Selon vous, que faut-il retenir du 20ème Congrès du Parti ?
Ce Congrès a marqué le pouvoir absolu et sans restriction de Xi Jinping. Ce dernier a réussi à verrouiller de facto l’ensemble de la faction de la Ligue de la jeunesse communiste chinoise — ce à quoi, par l’ampleur, on ne s’attendait pas. Il a pratiquement taillé le Politburo à son image et y a placé ses alliés les plus loyaux. Un individu en Chine peut maintenant devenir Premier ministre alors qu’il n’avait auparavant occupé aucune position au plus haut niveau de l’État, et qu’il n’a pas exercé la fonction de vice-Premier ministre. Il s’agit d’une rupture avec le modèle précédent : le Premier ministre Wen Jiabao avait appris de son prédécesseur Zhu Rongji, et Li Keqiang avait appris de Wen Jiabao. Aujourd’hui, l’idéologie prend à nouveau le pas sur les intérêts économiques en Chine.
Vous faites référence à Li Qiang, qui prendra probablement le poste de Premier ministre en mars 2023. Que faut-il savoir à son sujet ?
Il a eu une carrière relativement ordinaire au sein du Parti, avec des postes dans des provinces économiquement développées, et plus récemment comme secrétaire du Parti à Shanghai. Au départ, il était très pro-entreprise. La grande rupture a eu lieu au printemps 2022, lorsque la situation sanitaire s’est dégradée à Shanghai. Li a alors appliqué impitoyablement les instructions de Xi Jinping et a contraint Shanghai à un confinement de plusieurs semaines. La loyauté envers Xi l’a maintenant élevé à un poste de premier plan au Politburo.
Au printemps, des voix s’élevaient pour dire que le fiasco du confinement à Shanghai pourrait mettre fin à la carrière de Li Qiang.
Cet épisode ne lui a pas porté préjudice ; au contraire, il lui a valu les faveurs de Xi Jinping. Un changement fondamental a eu lieu au sein du Parti : les individus n’accèdent plus aux postes de haut-niveau sur la base de leurs qualités, mais grâce à leur loyauté envers le dirigeant suprême. L’ensemble du nouveau Politburo est composé d’hommes qui ont fait preuve d’une grande loyauté envers le Président. Cela facilite bien sûr la tâche de Xi : il dispose maintenant d’une boîte à outils qu’il peut totalement contrôler, et il n’a plus à traiter avec les dissidents internes du Parti. Dans le même temps, la caisse de résonance qui l’entoure se densifie encore plus qu’elle ne l’était déjà auparavant. C’est un problème majeur.
Li Keqiang et Wang Yang, qui ont des approches plus réformistes et pro-entreprise, ont quitté le Politburo. Cette frange idéologique a-t-elle été mise à l’écart ?
Les réformateurs ont été totalement écartés. Ce sont des vétérans qui ont certainement été en désaccord avec le Président de temps en temps, mais au final, ils appartenaient simplement au mauvais cercle. Ce qui est encore plus décevant, à mon avis, c’est que le vice-Premier ministre Hu Chunhua a également été écarté. J’ai une très haute estime de lui notamment car il a beaucoup amélioré le climat d’investissement pour les entreprises étrangères. Il n’a que 59 ans et n’a même pas pu entrer au Politburo, ce qui aurait été logique après deux mandats en tant que vice-Premier ministre.
Comment analysez-vous cette situation ?
Cela montre que l’ouverture de l’économie chinoise ne va pas se poursuivre. Nous sommes maintenant confrontés à une situation où, dans les cinq prochains mois, toute l’élite de la politique économique, qui comprend des personnalités très respectées comme Liu He, va se retirer de la vie politique d’un seul coup. C’est un phénomène dangereux, surtout à un moment où l’économie chinoise est déjà paralysée.
Reste-t-il quelqu’un dans le Politburo dont on peut dire qu’il a un passé pro-business et qu’il n’est pas avant tout un fidèle de Xi ?
Non, le chef du Parti a présenté son programme. Il faut vraiment prêter attention à ses paroles maintenant, car Xi pense ce qu’il dit et il fait ce qu’il dit. Nous devons nous défaire de l’idée que la politique de la Chine est toujours essentiellement axée sur la croissance économique. Dans son discours au Congrès du Parti, le Président a mentionné Karl Marx quinze fois. Le mot « marché » n’est apparu que trois fois.
L’idéologie prime donc clairement sur le marché ?
Oui. De nombreux observateurs pensaient aujourd’hui que, bien que le Parti se dise communiste, il poursuit finalement une forme de capitalisme de Manchester. Cela est terminé.
Qu’est-ce que cela signifie pour l’avenir de la deuxième plus grande économie du monde ?
Nous avons été habitués à la croissance économique, à la réforme et à l’ouverture pendant près de quarante ans. La Chine était le moteur économique du monde. Aujourd’hui, le pays emprunte une toute nouvelle voie.
Partout on peut déjà lire qu’un « retour à Mao » se prépare. Partagez-vous ce point de vue ?
Non, je ne dirais pas cela. L’ère Mao a été caractérisée par l’instabilité et l’incertitude pendant des années, ce dont Xi Jinping a horreur. Mais nous devons supposer que la Chine se distingue des autres pays et qu’elle construira un contre-modèle au modèle libéral et axé sur le marché de l’Occident. Nous devons également nous faire à l’idée que Xi n’a pas été élu pour cinq ans de plus, mais de facto pour dix ou quinze années supplémentaires.
Diriez-vous que le modèle de croissance qui a animé la Chine au cours des trois ou quatre dernières décennies est mort ?
Oui. Cela nous a été rappelé symboliquement avec le départ forcé de l’ex-président Hu Jintao.
Comment avez-vous interprété ce moment lors de la cérémonie de clôture du Congrès, où Hu Jintao a été conduit hors du Palais de l’assemblée du Peuple samedi ?
Pour moi, c’était la fin symbolique de l’ancienne ère. Cela signifie également que l’ancien modèle, qui reposait sur le consensus entre les différentes factions du Parti est mort. Désormais, Xi a fixé sa direction et il ne tolère plus la dissidence. L’éviction de Hu est symbolique du fait que Xi en a fini avec l’ancienne politique et que, lui seul est de facto aux commandes désormais. Aucun autre haut-responsable du Parti n’a bougé, personne n’a soutenu Hu Jintao. Tout le monde est resté assis, pétrifié. Il ne s’agissait pas de raison de mauvaise santé de la part de Hu. Je suppose qu’il faut s’habituer au fait que tout deviendra beaucoup plus autocratique en Chine.
Seulement 40 ans se sont écoulés depuis que le Parti sous Deng Xiaoping a décidé, après l’expérience avec Mao, de ne plus autoriser le culte de la personnalité. Pourquoi en est-on arrivé là avec Xi ?
40 ans, c’est assez long pour éroder la mémoire de beaucoup de gens. Mais ce qui est très important, c’est que Xi dit toujours ce qu’il pense. Il l’a toujours fait, mais pendant longtemps, cela n’a pas été pris au sérieux dans le monde occidental. L’effondrement de l’Union soviétique a eu un impact fondamental sur lui, et il a décrit les trois traumatismes russes au début de son mandat en 2013 : premièrement, la critique de Staline par Khrouchtchev a été pour lui le péché originel. Xi n’aurait jamais fait une telle chose avec Mao, et il l’a fait systématiquement. Le vieil adage « 70 % de bon, 30 % de mauvais » mis en place par Deng à l’égard de Mao n’a plus jamais été entendu sous Xi. Deuxièmement, les réformes libérales de la Perestroïka et la Glasnost ont été, aux yeux de Xi, la catastrophe qui a conduit à la destruction du Parti communiste de l’Union soviétique. Le troisième traumatisme russe pour Xi, ce sont les oligarques qui se sont enrichis de façon démesurée sous Boris Eltsine et sont devenus un contre-pouvoir pour l’État.
Ce scénario était hors de question pour Xi, ce qu’il n’a cessé de démontrer, notamment avec Jack Ma, le fondateur d’Alibaba. Xi est extrêmement cohérent, il faut le reconnaître, et dans le même temps il est aussi guidé par l’histoire. Il a étudié la chute de l’Union soviétique, et il en a tiré la conclusion que cela ne se produira pas sous son règne en Chine. Au contraire, il veut montrer que le communisme deviendra un contre-modèle du capitalisme.
Qu’est-ce que cela signifie pour les relations de la Chine avec le reste du monde ?
La politique étrangère de la Chine deviendra encore plus assertive et conflictuelle. Xi a utilisé le mot « lutte » dix-sept fois dans son discours au Congrès du Parti, douze fois dans un contexte international, principalement dirigé vers les États-Unis. La Chine veut être inattaquable et plus autosuffisante, elle veut se battre pour les marchés et les technologies de demain. Dans ce contexte, le terme de lutte a également une prétention absolue : il n’y a que des gagnants et des perdants. La rhétorique et la propagande sont utilisées pour rallier le peuple derrière le Parti. La direction du Parti fait preuve d’une confiance en soi similaire à celle de l’Allemagne au début du 20e siècle. Tout comme l’Allemagne impériale s’est frottée à l’Angleterre à l’époque, la Chine se frotte à l’Amérique aujourd’hui. On pourrait dire que Xi Jinping est un homme pressé : il veut entrer dans les livres d’histoire comme l’homme d’État qui a rétabli la Chine en tant que grande puissance.
Il y a quelques semaines, l’administration Biden a considérablement renforcé ses sanctions dans le domaine des semi-conducteurs. Cela a-t-il été un choc pour Pékin ?
Oui, c’était la mère de toutes les sanctions imposées à la Chine jusqu’à présent. C’est un coup dur pour la tentative chinoise de devenir un pays à la pointe de la technologie. La Chine est coupée des technologies haut de gamme en matière de semi-conducteurs et ne sera pas en mesure de combler cet écart dans un avenir proche. Les Chinois ont perçu l’action américaine comme une escalade ; à mon avis, le fossé entre les États-Unis et la Chine ne peut plus être comblé.
Jusqu’à présent, la Chine n’a pris aucune contre-mesure. Pourquoi ?
Cette bataille de sanctions concerne David et Goliath, la Chine étant pour une fois le David face aux États-Unis. Que doivent-ils faire ? S’ils punissent les entreprises américaines en Chine, cela coûtera des emplois en Chine. L’action la plus probable que Pékin tentera est d’imposer des restrictions sur les terres rares. Dans le même temps, les Chinois savent que Washington peut toujours aller plus loin avec ses sanctions. Par le passé, la Chine a essayé d’approfondir ses liens économiques avec l’Europe pour amortir les sanctions des États-Unis. Mais le durcissement de la politique étrangère chinoise rend un rapprochement avec l’Europe presque impossible, d’autant plus que la position de la Chine dans la guerre en Ukraine est très mal perçue dans l’opinion publique européenne.
Comment la guerre en Ukraine est-elle traitée dans le débat public en Chine aujourd’hui, huit mois après son déclenchement ?
On peut déjà voir que la Russie est désormais moins encensée et que l’OTAN est moins critiquée. La proposition d’adhésion à l’OTAN de la Suède et de la Finlande a impressionné de nombreuses personnes ici en Chine. Il devient également clair qu’ils ont mal jugé la Russie. Voir comment Poutine est du côté des perdants et comment sa grande armée ne parvient pas à gagner contre les Ukrainiens, très équipés technologiquement et motivés, a grandement surpris en Chine. Pékin et Moscou ne sont pas des alliés d’un point de vue stratégique. La seule chose qui les unit est leur anti-américanisme.
En ce qui concerne la politique zéro-Covid, y avait-il un certain espoir que les dirigeants chinois trouvent la voie d’une approche plus pragmatique sur la pandémie après le Congrès du Parti ?
C’est une chimère. Il est complètement irréaliste de penser que la Chine peut abandonner sa politique zéro-Covid. Les personnes âgées ne sont pas assez vaccinées pour cela. Il faudrait une énorme campagne de vaccination, différents vaccins, mais cela n’a pas été fait jusqu’à présent. Le Secrétaire du Parti à Shanghai a fait carrière grâce à sa politique de fermeté : cela veut tout dire. Mais il s’agit bien sûr d’une politique désastreuse, qui suscite également de plus en plus d’incompréhension au sein de la population. Les gens commencent à s’inquiéter de savoir si cela va continuer pour les prochaines années. Vous ne pouvez pas vraiment voyager dans le pays. Lorsque je voyage de Pékin à Tianjin, je dois passer sept jours en quarantaine pendant après mon retour. Si un collègue veut aller de Chengdu à Chongqing, qui se trouve à deux heures de train, il doit être mis en quarantaine pendant deux jours à Chongqing, puis à nouveau pendant deux jours à Chengdu. C’est un désastre pour le secteur des services, où nous voyons un nombre croissant de chômeurs.
Dans ces conditions, il est probablement impossible que l’économie reparte.
L’économie va assurément continuer à se contracter. Le secteur industriel est relativement bien positionné. On y connaît le principe des « boucles fermées », où les gens vivent en partie dans l’usine. Mais le secteur des services a un problème majeur, ce qui pèse sur la conscience de la population. La Chine était autrefois une « rue à sens unique » de bonheur et de prospérité croissante, mais c’est fini maintenant. Les Chinois épargnent sur la consommation parce qu’ils ne savent pas où le voyage se poursuit. Cela se voit également sur le marché immobilier, qui a chuté de 25 à 30 % dans certains cas et qui représente près de 30 % du PNB chinois. Le gouvernement ne peut pas régler ce problème si facilement en construisant quelques nouvelles autoroutes et des opéras. Il faudrait vraiment faire beaucoup, notamment dans le domaine des systèmes d’assurance, pour que la population se sente en sécurité en cas de chômage ou de maladie. Pour l’instant, la Chine vit principalement de son explosion des exportations — les exportations vers l’Europe créant 16 millions d’emplois. Certains segments se portent également très bien grâce aux subventions de l’État, par exemple le secteur automobile. Mais le moral des consommateurs est mauvais. Dans son discours de dimanche, le Président n’a pas mentionné une seule fois le mot consommation comme outil de stimulation de l’économie. Pas une seule fois.
Quelle est la situation du chômage en Chine ?
Les chiffres officiels posent problème car ils ne prennent en compte que les zones urbaines. Ainsi, 50 % de la population n’est pas du tout comptabilisée. Certains économistes chinois pensent que le chômage des jeunes de 16 à 24 ans est d’environ 30 %. Personne ne peut vraiment le prouver. La jeune génération a énormément de mal à entrer dans la vie active. Si vous ne trouvez pas d’emploi, vous êtes mis sur la touche, et l’année prochaine, 10 à 11 millions de jeunes supplémentaires sortiront des universités. L’idée qu’un si grand nombre de jeunes, surtout des hommes, n’ont pas d’emploi m’inquiète. À moyen terme, cela peut devenir un réel problème.