Adopté en 2020, le plan de relance et d’investissement Next Generation European Union (NGEU) semble constituer, pour l’Union européenne, le premier prototype d’un changement de paradigme encore hésitant. L’observation détaillée de son déploiement au cours des dernières années constitue, par conséquent, un prisme incontournable pour comprendre l’Union aujourd’hui et préfigurer son avenir.

Conçu immédiatement après le début de la pandémie, il représente une étape historique, tant son adoption aurait semblé inconcevable quelques années auparavant. D’une ampleur inédite — plus de 800 milliards d’euros —, le plan s’est donné pour objectif de soutenir la reprise économique en investissant dans la transition écologique et la transformation numérique de l’Union européenne. Alloué sous forme de subventions ou de prêts aux États membres, il alimente les plans de relance nationaux mis en œuvre à la suite de la crise sanitaire et économique 1.

NGEU est le produit de la rencontre entre une idée ancienne – celle de l’endettement commun des pays de l’UE – et une situation historique inédite – la crise sanitaire et économique déclenchée par la pandémie. L’ampleur de la crise, marquée par les confinements, la mise à l’arrêt des économies ou les pénuries de biens essentiels, a momentanément atténué des divergences politiques pourtant solidement ancrées entre les membres de l’Union. Les États les plus réticents se sont ainsi convertis à l’idée d’un endettement commun. C’est certes par le jeu de la négociation, mais également car les bases de celle-ci avaient été déplacées par les circonstances, illustrant pleinement l’adage de Jean Monnet : « L’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises » 2.

Depuis 2020, l’Union est animée par une tension permanente entre les principes libéraux qui ont guidé sa construction et les nouvelles nécessités économiques et stratégiques, révélées par la crise sanitaire ou la guerre en Ukraine. Le plan NGEU ouvre-t-il une nouvelle ère politique pour l’Union européenne, ou ne restera-t-il qu’une expérimentation sans lendemain ?

1 — Un plan de relance et d’investissement sans précédent

Au regard de la construction européenne, le plan NGEU présente un caractère doublement historique. Premièrement par sa dimension initiale : 807 milliards d’euros sur une période de 6 ans (2021-2026), ce qui revient presque à doubler le montant annuel du budget européen 3. Deuxièmement, ce programme réactive une idée ancienne de la construction européenne : son financement repose sur un endettement commun de l’Union européenne, à travers la Commission européenne, qui devra être remboursé non par les États membres mais par les ressources propres de l’Union (cf. point 8).

Le plan NGEU regroupe plusieurs instruments qui se déploient à travers des subventions ou des prêts aux États membres. Le principal instrument de NGEU, la Facilité pour la reprise et la résilience, représente 90 % du montant total et concentre de fait toute l’attention. Au total, seuls 13 États membres ont eu recours aux prêts de la Commission européenne auxquels ils avaient droit. Par conséquent, si le montant annoncé du plan NGEU était de 807 milliards d’euros, son montant effectif s’élève aujourd’hui à 714 milliards d’euros seulement. La Commission propose désormais de réemployer les montants non sollicités pour soutenir les nouvelles priorités apparues depuis la guerre en Ukraine, telles que la réduction de la dépendance énergétique de l’Union ou la réindustrialisation.

Le programme réactive une idée ancienne de la construction européenne : son financement repose sur un endettement commun de l’Union européenne, à travers la Commission européenne, qui devra être remboursé non par les États membres mais par les ressources propres de l’Union. 

Boris Julien-Vauzelle

2 — Quels sont les objectifs donnés à ce plan ?

Entre avril 2021 et juillet 2022, les 27 États membres ont chacun remis à la Commission un plan national pour la reprise et la résilience (PNRR). Chaque plan devait prévoir d’investir au minimum 37 % de son montant dans la transition écologique et 20 % dans la transformation numérique. Au total, ce sont respectivement 40 % et 26 % du montant total des plans qui ont été fléchés vers ces priorités.

D’un point de vue macroéconomique, l’objectif initial de NGEU est double : soutenir un rebond rapide après la récession de 2020 et améliorer structurellement les perspectives économiques de l’Union en investissant dans les infrastructures, dans la transition écologique, dans les services publics ou encore dans le numérique. La Commission estimait en 2021 que l’impact potentiel de NGEU était de +1,2 point de PIB en 2026 4.

Les principaux investissements concernent l’efficacité énergétique des bâtiments, les infrastructures ferroviaires, la numérisation de l’administration ou les systèmes de santé publique. Pour la France, qui reçoit 37 milliards d’euros de la Commission européenne jusqu’en 2026, l’un des principaux usages du plan est de financer le dispositif Ma Prime Rénov’, qui vise à inciter à la rénovation thermique des logements.

3 — Des retards de mise en oeuvre qui interrogent

Les fonds du plan NGEU ont la particularité d’être déboursés par tranche et conditionnés à l’atteinte d’objectifs quantitatifs et qualitatifs. Un calendrier a été établi jusqu’en 2026, déterminant le rythme de versement des fonds aux États membres par la Commission.

Deux ans après son démarrage, il apparaît déjà que le calendrier prévisionnel n’est plus tenu. À ce stade, sur 232 milliards d’euros qui auraient dû être sollicités par les États membres, seuls 185 milliards d’euros l’ont été. En cause : le retard qu’accusent plusieurs États dans la mise en œuvre de leur plan national. Les blocages observés sont de trois ordres. 

  • Blocages politiques nationaux : dans certains cas, des difficultés de politique intérieure interfèrent dans la mise en œuvre de réformes sur lesquelles les États s’étaient engagés. Ce fut le cas par exemple de la Belgique, qui avait inscrit la réforme de son système de retraite parmi les objectifs de son plan national pour la reprise et la résilience (PNRR). 
  • Blocages opérationnels ou administratifs dans le déploiement de certains projets (cf. point 4). 
  • Blocages institutionnels : les tensions liées à la protection de l’État de droit ont bloqué le processus à de nombreuses reprises pour la Pologne et la Hongrie. En ce qui concerne la Pologne, le déblocage des fonds par la Commission européenne demeure suspendu à un jugement du tribunal constitutionnel polonais, qui doit valider une réforme judiciaire à laquelle est conditionné le versement de la première tranche du PNRR. La décision du tribunal est cruciale sur le plan économique (57 milliards d’euros sont bloqués, soit 10 % du PIB polonais) comme sur plan politique. Le résultat des élections législatives du 15 octobre dernier permet désormais d’envisager un règlement prochain de ce différend. Dans le cas de la Hongrie, le plan a fini par être approuvé fin 2022 mais les fonds (10 milliards d’euros, soit 6 % du PIB) ne seront débloqués qu’après l’adoption de plusieurs réformes judiciaires et anti-corruption.

Deux ans après le démarrage du plan, il apparaît déjà que le calendrier prévisionnel n’est plus tenu.

Boris Julien-Vauzelle

L’Italie, qui a dès le départ demandé le maximum des fonds possibles (192 milliards d’euros), a accumulé les retards et se trouve désormais engagée dans une course contre la montre pour respecter les objectifs intermédiaires qui conditionnent le versement de chaque tranche. Soulignant l’extrême importance que le plan revêt pour l’Italie, et au-delà pour l’Union européenne, le Président Sergio Mattarella a récemment appelé l’ensemble des représentants politiques italiens à travailler de concert pour accélérer son déploiement 5.

D’un point de vue juridique, l’ensemble des fonds NGEU doivent être débloqués avant le 31 décembre 2026 6. Cette course contre la montre qui s’engage risque en retour d’accentuer la pression sur la Commission lors de l’examen des futures demandes de déboursement. Celle-ci parviendra-t-elle à maintenir une ligne ferme sur la conditionnalité si les États membres ne parviennent pas à atteindre leurs objectifs ?

4 — La capacité administrative en question

En dépit de son ampleur et de ses caractéristiques inédites, le plan NGEU a été mis sur les rails par les institutions européennes avec une certaine rapidité d’exécution. Au niveau des États membres également, à l’exception de quelques cas particuliers, les administrations nationales sont parvenues à élaborer des plans de relance rapidement.

Pour autant, l’efficacité initiale constatée lors de leur montage n’est pas toujours de mise dans leur phase de déploiement. Au niveau des administrations nationales et locales, les faiblesses des moyens humains ou de l’organisation ralentissent parfois la distribution des fonds, comme le soulignent certains spécialistes au sujet de l’Espagne par exemple 7. Le plan NGEU est en effet venu s’ajouter au programme de travail d’administrations déjà mises sous tension par le déploiement habituel d’autres fonds européens.

À ces difficultés opérationnelles se sont ajoutés plusieurs facteurs de ralentissement exogènes. Comme le pointent plusieurs économistes 8, le retour de l’inflation, la hausse des coûts de l’énergie, les perturbations des chaînes d’approvisionnement voire dans certains cas les manques de main d’œuvre ont également engendré des retards en matière de commande publique ou de lancement de travaux d’infrastructure.

La mise en musique du plan NGEU jusqu’en 2026 constitue une mise à l’épreuve de l’administration européenne comme des administrations nationales et locales. Il sera indispensable d’en tirer des enseignements en vue de l’élaboration du prochain cadre financier pluriannuel 2028-2034. Dans l’hypothèse d’une augmentation significative du budget de l’Union européenne, celle-ci devra nécessairement s’accompagner d’une amélioration des capacités administratives, tant en termes de moyens humains que d’organisation.

5 — La dimension du plan NGEU en débat

En 2021, face à l’ampleur de la relance budgétaire menée par l’administration Biden, de nombreux analystes s’interrogeaient sur la dimension plus modeste du plan NGEU. Deux ans plus tard, ces interrogations ont fait place aux doutes sur la capacité des pays de l’Union à absorber les fonds NGEU. Les projets d’investissement sont-ils suffisamment nombreux pour mobiliser un tel volume de fonds publics ? De premières études estiment que les fonds NGEU se sont dans certains cas simplement substitués à d’autres fonds publics pour financer des projets déjà engagés 9, au lieu de susciter l’émergence de nouvelles initiatives.

Le risque est également que les investissements publics financés par NGEU ne se substituent à des investissements qui auraient été réalisés sur des fonds privés ou encore qu’ils n’aient pour effet que de dérisquer l’investissement privé sans véritable contrepartie, comme l’analyse notamment l’économiste Daniela Gabor 10. Ces différentes difficultés mettent en évidence un risque quant à l’efficience de la dépense publique européenne.

En 2021, face à l’ampleur de la relance budgétaire menée par l’administration Biden, de nombreux analystes s’interrogeaient sur la dimension plus modeste du plan NGEU. Deux ans plus tard, ces interrogations ont fait place aux doutes sur la capacité des pays de l’Union à absorber les fonds NGEU.

Boris Julien-Vauzelle

La Commission estime nécessaire de mobiliser près de 500 milliards d’euros d’investissements additionnels chaque année pour atteindre l’objectif de neutralité carbone de l’UE à l’horizon 2050. Mais l’économie européenne est-elle capable de les absorber avec efficacité et efficience ? Ces difficultés, mises en lumière par le plan NGEU, pourraient entamer la capacité de l’UE à s’engager plus avant dans un soutien budgétaire massif à l’industrie et à la transition écologique, comme les États-Unis l’ont récemment fait à travers l’Inflation Reduction Act.

[Pour approfondir cette question des capitalismes politiques : vous pouvez cliquer ici.]

6 — NGEU éprouve la capacité de l’UE à projeter ses politiques dans le temps long

Les ralentissements observés dans la mise en œuvre de NGEU interrogent la capacité de l’Union à déployer sa stratégie dans le temps long et viennent également mesurer la soutenabilité politique des initiatives européennes.

Depuis le lancement de NGEU, l’Union a développé de nombreux programmes ad-hoc dont l’objet recoupe parfois partiellement celui du plan.

Boris Julien-Vauzelle

Le plan NGEU, dont les fondements ont été posés à l’été 2020, constitue l’aboutissement d’un compromis entre États membres établi dans un contexte politico-économique très précis. Les économies européennes sortaient de plusieurs vagues de confinement, la crise sanitaire avait révélé les faiblesses structurelles des appareils productifs européens, les décisions de la Banque centrale européenne donnaient alors des marges de manœuvre budgétaires significatives et enfin les appels à la solidarité européenne se faisaient plus pressants que jamais. Tous ces paramètres ont concouru à créer le momentum politique nécessaire à l’adoption de ce programme historique.

Puis, en l’espace de quelques mois, le contexte politique, économique et géopolitique s’est trouvé complètement bouleversé : guerre en Ukraine, crise énergétique, retour de l’inflation, remontée des taux d’intérêt. En conséquence, depuis le lancement du plan NGEU, l’Union a développé de nombreux programmes ad-hoc dont l’objet recoupe parfois partiellement celui de NGEU (RePowerEU, Net-Zero Industry Act, European Sovereignty Fund). Dans le même temps, 13 des 27 États membres ont connu un renouvellement à la tête de leur gouvernement 11.

Dès lors, comment faire vivre l’objet politique NGEU, quand chaque nouvel événement ou chaque renouvellement politique constitue pour l’UE une incitation à inventer ou reconditionner de nouvelles initiatives ? Le risque est double : brouiller la lisibilité des stratégies européennes de long terme 12 et affaiblir la portée et la durabilité politiques des initiatives les plus structurantes. Les élections européennes du printemps 2024 et le renouvellement subséquent de la Commission devront également être observés à travers cette focale.

7 — L’Union européenne, nouvel émetteur de dette publique de premier plan  ?

Le mode de financement du plan NGEU constitue l’un de ses marqueurs historiques. Pour la première fois, l’UE s’endette en commun à travers la Commission européenne, qui est autorisée à émettre des obligations sur les marchés. Depuis 2020, elle a ainsi emprunté 495 milliards d’euros 13, devenant l’un des plus importants émetteurs européens de dette publique aux côtés de l’Allemagne, la France ou l’Italie.

Les obligations européennes se trouvent de fait en compétition avec les obligations émises par les États membres. Après deux années d’activité comme émetteur, et bien que l’UE ne rencontre pas de difficultés majeures pour se financer, la dette européenne attire moins les investisseurs que celle des principaux États membres. Le fait que NGEU constitue une initiative unique implique que la présence de l’UE sur les marchés n’est que temporaire, ce qui a un effet dissuasif pour les investisseurs en recherche d’un actif liquide, facile à échanger 14. Au-delà de facteurs plus opérationnels 15, certains chercheurs analysent plus généralement la moindre performance de la dette européenne sur les marchés comme le reflet d’une confiance limitée des investisseurs dans les progrès de la construction européenne 16.

Pour la première fois, l’UE s’endette en commun à travers la Commission européenne, qui est autorisée à émettre des obligations sur les marchés. 

Boris Julien-Vauzelle

La capacité à emprunter sur le très long terme pour financer des investissements dont la rentabilité est incertaine ou non immédiate constitue par essence un attribut régalien. Dès lors, la découverte de cette fonction par l’Union européenne revêt tout autant une dimension opérationnelle que symbolique, et constitue une étape incontournable de sa construction.

8 — Une capacité de remboursement encore incertaine

Tandis que lors de ses premières opérations, l’UE empruntait à taux négatif sur ses obligations à 10 ans, elle fait désormais face à un taux de plus de 3 %. Cette situation, qui augmente significativement le coût de financement du plan NGEU, vient renforcer l’urgence qui pèse sur la mise en place de nouvelles ressources propres qui doivent permettre à l’Union de rembourser la dette NGEU jusqu’en 2058.

En juin dernier, la Commission a proposé l’instauration de quatre nouvelles sources de financement. À terme, leur rendement attendu est d’environ 40 milliards d’euros par an, soit un montant théoriquement suffisant pour couvrir les besoins de la Commission pour rembourser la dette. Néanmoins, les recettes estimées pourraient varier significativement, en fonction des évolutions du prix du carbone ou des marges des entreprises. Dans le même temps, les coûts de financement du plan NGEU sont également susceptibles d’évoluer à la hausse. Si les ressources propres se révélaient insuffisantes, les États seraient alors mis à contribution pour compenser.

Les États membres doivent examiner au cours des prochains mois ces propositions de la Commission, et devront ensuite prendre une décision à l’unanimité du Conseil. Alors que les élections européennes approchent et que la question de savoir qui supportera le remboursement du plan NGEU commence à être mise en débat, il apparaît urgent que les institutions trouvent un accord afin de sécuriser la trajectoire de désendettement jusqu’en 2058.

9 — La transparence, double enjeu d’acceptation démocratique et d’efficacité

En février dernier, le Parlement européen a voté l’obligation faite aux États membres de rendre publique la liste des 100 premiers bénéficiaires du plan NGEU. Cette décision permettra de connaître l’identité des collectivités, associations ou entreprises recevant les aides financières les plus importantes. Pour autant, ce pas en avant demeure très éloigné des standards de transparence et d’accès aux données que les citoyens sont en droit d’attendre.

À l’approche des élections européennes du printemps 2024, l’objectif est double. Il s’agit premièrement de favoriser l’acceptation démocratique et la bonne compréhension de ce plan par les citoyens : les transformations profondes qui sous-tendent ce plan sont-elles comprises par la population ? L’effort de transparence constitue également un levier clef afin de désarmer les narratifs volontairement trompeurs sur la portée et les implications du plan NGEU, qui ne manqueront pas d’éclore lors de la campagne électorale. Deuxièmement, la transparence doit permettre aux chercheurs d’évaluer ce plan en toute indépendance afin de contribuer, à terme, à améliorer la qualité de la dépense et des décisions publiques européennes.

L’effort de transparence constitue également un levier clef afin de désarmer les narratifs volontairement trompeurs sur la portée et les implications du plan NGEU, qui ne manqueront pas d’éclore lors de la campagne électorale.

Boris Julien-Vauzelle

Si la Commission a fait de nombreux efforts pour donner accès aux documents et données du plan, des progrès significatifs restent à accomplir. Mais au-delà des institutions européennes, la responsabilité revient principalement aux États membres, qui sont les mieux placés pour fournir une information de qualité à leurs citoyens sur l’usage des fonds.

Loin d’être accessoire, la transparence constitue de fait une condition incontournable à la réussite de ce plan de relance, et plus généralement de l’ensemble des politiques européennes. Démontrer l’efficacité d’une politique nécessite de doter les citoyens, les chercheurs, les journalistes comme l’ensemble de la société civile des moyens d’en juger par eux-mêmes.

10 — NGEU, un point de bascule de la construction européenne ?

La mise en œuvre de NGEU soulève de nombreuses questions pour l’avenir de l’Union. Le changement de paradigme que ce plan incarne ne fait pas l’objet d’un consensus, l’Union demeurant marquée par des oppositions importantes entre États membres et au sein même de la Commission. Au-delà même de ses réalisations concrètes, NGEU est voué à devenir un objet politique autour duquel se polarisent les visions sur l’avenir de l’Union.

Bien que le désordre économique et politique mondial incite à entériner une nouvelle approche sur de nombreux sujets, il existe un risque significatif que l’Union ne revienne à ses réflexes traditionnels dans les débats actuels sur la réforme des règles budgétaires, sur la réponse à apporter à l’Inflation Reduction Act, sur la politique commerciale ou sur la politique industrielle.

Le plan NGEU doit-il demeurer une initiative unique ou inspirer une série de programmes similaires ? Doit-il constituer la préfiguration d’une capacité budgétaire permanente très supérieure au budget européen actuel ? Bien que NGEU s’inscrive dans le fonctionnement institutionnel européen, les investissements mis en œuvre reposent malgré tout sur des logiques très nationales. De fait, il ignore globalement les besoins de coordination voire de mise en commun de certaines capacités industrielles, énergétiques ou de défense. En outre, la fin progressive des investissements portés par NGEU n’est à ce stade pas compensée après 2026, entraînant un manque structurel de financement de la transition écologique.

La Commission von der Leyen fut celle de la réaction aux chocs et de l’urgence, inaugurant des voies et moyens inédits, dont NGEU est le meilleur exemple. La prochaine Commission, quant à elle, aura pour mission de structurer et donner une cohérence à cette nouvelle phase de la construction européenne.

Sources
  1. Par exemple les plans nationaux suivants : France Relance, Piano Nazionale di Ripresa e Resilienza, Plan de Recuperación, Transformación y Resiliencia, NextGen Belgium.
  2. Jean Monnet, Mémoires, Paris, Fayard, 1976.
  3. Le plan NGEU, d’un montant de 135 Mds€ en moyenne annuelle, vient s’ajouter aux 173 Mds€ du budget annuel de l’UE (cadre financier pluriannuel 2021-2027).
  4. Pfeiffer et al. (2021), Quantifying spillovers of NGEU investment, European Economy Discussion Papers.
  5. Intervention du 27 juillet 2023 devant la presse parlementaire : « Lei ha parlato del PNRR. Ne ho più volte sottolineato la portata decisiva per il nostro futuro.Vorrei oggi porre in evidenza che non si tratta di una questione del Governo, di questo o dei due governi precedenti, ma dell’Italia.L’invito a tutti a mettersi alla stanga – per usare ancora una volta questa espressione degasperiana – che mi ero permesso di avanzare tempo addietro, è rivolto appunto a tutti : quale che sia il livello istituzionale, quale che sia il ruolo politico, di maggioranza o di opposizione. Quale che sia il ruolo di soggetti della società riguardo ai temi che il Piano affronta.Dobbiamo avvertire tutti il carattere decisivo per l’avvenire dell’Italia e tener conto, pertanto, allo stesso tempo, di non esserne estranei ; di esserne, certamente in misure diverse, responsabili ; di dover recare apporti costruttivi.Un eventuale insuccesso o un risultato soltanto parziale non sarebbe una sconfitta del Governo ma dell’Italia : così sarebbe visto e interpretato fuori dai nostri confini e così sarebbe nella realtà. »
  6.  Article 24 du règlement 2021/241 du 12 février 2021 établissant la facilité pour la reprise et la résilience.
  7. Hidalgo-Pérez et al., Capacidad administrativa y absorción de los fondos NGEU, Gestión y Análisis de Políticas Públicas, 2022.
  8. Dorrucci et Freier, The opportunity Europe should not waste, ECB blog, 2023.
  9. Barbero et al., The impact of the recovery fund on EU regions : a spatial general equilibrium analysis, Regional Studies, 2022.
  10. Gabor, The (European) Derisking State, 2023.
  11. Entre juillet 2020 et juillet 2023, 48 % des membres du Conseil européen ont été remplacés (13 chefs d’Etat ou de gouvernement sur 27).
  12. « L’annonce d’initiatives ambitieuses mais en réalité inefficaces semble être devenue une tactique de la Commission pour réconcilier pays favorables et opposés », Le Monde, 24 mars 2023.
  13. Ce montant inclut toutes les émissions menées depuis 2020 jusqu’au 30 septembre 2023, que ce soit pour financer le programme SURE, les aides à l’Ukraine ou NGEU, ce dernier représentant la grande majorité de cette dette (la ventilation exacte entre programmes n’est néanmoins plus possible depuis le 1er janvier 2023).
  14. Bletzinger et al., The safe asset potential of EU-issued bonds, ECB bulletin, 2022.
  15. Claeys, McCaffrey, Welslau, The rising cost of European Union borrowing and what to do about it, Bruegel, 2023.
  16. Bonfanti et Garicano, Do financial markets consider European common debt a safe asset ?, Bruegel, 2022.