• Au Mozambique, la chute de Palma le 28 mars face aux insurgés qui terrorisent la région a révélé l’incompétence du gouvernement à protéger sa population. 95 % de la population de Palma n’a pas pu être évacuée et a été contrainte de fuir par ses propres moyens. L’échec est tel que Total a décidé de se retirer complètement du projet gazier en attente de garanties certaines de sécurité de la part du gouvernement mozambicain. Après la visite du président mozambicain Filipe Nyusi à Paris les 17 et 18 mai, et le voyage de Macron au Rwanda et en Afrique du Sud dix jours plus tard, quelles perspectives sont envisagées pour ramener le calme en Cabo Delgado ?
  • La chute de Palma et le retrait de Total fin mars font craindre aux pays de la Communauté de Développement d’Afrique Australe (SADC) le risque d’une contamination régionale de l’insurrection en Cabo Delgado. Certains pays font de plus en plus pression sur le Mozambique pour accepter une aide régionale, l’Afrique du Sud en tête. Pretoria est déjà impliquée dans le conflit au travers de sociétés militaires privées comme le Dyck Advisory Group et souhaiterait une intervention militaire de la SADC, à l’aide du pacte de défense régionale (encore jamais utilisé) dont est dotée l’organisation. Cette vision s’oppose à celle de la Tanzanie, dont la province de Cabo Delgado est frontalière, qui refuse d’envoyer des troupes et souhaite privilégier une stratégie d’aide au développement. Cette position peut s’expliquer par le fait que la Tanzanie voit de nombreux réfugiés mozambicains arriver sur son territoire et refuse de les accepter. Une stratégie de développement pourrait réduire ces flux.
  • Cependant ces propositions de deux grands pays de la SADC ne prennent pas en compte la vision du Frelimo (Front de Libération du Mozambique, le parti au pouvoir depuis l’indépendance) sur les questions de sécurité. En effet selon le spécialiste Joseph Hanlon1, Filipe Nyusi se montre opposé à toute force internationale sur le territoire mozambicain, notamment car elles seraient commandées par des étrangers, ce qui serait perçu comme une perte de souveraineté. À cela il faut ajouter une défiance envers Pretoria, qui souhaite exercer son rôle de puissance régionale. Le Mozambique ne se montre ouvert qu’à des aides bilatérales qu’il pourrait contrôler, ce qui exclut toute aide provenant de la SADC, de l’ONU ou de l’Union européenne.
  • Concernant cette dernière, plusieurs possibilités restent ouvertes. Le Portugal, qui a envoyé 60 soldats dans une mission d’entraînement des forces de sécurité mozambicaines souhaiterait l’étendre à l’UE2 afin de disposer de plus d’hommes et de moyens, tout en montrant qu’il reste une puissance qui compte dans son ancienne colonie. Cependant, mise à part la France, aucune autre puissance européenne n’est réellement intéressée par les affaires mozambicaines, ce qui réduit les chances pour Lisbonne de faire valoir ses intérêts, alors que la présidence portugaise du Conseil de l’UE s’achève prochainement.
  • La France, par la prééminence de Total dans les projets gaziers de Cabo Delgado, est la puissance européenne la plus intéressée par le Mozambique. La proximité de Mayotte et de la Réunion ainsi que la présence des Forces Armées dans la Zone Sud de l’Océan Indien (FAZSOI), font de Paris un acteur sécuritaire de plus en plus incontournable pour Maputo. Les patrouilles navales françaises dans le Nord du Canal du Mozambique sont les plus importantes, et donc les plus à même d’agir dans la région, l’Afrique du Sud étant le seul autre État dont la présence navale est aussi régulière. La condition posée par Total pour son retour serait celle d’une zone de sécurité de 25km autour de la péninsule d’Afungi (où sont basés les projets gaziers), ce qui inclurait la ville de Palma. Lors du voyage de Nyusi à Paris le 18 mai, la question de Cabo Delgado a été abordée, et la condition pour le retour de Total pourrait prendre la forme d’une zone plus petite, protégée par des forces françaises.
  • Aussi insolites que puissent paraître ces conditions, elles semblent envisagées jusqu’à un certain point. En effet, la priorité du Frelimo a toujours été la protection des projets gaziers qui promettent une rente conséquente pour le pays et ses élites, plutôt que la protection de la population et le développement de Cabo Delgado. La chute de Palma a suffisamment décrédibilisé l’armée mozambicaine pour permettre à Total d’imposer de telles conditions3. Joseph Hanlon4 suggère que le Rwanda pourrait aussi jouer un rôle dans la création du cordon sécuritaire demandé par Total. En effet, le président du Rwanda Paul Kagame était à Paris en même temps que Nyusi, et la question du Cabo Delgado aurait aussi été discutée. Cette même question aurait été à l’ordre du jour lors du voyage de Macron au Rwanda et en Afrique du Sud, les 27 et 28 mai5. L’option est intéressante car les troupes rwandaises sont expérimentées après plusieurs missions de maintien de la paix en Afrique, et soulageraient Paris, déjà surengagée dans le Sahel. De plus, le Rwanda ne fait pas partie de la SADC.
  • Ce sont donc les pistes envisagées par les différents acteurs pour répondre aux troubles dans le Cabo Delgado. Compte tenu de la priorité donnée par Maputo à sa souveraineté et à la protection des projets gaziers, l’hypothèse du cordon sanitaire autour d’Afungi ne peut être écartée, mais n’apportera pas de véritable solution à la crise dans la province. Une participation de l’UE, à travers le financement de la mission du cordon sanitaire ou d’une mission de formation militaire, est envisageable.
Sources
  1. Joseph Hanlon, Mozambique 548 – Foreign intervention : South Africa says yes, Tanzania no. Covid-19 still low, Mozambique News Reports and Clippings, 30/05/2021.
  2. Mozambique : Portugal ‘available to join military forces or other EU support’ for country, Club of Mozambique, 18/05/2021.
  3. Nádia Issufo, A França vai impor as suas forças em Cabo Delgado para que a Total regresse ?, Deutsche Welle, 17/05/2021.
  4. Joseph Hanlon, Mozambique 548 – Foreign intervention : South Africa says yes, Tanzania no. Covid-19 still low, Mozambique News Reports and Clippings, 30/05/2021.
  5. Cabo Ligado Semanal : 10-23 de Maio, Cabo Ligado, 27/05/2021.