• Le 23 mai 2019, un amendement de la directive gaz européenne fut adopté avec pour objectif de soumettre Nord Stream 2 aux normes européennes et au regard des autorités de régulation européennes veillant à leur bonne application. Par le biais de l’extension des normes européennes aux gazoducs provenant de pays tiers l’amendement confisque le contrôle du gazoduc à Gazprom pour l’inscrire dans le cadre de la gouvernance européenne.
  • Lors des âpres négociations entre Etats membres préalables à l’adoption de cet amendement, l’Allemagne a exigé que l’application des règles européennes pour les gazoducs provenant de pays tiers incombe à l’État membre où ils sont reliés pour la première fois au réseau européen, le cas du Nord Stream 2 revenant ainsi au régulateur allemand la Bundesnetzagentur.
  • Depuis la question que se posent certains acteurs de la communauté européenne est « les autorités allemandes feront elles un usage responsable de cette charge ? ». Par « usage responsable » nous entendons une évaluation qui prendrait en compte toute l’ampleur des risques sécuritaires que certains acteurs européens voient dans ce gazoduc. Le début du processus de certification du Nord Stream 2 actuel n’a pas été l’occasion pour les autorités allemandes de satisfaire les opposants au gazoduc.
  • Le 11 juin 2021, Nord Stream 2 AG a présenté au régulateur allemand une demande de certification en tant que gestionnaire de réseau de transport indépendant (GRTI). Selon le modèle du GRTI, une entreprise verticalement intégrée (ici Gazprom) est propriétaire d’une entité juridiquement distincte (ici Nord Stream 2 AG) qui est propriétaire et qui exploite le réseau de transport (ici Nord Stream 2). Le GRTI doit opérer l’infrastructure de manière autonome par rapport à l’entreprise verticalement intégrée.
  • Ce processus de certification nécessite que le ministère fédéral allemand de l’Économie produise une analyse concernant la sécurité d’approvisionnement1. Le 26 octobre 2021, le ministère fédéral de l’Économie a transmis son analyse à la Bundesnetzagentur concluant que l’octroi d’une certification ne mettait pas en danger la sécurité de l’approvisionnement de l’Allemagne et de l’Union.
  • Mais face à la reconnaissance de l’indépendance des républiques séparatistes de l’est de l’Ukraine par le président russe, Vladimir Poutine, le chancelier allemand n’est plus en mesure d’assumer la position du précédent gouvernement face à ses partenaires. Le 22 février, moins de vingt-quatre heures après la décision de Poutine, Olaf Scholz a déclaré « Compte tenu des récents événements, nous devons réévaluer la situation, et cela inclut Nord Stream 2 ».
  • Franziska Brantner (Verts), secrétaire d’Etat au ministère de l’économie, a expliqué la décision de son gouvernement au Monde : « Nous avons décidé de retirer le rapport que le gouvernement précédent avait remis à l’Agence des réseaux afin qu’elle puisse procéder à la certification de Nord Stream 2. En retirant ce rapport, qui affirmait que Nord Stream 2 ne posait pas de problème en matière de sécurité d’approvisionnement en gaz, nous annulons le feu vert du gouvernement précédent. »2. Contrairement à son prédécesseur, le chrétien-démocrate Peter Altmaier, le nouveau ministre de l’économie, l’écologiste Robert Habeck, est un ferme opposant au Nord Stream 2. Il affirme à propos du retrait du rapport pour réexamen par son ministère « Si la réalité change, l’évaluation de la réalité doit également changer ».
  • La réaction du gouvernement allemand fut saluée par le ministre de l’économie français Bruno Le Maire « C’est une bonne décision et une sage décision, l’Allemagne réalise que l’indépendance énergétique n’a pas de prix ». Le prix de cette décision c’est justement ce que Dmitry Medvedev a mis en exergue dans un tweet associant la décision Olaf Scholz à une pérennisation des prix extrêmement élevés du gaz consommé par les européens.
  • Sans l’analyse concernant la sécurité d’approvisionnement du ministère fédéral allemand de l’Économie, ou avec une telle analyse contenant une opinion négative, c’est toute la procédure de certification du Nord Stream 2 qui s’effondrerait ne laissant aucun espoir au gazoduc de fonctionner. Ainsi, pour que Nord Stream 2 soit mis en service il faudrait désormais que le gouvernement allemand soit totalement convaincu que la Russie ne représente pas une menace militaire concrète pour l’Ukraine. Au vu de la dynamique militaire actuelle à l’est de l’Ukraine, une décision positive du gouvernement allemand vis-à-vis du gazoduc n’est pas à attendre dans un futur proche. Le contrat de transit actuel dont dispose l’Ukraine s’achevant en 2024 nous nous avançons même à prédire que les négociateurs allemand poseront sûrement le maintien du transit ukrainien comme condition préalable au fonctionnement du Nord Stream 2.
  • L’amendement de la directive gaz européenne, adopté le 23 mai 2019, devait permettre aux européens d’encadrer le fonctionnement du Nord Stream 2. Ce texte porte aujourd’hui ses fruits puisque ses dispositions permettent à l’Allemagne de fournir une réponse immédiate à l’action russe. Cependant, la suspension de la procédure de certification du gazoduc pourrait être contestée en justice en vertu du traité sur la charte de l’énergie protégeant les investissements. Si le jugement devait considérer la mesure excessive, le gouvernement allemand aurait à payer de lourdes indemnités. Toutefois une suspension de la procédure de certification au titre d’une réévaluation de l’analyse de sécurité nécessaire semble donner plus de légitimité à agir au gouvernement allemand que des sanctions n’auraient pu le faire. Ne pas certifier ce n’est pas sanctionner, cette nuance peut avoir son importance.