Mardi 24 janvier, la société Hindenburg Research publiait un rapport pointant du doigt le conglomérat multinational indien Adani, fondé et dirigé par Gautam Adani. Les principaux points de celui-ci sont :

  • L’endettement réel des 7 principales filiales du groupe (Adani Enterprises, Adani Ports & SEZ, Adani Green Energy, Adani Power, Adani Transmission, Adani Total Gas et Adani Wilmar) reposerait en partie sur la surévaluation de la valeur des actions. Le ratio courant de cinq de ces entreprises serait inférieur à 1, indiquant un risque de manque de liquidités.
  • L’existence de nombreuses sociétés écrans dans des paradis fiscaux tels que l’île Maurice, les Émirats arabes unis et les îles des Caraïbes.
  • La surévaluation collective des actions des entreprises du groupe de plus de 80 % sur le marché boursier indien1.

Depuis ces révélations, la valeur des sociétés du groupe Adani a chuté d’environ 25 %, soit une perte de l’ordre d’environ 70 milliards de dollars. En réaction, le groupe a publié hier une réponse de 413 pages réfutant les accusations faites par Hindenburg Research2. Celle-ci ne semble pas pour le moment avoir restauré la confiance des investisseurs dans le conglomérat, ni dans le pays.

Adani est le principal modèle de réussite indien, régulièrement vanté par Narendra Modi et le Bharatiya Janata Party (BJP).

  • Le groupe fait partie de ce que Jairus Banaji a qualifié de « nouveaux capitalistes » : des entreprises apparues dans les années 1980 qui sont dirigées par de fervents partisans du Premier ministre Modi.
  • Au-delà de contribuer largement aux financements de campagnes politiques, d’être impliqué dans du trafic d’influence et de disposer d’une voix dans les discussions portant sur la mise en place de nouvelles réglementations, le groupe Adani intègre également une vision du développement et de la souveraineté indienne partagée par Modi et le BJP3.
  • Le groupe est le plus grand opérateur privé d’aéroports du pays, l’opérateur portuaire le plus important ainsi que le premier producteur d’énergie à partir de charbon — la deuxième principale source d’énergie utilisée en Inde en 20214.

La chute d’Adani remet-elle en question le modèle de développement promu par Modi d’étroite collaboration entre le pouvoir politique et les conglomérats nationaux ?

  • Les fragilités révélées par Hindenburg Research pourraient avoir d’importantes répercussions sur l’économie et la société indiennes.
  • Les banques du secteur public indien détiennent entre 33 et 38 % de la dette du groupe, selon la société de courtage CLSA5.
  • Il existe également un risque de contagion à l’ensemble du marché indien. Vendredi, l’indice de référence CNX Nifty — regroupant les 50 principales capitalisations boursières indiennes — avait perdu 1,6 %, soit la pire performance des bourses asiatiques6.

Selon l’entreprise d’analyse financière S&P Global, l’Inde devrait dépasser l’Allemagne et le Japon d’ici 2030, devenant ainsi la 3ème économie mondiale derrière les États-Unis et la Chine. Or, cette réussite économique a reposé jusqu’à aujourd’hui, en partie, sur le développement de ces « champions nationaux » dont Adani fait partie7.

  • La crise que traverse le groupe Adani n’est pas sans rappeler le « moment Lehman Brothers » du géant immobilier chinois Evergrande à la fin de l’année 2021. Bien que le gouvernement chinois semble avoir abandonné l’idée de renflouer Evergrande — du moins complètement —, le secteur financier indien pourrait-il se permettre de laisser s’effondrer Adani8 ?
  • Si l’état financier du groupe nécessite une intervention gouvernementale, le BJP devra conclure un accord avec les forces d’opposition, au risque de fragiliser le modèle entrepreneurial encouragé par Modi depuis son arrivée au pouvoir en 2014.
Sources
  1. Adani Group : How The World’s 3rd Richest Man Is Pulling The Largest Con In Corporate History, Hindenburg Research, 24 janvier 2023.
  2. Jayshree Pyasi, Aditya Kalra et Aditi Shah, « Adani hits back at Hindenburg, says it made all disclosures », Reuters, 30 janvier 2023.
  3. Jairus Banaji, « Indian Big Business – The evolution of India’s corporate sector from 2000 to 2020 », Phenomenal World, 22 décembre 2022.
  4. Stephanie Findlay et Hudson Lockett, « ‘Modi’s Rockefeller’ : Gautam Adani and the concentration of power in India », Financial Times, 13 novembre 2020.
  5. Sharad Raghavan, « Despite Adani Group’s high debt levels, risk to Indian banks is relatively low », The Print, 27 janvier 2023.
  6. Ishika Mookerjee et Abhishek Vishnoi, « Adani Contagion Fear Hits India Bank Stocks, Major Life Insurer », Bloomberg, 27 janvier 2023.
  7. Angus Lam, Deepa Kumar et Hanna Luchnikava-Schorsch, « Outlook for India’s economic growth and policy platforms », S&P Global, 21 novembre 2022.
  8. Sofia Horta e Costa et Kiuyan Wong, « Evergrande Crisis to Be Dealt With by Market, PBOC’s Yi Says », Bloomberg, 9 décembre 2021.