie autour de Donald Tusk, ancien président du Conseil européen, ont suscité de l’enthousiasme auprès des partenaires européens 8. Après des années très difficiles sous les gouvernements eurosceptiques du PiS et une forte réticence de la part de Varsovie à faire avancer l’intégration européenne, la prise de pouvoir de la nouvelle coalition donne de l’espoir pour relancer une coopération constructive avec la Pologne sur un certain nombre de dossier clefs, y compris la défense européenne.
La liste de priorités du nouveau Premier ministre — au niveau européen comme au niveau bilatéral — reste longue : la relation bilatérale avec l’Allemagne — probablement celle qui a le plus souffert au cours des années PiS — reste à reconstruire, et la Pologne doit inventer une véritable politique européenne qui aille au-delà du blocage et lui permette d’affirmer son poids au sein des institutions européennes. Si Varsovie, sous le gouvernement Tusk, réussit à se positionner dans le domaine de la défense européenne au sein de l’Union, cela pourrait contribuer à un rééquilibrage en termes d’initiatives — nombre d’entre elles, à l’instar du fonds européen de défense ou de la facilité de paix, ayant surtout été lancées par Paris ces dernières années. De même, une Pologne volontaire à jouer un rôle plus actif en Europe pourrait également permettre de relancer le triangle de Weimar — le format trilatéral entre la France, l’Allemagne et la Pologne — en tant que force de proposition d’initiatives européennes.
Si le nouveau gouvernement polonais peut constituer une véritable opportunité pour faire avancer l’Europe de la défense au sein de l’Union, il reste à voir si la préférence historique du pays pour construire l’Europe de la défense avant tout dans le cadre de l’OTAN prime sur l’intégration de défense au sein de l’Union. Bien que ces derniers ne s’excluent pas mutuellement, certains choix, tels que l’acquisition de capacités ou la volonté de mettre en place certaines structures à un niveau européen, façonnent directement les opportunités d’approfondir la coopération en matière de défense au sein de l’Union européenne.
8 — Élections au Royaume-Uni : fenêtre d’opportunité pour repenser la coopération de défense européenne après le Brexit
Si les élections européennes et américaines seront certainement au centre de l’attention des Européens, les élections outre-Manche constitueront également un événement politique important pour l’avenir de la défense européenne. La réponse ferme du Royaume-Uni à la guerre russe contre l’Ukraine a clairement démontré l’investissement de Londres dans la sécurité et la défense européenne, tout comme sa fiabilité en tant qu’allié dans l’espace euro-Atlantique. Cependant, en dépit de son engagement au sein de l’OTAN, la coopération entre le Royaume-Uni et l’Union européenne dans les domaines de la sécurité et de la défense demeure très limitée, en contraste avec ses investissements dans des formats de coopération mini-latérale tels que la JEF ou des liens bilatéraux. Le seul succès notable de ces dernières années a été l’adhésion du Royaume-Uni au projet de mobilité militaire de la coopération permanente structurée (PESCO), bien qu’une coopération plus étroite dans ce domaine semble actuellement hors de vue 9.
Selon les sondages actuels, une victoire du Parti travailliste (Labour) lors des élections britanniques qui doivent se tenir avant le 28 janvier 2025 ne peut pas être exclue. Certes, ces chiffres restent volatiles, et il serait erroné de se baser exclusivement sur cette hypothèse pour repenser la coopération entre le Royaume-Uni et l’Union européenne dans le domaine de la sécurité et de la défense. Néanmoins, l’élection d’un gouvernement plus pro-européen au Royaume-Uni pourrait constituer une fenêtre d’opportunité importante pour reprendre un travail de réflexion portant sur des initiatives concrètes et une coopération renforcée, qu’elle soit structurée ou ad hoc — réflexion qui s’impose même sans un nouvel élan pro-européen à Londres. Si le scénario d’une deuxième administration Trump se concrétise, cette coopération ainsi que des avancées concrètes et rapides seront importantes ; c’est pourquoi la nouvelle Commission devrait être prête à proposer des idées concrètes à Londres après les élections, et ce quel que soit le gouvernement en place.
9 — La « posture » européenne en Indo-pacifique dans le contexte de la compétition sino-américaine reste à définir
L’Indo-pacifique est devenu un sujet de plus en plus important pour la défense européenne. Puisqu’une part significative du commerce extérieur de l’Union européenne (40 % des importations extra-européennes et 27 % des exportations en 2021) est liée à la région, la sécurité maritime et la liberté de navigation y constituent des intérêts primordiaux 10. Au cours des années précédentes, les déploiements navals de plusieurs États européens — en particulier la France, le Royaume-Uni, et l’Allemagne — ont témoigné de l’importance représentée par la région pour les Européens, comme de leur volonté de s’y engager. Ces déploiements sont censés se poursuivre en 2024 du côté français et allemand, et en 2025 du côté britannique, sans qu’il ne s’agisse toutefois d’une coopération formelle.
Cet engagement des Européens s’inscrit dans un contexte géopolitique marqué par la compétition de plus en plus accrue entre les États-Unis et la Chine. Pour le moment, la division de tâches émergentes entre l’Union européenne (pour les enjeux économiques et environnementaux) et les États-membres individuels (pour les questions de défense) semble prometteuse dans la mesure où les niveaux d’ambition et les capacités des États-membres divergent 11. Néanmoins, celle-ci constitue également une faiblesse stratégique de l’Union européenne — et des Européens plus généralement — puisqu’elle manque d’une approche et d’un positionnement commun dans la région. Dans un contexte où les États-Unis demandent plus d’alignement de la part des Européens contre la Chine — par exemple en s’appuyant davantage sur l’OTAN — et où Pékin encourage les Européens à l’autonomie stratégique — où elle est (mal) comprise comme une rupture transatlantique —, cette coordination de défense européenne nécessite une réflexion stratégique plus large.
10 — La nécessité de gérer de multiples crises mettra à l’épreuve la capacité des Européens à se mettre d’accord sur les priorités pour la défense européenne
En 2023, les crises se sont multipliées dans le voisinage de l’Union européenne. Celle qui a suscité la plus grande inquiétude parmi les Européens — mis à part la guerre de la Russie contre l’Ukraine, évidemment — est certainement l’escalade des tensions à la suite de l’attaque du Hamas le 7 octobre. Cette dernière a violemment démontré ce que les pays d’Europe du sud n’avaient cessé de répéter : les risques sécuritaires au sud du continent — qu’il s’agisse d’instabilité étatique ou de terrorisme international — persistent, même s’ils ont été moins prioritaire dans l’agenda bruxellois dans le contexte de l’urgence immédiate de soutenir l’Ukraine.
En 2024, les crises et conflits au flanc sud de l’Union européenne risquent de s’aggraver, à la fois sur le plan militaire et humanitaire. Selon l’International Crisis Group, les situations sécuritaires au Soudan, en Éthiopie et au Sahel sont particulièrement volatiles et s’ajoutent à la multiplication d’escalades de tensions au Moyen-Orient, d’Israël et Gaza à l’Iran et la mer Rouge, tout comme aux situations humanitaires désastreuses au Yémen et en Libye 12. Quelle que soit l’évolution exacte de ces conflits, il apparaît que ces derniers poseront un défi humanitaire massif pour les Européens.
Au-delà de la question migratoire, qui n’est pas suffisamment résolue, la lutte contre le terrorisme — à l’instar d’une coalition internationale, comme celle annoncée par Emmanuel Macron en octobre — ou alors la sécurisation des voies maritimes pourrait également nécessiter une réponse européenne sous la forme d’une mission. Si cela se concrétise, les Européens feront face au défi de se mettre d’accord sur leurs priorités en matière de sécurité et d’équilibrer l’effort de gestion de crise et le soutien à l’Ukraine. L’utilisation de l’article 44 — la délégation d’une tâche de la PSDC à un groupe d’États-membres — pourrait être une solution permettant à l’Union d’agir, mais elle ne résoudra pas le problème des capacités européennes limitées.
Sources
- Georgina DiNardo, « U.S. signs defense cooperation agreement with Denmark », Inside Defense, 21 décembre 2023.
- Anne Kauranen et Essi Lehto, « Finland to sign defence pact with US », Reuters, 14 décembre 2023.
- Astri Edvardsen, « Sweden and the US Signs Defense Cooperation Agreement », High North News, 8 décembre 2023.
- Susi Dennison et Pawel Zerka, « Europe’s Emerging War Fatigue : How to Shore Up Falling Support for Ukraine », Foreign Affairs, 18 décembre 2023.
- Gesine Weber, What’s at Stake in the EU Elections : Security and Defense, German Marshall Fund of the United States, 7 décembre 2023.
- « Spanish PM open to creation of new EU mission to protect vessels in Red Sea », Reuters, 27 décembre 2023.
- Commission launches comprehensive consultation process with stakeholders aiming to deliver a European Defence Industrial Strategy, Commission européenne, 27 octobre 2023.
- Pawel Zerka, Message in a ballot : What Poland’s election means for Europe, European Council on Foreign Relations, 18 octobre 2023.
- Cristina Gallardo, « UK joins EU military mobility project », Politico, 10 novembre 2022.
- EU trade with the Indo-Pacific region, Eurostat, 28 novembre 2022.
- EU-Indo Pacific Strategy, Service européen pour l’action extérieure, 11 mai 2023.
- Comfort Ero et Richard Atwood, 10 Conflicts to Watch in 2024, International Crisis Group, 1er janvier 2024.