• La Russie a annoncé suspendre ses livraisons de gaz à la Pologne et à la Bulgarie le 27 avril dernier, car ces deux pays avaient refusé le paiement en roubles. Depuis, la Russie a également restreint ses livraisons de gaz aux Pays-Bas, au Danemark, à l’Italie, à la Finlande, à la France, à l’Autriche, à la Slovaquie et à l’Allemagne. Hier, pour faire face à ces suspensions de livraison, plusieurs pays d’Europe centrale ont signé un protocole d’accord afin de coopérer en partageant leurs ressources en gaz et en électricité, en préparation de l’hiver prochain.
  • Au total, douze pays ont vu leurs approvisionnements en gaz suspendus ou fortement restreints. Désormais, le gazoduc Nord Stream 1 reliant l’Allemagne à la Russie ne fonctionne plus qu’à 40 % de son flux habituel, et la compagnie italienne ENI a recensé une baisse de 15 % de son approvisionnement. Si l’ensemble du gaz russe n’arrivait plus en Europe, les citoyens européens devraient réduire de 30 % leur consommation de gaz habituelle, selon des estimations de l’Agence Internationale de l’Énergie1.
  • Lundi, les ministres de l’Énergie des 27 États membres se sont mis d’accord pour que les réservoirs de gaz soient remplis à au moins 80 % de leur capacité au 1er novembre 2022, et à 90 % les années suivantes. Aujourd’hui, en moyenne, les réservoirs ne sont remplis qu’à environ 55 % en Europe, mais ce chiffre constitue en lui-même une progression puisque les capacités de stockage de l’Union n’étaient que de 26 % au mois de mars. Cette progression à été rendue possible par une procédure accélérée, adoptée par la Commission européenne le 23 mars dernier, et doit permettre de limiter les risques de pénurie de gaz pour l’hiver prochain. Chypre, l’Irlande et Malte ont obtenu une dérogation sur ces obligations qui durera « tant que ces pays ne seront pas directement interconnectés » au réseau gazier d’un autre État membre de l’Union2.
  • L’Allemagne est particulièrement vulnérable dans ce contexte de crise gazière. Depuis les années 2000, Berlin s’est engagé à augmenter la part d’énergies renouvelables dans son mix énergétique. En 2011, après la catastrophe de Fukushima, Angela Merkel avait choisi d’adopter « un tournant énergétique » en décidant d’entamer la sortie progressive de l’Allemagne de l’énergie nucléaire. En 2022, les trois dernières centrales nucléaires allemandes sont censées fermer. Le gaz russe est ainsi devenu une source d’énergie encore plus précieuse pour l’Allemagne, qui à inauguré le gazoduc Nord Stream 1 en 2012 et qui a conservé, jusqu’à l’invasion de l’Ukraine, l’espoir de mettre en service Nord Stream 2. Depuis le début de la guerre, l’Allemagne tente de réduire sa dépendance au gaz russe — les importations totales de gaz russes par l’Allemagne sont passées de 55 % à 35 % des importations totales de gaz du pays — en construisant des terminaux gazier pour importer du GNL3.
  • Dans le même temps, la nouvelle coalition allemande avait acté en décembre 2021 la sortie du charbon de l’Allemagne pour l’année 2030, mais les difficultés d’approvisionnement en gaz du pays ont entraîné la réouverture temporaire de certaines centrales à charbon. Certaines voix en Allemagne ont appelé à maintenir en place les trois dernières centrales nucléaires du pays après 2022, mais la capacité de ces dernières à éviter des pertes d’énergie à l’hiver 2022-2023 sont trop faibles pour compenser les besoins assurés par le gaz. Ainsi, dans six scénarios sur sept dévoilés par le régulateur allemand de l’énergie (Bundesnetzagentur für Elektrizität, Gas, Telekommunikation, Post und Eisenbahnen), les réserves de gaz de l’Allemagne seront presque — voire complètement —épuisées à l’hiver 2022-20234.
  • Le Royaume-Uni menace quant à lui de couper son approvisionnement de gaz à l’UE si la « crise du gaz russe » s’aggrave. En coordination avec la National Grid — la compagnie d’électricité implantée au Royaume-Uni et aux États-Unis —, Londres prévoit de ne plus approvisionner la Belgique et les Pays-Bas, reliés par gazoducs à l’Angleterre, si les stocks de gaz venaient à diminuer d’ici septembre, afin d’éviter une pénurie5. Alors que les grandes puissances occidentales parviennent à faire front commun pour mettre en place des sanctions contre la Russie, l’insécurité en Europe liée aux approvisionnements en gaz menace la solidarité énergétique des États européens — et occidentaux.
Sources
  1. Samy Adghirni, « Europe Must Be Ready to Cut Gas Use by 30 % in Winter, IEA Says », Bloomberg, 28 juin 2022.
  2. Conseil de l’Union européenne, Les États membres s’accordent sur un mandat de négociation concernant une proposition relative au stockage de gaz, 11 mai 2022.
  3. Stephan Nicolas, « Germany to Build LNG Terminal to Reduce Russian Gas Dependence », Bloomberg, 5 mars 2022.
  4. Bundesnetzagentur, Gas-Mengengerüst von 06/22 bis 06/23, 26 juin 2022.
  5. Nathalie Thomas et David Sheppard, « UK plans to cut pipelines to EU if Russia gas crisis intensifies », The Financial Times, 29 juin 2022.